Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

SEPARATION DES POUVOIRS

Soc., 14 décembre 2022, n° 21-14.304, (B), FS

Rejet

Contrat de travail – Licenciement – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Information de l'autorité administrative – Observations en cours de procédure – Observations formulées par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) – Avis faisant grief – Acte de nature administrative – Détermination – Portée

La lettre, notifiée au secrétaire du comité social et économique (CSE) et aux délégués syndicaux, par laquelle la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) indique que le projet de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) dont elle est saisie, en vue de l'exercice d'un contrôle susceptible de conduire à une décision de validation ou d'homologation, ne constitue pas l'outil juridique adéquat, dès lors que les conditions de mise en oeuvre d'un PSE telles que décrites à l'article L. 1233-61 du code du travail ne sont pas remplies, constitue un acte administratif faisant grief et susceptible comme tel d'un recours, en sorte que le juge judiciaire n'est pas compétent pour se prononcer sur les demandes des syndicats et du comité social et économique tendant à la suspension du projet de réorganisation.

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Etablissement – Information de l'autorité administrative – Réponse de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) – Avis faisant grief – Ouverture d'un recours – Nature – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 21 janvier 2021), rendu en matière de référé, et les productions, des négociations en vue de l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) ont été ouvertes en mai 2019 au sein de la société [Localité 3] Automotive Exteriors (la société HAE), spécialisée dans les équipements automobiles, à la suite de l'annonce par le groupe Daimler de l'arrêt de la production des véhicules Smart à moteurs thermiques, entraînant une modification de son activité et un sureffectif de 71 postes sur 231.

2. Un mouvement de grève a débuté au sein de la société HAE le 5 juin 2019 et un accord de médiation, ainsi qu'un accord de méthode, ont été conclus les 28 juin et 18 juillet suivants. Un PSE modifié a été présenté le 17 novembre 2019 aux membres du comité social et économique de la société HAE (le comité).

3. Par lettre du 7 janvier 2020, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) a indiqué à la société HAE que les conditions de mise en oeuvre du PSE telles que décrites à l'article L. 1233-61 du code du travail n'étaient pas remplies et que le PSE ne constituait pas l'outil juridique adéquat pour accompagner les mobilités envisagées dans le cadre du projet de restructuration excluant tout licenciement.

La société HAE a en conséquence mis un terme à l'élaboration du PSE.

4. La Confédération générale du travail de la société HAE (la CGT HAE), la Confédération française démocratique du travail des métaux de la Moselle (la CFDT des métaux de la Moselle) et le comité, ont saisi le président d'un tribunal judiciaire statuant en référé afin qu'il soit fait interdiction à la société HAE de soumettre à la signature des salariés quittant l'entreprise dans le cadre de sa réorganisation pour motif économique, la « convention de transfert d'un commun accord au sein de Smart France » et de suspendre la réorganisation objet du projet soumis au comité au mois de novembre dans l'attente de la présentation et de la négociation d'un PSE avec les syndicats représentatifs.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. Le syndicat CFDT des métaux de la Moselle et le comité font grief à l'arrêt de déclarer le juge des référés civils du tribunal judiciaire incompétent pour connaître de leurs demandes au profit de l'ordre administratif, alors « qu'il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique, sous réserve des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires ; que le juge administratif ne peut être saisi d'un recours pour excès de pouvoir que contre un acte administratif faisant grief ; que ne présente pas ce caractère l'avis émis par une administration ; qu'ayant constaté que le courrier de l'inspection du travail du 7 janvier 2020 n'était qu'un avis, tout en le qualifiant malgré tout d'acte administratif faisant grief dont l'annulation ou la réformation relève de la compétence du juge administratif, la cour d'appel a tiré des conséquences erronées de ses propres constatations et partant a violé le principe de séparation des pouvoirs, les lois des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article L. 1233-57-6 du code du travail que l'administration peut, à tout moment en cours de procédure, faire toute observation ou proposition à l'employeur concernant le déroulement de la procédure ou les mesures sociales prévues à l'article L. 1233-32. Elle envoie simultanément copie de ses observations au comité social et économique et, lorsque la négociation de l'accord visé à l'article L. 1233-24-1 est engagée, le cas échéant aux organisations syndicales représentatives dans l'entreprise.

Les décisions prises à ce titre ainsi que la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation relevant de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.

8. La cour d'appel qui a constaté que, par lettre du 7 janvier 2020 notifiée au secrétaire du CSE et aux délégués syndicaux, la DIRECCTE avait indiqué que le projet de plan de sauvegarde de l'emploi dont elle était saisie, en vue de l'exercice d'un contrôle susceptible de conduire à une décision de validation ou d'homologation, ne constituait pas l'outil juridique adéquat, dès lors que les conditions de mise en oeuvre d'un PSE telles que décrites à l'article L. 1233-61 du code du travail n'étaient pas remplies, en a exactement déduit que cette décision constituait un acte administratif faisant grief et susceptible comme tel d'un recours et qu'elle ne pouvait en conséquence se prononcer sur les demandes des syndicats et du comité social et économique.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 1233-24-1, L. 1233-32, L. 1233-57-6 et L. 1233-61 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la nature d'un avis ou d'une décision de l'autorité administrative susceptible de faire grief, et son effet sur la compétence du juge, à rapprocher : Soc., 19 mai 2016, pourvoi n° 14-26.662, Bull. 2016, V, n° 107 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.