Numéro 2 - Février 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2019

PROPRIETE

1re Civ., 13 février 2019, n° 18-13.748, (P)

Rejet

Preuve – Meuble – Présomption de l'article 2279 du code civil – Exclusion – Cas – Domaine public mobilier

Action en revendication – Bien public – Convention européenne des droits de l'homme – Article 1er du premier protocole additionnel – Compatibilité

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 janvier 2018), que l'Etat a présenté une action en revendication relative à une pierre sculptée de 1,63 mètre, désignée comme le « fragment à l'Aigle », provenant du jubé gothique de la cathédrale de Chartres et acquise en 2002 par la société Brimo de Laroussilhe (la société Brimo) ;

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur les deuxième et troisième branches du second moyen :

Attendu que la société Brimo fait grief à l'arrêt de lui ordonner de restituer à l'Etat le fragment du jubé de la cathédrale de Chartres dit le « fragment à l'Aigle » dans les trois mois de la signification du jugement, et de rejeter sa demande en indemnisation pour procédure abusive, alors, selon le moyen :

1°/ que la règle « en fait de meubles, la possession vaut titre » prévue par l'article 2276 du code civil constitue un mode autonome d'acquisition, distinct de l'aliénation et de la prescription ; que dès lors, les principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public ne font pas obstacle à l'acquisition d'un bien mobilier appartenant au domaine public par une prise de possession de bonne foi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs adoptés, « que la société Brimo de Laroussilhe est entrée en possession du fragment revendiqué en toute bonne foi, suite à une acquisition sur le marché de l'art et qu'elle bénéficie de la présomption prévue à l'article 2276 du code civil » ; qu'en jugeant néanmoins que le fait que le bien ait appartenu au domaine public lors de cette prise de possession impliquerait, en application des principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public, qu'il doive être restitué à l'Etat, la cour d'appel a violé l'article 2276 du code civil, ensemble l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;

2°/ que le fait, pour l'Etat, de retirer à une personne un meuble corporel qu'elle avait acquis de bonne foi constitue une privation de propriété, au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que cet acquéreur pouvait légitimement se prévaloir d'une situation de sécurité juridique résultant de son titre de propriété ; qu'une telle ingérence dans le droit au respect des biens ne peut être justifiée par l'appartenance dudit bien au domaine public que si elle est proportionnée ; qu'en l'espèce, en ordonnant à la société Brimo de restituer à l'Etat, sans la moindre indemnisation, le fragment à l'Aigle qu'elle avait acquis de bonne foi et qui avait une valeur pécuniaire considérable, motif pris de son appartenance au domaine public, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens de cette société, en violation de l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'abord, que la protection du domaine public mobilier impose qu'il soit dérogé à l'article 2279, devenu 2276 du code civil ; qu'après avoir comparé le fragment à l'Aigle et une autre sculpture composant, ensemble, un bas-relief du jubé de la cathédrale de Chartres, démonté en 1763, l'arrêt retient que ce fragment correspond à celui extrait en 1848 du sol de la cathédrale par l'architecte M..., à une époque où le bâtiment relevait du domaine public de l'Etat ; que la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que le fragment à l'Aigle avait intégré à cette date le domaine public mobilier ;

Attendu, ensuite, que l'action en revendication d'un tel bien relève de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle s'exerce à l'égard d'une personne qui, ayant acquis ce bien de bonne foi, pouvait nourrir une espérance légitime de le conserver ou d'obtenir une contrepartie ;

Attendu, cependant, que l'ingérence que constituent l'inaliénabilité du bien et l'imprescriptibilité de l'action en revendication est prévue à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du même code ; qu'il s'en déduit qu'aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut être valablement constitué au profit de tiers et que ce bien ne peut faire l'objet d'une prescription acquisitive en application de l'article 2276 du code civil au profit de ses possesseurs successifs, même de bonne foi ; que ces dispositions législatives présentent l'accessibilité, la clarté et la prévisibilité requises par la Convention ;

Attendu que cette ingérence poursuit un but légitime, au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la protection de l'intégrité du domaine public relève de l'intérêt général ;

Et attendu que l'action en revendication étant la seule mesure de nature à permettre à l'Etat de recouvrer la plénitude de son droit de propriété, l'ingérence ne saurait être disproportionnée eu égard au but légitime poursuivi ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 2279, devenu 2276, du code civil ; article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

Rapprochement(s) :

En matière civile, à rapprocher : Chambre des requêtes, 17 juin 1896, DP 1897, I, 257 (rejet). En matière pénale, à rapprocher : Crim., 4 février 2004, pourvoi n° 01-85.964, Bull. crim. 2004, n° 34 (rejet), et l'arrêt cité ; Crim., 17 mars 2015, pourvoi n° 13-87.873, Bull. crim. 2015, n° 59 (rejet). Sur la conformité de l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques à la Constitution, cf. : Cons. Const., 26 octobre 2018, décision n° 2018-743 QPC.

2e Civ., 7 février 2019, n° 18-10.727, (P)

Rejet

Voisinage – Troubles – Incendie – Sinistre communiqué à l'immeuble voisin (non)

La responsabilité du fait des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage ne peut être étendue au cas de communication d'un incendie entre immeubles voisins, régi par les dispositions de l'article 1384 devenu 1242, alinéa 2, du code civil.

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 novembre 2017), que M. et Mme X... sont propriétaires d'un appartement situé au dessus d'un local appartenant à Mme Christine Y..., Mme Jacqueline Y..., Mme Denise B... et M. Raymond Y... (les consorts Y...) donné à bail à la société carrosserie Veraillon ; que le 31 mai 2011, un incendie s'est déclaré dans cet atelier et s'est propagé à l'appartement du premier étage ; que M. et Mme X... ont assigné les consorts Y..., la société Carosserie Veraillon, représentée par son mandataire liquidateur, Mme C..., et son assureur, la société MMA IARD en indemnisation de leurs préjudices ;

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les débouter de toutes leurs demandes, alors, selon le moyen, que nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ; qu'en ajoutant, pour débouter les époux X... de leurs demandes indemnitaires, que la notion de trouble anormal de voisinage ne pouvait être étendue au cas de communication d'un incendie entre immeubles voisins à l'effet notamment de déroger au régime particulier et exclusif institué par l'article 1384, alinéa 2, du code civil, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ;

Mais attendu qu'ayant exactement rappelé que la responsabilité du fait des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage ne pouvait être étendue au cas de communication d'un incendie entre immeubles voisins, lequel est régi par les dispositions de l'article 1384 devenu 1242, alinéa 2, du code civil, la cour d'appel en a déduit à bon droit que M. et Mme X... devaient être déboutés de leur demande d'indemnisation sur ce fondement ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la première branche du moyen unique annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Caston ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois -

Textes visés :

Article 1384, devenu 1242, alinéa 2, du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 15 novembre 1978, pourvoi n° 77-12.285, Bull. 1978, III, n° 345 (rejet).

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