Numéro 2 - Février 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2019

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

3e Civ., 21 février 2019, n° 18-20.373, (P)

QPC - Irrecevabilité

Droit des biens – Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 – Article 6 – Liberté d'entreprendre – Principe de nécessité et de proportionnalité des peines – Principe de légalité des peines – Principe d'individualisation des peines – Critique d'une règle jurisprudentielle fondée sur une disposition réglementaire – Irrecevabilité

Attendu que la société Alfaga Sati, qui, à la suite d'une action en responsabilité engagée à son encontre, a été condamnée par plusieurs arrêts irrévocables à rembourser à divers syndicats des copropriétaires l'intégralité des honoraires qu'elle avait perçus, dans la limite de la prescription trentenaire, les a assignés en fixation de ses honoraires sur le fondement des articles 1986 et 1999 du code civil et, subsidiairement, de la gestion d'affaires ou de l'enrichissement sans cause ; que les sociétés Sogire et Pierre et Vacances sont intervenues volontairement à l'instance ;

Attendu qu'à l'occasion du pourvoi formé contre l'arrêt déclarant irrecevables leurs demandes, les sociétés Alfaga Sati, Sogire et Pierre et Vacances ont demandé, par mémoire spécial et distinct, de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :

1°/ Les dispositions de l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, telles que la jurisprudence les interprète, pour retenir que le syndic désigné en assemblée générale et ayant fait préalablement à l'exécution de sa mission approuver ses honoraires par le vote d'un budget prévisionnel portant mention spécifique de leur montant doit être privé de l'intégralité de sa rémunération et donc de son chiffre d'affaires pour n'avoir pas prévu une délibération spéciale sur le montant de ses honoraires, ne constituent-elles pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre telle qu'elle découle de l'article 4 de la déclaration de 1789 ? ;

2°/ Les dispositions de l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, telles que la jurisprudence les interprète, pour retenir que le syndic désigné en assemblée générale et ayant fait préalablement à l'exécution de sa mission approuver ses honoraires par le vote d'un budget prévisionnel portant mention spécifique de leur montant doit être privé de l'intégralité de sa rémunération et donc de son chiffre d'affaires pour n'avoir pas prévu une délibération spéciale sur le montant de ses honoraires, ne consacrent-elle pas une sanction ayant la nature d'une punition revêtant un caractère disproportionné avec la gravité du manquement réprimé et ne constituent-elles pas de ce fait une violation de l'article 8 de la déclaration de 1789 ? ;

3°/ Les dispositions de l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, telles que la jurisprudence les interprète, pour retenir que le syndic désigné en assemblée générale et ayant fait préalablement à l'exécution de sa mission approuver ses honoraires par le vote d'un budget prévisionnel portant mention spécifique de leur montant doit être privé de l'intégralité de sa rémunération et donc de son chiffre d'affaires pour n'avoir pas prévu une délibération spéciale sur le montant de ses honoraires, ne consacrent-elle pas une sanction ayant la nature d'une punition que ne prévoit aucun texte en violation de l'article 8 de la déclaration de 1789 ? ;

4°/ Les dispositions de l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, telles que la jurisprudence les interprète, pour retenir que le syndic désigné en assemblée générale et ayant fait préalablement à l'exécution de sa mission approuver ses honoraires par le vote d'un budget prévisionnel portant mention spécifique de leur montant doit être privé de l'intégralité de sa rémunération et donc de son chiffre d'affaires pour n'avoir pas prévu une délibération spéciale sur le montant de ses honoraires, ne consacrent-elle pas une sanction ayant la nature d'une punition en méconnaissance du principe posé par l'article 8 de la déclaration de 1789 qui impose au législateur d'indiquer précisément le montant maximum de la peine encourue ? ;

5°/ Les dispositions de l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, telles que la jurisprudence les interprète, pour retenir que le syndic désigné en assemblée générale et ayant fait préalablement à l'exécution de sa mission approuver ses honoraires par le vote d'un budget prévisionnel portant mention spécifique de leur montant doit être, automatiquement et sans que le juge dispose d'une quelconque marge d'appréciation, privé de l'intégralité de sa rémunération et donc de son chiffre d'affaires pour n'avoir pas prévu une délibération spéciale sur le montant de ses honoraires, ne consacrent-elle une sanction ayant la nature d'une punition automatique en méconnaissance du principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la déclaration de 1789 lequel implique que l'exercice du pouvoir de sanction tienne compte des circonstances propres à chaque espèce ? ;

Mais attendu que, sous couvert de critiquer une disposition législative, les questions posées contestent en réalité une règle jurisprudentielle qui n'est pas fondée directement sur l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, mais sur l'article 29 du décret du 17 mars 1967, dans sa rédaction applicable en la cause, selon lequel les conditions de la rémunération du syndic devaient être précisées dans le mandat ou fixées par l'assemblée générale ;

Qu'elles sont donc irrecevables ;

PAR CES MOTIFS :

DÉCLARE IRRECEVABLES les questions prioritaires de constitutionnalité.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Dagneaux - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; Me Galy -

1re Civ., 13 février 2019, n° 18-20.361, (P)

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Droit des étrangers – Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – Article L. 611-1-1 – Interprétation jurisprudentielle constante – Droits de la défense – Principe de liberté individuelle – Déclaration préalable partielle de constitutionnalité – Caractère sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Attendu que M. L..., dont l'identité et les titres de circulation et de séjour ont été vérifiés à l'occasion d'un contrôle ordonné sur le fondement de l'article 78-2 du code de procédure pénale, a été invité à suivre les fonctionnaires de police jusqu'au service où son placement en rétention lui a été notifié ; que le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande de prolongation de la mesure ; qu'à l'occasion du pourvoi en cassation qu'il a formé, M. L... a, par mémoire distinct et motivé, présenté deux questions prioritaires de constitutionnalité :

« Les dispositions de l'article L. 611-1-1 du CESEDA résultant de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012, telles qu'interprétées par la jurisprudence, en ce qu'elles ne prévoient pas que l'étranger, invité par les services de police à les suivre pour recevoir la notification de ses droits, dans le cadre d'une procédure dite de « mise à disposition », hors de toute retenue administrative, doit être informé qu'il est libre de quitter à tout moment les locaux de la police, portent-elles atteinte aux droits de la défense, tels que garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ?

Les dispositions de l'article L. 611-1-1 du CESEDA résultant de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012, telles qu'interprétées par la jurisprudence, en ce qu'elles ne prévoient pas que l'étranger, invité par les services de police à les suivre pour recevoir la notification de ses droits, dans le cadre d'une procédure dite de « mise à disposition », hors de toute retenue administrative, doit être informé qu'il est libre de quitter à tout moment les locaux de la police, portent-elles atteinte à la liberté individuelle telle que garantie par l'article 66 de la Constitution ? » ;

Attendu que la disposition contestée est applicable au litige ;

Attendu que, si une partie de cette disposition a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2016-606/607 QPC rendue le 24 janvier 2017 par le Conseil constitutionnel, elle n'a pas été examinée par celui-ci au regard de la portée effective que lui conférerait l'interprétation jurisprudentielle invoquée par les questions, de sorte qu'à cet égard elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Mais attendu, d'une part, que les questions, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles ;

Et attendu, d'autre part, que les questions ne présentent pas un caractère sérieux en ce que, si l'article L. 551-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'une personne peut être placée en rétention après son interpellation, ce qui suppose qu'aucune vérification de sa situation au regard de son droit de circuler ou de séjourner en France, au sens de l'article L. 611-1-1 du même code, ni aucune vérification d'identité, au sens de l'article 78-3 du code de procédure pénale, n'était nécessaire, le temps de mise à disposition pendant lequel elle se rend dans les locaux de la police n'est pas contraint lorsque le procès-verbal, qui fait foi jusqu'à preuve contraire, indique qu'elle accepte de suivre les fonctionnaires de police pour un examen de situation administrative préalable à la notification de la mesure de rétention ; que, dès lors, l'absence d'obligation d'informer l'étranger de son droit de quitter les locaux de la police, dans le second de ces textes, lequel ne s'applique pas à la situation de l'étranger mis à disposition pendant un laps de temps qui précède immédiatement la notification de la rétention, ne porte pas atteinte aux droits et libertés qu'il invoque ;

D'où il suit qu'il n'y a pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel ;

PAR CES MOTIFS :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Soc., 21 février 2019, n° 18-21.460, (P)

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Licenciement – Code du travail – Article L. 7112-5 – Liberté contractuelle – Liberté d'entreprendre – Applicabilité au litige – Caractère sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Attendu qu'à l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 28 juin 2018 par la cour d'appel de Paris, la société Groupe France agricole demande à la Cour de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 7112-5, 1°, du code du travail disposant que « si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par (...) la cession du journal ou du périodique », en ce qu'il est interprété par la Chambre sociale de la Cour de cassation comme permettant à un journaliste professionnel de bénéficier d'une indemnité de licenciement calculée dans des conditions plus favorables que celles du droit commun lorsqu'il démissionne en invoquant simplement l'existence d'une cession qui peut avoir eu lieu jusqu'à cinq ans auparavant, sans avoir à respecter un délai raisonnable permettant de s'assurer que la démission est effectivement en lien avec ladite cession, fait-elle peser sur les entreprises de journaux et périodiques une charge qui constitue une atteinte disproportionnée, compte tenu de l'objectif poursuivi, à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre ? » ;

Attendu que la disposition contestée est applicable au litige, lequel se rapporte au délai imparti à un journaliste professionnel pour rompre le contrat de travail en invoquant l'existence d'une cession du journal ou du périodique qui l'emploie ;

Qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Mais attendu, d'une part, que la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle ;

Et attendu, d'autre part, que la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que la jurisprudence critiquée se borne à rappeler que l'article L. 7112-5, 1°, du code du travail n'impose aucun délai aux journalistes professionnels pour mettre en oeuvre la « clause de conscience » et bénéficier de l'indemnité prévue par ce texte si la rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique ; que la portée ainsi donnée à la disposition légale contestée, qui vise à garantir l'indépendance des journalistes, ne fait que traduire la volonté du législateur de prendre en compte les conditions particulières dans lesquelles s'exerce leur profession et ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle ;

D'où il suit qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;

PAR CES MOTIFS :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. David - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

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