Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL

Soc., 14 décembre 2022, n° 21-15.585, (B), FS

Cassation

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords particuliers – Accord collectif sur le dialogue social et le droit syndical au sein de l'unité économique et sociale (UES) Eiffage énergie du 12 février 2019 – Article 7.1 – Délégué syndical – Désignation – Cadre de la désignation – Etablissement distinct – Pluralité d'établissements distincts – Représentativité du syndicat – Appréciation – Suffrages – Calcul – Modalités – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Bobigny, 13 avril 2021), la société Eiffage énergie systèmes - régions France constitue avec ses filiales l'unité économique et sociale Eiffage Energie (l'UES) reconnue par un jugement du tribunal d'instance d'Aulnay-sous-bois en date du 12 octobre 1993.

2. Le 12 février 2019, l'UES et les organisations syndicales représentatives ont conclu un accord sur le dialogue social et le droit syndical qui définit notamment le périmètre de mise en place des comités sociaux et économiques (CSE). Cet accord prévoit que la société Eiffage énergie systèmes - Ile de France (la société Eiffage IDF) et la société Eiffage énergie systèmes automatisme et robotique sont regroupées en trois établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques (CSE), à savoir l'établissement « IDF - Industrie + Eiffage énergie systèmes automatisme et robotique », l'établissement « IDF - Infrastructures » et l'établissement « IDF Tertiaire + Projets complexes + Direction régionale ».

3. Cet accord définit également le périmètre de désignation des délégués syndicaux, qui sont désignés au niveau de l'UES et au niveau des établissements distincts. Il prévoit, par exception, en ce qui concerne les sociétés Eiffage IDF et Eiffage énergie systèmes automatisme et robotique, que la désignation du délégué syndical d'établissement interviendra (en fonction des conditions d'effectifs) sur le périmètre des sociétés, et non au niveau des établissements distincts.

4. A l'issue du premier tour des élections des membres des comités sociaux et économiques (CSE), qui se sont déroulées du 7 au 13 novembre 2020, M. [M], salarié de la société Eiffage IDF, a été élu en qualité de membre suppléant dans le deuxième collège de l'établissement IDF « Tertiaire + Projets complexes + Direction régionale ».

5. La fédération générale Force Ouvrière construction (FGFO construction), qui a recueilli 12,66 % des suffrages exprimés dans cet établissement, a notifié à la société Eiffage IDF, par lettre du 16 décembre 2020, la désignation de M. [M] en qualité de délégué syndical de la filiale Eiffage IDF.

6. Par requête du 29 décembre 2020, la société Eiffage IDF a contesté cette désignation.

Recevabilité du mémoire en défense examinée d'office

Vu l'article 1006 du code de procédure civile :

7. Le mémoire en défense, qui n'a pas été notifié au demandeur au pourvoi, est irrecevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. La société fait grief au jugement de la débouter de sa demande en annulation de la désignation en date du 16 décembre 2020 de M. [M] en qualité de délégué syndical de la filiale Eiffage IDF par la FGFO construction, alors :

« 1°/ que les organisations syndicales ne peuvent procéder aux désignations de délégués syndicaux ou représentants syndicaux légalement ou conventionnellement prévues que si elles sont représentatives dans l'entreprise ou l'établissement dans lesquels ces désignations doivent prendre effet ; qu'il résulte de l'article 7.1 de l'accord sur le dialogue social et le droit syndical au sein de l'UES Eiffage Energie du 12 février 2019 qu'« en ce qui concerne les sociétés Eiffage Energie Systèmes Ile-de-France et Eiffage Energie Systèmes Automatisme et Robotique, regroupés en 3 établissements distincts servant à la mise en place des CSE d'établissement, définis en annexe au présent accord (IDF - Industrie + Automatisme et robotique, IDF - Infrastructures et IDF - Tertiaire + Projets complexes + Direction régionale), il est convenu entre les parties que la désignation du délégué syndical d'établissement interviendra (en fonction des conditions d'effectifs) sur le périmètre des sociétés, et non au niveau des établissements distincts » ; qu'en l'espèce, en affirmant, pour juger que la désignation de M. [M] en qualité de délégué syndical de la société Eiffage Energie Systèmes Ile-de-France était valable, que « le syndicat ayant recueilli 12,66 % des suffrages exprimés aux élections du CSE IDF Tertiaire + Projets complexes + Direction régionale est représentatif », sans constater que le syndicat FGFO Construction était représentatif au niveau de la société Eiffage Energie Systèmes - Ile-de-France, le tribunal judiciaire a violé l'article L. 2121-1 du code du travail, ensemble l'accord susvisé ;

2°/ qu'il résulte de l'article 7.1 de l'accord sur le dialogue social et le droit syndical au sein de l'UES Eiffage Energie du 12 février 2019 qu'« en ce qui concerne les sociétés Eiffage Energie Systèmes Ile-de-France et Eiffage Energie Systèmes Automatisme et Robotique, regroupés en 3 établissements distincts servant à la mise en place des CSE d'établissement, définis en annexe au présent accord (IDF - Industrie + Automatisme et robotique, IDF - Infrastructures et IDF - Tertiaire + Projets complexes + Direction régionale), il est convenu entre les parties que la désignation du délégué syndical d'établissement interviendra (en fonction des conditions d'effectifs) sur le périmètre des sociétés, et non au niveau des établissements distincts » ; que la représentativité d'un syndicat pour la désignation d'un délégué syndical au niveau des sociétés Eiffage Energie Systèmes Ile-de-France et Eiffage Energie Systèmes Automatisme et Robotique regroupées en trois établissements distincts doit en conséquence s'apprécier par rapport à l'ensemble du personnel de ces sociétés ; qu'en jugeant valable la désignation de M. [M] par la FGFO Construction en qualité de délégué syndical de la société filiale Eiffage Energie Systèmes Ile-de-France, aux motifs inopérants que « s'il fallait, comme le prétend l'employeur, déterminer la représentativité au sein de la société elle-même, cette mesure s'avérerait impossible de fait qu'en raison du regroupement de deux sociétés distinctes en trois établissements pour la mise en place du CSE, l'addition des suffrages recueillis par les syndicats lors du premier tour des élections de chacun des CSE déterminerait la représentativité non au sein de chacune des sociétés considérées séparément mais au sein des deux prises comme unité » et qu'« ainsi, la seule représentativité qui puisse être déterminée à partir des suffrages recueillis est en l'espèce sur le seul périmètre de chacun des établissements », quand, en vertu des accords applicables, la représentativité devait s'apprécier au niveau du périmètre de la société, sur la base de l'audience obtenue en consolidant les résultats des trois CSE de la filiale Eiffage Energie Systèmes Ile-de-France et de la filiale Eiffage Energie Systèmes Automatisme et Robotique, le tribunal judiciaire a encore violé l'article L. 2121-1 du code du travail, ensemble l'accord susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2143-3, L. 2121-1, L. 2122-1 du code du travail et l'article 7.1 de l'accord collectif sur le dialogue social et le droit syndical au sein de l'unité économique et sociale (UES) Eiffage Energie du 12 février 2019 :

9. Aux termes du premier des textes susvisés, chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement d'au moins cinquante salariés, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique (CSE), quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l'article L. 2143-12, un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l'employeur. Si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au même premier alinéa, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats, ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique (CSE) fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33.

La désignation d'un délégué syndical peut intervenir lorsque l'effectif d'au moins cinquante salariés a été atteint pendant douze mois consécutifs. Elle peut intervenir au sein de l'établissement regroupant des salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques.

10. Selon l'article L. 2121-1 du même code, la représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après des critères cumulatifs dont l'audience établie selon les niveaux de négociation.

11. Aux termes de l'article L. 2122-1 du même code, dans l'entreprise ou l'établissement, sont représentatives les organisations syndicales qui satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants.

12. L'article 7.1 de l'accord collectif sur le dialogue social et le droit syndical au sein de l'UES prévoit que « les parties rappellent qu'en ce qui concerne la société Eiffage Energie Systèmes Ile de France, les éléments de statuts sociaux (temps de travail, etc.) sont définis dans un accord conclu au niveau de cette société, et conviennent que toute évolution de ces statuts ne pourra intervenir qu'à ce seul niveau, et en aucun cas au niveau des établissements distincts servant à la mise en place des CSE d'établissement ».

Le même article 7.1 précise que « par exception, en ce qui concerne les sociétés Eiffage Energie Systèmes Ile de France et Eiffage Energie Systèmes Automatismes et Robotique, regroupées en trois établissements distincts servant à la mise en place des CSE d'établissement (...), il est convenu entre les parties que la désignation du délégué syndical d'établissement interviendra (en fonction des conditions d'effectifs) sur le périmètre des sociétés, et non au niveau des établissements distincts ».

13. Il en résulte que, lorsque la désignation d'un délégué syndical s'effectue au niveau d'une personne morale regroupant en partie trois établissements distincts au sens du comité social et économique d'établissement, le seuil de 10 % fixé par l'article L. 2121-1 du code du travail se calcule en additionnant la totalité des suffrages obtenus lors des élections au sein de ces différents établissements.

14. En effet, selon une jurisprudence établie de la Cour de cassation, dans une situation similaire, il a été jugé que, sauf dispositions légales particulières, la représentativité des organisations syndicales au sein des sociétés composant une unité économique et sociale où a été institué, pour l'élection des représentants du personnel, un collège électoral unique incluant des salariés de droit privé et des fonctionnaires, doit être appréciée au regard de la totalité des suffrages exprimés par l'ensemble des électeurs composant ce collège (Avis de la Cour de cassation, 2 juillet 2012, n° 12-00.009, Bull. 2012, Avis, n° 6 ; Soc., 26 juin 2013, pourvoi n° 12-26.308, Bull. 2013, V, n° 174).

15. Pour rejeter la demande d'annulation de la désignation du salarié en qualité de délégué syndical au niveau de la société Eiffage IDF, le tribunal retient que les syndicats ayant recueilli 10 % des suffrages exprimés dans l'un quelconque des établissements concernés peuvent valablement désigner un délégué syndical au niveau de la société et que le syndicat FO avait recueilli 12,66 % des suffrages exprimés aux élections du comité social et économique « IDF Tertiaire + Projets complexes + Direction régionale ».

16. En statuant ainsi, le tribunal a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

DECLARE irrecevable le mémoire en défense ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 13 avril 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Bobigny ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 2143-3, L. 2121-1, L. 2122-1 du code du travail ; article 7.1 de l'accord collectif sur le dialogue social et le droit syndical au sein de l'unité économique et sociale (UES) Eiffage énergie du 12 février 2019.

Soc., 14 décembre 2022, n° 20-20.572, n° 21-10.251, (B), FS

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords particuliers – Commerce de détail non alimentaire – Accord du 5 septembre 2003 relatif à l'aménagement et réduction du temps de travail (ARTT) attaché à la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires du 9 mai 2012 – Article 3.2.1- forfait annuel jours – Protection de la sécurité et de la santé du salarié – Défaut – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-20.572 et 21-10 251 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Besançon, 30 juin 2020 et 22 décembre 2020), M. [L] a été engagé par la société 4 Murs, à compter du 19 avril 1999, en qualité de vendeur, puis a été promu, à compter du 6 octobre 2003, directeur de magasin.

Par avenant au contrat de travail en date du 18 décembre 2006, le salarié a signé une convention de forfait annuel en jours.

3. La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires : antiquités, brocante, galeries d'art (oeuvres d'art), arts de la table, coutellerie, droguerie, équipement du foyer, bazars, commerces ménagers, modélisme, jeux, jouets, puérinatalité et maroquinerie du 9 mai 2012.

4. Le 15 décembre 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale afin de solliciter notamment le prononcé de l'inopposabilité de la convention de forfait en jours, la résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

5. Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 28 mai 2019.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi 20-20.572, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la convention de forfait en jours n'encourt aucune nullité et qu'elle lui est opposable, alors « que toute convention de forfait en jour doit être prévue par accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; que la convention collective doit prévoir un suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs du temps de travail transmis permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec la durée raisonnable de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition dans le temps de travail de l'intéressé ; qu'un accord d'entreprise qui se contente de prévoir un état récapitulatif du temps de travail mensuel et un contrôle annuel ou bi-annuel, ne garantit pas le respect des durées raisonnables du travail, des repos journaliers et hebdomadaires ; que la cour d'appel qui a relevé que l'accord du 3 septembre 2003, prévoyait qu'un décompte des journées travaillées et de repos pris était établi mensuellement par l'intéressé et validé par l'employeur et qu'à cette occasion un suivi devait être fait, et qui a retenu que cet accord comportait des limites et garanties et le contrôle du nombre de jours travaillés, alors qu'il ne comporte aucune précision sur les modalités de contrôle, n'a pas caractérisé un suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs du temps de travail a violé l'article L. 3121-63 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 212-15-3 du code du travail alors en vigueur, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :

7. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

8. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

9. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

10. Pour dire que la convention de forfait en jours n'encourt aucune nullité, l'arrêt retient que l'accord du 5 septembre 2003, en son article 3.2.1. prévoit un nombre de jours travaillés par année civile ou période de 12 mois consécutifs, le droit à repos dès le premier trimestre suivant en cas de dépassement du plafond, ainsi que le droit au congé annuel complet, au repos hebdomadaire et quotidien et que contrairement aux affirmations du salarié, il comporte des limites et garanties, soit le contrôle du nombre de journées ou demi-journées travaillées, ou de repos/congés.

11. En statuant ainsi, alors que l'article 3.2.1. de l'accord du 5 septembre 2003, attaché à la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires du 9 mai 2012, qui se borne à prévoir que le décompte des journées travaillées ou des jours de repos pris est établi mensuellement par l'intéressé, que les cadres concernés doivent remettre, une fois par mois à l'employeur qui le valide, un document récapitulant le nombre de jours déjà travaillés, le nombre de jours ou de demi-jours de repos pris et ceux restant à prendre, qu'à cette occasion doit s'opérer le suivi de l'organisation du travail, le contrôle de l'application du présent accord et de l'impact de la charge de travail sur leur activité de la journée, que le contrôle des jours sera effectué soit au moyen d'un système automatisé, soit d'un document auto-déclaratif et que dans ce cas, le document signé par le salarié et par l'employeur est conservé par ce dernier pendant trois ans et tenu à la disposition de l'inspecteur du travail, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen du pourvoi 20-20.572, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que les faits d'inexécution par l'employeur de ses obligations essentielles ne sont pas établis et qu'il est mal fondé en sa demande de résiliation judiciaire, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation relatif à la nullité et l'inopposabilité de la convention de forfait jour entraînera par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt sur le deuxième moyen en application de l'article 625 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

13. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif relatifs au rejet de la demande de résiliation judiciaire présentée par le salarié, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquence de la cassation

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt critiquées par le premier moyen du pourvoi 20-20.572 entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif déboutant le salarié de sa demande de rappels d'heures supplémentaires, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour non-prise du repos compensateur, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

15. En application de l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 30 juin 2020 entraîne, par voie de conséquence, celle de l'arrêt du 22 décembre 2020, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la convention de forfait en jours n'encourt aucune nullité et qu'elle est opposable à M. [L], en ce qu'il le déboute de ses demandes de rappels d'heures supplémentaires, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour non-prise du repos compensateur, en ce qu'il dit que les faits d'inexécution par la société 4 Murs de ses obligations essentielles ne sont pas établis et que M. [L] est mal fondé en sa demande de résiliation judiciaire et l'en déboute, en ce qu'il le condamne à payer à la société 4 Murs la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le déboute de sa demande d'indemnité sur ce fondement et le condamne aux dépens, l'arrêt rendu le 30 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 22 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ; article L. 212-15-3 du code du travail, alors en vigueur, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ; article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité des conventions de forfait en jours au regard de la durée du travail et des repos journaliers et hebdomadaires, à rapprocher : Soc., 5 octobre 2017, pourvoi n° 16-23.106, Bull. 2017, V, n° 173 (rejet), et les arrêts cités ; Soc., 8 novembre 2017, pourvoi n° 15-22.758, Bull. 2017, V, n° 191 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-12.208, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 14 décembre 2022, n° 21-12.552, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001 – Article 4.4.3 – Rédaction antérieure à l'avenant n° 64 du 19 janvier 2018 – Remplacements provisoires – Salarié se voyant confier la responsabilité d'une fonction d'un niveau supérieur au sien – Rémunération – Montant – Calcul – Modalités – Détermination – Portée

Il résulte de l'article 4.4.3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, dans sa rédaction antérieure à l'avenant n° 64 du 19 janvier 2018, que le salarié qui, en dehors des cas de polyactivité et d'emplois multiples, remplace occasionnellement un supérieur hiérarchique pendant une durée d'au moins quatre semaines consécutives n'excédant pas la limite de six mois, bénéficie du salaire minimum garanti à celui-ci pendant toute la période que dure ce remplacement.

Dès lors, fait une exacte application de ces dispositions conventionnelles la cour d'appel qui, ayant constaté que la salariée, qui avait remplacé son supérieur hiérarchique, n'avait perçu que son propre salaire pendant quatre semaines, a retenu que le délai de carence invoqué par l'employeur ne figurait pas dans la convention collective et en a déduit que ce dernier devait verser une contrepartie au titre des quatre premières semaines.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 mai 2020), Mme [I] a été engagée en 1991 par la société Aldi marché [Localité 4], en qualité d'assistante (adjointe au directeur), suivant contrat soumis à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001. Elle était affectée au magasin d'[Localité 2]. Entre les 1er avril et 14 juin 2014, elle a assuré le remplacement d'un directeur momentanément absent au sein du magasin d'[Localité 3].

2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale le 27 mars 2015 de diverses demandes au titre de ses droits résultant dudit remplacement.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de condamner l'employeur à lui payer une somme limitée à 539,96 euros à titre de rappel de salaire, outre congés payés afférents, c'est-à-dire le salaire minimum conventionnel versé pour le poste de remplacement, et de la débouter de sa demande tendant à y inclure les sommes correspondant au différentiel de salaire effectivement versé au responsable du magasin d'[Localité 3] remplacé par elle pendant onze semaines consécutives, alors « qu'en application de l'article 4.4.3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, les salariés qui se voient confier pendant au moins quatre semaines consécutives la responsabilité d'une fonction correspondant à un niveau supérieur au leur bénéficient, proportionnellement au temps passé, du salaire minimum garanti à celui-ci ; que tous les avantages en espèces consentis en contrepartie ou à l'occasion du travail, s'ils ne sont pas expressément exclus par la convention collective applicable, doivent être retenus au titre du salaire minimum ; qu'en jugeant que les sommes dues à Mme [I] au titre des rappels de salaires sollicités se limitaient à 539,96 euros, majorés de l'indemnité de congés payés, sans rechercher, ainsi que cela lui était demandé, quels avantages en espèces étaient consentis en contrepartie ou à l'occasion du travail au poste de remplacement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées ainsi que du principe « à travail égal salaire égal ». »

Réponse de la Cour

5. Ayant retenu à bon droit que la convention collective prévoyait le versement d'un différentiel fonction du salaire minimum conventionnel applicable au salarié remplacé et non du salaire effectivement versé à celui-ci, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a, en déduisant des versements effectués, de la rémunération conventionnelle garantie au salarié remplacé et de ses périodes de présence que la salariée avait droit à un rappel de salaire de 539,96 euros majoré de l'indemnité de congés payés, légalement justifié sa décision.

Sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée diverses sommes au titre des salaires, outre congés payés afférents, et à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, alors « qu'en vertu de l'article 4.4.3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, dans sa rédaction antérieure à l'avenant n° 64 du 19 janvier 2018, sauf à ce que la nature de ses fonctions implique qu'il soit à même de suppléer totalement ou partiellement un supérieur hiérarchique lors de l'absence occasionnelle de celui-ci, le salarié qui se voit confier, pendant au moins quatre semaines consécutives, la responsabilité d'une fonction correspondant à un niveau supérieur au sien bénéficie, proportionnellement au temps passé, du salaire minimum garanti à celui-ci ; que pour l'attribution de ce niveau de salaire, qui ne débute qu'à compter de la cinquième semaine, n'est pas en pris en compte le temps passé par le salarié à exercer les fonctions litigieuses pendant les quatre premières semaines, cette période constituant un délai de carence ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 4.4.3, intitulé « Remplacements provisoires », de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, dans sa rédaction antérieure à l'avenant n° 64 du 19 janvier 2018, la nature même de certaines fonctions implique que les salariés qui les exercent sont à même de suppléer totalement ou partiellement un supérieur hiérarchique en cas d'absence occasionnelle de celui-ci.

En dehors des cas de polyactivité et d'emplois multiples prévus aux articles 4.4.1 et 4.4.2, les salariés qui se voient confier pendant au moins quatre semaines consécutives la responsabilité d'une fonction correspondant à un niveau supérieur au leur bénéficient, proportionnellement au temps passé, du salaire minimum garanti à celui-ci. Cette situation ne peut excéder six mois ; à l'issue de ce délai, l'employeur et le salarié remplaçant acteront, au regard du motif du remplacement, longue maladie par exemple, les conséquences qui en découlent sur le contrat de travail.

8. Il en résulte que le salarié qui, en dehors des cas de polyactivité et d'emplois multiples, remplace occasionnellement un supérieur hiérarchique pendant une durée d'au moins quatre semaines consécutives n'excédant pas la limite de six mois, bénéficie du salaire minimum garanti à celui-ci pendant toute la période que dure ce remplacement.

9. Ayant constaté que, pendant quatre semaines, la salariée n'avait perçu que son propre salaire et que, pour le temps de remplacement restant, elle avait perçu, proportionnellement à son temps de travail, sa rémunération augmentée d'une fraction du salaire minimum conventionnel garanti au collègue remplacé, puis retenu que le délai de carence invoqué par l'employeur, contraire à la volonté des partenaires sociaux d'assurer au remplaçant une rémunération conforme aux fonctions provisoirement exercées, ne figurait pas dans la convention collective, la cour d'appel en a exactement déduit que le délai de quatre semaines y figurant portait sur le point de départ de l'obligation pour l'employeur d'assurer la contrepartie et que, si la convention collective ne l'obligeait pas, avant quatre semaines de remplacement, à majorer la rémunération du remplaçant, elle l'obligeait, au-delà de ce délai, à verser la contrepartie précitée sans aucun délai de carence au titre des quatre premières semaines.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, alors « que les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation au paiement d'une somme d'argent ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, lesquels ne courent que du jour de la sommation de payer ; que le juge ne peut allouer au créancier, serait-ce sur le fondement de la résistance abusive, des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser, d'une part, la mauvaise foi du débiteur, d'autre part, l'existence d'un préjudice indépendant du retard de paiement ; qu'en retenant, pour allouer à la salariée des dommages-intérêts pour résistance abusive, qu'elle avait subi un préjudice moral et financier du fait du retard fautif apporté au paiement des sommes dues, sans caractériser que cette situation était imputable à la mauvaise foi de l'employeur et qu'il en était résulté pour la salariée un préjudice distinct dudit retard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1153, devenu 1231-6, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1153, alinéa 4, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

12. Aux termes de ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

13. Pour condamner l'employeur à payer à la salariée des dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt retient qu'en réparation du préjudice moral et financier subi du fait du retard fautif apporté au paiement des sommes dues il sera en sus alloué à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts réparant la totalité du préjudice invoqué en ses deux branches.

14. En statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, causé par la mauvaise foi de l'employeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Aldi marché [Localité 4] à payer à Mme [I] la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 29 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute Mme [I] de sa demande de dommages-intérêts.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Techer - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 4.4.3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, dans sa rédaction antérieure à l'avenant n° 64 du 19 janvier 2018.

Soc., 14 décembre 2022, n° 21-15.805, (B), FS

Rejet

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001 – Rémunération – Prime annuelle – Calcul – Assiette – Majoration pour travail des jours fériés – Prise en compte – Fondement – Détermination – Portée

Selon l'article 3.7.3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, dans sa rédaction antérieure à l'avenant n° 70 du 15 janvier 2019, le montant de la prime annuelle, pour les salariés qui n'ont pas fait l'objet d'absences autres que celles prévues par le texte, est égal à 100 % du salaire forfaitaire mensuel de novembre (heures supplémentaires exceptionnelles exclues).

Doit être approuvé, un conseil de prud'hommes qui retient que, ces dispositions se limitant à exclure de l'assiette de calcul de la prime annuelle les heures supplémentaires exceptionnelles, la majoration pour travail effectué un jour férié devait être prise en compte pour le calcul de la prime.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes du Mans, 10 mars 2021), rendu en dernier ressort, M. [T], salarié de la société Carrefour Supply Chain, a saisi la juridiction prud'homale d'une demande au titre de rappel des primes annuelles pour les années 2017 à 2019.

2. La convention collective applicable est la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief au jugement de le condamner à verser une certaine somme au titre de rappel des primes annuelles pour les années 2017-2018-2019, alors « qu'en application de l'article 3-7 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, seules les majorations liées à des heures supplémentaires, à des heures de travail dominical ou à des heures de travail un jour férié régulièrement accomplies par le salarié au cours de l'année de référence peuvent être prises en compte dans l'assiette de calcul de la prime annuelle ; qu'il incombe ainsi aux juges du fond de rechercher si ces heures ont été régulièrement accomplies par le salarié au cours de l'année de référence, ou si elles n'ont été accomplies qu'à titre exceptionnel ; qu'au cas présent, M. [T] sollicitait le paiement d'une somme totale de 2 264,10 € à titre de reliquat de primes annuelles pour les années 2017-2018-2019 ; que la société Carrefour Supply Chain s'opposait à cette demande, prise dans son intégralité, puisque M. [T] avait intégré à ses calculs, de manière erronée, les majorations liées aux heures de travail un jour férié accomplies au mois de novembre, cependant que ces heures avaient été exceptionnelles et n'avaient pas été régulièrement accomplies par M. [T] au cours de l'année de référence, de sorte qu'elles ne devaient pas être prises en compte dans l'assiette de calcul de la prime annuelle ; qu'en faisant néanmoins droit à l'intégralité de la demande de M. [T] au motif erroné selon lequel « le conseil ne retient pas l'interprétation des heures supplémentaires régulières pour l'octroi de la prime annuelle, considérant que la convention collective nationale en son article 3-7-3 ne fait pas état de cette mention d'heures supplémentaires régulières et se limite à « heures supplémentaires exceptionnelles exclues » », le conseil de prud'hommes a violé l'article 3-7 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001. »

Réponse de la Cour

4. Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est à dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.

5. Selon l'article 3.7.3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, dans sa rédaction antérieure à l'avenant n° 70 du 15 janvier 2019, le montant de la prime annuelle, pour les salariés qui n'ont pas fait l'objet d'absences autres que celles prévues par le texte, est égal à 100 % du salaire forfaitaire mensuel de novembre (heures supplémentaires exceptionnelles exclues).

6. Le conseil de prud'hommes a retenu à bon droit que ces dispositions se limitent à exclure de l'assiette de calcul de la prime annuelle les heures supplémentaires exceptionnelles. Il en a exactement déduit que la majoration pour travail effectué un jour férié devait être prise en compte pour le calcul de la prime.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 3.7.3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, dans sa rédaction antérieure à l'avenant n° 70 du 15 janvier 2019.

Rapprochement(s) :

Sur la seule exclusion des heures supplémentaires exceptionnelles du calcul de la prime annuelle au sens de l'article 3.7.3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, à rapprocher : Soc., 17 février 2010, pourvoi n° 08-42.490, Bull. 2010, V, n° 45 (cassation partielle).

Soc., 14 décembre 2022, n° 21-19.551, (B) (R), FS

Cassation

Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Interprétation – Principes – Définition – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Créteil, 29 juin 2021) et les productions, le groupe Doctegestio est organisé en trois grands métiers : le tourisme et l'hôtellerie, le médico-social ainsi que la santé sous la marque Doctocare.

2. Le 25 janvier 2021, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la région Ile-de-France a rejeté la demande, présentée par l'employeur, d'arbitrage sur la répartition du personnel et des sièges entre les collèges des deux comités sociaux et économiques d'établissement distincts conventionnels composant l'unité économique et sociale santé du groupe Doctegestio (l'UES), en considérant que le périmètre des établissements distincts n'avait pas été au préalable clairement défini ni par l'accord collectif du 8 octobre 2019, intitulé « accord relatif à la représentation du personnel au sein de l'UES santé du groupe Doctegestio », qu'il ne lui appartenait pas d'interpréter, ni par décision unilatérale de l'employeur.

3. Les vingt-et-un sociétés, associations et groupement de coopération sanitaire composant l'UES ont saisi, le 8 février 2021, le tribunal judiciaire d'une requête en contestation de cette décision, en demandant, à titre principal, de constater qu'il n'y a pas lieu d'interpréter l'accord du 8 octobre 2019 comme devant conduire à rattacher le support à l'entité juridique ou au site géographique dans lequel le salarié travaille et de procéder à une répartition du personnel et des sièges entre collèges en application dudit accord et, à titre subsidiaire, d'interpréter l'accord du 8 octobre 2019 s'il était considéré comme ambigu par le tribunal et de procéder, pour chaque comité social et économique d'activité, à une répartition du personnel et des sièges dans les collèges conformément à l'interprétation retenue.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Les sociétés, associations et groupement de coopération sanitaire composant l'UES font grief au jugement de constater l'incompétence matérielle du juge du contentieux électoral, de renvoyer les parties à mieux se pourvoir et de rejeter toutes les autres demandes, alors « que selon l'article L. 2313-2 du code du travail, un accord collectif détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts ; que selon l'article L. 2314-13 du même code, la répartition du personnel au sein des collèges électoraux et la répartition des sièges doivent, en l'absence de protocole d'accord préélectoral valide, être définis par l'autorité administrative ; que selon l'article R. 2314-3 du même code, à défaut de refus de l'autorité administrative de procéder à cette répartition, l'employeur peut saisir le tribunal judiciaire afin qu'il soit statué sur la répartition des personnels et des sièges entre les collèges ; qu'il résulte de ces dispositions que le tribunal judiciaire, saisi d'une demande tendant à la répartition du personnel au sein des collèges et des sièges est tenu de procéder à cette répartition en respectant le périmètre des établissements distincts définis par accord collectif et doit, s'il existe une difficulté quant à la détermination de ce périmètre, interpréter lui-même cet accord ; qu'investi d'une plénitude de juridiction relativement à la répartition du personnel au sein des collèges et à la répartition des sièges, il ne peut donc se retrancher derrière une ambigüité de l'accord collectif fixant nombre et le périmètre des établissements distincts pour refuser d'exercer son office ; qu'au cas présent, il est constant que l'accord collectif du 8 octobre 2019 relatif à la représentation du personnel au sein de l'UES Santé du groupe DocteGestio prévoit que l'UES Métier Santé est constituée de deux comité sociaux et économiques d'établissements dont les périmètres respectifs étaient définis par activités : le CSEA Hospitalisation et le CSEA Médical, Dentaire, Thermalisme, Support, Optique et Audio ; que les sociétés exposantes demandaient au tribunal judiciaire, à la suite de l'échec de la négociation d'un protocole d'accord préélectoral et du refus de la DIRECCTE de procéder à la répartition du personnel au sein des collèges et à la répartition des sièges, de procéder à une telle répartition au regard des dispositions de l'accord du 8 octobre 2019, au besoin en interprétant cet accord ; qu'en se déclarant matériellement incompétent pour procéder à une telle répartition et en renvoyant les parties à mieux se pourvoir au motif que « selon la jurisprudence, l'interprétation des accords d'entreprise relève du tribunal judiciaire » et que « le juge du contentieux électoral est incompétent pour interpréter cet accord », le tribunal judiciaire a violé les articles L. 2313-2, L. 2314-13 et R. 2314-3 du code du travail, ensemble les articles 12 du code de procédure civile et 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code civil et les articles L. 2313-8 et L. 2314-13 du code du travail :

5. En application des articles L. 2314-13 et R. 2314-3 du code du travail, relèvent de la compétence du tribunal judiciaire, en dernier ressort, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux, les contestations contre la décision de l'autorité administrative fixant la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux.

6. Il appartient en conséquence au tribunal judiciaire d'examiner l'ensemble des contestations, qu'elles portent sur la légalité externe ou la légalité interne de la décision de la direction régionale des entreprises, de l'économie, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), désormais la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS), et, s'il les dit mal fondées au regard de l'ensemble des circonstances de fait dont il est justifié à la date de la décision administrative, de confirmer la décision, ou s'il les accueille partiellement ou totalement, d'annuler la décision administrative et de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l'autorité administrative, sur les questions demeurant en litige d'après l'ensemble des circonstances de fait à la date où le juge statue.

7. A cet égard, il résulte des articles L. 2313-8 et L. 2314-13 du code du travail que, dès lors que la détermination du périmètre des établissements distincts est préalable à la répartition des salariés dans les collèges électoraux de chaque établissement, il incombe à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge judiciaire à qui sa décision peut être déférée, de procéder à la répartition sollicitée par application de l'accord collectif définissant les établissements distincts et leurs périmètres respectifs. Il appartient ensuite au tribunal judiciaire, saisi du recours formé contre la décision rendue par le DIRECCTE, d'apprécier la légalité de cette décision, au besoin après l'interprétation de l'accord collectif en cause, d'abord en respectant la lettre du texte de l'accord collectif, ensuite, si celui-ci manque de clarté, au regard de l'objectif que la définition des périmètres des établissements distincts soit de nature à permettre l'exercice effectif des prérogatives de l'institution représentative du personnel.

8. Pour « constater son incompétence matérielle » et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, le jugement retient que l'autorité administrative est compétente en cas de désaccord à condition que l'employeur ait transmis toutes les informations nécessaires aux organisations syndicales, que l'inspection du travail s'est déclarée incompétente s'agissant d'une demande d'arbitrage sur la répartition du personnel et des sièges, que le juge judiciaire du contentieux électoral ne peut pas répartir le personnel dans les différents collèges dès lors que l'employeur n'a fourni aucune information sur le nombre de salariés de chaque entreprise qu'il considère appartenir à la fonction support et qui serait rattaché au comité social et économique.

Le jugement ajoute qu'il n'est pas possible de se prononcer sur une répartition de salariés entre collèges si les propositions n'ont pas fait l'objet d'une négociation préalable avec les organisations syndicales représentatives et qu'en conséquence, le juge du contentieux électoral est incompétent pour interpréter cet accord.

9. En statuant ainsi, alors qu'il entrait dans son office d'annuler la décision administrative ayant refusé d'appliquer l'accord collectif du 8 octobre 2019 et, exerçant sa plénitude de juridiction, d'interpréter cet accord collectif afin de procéder ensuite à la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux au sein des établissements distincts ainsi délimités, par une décision se substituant à celle de l'autorité administrative, le tribunal a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 29 juin 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Créteil ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 4 du code civil ; articles L. 2313-8 et L. 2314-13 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue des pouvoirs du juge judiciaire saisi d'un recours contre une décision de l'autorité administrative fixant la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux, à rapprocher : Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-11.918, Bull. (rejet), et l'arrêt cité. Sur les règles d'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif, à rapprocher : Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-12.467, Bull. (cassation partielle) ; Soc., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-23.153, Bull. (cassation), et les arrêts cités.

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