Numéro 2 - Février 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 2 - Février 2019

AVOCAT

1re Civ., 20 février 2019, n° 17-21.006, (P)

Sursis à statuer et renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Barreau – Inscription au tableau – Conditions particulières – Article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 – Fonctionnaires de catégorie A – Acquisition des connaissances nécessaires à l'exercice de la profession d'avocat – Connaissances en droit national – Nécessité – Effets – Exclusion de la connaissance du seul droit de l'Union européenne – Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – Compatibilité

La Cour de justice de l'Union européenne a été saisie des questions préjudicielles suivantes :

Le principe selon lequel le Traité de la Communauté économique européenne, devenu, après modifications, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des États membres et qui s'impose à leurs juridictions, s'oppose-t-il à une législation nationale qui fait dépendre l'octroi d'une dispense des conditions de formation et de diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, de l'exigence d'une connaissance suffisante, par l'auteur de la demande de dispense, du droit national d'origine française, excluant ainsi la prise en compte d'une connaissance similaire du seul droit de l'Union européenne ?

Barreau – Inscription au tableau – Conditions particulières – Article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 – Fonctionnaires ayant exercé en France – Nécessité – Article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – Libre circulation des travailleurs – Compatibilité

Les articles 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'opposent-ils à une législation nationale réservant le bénéfice d'une dispense des conditions de formation et diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, à certains agents de la fonction publique du même Etat membre ayant exercé en cette qualité, en France, des activités juridiques dans une administration ou un service public ou une organisation internationale, et écartant du bénéfice de cette dispense les agents ou anciens agents de la fonction publique européenne qui ont exercé en cette qualité des activités juridiques, dans un ou plusieurs domaines relevant du droit de l'Union européenne, au sein de la Commission européenne ?

Barreau – Inscription au tableau – Conditions particulières – Article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 – Fonctionnaires ayant exercé en France – Nécessité – Article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne – Liberté d'établissement – Compatibilité

Sur les premier, deuxième et troisième moyens, réunis :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2017), que Mme T..., fonctionnaire de la Commission européenne, a sollicité son admission au barreau de Paris sous le bénéfice de la dispense de formation et de diplôme prévue à l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, pour les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale ;

Attendu que Mme T... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 prévoit que « sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat : (...) les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale » ; que le droit de l'Union européenne est directement intégré dans le droit national ; qu'à supposer que l'exercice des activités juridiques ainsi visées par le texte soit limité au droit français, il n'impose pas que l'impétrant ait la maîtrise de toutes les branches de ce droit ; qu'aussi, la pratique pendant huit ans au moins de n'importe quelle branche du droit français, dont le droit de l'Union, est suffisante pour que cette condition soit remplie ; qu'au cas d'espèce, en décidant au contraire que Mme T..., fonctionnaire du plus haut grade à la Commission européenne, ne remplissait pas la condition tenant à la pratique du droit français dès lors qu'elle n'avait pratiqué que le droit de l'Union, auquel le droit national ne se limitait pas, la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble le principe de l'intégration directe du droit de l'Union européenne dans les droits internes des Etats membres, ensemble l'article 88-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

2°/ que le droit de l'Union européenne est directement intégré dans le droit national ; que la pratique du droit de l'Union équivaut donc à la pratique de toute autre branche du droit français ; qu'en l'espèce, en distinguant, pour l'application de l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991, entre les fonctionnaires ayant pratiqué certaines branches du droit français hors droit de l'Union et les fonctionnaires qui ont pratiqué le droit de l'Union, pour exclure les seconds du bénéfice de la dispense instituée par le texte, la cour d'appel, qui a distingué là où la loi ne distingue pas, a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble le principe de l'intégration directe du droit de l'Union européenne dans les droits internes des Etats le principe de l'interprétation conforme, ensemble l'article 88-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

3°/ que le droit de l'Union européenne prohibe, non seulement les discriminations directes fondées sur la nationalité, mais aussi les discriminations indirectes, qui ne peuvent être justifiées que par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ; que, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), la notion de discrimination indirecte est d'interprétation large et inclut aussi les entraves d'importance secondaire qui concernent l'égalité d'accès à l'emploi sans distinction en fonction de la nationalité ; qu'à supposer que la dispense prévue par les articles 11, 3°, de la loi du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 doive être comprise comme étant limitée aux fonctionnaires de catégorie A et assimilés qui ont exercé des activités juridiques pendant huit ans, soit exclusivement sur le territoire français, soit en mettant en oeuvre des règles de droit français ne trouvant pas leur source dans le droit de l'Union européenne, alors que ces textes ont nécessairement pour effet d'instaurer une discrimination indirecte en faveur des fonctionnaires de la fonction publique française – dont la grande majorité est de nationalité française –, qui sont en pratique les seuls à pouvoir remplir ces critères, et en défaveur des fonctionnaires ressortissants appartenant à une autre fonction publique, laquelle n'est pas justifiée par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ; qu'en refusant sur ce fondement la demande de Mme T..., la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la CJUE ;

4°/ que l'ensemble des dispositions du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter l'exercice des activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l'Union et s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ses ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre Etat membre ; qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement ne peut être admise, à supposer qu'elle soit non discriminatoire, que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'en l'espèce, à considérer que la dispense de l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 doive être refusée aux fonctionnaires de l'Union européenne ayant pratiqué le seul droit de l'Union, lequel fait partie intégrante du droit français, au motif que cette pratique ne garantirait pas au justiciable une défense pertinente et efficace, ou encore la protection des justiciables contre le préjudice qu'ils pourraient subir du fait de services fournis par des personnes qui n'auraient pas les qualifications professionnelles nécessaires, mais qu'elle puisse être accordée aux fonctionnaires ayant exercé dans certaines branches seulement du droit français (autres que le droit de l'Union), et ne présentent donc objectivement pas davantage de garanties, constitue une mesure restrictive qui, à supposer qu'elle poursuive le but légitime de protection du justiciable, est toutefois impropre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et va au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ; qu'en rejetant dans ces conditions la demande d'inscription au barreau de Mme T..., la cour d'appel a violé les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les principes de l'intégration directe du droit de l'Union dans les droits internes des Etats membres et de l'interprétation conforme du droit national ;

5°/ qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement ne peut être admise, à supposer qu'elle soit non discriminatoire, que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'aux termes de la jurisprudence de la CJUE, pour exercer ce contrôle lorsqu'est en cause l'accès à une profession réglementée, le juge national doit prendre en considération les périodes d'activité comparables de la partie concernée accomplies dans un autre Etat membre, moyennant une appréciation des qualifications et de l'expérience acquises, qui doit être faite in concreto ; qu'en l'espèce, la cour d'appel devait donc procéder à une comparaison des diplômes, qualifications et expériences professionnelles de Mme T..., fonctionnaire européen ayant certes pratiqué le droit européen pendant dix ans, mais titulaire d'une maîtrise, d'un DEA (master II) et d'un doctorat en droit français, avec ceux exigés d'un fonctionnaire français détenant uniquement une maîtrise en droit et ayant seulement pratiqué le droit français « commun », pendant huit ans, aux fins d'évaluer le niveau de l'impétrante en droit français « commun » ; qu'en se bornant à un rejet in abstracto fondé sur l'absence de pratique du droit français « commun » sans faire une évaluation globale incluant aussi les connaissances de l'intéressée, la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la CJUE ;

6°/ qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement ne peut être admise, à supposer qu'elle soit non discriminatoire, que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'en requérant une appréciation in concreto par le juge des connaissances de l'intéressé, le droit de l'Union impose une obligation de résultat de prendre en compte les connaissances et l'expérience équivalentes, obligation dont le non-respect donne lieu à une discrimination indirecte ; que, pour satisfaire à cette obligation, le juge national ne peut pas se borner à renvoyer aux catégories d'accès existantes en droit national si celles-ci ne permettent pas d'atteindre cette obligation de résultat ; qu'en l'espèce, en renvoyant la demanderesse au régime d'accès de droit commun ouvert aux juristes sans expérience professionnelle, alors que ses connaissances et son expérience professionnelle correspondaient au moins en partie à celles ouvrant l'accès dérogatoire aux fonctionnaires de la fonction publique française, que ce régime ne permettait pas la prise en compte effective de son expérience professionnelle et qu'un moyen moins strict pour atteindre l'objectif recherché aurait consisté à exiger la preuve des seules connaissances manquantes, la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble l'obligation d'interprétation conforme du droit européen ;

Attendu qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 10 décembre 2009, Pesla, C-345/08, points 34 à 36) qu'en l'absence d'harmonisation des conditions d'accès à une profession, les Etats membres sont en droit de définir les connaissances et qualifications nécessaires à l'exercice de cette profession et d'exiger la production d'un diplôme attestant la possession de ces connaissances et qualifications ; que, toutefois, le droit de l'Union pose des limites à l'exercice de cette compétence par les Etats membres dans la mesure où les dispositions nationales adoptées à cet égard ne sauraient constituer une restriction injustifiée à l'exercice effectif des libertés fondamentales garanties par les articles 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; que des règles nationales établissant des conditions de qualifications, même appliquées sans discrimination tenant à la nationalité, peuvent avoir pour effet d'entraver l'exercice de ces libertés fondamentales si les règles nationales en question font abstraction des connaissances et qualifications déjà acquises par l'intéressé dans un autre Etat membre ;

Attendu qu'aux termes de l'article 45, § 2, du TFUE, la libre circulation des travailleurs implique l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ;

Attendu qu'il résulte de l'article 49, § 2, du même Traité que la liberté d'établissement reconnue aux ressortissants d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre, comporte notamment l'accès aux activités non salariées et leur exercice dans les conditions définies par la législation de l'État membre d'établissement pour ses propres ressortissants ;

Que constituent des restrictions à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d'établissement toutes les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de ces libertés fondamentales (CJUE, arrêt du 18 juin 1985, Steinhauser, 197/84 ; arrêt du 4 décembre 2008, Jobra, C-330/07 ; arrêt du 5 février 2015, Commission/Belgique, C-317/14) ; que ces mesures nationales peuvent néanmoins être admises dès lors qu'elles répondent à des raisons impérieuses d'intérêt général, qu'elles sont propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et qu'elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre, étant entendu qu'une législation nationale n'est propre à garantir la réalisation de l'objectif recherché que si elle répond véritablement au souci d'atteindre celui-ci d'une manière cohérente et systématique (CJUE, arrêt du 18 mai 2017, Lahorgue, C-99/16) ;

Que, si des raisons impérieuses d'intérêt général peuvent être invoquées pour justifier une telle restriction, c'est à la condition que celle-ci ne présente pas de caractère discriminatoire ; que, dans le cas contraire, une restriction ne peut être justifiée que par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique, en application des articles 45, § 3, et 52, § 1, du TFUE (CJUE, arrêt du 22 décembre 2008, Commission/Autriche, C-161/07 ; arrêt du 5 décembre 2013, Zentralbetriebsrat der gemeinnützigen Salzburger Landeskliniken, C-514/12 ; arrêt du 28 janvier 2016, Laezza, C-375/14) ; que, selon la Cour de justice, l'objectif de protection des consommateurs, qui comprend celle des destinataires des services juridiques fournis par des auxiliaires de justice, est au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services (CJUE, arrêt Lahorgue, précité), de sorte qu'il peut, au même titre, justifier une restriction à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d'établissement ;

Que, selon la jurisprudence constante de la Cour de justice, le principe de non-discrimination inscrit aux articles 45 et 49 du TFUE prohibe non seulement les discriminations directes ou ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ; qu'à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi, une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire dès lors qu'elle est susceptible, par sa nature même, d'affecter davantage les ressortissants d'autres Etats membres que les ressortissants nationaux et qu'elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (arrêt du 23 mai 1996, O'Flynn, C-237/94 ; arrêt du 1er juin 2010, N... R... et J... O..., C-570/07 et C-571/07) ;

Attendu qu'il résulte de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée, que l'avocat peut, en France, exercer sa profession à titre libéral ou en qualité de salarié ; que, par suite, le ressortissant d'un Etat membre qui entend exercer l'activité d'avocat sur le territoire français relève du régime soit de la libre circulation des travailleurs, soit de la liberté d'établissement, soit de la libre prestation des services ; que, par les troisième, quatrième, cinquième et sixième branches des moyens réunis du présent pourvoi, Mme T... invoque la méconnaissance des règles relatives aux deux premiers de ces régimes ;

Que, selon l'article 11, 3°, de la même loi, nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il n'est titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, sous réserve des dispositions réglementaires mentionnées au 2° du même article, lesquelles concernent notamment les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France ;

Que figure au nombre de ces dispositions l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, modifié, aux termes duquel sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale ;

Attendu qu'en ce que l'article 11 de la loi de 1971 subordonne l'accès à la profession d'avocat à la condition de l'exercice de certaines fonctions ou activités en France et en ce que l'article 98, 4°, du décret de 1991 peut être considéré comme subordonnant la dispense de formation et de diplôme, pour cet accès, à l'appartenance à la seule fonction publique française et est interprété par le juge français comme subordonnant cette dispense à la connaissance du droit national d'origine française, la mesure nationale constituée par la combinaison de ces textes peut être considérée comme instituant une restriction à la libre circulation des travailleurs ou à la liberté d'établissement ;

Attendu que la question se pose de savoir si cette restriction est indistinctement applicable aux ressortissants de l'Etat membre d'accueil ou d'établissement et aux ressortissants des autres Etats membres, de sorte qu'elle pourrait être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, ou si elle présente un caractère discriminatoire, son éventuelle justification étant alors limitée à l'existence de raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique ;

Attendu que l'arrêt attaqué énonce que l'expérience professionnelle du candidat à l'accès à la profession d'avocat doit être appréciée in concreto afin de déterminer si celle-ci correspond à la qualification professionnelle exigée par l'article 98, 4°, et répond ainsi aux conditions de formation, de compétence et de responsabilité attachées à la fonction publique de catégorie A ; qu'il relève que la volonté de veiller à une connaissance satisfaisante par l'avocat du droit national a pour objectif de garantir l'exercice complet, pertinent et efficace des droits de la défense des justiciables, dès lors que, même si ce droit comprend nombre de règles européennes, il conserve néanmoins une spécificité et ne se limite pas à ces dernières ; que l'arrêt retient que la nécessité impérieuse de le rendre effectif constitue un objectif légitime qui peut justifier des restrictions d'accès à la profession d'avocat ; qu'il en déduit que cette exigence, appréciée in concreto, ne crée pas de conditions discriminatoires d'accès à la profession d'avocat pour les ressortissants de l'Union européenne ;

Que l'arrêt ajoute que l'article 98 du décret de 1991 pose des conditions dérogatoires qui doivent, à ce titre, être interprétées strictement et que les personnes ne pouvant prétendre à leur bénéfice conservent la possibilité d'accéder à la profession d'avocat selon les modalités générales fixées par l'article 11 de la loi de 1971 ; qu'il estime que la restriction apportée à l'accès à la profession d'avocat reste donc limitée et proportionnée à l'objectif poursuivi ;

Qu'après avoir constaté que Mme T... avait, au sein de la Commission européenne, exercé des fonctions dans le domaine du droit de l'Union européenne applicable au marché intérieur, aux aides d'Etats, aux pratiques anticoncurrentielles et dans celui des nouvelles règles européennes en matière de meilleure réglementation, la cour d'appel a considéré que, celle-ci ne justifiant d'aucune pratique du droit national, sa demande devait être rejetée ;

Attendu, en premier lieu, que le Traité de la Communauté économique européenne, devenu, après modifications, le TFUE, a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des Etats membres et qui s'impose à leurs juridictions (CJCE, arrêts du 15 juillet 1964 Costa, 6/64, du 19 novembre 1991, Francovitch, C-6/90 et 9/90, et du 20 septembre 2001, Courage, C-453/99) ; qu'il convient d'interroger la Cour de justice sur le point de savoir si ce principe s'oppose à une législation nationale, telle que celle énoncée par l'article 98, 4°, du décret de 1991, qui fait dépendre l'octroi d'une dispense des conditions de formation et de diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, de l'exigence d'une connaissance suffisante, par l'auteur de la demande de dispense, du droit national d'origine française, excluant ainsi la prise en compte d'une connaissance similaire du seul droit de l'Union européenne ;

Attendu, en second lieu, que les conditions qui doivent être satisfaites par l'auteur d'une telle demande, sur le fondement de l'article 98, 4°, tenant à l'exigence d'une connaissance du droit national d'origine française, à l'exercice par celui-ci de certaines fonctions ou activités en France et à l'appartenance à la fonction publique française, sont cumulatives ; que, dans l'hypothèse où le droit de l'Union s'opposerait à ce que la pratique de ce seul droit ne puisse être prise en compte pour l'appréciation de la condition tenant à l'exercice d'activités juridiques, au sens de l'article 98, 4°, se poserait la question de savoir si les restrictions à la libre circulation des travailleurs ou à la liberté d'établissement constituées par les deux autres conditions peuvent être justifiées au regard de ces libertés ;

Qu'en ce qu'elles subordonnent la dispense de formation et de diplôme, pour l'accès à la profession d'avocat, à l'exercice d'une activité ou d'une fonction juridique pendant une durée suffisante en France, les dispositions de l'article 11, 2°, ont été considérées par le Conseil constitutionnel français comme n'étant pas contraires au principe d'égalité devant la loi ; que le Conseil constitutionnel a jugé que les personnes ayant exercé une activité ou une fonction juridique pendant une durée suffisante en France n'étaient pas placées, au regard de l'accès à la profession d'avocat, dans la même situation que celles ayant exercé une telle activité ou fonction à l'étranger ; qu'il a estimé qu'en exigeant, pour l'exercice de cette profession, la pratique d'une activité ou d'une fonction à caractère juridique pendant une durée suffisante sur le territoire national, le législateur avait entendu garantir les compétences des personnes exerçant cette profession et, par voie de conséquence, garantir le respect des droits de la défense ; qu'il en a déduit que la différence de traitement instituée par les dispositions contestées devant lui, qui repose sur une différence de situation, était en rapport direct avec l'objet de la loi (décision n° 2016-551 QPC du 6 juillet 2016) ;

Que, dans la même décision, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre ; qu'il a estimé qu'en posant comme condition d'accès à la profession d'avocat l'exercice d'une activité à caractère juridique pendant une durée suffisante sur le territoire national, le législateur avait entendu garantir un niveau d'aptitude et un niveau de connaissance suffisant aussi bien du droit français que des conditions de sa mise en oeuvre ; qu'il a considéré, en outre, que les personnes ne remplissant pas ces conditions n'étaient pas privées du droit d'accéder à la profession d'avocat dans les conditions de droit commun et qu'il en résultait que le législateur avait adopté des mesures propres à assurer une conciliation qui n'était pas manifestement déséquilibrée entre le respect de la liberté d'entreprendre et le respect des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Constitution française du 4 octobre 1958 ;

Attendu qu'en faveur de la qualification de mesure indistinctement applicable, d'une part, il y a lieu de constater que la condition tenant à l'exercice de certaines fonctions ou activités en France peut être remplie par des ressortissants d'Etats membres de l'Union européenne autres que la France aussi bien que par des ressortissants français ; que, d'autre part, il résulte de l'article 5 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, modifiée, qu'à l'exception de certains emplois en rapport avec l'exercice de la souveraineté ou de prérogatives de puissance publique, les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne ont accès à la fonction publique française ; que, par suite, la dispense de formation et de diplôme instituée par l'article 98, 4°, est subordonnée à l'appartenance à une administration qui, quoique nationale, est ouverte, pour une grande part, à tous les ressortissants des Etats membres ;

Qu'en faveur de la qualification de mesure discriminatoire, il convient de relever que, si le bénéfice de la dispense des conditions de formation et de diplôme exigés pour accéder à la profession d'avocat n'est pas fondé sur la nationalité, il repose cependant sur les critères d'un exercice de certaines fonctions ou activités en France, de la connaissance du droit national et de l'appartenance à la fonction publique française ; que la distinction ainsi énoncée conduit à ne pouvoir accorder, en fait, le bénéfice de la dispense litigieuse qu'aux membres de l'administration française ayant exercé leur activité professionnelle sur le territoire français, dont la grande majorité est de nationalité française, et à le refuser aux agents de la fonction publique de l'Union européenne, quand bien même ceux-ci auraient exercé, en dehors du territoire français, des activités juridiques en droit national d'origine française ; que, par suite, l'article 11 de la loi de 1971 et l'article 98, 4°, du décret de 1991 pourraient être considérés comme instituant une discrimination indirecte en raison de la nationalité ;

Que, cependant, pour que le régime juridique institué par ces textes soit qualifié de discriminatoire, quant à la condition d'appartenance à la fonction publique française, celle-ci et la fonction publique de l'Union européenne doivent pouvoir être considérées comme des entités objectivement comparables, auxquelles ne pourraient, en conséquence, être appliqués des traitements différents ; que si, par définition, les deux fonctions publiques sont financées par des fonds publics, composées d'agents majoritairement recrutés par voie de concours, organisées de manière hiérarchique et ont pour mission l'exercice d'activités d'intérêt général, aucune norme de droit de l'Union européenne ne paraît établir, à l'instar des diplômes et des qualifications professionnelles, d'équivalence entre elles ;

Que, si les deux administrations devaient être considérées comme objectivement comparables, il ne pourrait être soutenu que la dispense prévue à l'article 98, 4°, serait indistinctement applicable aux membres de la fonction publique française et aux membres de la fonction publique de l'Union européenne au motif que ces derniers peuvent accéder à la fonction publique française ; qu'en effet, une différence de traitement subsisterait, tenant à ce que, alors que les uns et les autres peuvent se prévaloir de connaissances et qualifications identiques, procédant de l'application, au sein d'une administration, du droit interne ou du droit de l'Union européenne, les membres de la fonction publique de l'Union européenne se verraient soumis à la condition supplémentaire d'un accès préalable à la fonction publique française, pour être en droit de se prévaloir de la dispense litigieuse ;

Qu'en tout état de cause, dans l'hypothèse où les restrictions considérées pourraient être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général ou par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, elles ne le pourraient qu'à la condition qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci ;

Qu'il y a lieu de préciser que l'article 98, 4°, du décret de 1991 n'impose, aux fins de l'examen d'une demande de dispense de formation et de diplôme, la connaissance, par l'auteur de la demande, d'aucune matière du droit national spécifiquement en rapport avec l'organisation des juridictions nationales ou avec la procédure devant celles-ci ;

Qu'en conséquence, en l'état des incertitudes sur le sens à donner aux articles 45 et 49 du TFUE, il y a lieu de renvoyer à la Cour de justice la question de savoir si ces dispositions s'opposent à une législation nationale réservant le bénéfice d'une dispense des conditions de formation et de diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, à certains agents de la fonction publique du même Etat membre ayant exercé en cette qualité, en France, des activités juridiques dans une administration ou un service public ou une organisation internationale, et écartant du bénéfice de cette dispense les agents ou anciens agents de la fonction publique européenne qui ont exercé en cette qualité des activités juridiques, dans un ou plusieurs domaines relevant du droit de l'Union européenne, au sein de la Commission européenne ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen :

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

1°) Le principe selon lequel le Traité de la Communauté économique européenne, devenu, après modifications, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des Etats membres et qui s'impose à leurs juridictions, s'oppose-t-il à une législation nationale qui fait dépendre l'octroi d'une dispense des conditions de formation et de diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, de l'exigence d'une connaissance suffisante, par l'auteur de la demande de dispense, du droit national d'origine française, excluant ainsi la prise en compte d'une connaissance similaire du seul droit de l'Union européenne ?

2°) Les articles 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'opposent-ils à une législation nationale réservant le bénéfice d'une dispense des conditions de formation et de diplôme prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat, à certains agents de la fonction publique du même Etat membre ayant exercé en cette qualité, en France, des activités juridiques dans une administration ou un service public ou une organisation internationale, et écartant du bénéfice de cette dispense les agents ou anciens agents de la fonction publique européenne qui ont exercé en cette qualité des activités juridiques, dans un ou plusieurs domaines relevant du droit de l'Union européenne, au sein de la Commission européenne ? ;

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

RENVOIE la cause et les parties à l'audience du 10 décembre 2019.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Truchot - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Krivine et Viaud ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 45, 49 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-26.635, Bull. 2016, I, n° 250 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 6 février 2019, n° 18-50.003, (P)

Cassation

Barreau – Inscription au tableau – Conditions particulières – Article 98, 7°, du décret du 27 novembre 1991 – Collaborateurs de députés ou assistants de sénateur – Assistant de sénateur – Personne n'ayant pas secondé personnellement un sénateur dans l'exercice de ses fonctions (non)

Aux termes de l'article 98, 7°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, modifié, qui est d'interprétation stricte en raison de son caractère dérogatoire, sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant au moins huit ans dans ces fonctions.

En conséquence, viole ce texte la cour d'appel qui accueille la demande d'admission au barreau, sous le bénéfice de la dispense de formation prévue par cette disposition, formée par une personne qui, invoquant la qualité d'assistant de sénateur, n'avait pas été employée, pendant la période considérée, pour seconder personnellement un sénateur dans l'exercice de ses fonctions, au sens du chapitre XXI de l'instruction générale du bureau du Sénat, de sorte qu'elle n'exerçait pas les fonctions d'assistant de sénateur, qualifiées, depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté n° 2012-54 du même bureau du 22 février 2012, de fonctions de collaborateur de sénateur.

Sur le moyen unique :

Vu l'article 98, 7°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, modifié ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, qui est d'interprétation stricte en raison de son caractère dérogatoire, sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant au moins huit ans dans ces fonctions ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a sollicité son admission au barreau de Paris sous le bénéfice de la dispense de formation prévue à l'article 98, 4° et 7°, du décret du 27 novembre 1991 ;

Attendu que, pour accueillir la demande, sur le fondement de l'article 98, 7°, du décret de 1991, l'arrêt retient que Mme X... a produit un contrat de travail à durée indéterminée conclu avec M. A..., sénateur, trésorier du groupe UMP, le 21 octobre 2009, en qualité de conseiller technique (cadre), qu'elle exerce son activité au profit du groupe parlementaire Les Républicains en qualité de conseiller législatif plus spécialement chargé de la commission des lois, qu'elle verse aux débats une attestation de MM. B... et C..., vice-présidents de cette commission, qui exposent que l'emploi de conseiller législatif consiste en une prestation d'assistance juridique auprès de l'association que constitue le groupe, que son rôle est d'analyser les projets de lois, de préparer la rédaction et la justification des amendements et de rédiger des propositions de loi avec l'exposé de leurs motifs ; qu'il ajoute que, selon ces attestations, le conseiller législatif a vocation à donner son avis et des consultations juridiques sur tout point soulevé par l'association et ses membres lors du processus législatif, mais également sur tout problème soulevé par l'activité de l'association ; que l'arrêt déduit de ces éléments que Mme X... justifie exercer en qualité de cadre et, depuis 2009, soit depuis plus de huit ans, une activité juridique à titre principal, et que son rattachement administratif à un groupe parlementaire plutôt qu'à un sénateur déterminé n'a pas d'incidence sur les fonctions d'assistance juridique par elle exercées au profit du groupe et de chacun des sénateurs, membres de ce groupe, de sorte qu'elle peut se prévaloir de la qualité d'assistant de sénateur au sens des dispositions du 7° de l'article 98 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que Mme X... n'était pas employée, pendant la période considérée, pour seconder personnellement un sénateur dans l'exercice de ses fonctions, au sens du chapitre XXI de l'instruction générale du bureau du Sénat, de sorte qu'elle n'exerçait pas les fonctions d'assistant de sénateur, qualifiées, depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté n° 2012-54 du même bureau du 22 février 2012, de fonctions de collaborateur de sénateur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Truchot - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 98, 7°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, modifié.

Rapprochement(s) :

Sur l'interprétation stricte des conditions dérogatoires d'accès à la profession d'avocat, à rapprocher : 1re Civ., 8 novembre 2007, pourvoi n° 05-18.761, Bull. 2007, I, n° 344 (cassation) ; 1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-26.635, Bull. 2016, I, n° 250 (rejet). Sur l'interprétation donnée par le ministère de la justice s'agissant des collaborateurs de secrétariat de groupe parlementaire, cf. : Réponse ministérielle, JO Sénat 21 décembre 2017, p. 4617.

1re Civ., 20 février 2019, n° 18-12.298, (P)

Cassation partielle

Discipline – Procédure – Cour d'appel – Audition des parties – Ordre – Détermination

L'exigence d'un procès équitable implique qu'en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision. Le dépôt d'une note en délibéré par la personne poursuivie n'est pas de nature à supprimer cette exigence.

Discipline – Procédure – Cour d'appel – Audition des parties – Ordre – Mention dans l'arrêt – Nécessité

Sur le moyen unique :

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que l'exigence d'un procès équitable implique qu'en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision ; que le dépôt d'une note en délibéré par la personne poursuivie n'est pas de nature à supprimer cette exigence ;

Attendu que l'arrêt condamne M. T... à une peine disciplinaire, après avoir relevé que l'intéressé a produit une note en délibéré en réponse aux observations du ministère public ;

Qu'en statuant ainsi, sans constater que M. T... ou son conseil avait été invité à prendre la parole en dernier, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il ordonne la jonction des procédures n° 16-11972 et n° 17-09633, l'arrêt rendu le 14 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur l'ordre d'audition des parties en matière disciplinaire, à rapprocher : 1re Civ., 1er juin 2016, pourvoi n° 15-11.243, Bull. 2016, I, n° 125 (2) (cassation), et l'arrêt cité.

1re Civ., 20 février 2019, n° 17-27.967, (P)

Cassation partielle

Exercice de la profession – Contrat de collaboration – Relation entre un avocat collaborateur et son cabinet – Partenariat commercial – Défaut – Portée

Déontologie – Principes essentiels de la profession – Principe de désintéressement – Champ d'application – Détermination – Portée

Le principe de désintéressement, qui concerne les relations entre un avocat et son client, ne peut être appliqué à la rétrocession d'honoraires ou à la collaboration entre deux avocats.

Exercice de la profession – Contrat de collaboration – Rétrocession d'honoraires – Principe de désintéressement – Application (non)

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 19 août 2010, M. E..., avocat inscrit au barreau d'Angers, a conclu avec la société civile professionnelle d'avocats Cabinet S... (la SCP) un contrat de collaboration libérale auquel celle-ci a mis fin le 26 mars 2014, à l'issue d'un préavis de trois mois ; que M. E... a saisi le bâtonnier du barreau d'Angers de diverses réclamations formées contre la SCP ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. E... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour disproportion manifeste au regard du service rendu ou déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, alors, selon le moyen, que les dispositions du livre quatrième du code de commerce et, donc, notamment, les dispositions de l'article L. 442-6, 1° et 2°, du code de commerce sont applicables à toutes les activités de production, de distribution et de services ; que les dispositions de l'article L. 442-6, 1° et 2°, du code de commerce sont donc applicables aux rapports entre des avocats liés par un contrat de collaboration ; qu'en retenant le contraire, pour déclarer M. E... mal fondé en sa demande tendant à la condamnation de la SCP à lui payer la somme de 190 000 euros à titre de dommages-intérêts pour disproportion manifeste au regard du service rendu ou déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et le débouter de cette demande, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 410-1 et L. 442-6, 1° et 2°, du code de commerce ;

Mais attendu que, le partenariat commercial visé à l'article L. 442-6, I, 1° et 2°, du code de commerce s'entendant d'échanges commerciaux conclus entre les parties, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que ce texte n'avait pas vocation à s'appliquer, dès lors qu'il n'existe pas de relation commerciale entre un avocat et le cabinet au sein duquel il collabore ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que M. E... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de désintéressement de l'avocat, alors, selon le moyen :

1°/ que l'avocat est tenu de respecter, en toutes circonstances, le principe de désintéressement dans l'exercice de sa profession ; que ce principe est donc applicable en matière de rétrocession d'honoraires entre avocats et dans les rapports en des avocats liés par un contrat de collaboration ; qu'en énonçant, par conséquent, pour déclarer M. E... mal fondé en sa demande tendant à la condamnation de la SCP à lui payer des dommages-intérêts pour violation de l'obligation de désintéressement de l'avocat et pour le débouter de cette demande, que l'obligation de désintéressement ne concernait que la question des honoraires entre un avocat et son client et ne pouvait être appliquée dans le cadre de la rétrocession d'honoraires entre deux avocats ou de la collaboration ayant existé entre M. E... et la SCP, sauf à considérer que le contrat de collaboration conclu entre les parties était contraire à la relation de confiance attendue d'un avocat et de son collaborateur, ce que ne soutenait pas M. E..., la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1er et 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat et de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;

2°/ que les juges du fond ont l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en énonçant, pour déclarer M. E... mal fondé en sa demande tendant à la condamnation de la SCP à lui payer des dommages-intérêts pour violation de l'obligation de désintéressement de l'avocat et pour le débouter de cette demande, que M. E... n'avait pas indiqué en quoi l'obligation de désintéressement n'avait pas été respectée par la SCP, quand, dans ses conclusions d'appel, M. E... avait exposé en quoi l'obligation de désintéressement n'avait pas été respectée par la SCP, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions d'appel de M. E..., en violation des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que l'avocat est tenu de respecter, en toutes circonstances, le principe de désintéressement dans l'exercice de sa profession ; qu'en énonçant, pour déclarer M. E... mal fondé en sa demande tendant à la condamnation de la SCP à lui payer des dommages-intérêts pour violation de l'obligation de désintéressement de l'avocat et pour le débouter de cette demande, que les parties avaient conclu un contrat de collaboration écrit, qui avait été appliqué durant plusieurs années, que M. E..., qui était un avocat de plein exercice, ne justifiait pas avoir agi sous la contrainte et devait être conscient que les écrits engagent leurs signataires, qu'il ne pouvait, dans ces conditions, être fait grief à la SCP d'avoir respecté la lettre du contrat signé entre les parties, qui ne prévoyait pas de révision de la rétrocession de M. E... et que M. E... n'avait jamais, durant l'exécution du contrat, sollicité de réévaluation ou d'ajustement de sa rémunération pour tenir compte du chiffre d'affaires qu'il contribuait à réaliser au bénéfice de la SCP, quand ces circonstances n'excluaient nullement que la SCP eût méconnu le principe de désintéressement auquel elle était tenue et étaient, par suite, inopérantes, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1er et 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat et de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;

Mais attendu que l'arrêt énonce exactement que le principe de désintéressement, qui concerne les relations entre un avocat et son client, ne peut être appliqué à la rétrocession d'honoraires ou à la collaboration entre deux avocats ; que le moyen, inopérant en sa seconde branche qui critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 564 du code de procédure civile, ensemble l'article 455 du même code ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande d'indemnisation formée par M. E... pour plainte téméraire, dont la nouveauté était invoquée, l'arrêt se borne à énoncer que cette demande est présentée pour la première fois en cause d'appel ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si cette prétention n'était pas recevable comme étant née de la survenance d'un événement postérieur à la décision de première instance, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le quatrième moyen :

Vu l'article 625 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande de M. E... tendant à la condamnation de la SCP à lui payer des dommages-intérêts pour violation des obligations prévues à l'article 2.2 du règlement intérieur national de la profession d'avocat et par l'article 5.3.1 du règlement intérieur du barreau d'Angers, l'arrêt retient que l'exécution de l'ordonnance autorisant la saisie, confirmé par l'arrêt rendu le 19 avril 2016 par la cour d'appel de Rennes (RG n° 15/05235), ne peut ouvrir droit à des dommages-intérêts, sauf à démontrer, ce que ne fait pas M. E..., qu'elle s'est déroulée dans des conditions fautives ;

Attendu, cependant, que l'arrêt précité a fait l'objet d'une cassation partielle en ce qu'il rejetait la demande de rétractation de l'ordonnance ayant autorisé la saisie (1re Civ., 5 juillet 2017, pourvoi n° 16-19.825) ; que cette cassation entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des dispositions de l'arrêt attaqué s'y rattachant par un lien de dépendance nécessaire ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts formée par M. E... pour plainte téméraire et en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par celui-ci pour violation des obligations prévues à l'article 2.2 du règlement intérieur national de la profession d'avocat et par l'article 5.3.1 du règlement intérieur du barreau d'Angers, l'arrêt rendu le 20 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois -

Textes visés :

Article L. 442-6, I, 1° et 2°, du code de commerce ; article 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat.

1re Civ., 20 février 2019, n° 17-27.129, (P)

Cassation

Exercice de la profession – Mandat sportif confié à un avocat – Forme – Acte écrit unique – Nécessité (non)

L'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 n'impose pas que le contrat de mandataire sportif confié à un avocat soit établi sous la forme d'un acte écrit unique.

Exercice de la profession – Mandat sportif confié à un avocat – Forme – Rémunération déterminée ou déterminable – Nécessité – Sanction – Détermination

Encourt la nullité, la convention de mandataire sportif qui ne prévoit pas la rémunération de l'avocat de manière déterminée ou déterminable.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par convention du 20 octobre 2012, Mme A..., joueuse professionnelle de handball, a confié à la société d'avocats F... (la société) un mandat exclusif d'une durée de deux ans avec une mission d'assistance et de conseil juridique dans la négociation et la rédaction d'un contrat de travail et de tout autre contrat qui pourrait lui être nécessaire ou/et accessoire dans les relations avec son club employeur ; que, le même jour, les parties ont signé un document intitulé « fonctionnement de la convention d'intervention » ; que, le 26 avril 2013, Mme A... a conclu un contrat de travail avec le club l'Union Mios Biganos ; que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 29 janvier 2014, elle a résilié le mandat moyennant un préavis de dix jours ; que, le 13 mars 2014, elle a signé la prolongation de son contrat de travail avec le même club ; que la société l'a assignée en paiement d'une indemnité d'éviction ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Attendu que Mme A... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la société au titre de l'indemnité d'éviction, alors, selon le moyen, qu'à peine de nullité, le contrat de mandat sportif conclu avec un avocat doit préciser de façon claire et précise la rémunération du mandataire, sans renvoyer pour cela à une autre convention ; qu'en l'espèce, Mme A... faisait valoir que la convention du 20 octobre 2012 intitulée « convention d'intervention exclusive » conclue avec la société était nulle en ce qu'elle ne mentionnait pas précisément le montant de la rémunération du cabinet d'avocats ; qu'en effet, cette convention se bornait à prévoir, quant à la rémunération du mandataire sportif, qu' « une convention d'honoraires pourra être signée entre les parties, par acte sous seing privé séparé » et que « le coût de l'intervention du conseil sera d'un maximum de 8 % du montant brut du contrat » ; qu'en admettant qu'un avocat puisse valablement fixer le montant de sa rémunération d'agent sportif par renvoi à une autre convention, la cour d'appel a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

Mais attendu que l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 n'impose pas que le contrat de mandataire sportif confié à un avocat soit établi sous la forme d'un acte écrit unique ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur la deuxième branche du même moyen :

Vu l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

Attendu que, pour condamner Mme A... à payer une certaine somme à la société, l'arrêt retient que, dans le document intitulé « fonctionnement de la convention d'intervention », en cas de manquement aux obligations contractuelles, la sanction encourue est déterminable avec précision, de sorte que le grief de nullité pour imprécision n'est pas fondé ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les deux conventions formant le mandat confié à la société prévoyaient, la première, des honoraires d'un montant maximum de 8 % du montant brut du contrat de travail et, la seconde, en cas de manquement aux obligations, d'éventuels honoraires d'un montant de 8 % sur la base du salaire brut, des primes et des avantages en nature annuels, de sorte qu'il ne résultait pas de ces stipulations un montant déterminable et précis des honoraires de l'avocat, et qu'ainsi, la nullité de ces conventions était encourue, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Rapprochement(s) :

En matière de contrat d'agent sportif, à rapprocher : 1re Civ., 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-10.458, Bull. 2018, I, (1) (cassation).

1re Civ., 20 février 2019, n° 18-10.589, (P)

Cassation

Formation professionnelle – Centre régional de formation professionnelle – Regroupement de centres – Effets – Transfert des biens au centre issu du regroupement – Portée

Selon les articles 13-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, et 1er du décret n° 2005-803 du 12 juillet 2005, les biens mobiliers et immobiliers des centres régionaux de formation professionnelle appelés à se regrouper sont transférés au centre régional issu du regroupement.

Il en résulte que, par suite du regroupement opéré en application de l'arrêté ministériel du 6 décembre 2004 fixant le siège et le ressort des centres régionaux de formation professionnelle des avocats, le CRFPA de Toulouse avait la qualité d'ayant droit du CRFPA de Pau supprimé et se trouvait bénéficiaire de la restitution due par le barreau de Bayonne.

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Vu les articles 13-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 8 de l'arrêté ministériel du 6 décembre 2004 fixant le siège et le ressort des centres régionaux de formation professionnelle des avocats, et 1er du décret n° 2005-803 du 12 juillet 2005, ensemble les articles 1235 et 1376 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu que, d'une part, selon le premier de ces textes, les biens mobiliers et immobiliers des centres régionaux de formation professionnelle appelés à se regrouper sont transférés au centre régional issu du regroupement ; que, d'autre part, il résulte des deux derniers que l'action en répétition de l'indu appartient à celui qui a effectué le paiement, à ses cessionnaires ou subrogés ou encore à celui pour le compte et au nom duquel il a été fait ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en application de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004, le centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) de Pau, qui regroupait les barreaux de Pau, Tarbes, Bayonne, Mont-de-Marsan et Dax, a fait l'objet d'une scission au profit des CRFPA de Bordeaux et Toulouse ; que, par délibération du 25 mars 2004, le conseil d'administration du CRFPA de Pau a décidé de reverser aux ordres concernés les sommes économisées, au prorata du nombre d'avocats inscrits auprès de chaque barreau ; que les CRFPA de Bordeaux et Toulouse, ainsi que le Conseil national des barreaux (CNB) ont demandé aux barreaux concernés le remboursement des sommes par eux encaissées, selon la clé de répartition déterminée par le CNB au titre du regroupement, soit 58 % pour le CRFPA de Bordeaux et 42 % pour le CRFPA de Toulouse ; qu'à la suite du refus de l'ordre des avocats au barreau de Bayonne, le CRFPA de Toulouse l'a assigné, ainsi que la caisse autonome de règlements pécuniaires des avocats au barreau de Bayonne (la CARPA du barreau de Bayonne), en paiement de la somme réclamée ;

Attendu que, pour rejeter la demande, l'arrêt retient que le CRFPA de Toulouse doit être considéré, au titre des fonds litigieux, comme créancier du CRFPA de Pau et ne dispose d'aucun droit personnel propre pour exercer directement une action en répétition de l'indu contre les bénéficiaires des transferts de fonds dont il conteste la légitimité ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, par suite du regroupement, le CRFPA de Toulouse avait la qualité d'ayant droit du CRFPA de Pau supprimé et se trouvait bénéficiaire de la restitution due par le barreau de Bayonne, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu à statuer sur la troisième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Ghestin ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 13-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; article 8 de l'arrêté ministériel du 6 décembre 2004 fixant le siège et le ressort des centres régionaux de formation professionnelle des avocats ; article 1 du décret n° 2005-803 du 12 juillet 2005 ; articles 1235 et 1376 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

2e Civ., 7 février 2019, n° 18-10.767, (P)

Rejet

Honoraires – Montant – Honoraires de résultat – Provision – Restitution de l'excédent – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Portée

Le point de départ de la prescription de l'action en restitution d'honoraires se situe au jour de la fin du mandat de l'avocat.

Par suite, c'est à bon droit qu'un premier président, après avoir souverainement estimé que le mandat de l'avocat incluait la représentation en cause d'appel, décide que n'est pas prescrite l'action en restitution d'honoraires engagée moins de cinq ans après la rupture des relations entre les parties.

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 7 novembre 2017), que, le 13 mai 2003, Mme Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de tutrice de son fils, M. Z..., a signé une convention avec Mme X... (l'avocat) stipulant que celle-ci s'engageait à assurer leur défense et leur conseil, devant toute juridiction, sauf devant la Cour de cassation, pour obtenir la réparation du dommage corporel de M. Z..., victime d'un accident de la circulation, et prévoyant un honoraire forfaitaire de 500 euros HT ainsi qu'un honoraire de résultat de 10 % HT ; qu'un jugement, assorti de l'exécution provisoire à hauteur des deux tiers, statuant sur l'indemnisation de M. Z... est intervenu le 16 février 2007 et a été frappé d'appel ; que le 16 mars 2007, Mme Y... a autorisé l'avocat à prélever la somme de 200 000 euros sur le compte CARPA, à titre d'honoraires ; que Mme Y... a dessaisi l'avocat le 4 mai 2011 ; que par arrêt du 13 janvier 2014, la cour d'appel a diminué l'indemnisation de M. Z... ; que Mme Y... a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats afin d'obtenir la restitution d'une partie des honoraires versés ; que l'avocat a formé un recours contre la décision rendue le 19 décembre 2014 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'avocat fait grief à l'ordonnance de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'acquisition de la prescription quinquennale qu'elle avait opposée et en conséquence de fixer les honoraires lui revenant, alors, selon le moyen :

1°/ que dans le cadre d'une procédure ayant donné lieu à intervention de l'avocat en première instance puis en appel, le point de départ du délai de prescription s'apprécie au regard de chacune des procédures ; que dans ses conclusions d'appel, l'avocat avait soutenu qu'à la suite du prononcé du jugement du 7 février 2007, les parties avaient convenu du règlement par Mme Y..., agissant en son nom personnel et en qualité de tutrice de son fils M. Z..., d'un honoraire forfaitaire de 200 000 euros pour services rendus, les honoraires pour les diligences d'appel étant fixé sur la base d'un pourcentage de 10 % appliqué au différentiel entre les condamnations obtenues en appel et celles de première instance ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription au jour de la rupture des relations entre les clients et l'avocat pour les deux instances sans s'expliquer sur ce moyen, le premier président n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que dans le cadre d'une procédure ayant donné lieu à intervention de l'avocat en première instance puis en appel, le point de départ du délai de prescription s'apprécie au regard de chacune des procédures ; que dans ses conclusions d'appel, l'avocat avait soutenu qu'à la suite du prononcé du jugement du 7 février 2007, les parties avaient convenu du règlement par Mme Y..., agissant en son nom personnel et en qualité de tutrice de son fils M. Z..., d'un honoraire forfaitaire de 200 000 euros pour services rendus, les honoraires pour les diligences d'appel étant fixé sur la base d'un pourcentage de 10 % appliqué au différentiel entre les condamnations obtenues en appel et celles de première instance ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription au jour de la rupture des relations entre les clients et l'avocat pour les deux instances sans rechercher si la mission initiale de l'avocat ne s'était pas achevée à la date du paiement de l'honoraire forfaitaire de 200 000 euros, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil ;

Mais attendu que le point de départ de la prescription de l'action en restitution d'honoraires se situe au jour de la fin du mandat de l'avocat ;

Qu'ayant, implicitement mais nécessairement, souverainement estimé que le mandat de l'avocat incluait la représentation en cause d'appel, c'est à bon droit que le premier président, qui a ainsi répondu aux conclusions dont fait état la première branche du moyen et a procédé à la recherche visée par la seconde, a décidé que le délai de prescription de l'action de Mme Y... avait commencé à courir au jour de la rupture des relations entre les parties, soit le 4 mai 2011, et qu'engagée le 21 avril 2014, cette action n'était pas prescrite ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le deuxième moyen : Publication sans intérêt

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens, annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Isola - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

2e Civ., 7 février 2019, n° 18-11.372, (P)

Cassation partielle

Honoraires – Recouvrement – Action en paiement – Prescription – Prescription quinquennale – Champ d'application – Détermination – Portée

Dès lors que son client est une personne morale, ce dont il se déduit qu'il n'a pas la qualité de consommateur, l'action en fixation des honoraires de l'avocat ne peut être soumise à la prescription de deux ans prévue par l'article L. 137-2 du code de la consommation, devenu l'article L. 218-2 de ce code.

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, que M. Michel X... et la société par actions simplifiée X... MF ont confié la défense de leurs intérêts, à l'occasion notamment de diverses procédures judiciaires, à M. Z..., membre de la selarl Fuchs Cohana Reboul (l'avocat) ; qu'un désaccord s'étant élevé sur la rémunération de l'avocat, celui-ci a saisi, par lettre du 8 juillet 2014, le bâtonnier de son ordre d'une demande de fixation de ses honoraires ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi incident annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais, sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :

Vu l'article L. 137-2 du code de la consommation, devenu l'article L. 218-2 de ce code, ensemble l'article 2224 du code civil ;

Attendu que pour déclarer prescrite la demande de fixation d'honoraires de l'avocat à l'encontre de la société par actions simplifiée X... MF, l'ordonnance fait application des dispositions de l'article L. 137-2 du code de la consommation en retenant que cette société ayant pour secteur d'activité les installations sportives doit être regardée comme un consommateur au sens de ce texte ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le client de l'avocat était en l'espèce une personne morale, ce dont il se déduisait qu'il n'avait pas la qualité de consommateur, le premier président a violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Vu l'article 224 du code civil, ensemble l'article 13 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ;

Attendu que pour déclarer prescrite la demande de fixation d'honoraires de l'avocat à l'encontre de la société X... MF, l'ordonnance retient le 30 novembre 2008 comme point de départ de la prescription en relevant que les quatre factures litigieuses ont été émises pour des périodes s'achevant au plus tard à cette date et que chacune d'elles marque l'achèvement de la mission pour ces périodes ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le point de départ du délai de la prescription biennale de l'action en fixation des honoraires d'avocat se situe au jour de la fin du mandat et non à celui, indifférent, de l'établissement de la facture, le premier président a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux dernières branches du moyen unique du pourvoi principal :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare prescrite la demande de fixation des honoraires de la selarl Fuchs Cohana Reboul et associés formée à l'encontre de la société X... MF, l'ordonnance rendue le 28 novembre 2017, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Gelbard-Le Dauphin - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot ; SCP Boullez -

Textes visés :

Article L. 137-2, devenu article L. 218-2, du code de la consommation ; article 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 26 mars 2015, pourvoi n° 14-15.013, Bull. 2015, II, n° 75 (cassation), et les arrêts cités.

1re Civ., 6 février 2019, n° 17-28.878, (P)

Cassation

Honorariat – Retrait – Retrait pour infraction aux règles régissant le statut de l'avocat honoraire – Nature – Peine disciplinaire – Portée

Le retrait de l'honorariat pour infraction aux règles régissant le statut de l'avocat honoraire constitue une peine disciplinaire que seul le conseil de discipline a le pouvoir de prononcer, au terme de la procédure appropriée.

Conseil de discipline – Pouvoirs – Prononcé de peine disciplinaire – Retrait de l'honorariat pour infraction aux règles régissant le statut de l'avocat honoraire – Pouvoir exclusif

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par décision du conseil de l'ordre des avocats au barreau d'Aix-en-Provence du 3 décembre 2014, M. X... a été admis à l'honorariat à compter du 31 décembre 2014 ; que, par décision du 8 décembre 2015, le conseil de l'ordre a prononcé son retrait de l'honorariat, lui reprochant d'être en infraction avec les règles régissant le statut de l'avocat honoraire ; que M. X... a formé un recours contre cette décision ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur la recevabilité du deuxième moyen, contestée par la défense :

Attendu que le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel du conseil de l'ordre est une fin de non-recevoir d'ordre public qui peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation ; qu'il est donc recevable ;

Et sur ce moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 19 et 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, et l'article 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

Attendu que, pour confirmer la décision, prise par le conseil de l'ordre, de retirer l'honorariat à M. X..., l'arrêt retient qu'en faisant usage de la mention « avocat honoraire consultant », ce dernier a pris une qualité qui n'était plus la sienne, manquant ainsi à la probité, principe essentiel de la profession ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le retrait de l'honorariat pour infraction aux règles régissant le statut de l'avocat honoraire constitue une peine disciplinaire que seul le conseil de discipline a le pouvoir de prononcer, au terme de la procédure appropriée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 janvier 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 122 et 619 du code de procédure civile ; articles 19 et 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; article 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

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