Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

TIERCE OPPOSITION

2e Civ., 8 décembre 2022, n° 21-15.425, (B), FRH

Cassation

Décisions susceptibles – Motifs de la décision (non)

Selon l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.

L'autorité de la chose jugée étant limitée au dispositif des décisions, la tierce opposition n'est, en conséquence, pas ouverte contre les motifs des décisions.

Encourt, dès lors, la cassation un arrêt qui caractérise l'intérêt direct et personnel des demandeurs à la tierce opposition à une décision en se fondant sur les motifs de cette décision quand aucun chef de dispositif ne concernait les demandeurs ni ne leur faisait grief.

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 18 février 2021 et 25 mars 2021), par acte notarié reçu le 24 juin 2008 par la société [X] Carpentier Mancy, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à la société Brise marine un prêt pour l'acquisition d'un bien immobilier, garanti par la caution de M. [F] et de Mme [I].

2. A la suite de la cessation du remboursement du prêt par la société Brise marine, la banque a prononcé l'exigibilité anticipée du solde du prêt et inscrit une hypothèque judiciaire provisoire sur les droits et portions d'un bien immobilier appartenant à M. [F] et à Mme [I].

3. Le 19 novembre 2015, M. [F] et Mme [I] ont assigné la banque devant un juge de l'exécution en mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire et en condamnation de la banque au paiement de dommages-intérêts.

4. Par jugement du 11 octobre 2016, un juge de l'exécution a constaté la nullité de l'engagement de caution contenu dans l'acte notarié du 24 juin 2008 en raison du vice du consentement de cet engagement, ordonné la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire et condamné la banque au paiement de dommages-intérêts.

5. La banque a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 24 mai 2018, une cour d'appel a infirmé le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'engagement de caution et condamné la banque à payer des dommages-intérêts, et, statuant de nouveau, a jugé que M. [F] et Mme [I], cautions du prêt consenti à la société Brise marine par acte notarié du 24 juin 2008, étaient déchargés de leur obligation de garantie.

6. Le 28 février 2019, M. [X], notaire associé, et la société Carpentier [X] Claudot, notaires associés (l'office notarial), ont formé tierce opposition à l'encontre de l'arrêt du 24 mai 2018.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. M. [F] et Mme [I] font grief à l'arrêt du 18 février 2021, rectifié par l'arrêt du 25 mars 2021, de déclarer recevable la tierce opposition formée par M. [X] et l'office notarial à l'encontre de l'arrêt du 24 mai 2018, de rétracter cet arrêt et statuant à nouveau de dire que, cautions du prêt consenti à la société Brise Marine, ils restaient tenus par leur obligation de garantie, alors « que la tierce opposition n'est ouverte que contre le dispositif des décisions de justice, faisant directement grief à son auteur, et non contre les motifs ; que, pour déclarer recevable la tierce opposition du notaire et de la SCP notariale, la cour d'appel, après avoir relevé leur assignation en responsabilité par la banque, a énoncé que, dans l'arrêt attaqué du 24 mai 2018, elle avait « dit et jugé que les époux [F] sont déchargés de leur obligation de garantie au motif que l'acte authentique de prêt du 24 juin 2008 n'a pas pu donner naissance au privilège de prêteur de dernier dans la mesure où il n'a pas été publié » ; qu'en se fondant ainsi, pour apprécier la recevabilité de la tierce opposition, sur les motifs de l'arrêt attaqué, cependant que son dispositif ne comportait, suivant ses propres constatations, aucun chef faisant directement grief au notaire et la SCP notariale, qui n'y étaient pas même visés, la cour d'appel a violé l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. M. [X] et la SCP notariale contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau, mélangé de fait et de droit, et par conséquent irrecevable.

9. Cependant, le moyen, ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait pas été constaté par les juges du fond, peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.

10. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile :

11. Aux termes de cet article, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.

12. L'autorité de la chose jugée étant limitée au dispositif des décisions, la tierce opposition n'est, dès lors, pas ouverte contre les motifs des décisions.

13. Pour déclarer recevable la tierce opposition de M. [X], notaire, et de l'office notarial, l'arrêt retient que l'arrêt du 24 mai 2018 a dit et jugé que M. [F] et Mme [I] sont déchargés de leur obligation de garantie au motif que l'acte authentique de prêt du 24 juin 2008 n'a pas pu donner naissance au privilège de prêteur de denier dans la mesure où il n'a pas été publié et que le 25 septembre 2015, la banque a mis en cause la responsabilité de M. [X] et de l'office notarial devant un tribunal de grande instance au motif que M. [X] a omis de préserver sa créance par la prise de garanties hypothécaires conformément aux instructions reçues et n'a jamais porté à sa connaissance l'impossibilité à laquelle il aurait pu être confronté.

14. L'arrêt en déduit que M. [X] et l'office notarial, qui n'ont pas été attraits dans la procédure ayant donné lieu à l'arrêt du 24 mai 2018, ont un intérêt légitime, actuel, direct et personnel à agir en contestation de cette disposition de l'arrêt qui leur fait grief.

15. En statuant ainsi, en se fondant, pour apprécier la recevabilité de la tierce opposition, sur des motifs de l'arrêt du 24 mai 2018 caractérisant un intérêt direct et personnel des demandeurs à celle-ci, quand le dispositif de l'arrêt du 24 mai 2018 se bornait à décharger les cautions de leur obligation de garantie et ne comportait aucun chef de dispositif faisant grief au notaire et à l'office notarial, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 février 2021, rectifié par arrêt du 25 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Lévis -

Textes visés :

Article 583, alinéa 1, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 5 juin 1996, pourvoi n° 93-19.805, Bull. 1996, II, n° 142 (cassation sans renvoi).

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