Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

Partie III - Décisions du Tribunal des conflits

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 5 décembre 2022, n° 22-04.257, (B)

Projet personnalisé de scolarisation – Mise en oeuvre – Décision des services départementaux de l'éducation nationale – Refus implicite – Contestation – Compétence administrative

Le litige issu du refus implicite de la direction des services départementaux de l'éducation nationale de mettre en oeuvre le projet personnalisé de scolarisation validé par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) ne relève pas de l'article L. 241-9 du code de l'action sociale et des familles qui ne concerne que les décisions prises au titre du 1° du I de l'article L. 241-6 du même code et non les décisions prises sur le fondement des articles L. 112-1, L. 112-2 et D. 351-5 du code de l'éducation.

La contestation de la décision implicite de rejet de la mise en oeuvre du projet personnalisé de scolarisation relève en conséquence de la juridiction administrative.

Vu, enregistrée à son secrétariat, l’expédition du jugement du 22 septembre 2022 par lequel le tribunal judiciaire de Beauvais, saisi d’une demande de M. et Mme [D] tendant à ce qu’il soit enjoint à la direction des services départementaux de l’éducation nationale de l’Oise d’exécuter la décision du 10 mai 2021 par laquelle la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a validé le projet personnalisé de scolarisation de leur fille [T], a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider de la question de compétence ;

Vu l’ordonnance du 17 mai 2022 par lequel le tribunal administratif d’Amiens s’est déclaré incompétent pour connaître de ce litige ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à M. et Mme [D], à la maison départementale des personnes handicapées de l’Oise et au ministre des solidarités et de la santé, qui n’ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Vu le code de l’éducation ;

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme [D] ont demandé à la direction des services départementaux de l’éducation nationale de l’Oise de prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de la décision du 10 mai 2021 par laquelle la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de l’Oise a validé le projet personnalisé de scolarisation de leur fille [T]. Interprétant le silence de l’administration comme une décision implicite de rejet de leur demande, M. et Mme [D] ont saisi le tribunal administratif d’Amiens d’une demande qui peut être regardée comme tendant à l’annulation de cette décision de rejet et à ce qu’il soit enjoint à l’administration de prendre les mesures sollicitées.

Par ordonnance du 17 mai 2022, la présidente du tribunal administratif d’Amiens a transmis le dossier de l’affaire au tribunal judiciaire de Beauvais en application des dispositions du premier alinéa de l’article 32 du décret du 27 février 2015. Ce tribunal, par jugement du 22 septembre 2022, estimant que le litige dont il était saisi relevait de la compétence des juridictions de l’ordre administratif, a renvoyé au Tribunal, sur le fondement du second alinéa de l’article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

2. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 112-1 du code de l’éducation, « (...) le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes en situation de handicap ».

Aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 112-2 du même code, « (...) il est proposé à chaque enfant, adolescent ou adulte en situation de handicap, ainsi qu'à sa famille, un parcours de formation qui fait l'objet d'un projet personnalisé de scolarisation assorti des ajustements nécessaires en favorisant, chaque fois que possible, la formation en milieu scolaire ordinaire. (...) ».

Aux termes du premier alinéa de l’article D. 351-5 du même code, « Un projet personnalisé de scolarisation définit et coordonne les modalités de déroulement de la scolarité et les actions pédagogiques, psychologiques, éducatives, sociales, médicales et paramédicales répondant aux besoins particuliers des élèves présentant un handicap ». Enfin, aux termes du dernier alinéa de l’article D. 351-6 du même code, « Après décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, le projet personnalisé de scolarisation est transmis à l'élève majeur ou, s'il est mineur, à ses parents ou son responsable légal, à l'enseignant référent ainsi qu'au directeur d'école, au chef d'établissement ou au directeur de l'établissement ou du service social ou médico-social ainsi qu'aux membres de l'équipe éducative chargés de le mettre en oeuvre dans la limite de leurs attributions respectives ».

3. Les mesures que M. et Mme [D] demandent à la directrice des services départementaux de l’éducation nationale de l’Oise de prendre pour assurer la mise en oeuvre de la décision du 10 mai 2021 de la CDAPH de l’Oise sont de la nature de celles qui peuvent être prises en vertu des dispositions du code de l’éducation citées au point 2. Aucune disposition législative n’attribue le litige issu du refus implicite de prendre de telles mesures à la compétence de la juridiction judiciaire, notamment pas l’article L. 241-9 du code de l’action sociale et des familles, selon lequel relève de la compétence des tribunaux judiciaires la contestation des décisions prises, au titre du 1° du I de l’article L. 241-6 du même code, par les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées sur l’orientation et les mesures propres à assurer l’insertion scolaire d’un enfant ou d’un adolescent handicapé.

4. La décision implicite par laquelle la directrice des services départementaux de l’éducation nationale de l’Oise aurait refusé de prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de la décision de la CDAPH de l’Oise présente le caractère d’une décision administrative. Sa contestation relève dès lors de la compétence de la juridiction administrative.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande de M. et Mme [D].

Article 2 :

L’ordonnance du 17 mai 2022 de la présidente du tribunal administratif d’Amiens est déclaré nulle et non avenue.

La cause et les parties sont renvoyés devant ce tribunal.

Article 3 :

La procédure suivie devant le tribunal judiciaire de Beauvais est déclarée nulle et non avenue, à l’exception du jugement rendu par ce tribunal le 22 septembre 2022.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : M. Goulard - Avocat général : M. Lecaroz (rapporteur public) -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; articles L. 241-6, I, 1°, et L. 241-9 du code de l'action sociale et des familles ; articles L. 112-1, L. 112-2 et D. 351-5 du code de l'éducation.

Tribunal des conflits, 5 décembre 2022, n° 22-04.253, (B)

Services et établissements publics à caractère industriel et commercial – Electricité de France – Servitude de passage d'une ligne électrique – Dommage occasionné par la reconstruction de la ligne – Indemnisation du propriétaire du terrain traversé – Compétence judiciaire – Etendue – Détermination

Si les conséquences des dommages purement accidentels causés par les travaux de construction, de réparation ou d'entretien des ouvrages relèvent de la compétence des juridictions administratives, en revanche, les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates des servitudes instituées au profit des concessionnaires de distribution d'énergie, tels que la dépréciation de l'immeuble, les troubles de jouissance et d'exploitation, la gêne occasionnée par le passage des préposés à la surveillance et à l'entretien.

Les dommages causés aux cultures et aux jachères par les travaux de reconstruction de la ligne et ceux causés par la création de pistes sur l'exploitation afin de permettre l'exécution de ces travaux présentent un caractère accidentel et relèvent, en conséquence, de la compétence de la juridiction administrative.

Les parcelles dont la société civile d'exploitation agricole est propriétaire n'étant pas grevées de la servitude, le préjudice patrimonial invoqué par cette société, tiers par rapport à l'ouvrage public, du fait de la perte de valeur vénale de ces parcelles n'est pas la conséquence certaine, directe et immédiate de la servitude. Par suite, seule la juridiction administrative est compétente pour en connaître.

En revanche, le préjudice patrimonial subi par le particulier en raison de la perte de valeur vénale des parcelles dont il est propriétaire constitue une conséquence certaine, directe et immédiate de la servitude, y compris pour les parcelles non grevées, qui constituent, avec les parcelles traversées par l'emprise de la servitude, une unité foncière d'un seul tenant. Il en va de même pour le préjudice visuel subi par le propriétaire. L'indemnisation de ces préjudices relève donc de la compétence de la juridiction judiciaire.

Electricité – Ligne électrique – Indemnités dues au propriétaire – Perte de la valeur vénale des parcelles – Préjudice visuel – Compétence judiciaire

Vu, enregistrée à son secrétariat le 27 juillet 2022, l'expédition du jugement du 21 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi des demandes d'indemnisation formées par la société d'exploitation agricole [Adresse 1] et M. [W] [T] contre la société Réseau de transport d'électricité (RTE), a renvoyé au Tribunal, en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à la société d'exploitation agricole [Adresse 1], à M. [W] [T], à la société RTE et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l'énergie ;

Considérant ce qui suit :

1. M. [T] et la société civile d'exploitation agricole [Adresse 1] (SCEA) sont propriétaires de parcelles de terres situées sur le territoire de la commune de [Localité 2], survolées par une ligne à très haute tension.

La société Réseau de transport d'électricité (RTE), gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, ayant décidé de mettre cette ligne à double circuit, le préfet de la Marne a, par un arrêté du 27 mai 2015, établi des servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres et d'occupation temporaire sur des parcelles appartenant à M. [T], dont certaines sont données à bail de longue durée à la SCEA. Ayant demandé à la société RTE de les indemniser de leurs préjudices, M. [T] et la SCEA ont, devant le refus opposé par celle-ci, saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne pour obtenir la réparation des différents préjudices résultant de la reconstruction de la ligne.

Par jugement du 21 juillet 2022, ce tribunal a considéré que les demandes d'indemnisation des préjudices instantanés, du préjudice visuel subi par M. [T] et du préjudice patrimonial lié à la perte de la valeur vénale des propriétés posaient des questions de compétence soulevant des difficultés sérieuses, qu'il a décidé de renvoyer au Tribunal des conflits.

2. Aux termes de l'article L. 323-4 du code de l'énergie : « La déclaration d'utilité publique investit le concessionnaire, pour l'exécution des travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics.

Le concessionnaire demeure, dans le même temps, soumis à toutes les obligations qui dérivent, pour l'administration, de ces lois et règlements.

La déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit : 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens d'électricité, soit à l'extérieur des murs ou façades donnant sur la voie publique, soit sur les toits et terrasses des bâtiments, à la condition qu'on y puisse accéder par l'extérieur, étant spécifié que ce droit ne pourra être exercé que sous les conditions prescrites, tant au point de vue de la sécurité qu'au point de vue de la commodité des habitants, par les décrets en Conseil d'Etat prévus à l'article L. 323-11. Ces décrets doivent limiter l'exercice de ce droit au cas de courants électriques tels que la présence de ces conducteurs d'électricité à proximité des bâtiments ne soient pas de nature à présenter, nonobstant les précautions prises conformément aux décrets des dangers graves pour les personnes ou les bâtiments ; 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées, sous les mêmes conditions et réserves que celles spécifiques au 1° ci-dessus ; 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; 4° De couper les arbres et branches d'arbres qui, se trouvant à proximité des conducteurs aériens d'électricité, gênent leur pose ou pourraient, par leur mouvement ou leur chute, occasionner des courts-circuits ou des avaries aux ouvrages ».

3. Aux termes de l'article L. 323-6 du même code : « La servitude établie n'entraîne aucune dépossession.

La pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des bâtiments ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever.

La pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ».

4. L'article L. 323-7 de ce code dispose que : « Lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L. 323-4 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit.

L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le juge judiciaire ».

5. En application de ces dispositions, si les conséquences des dommages purement accidentels causés par les travaux de construction, de réparation ou d'entretien des ouvrages relèvent de la compétence des juridictions administratives, en revanche, les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates des servitudes instituées au profit des concessionnaires de distribution d'énergie, tels que la dépréciation de l'immeuble, les troubles de jouissance et d'exploitation, la gêne occasionnée par le passage des préposés à la surveillance et à l'entretien.

6. Les dommages causés aux cultures et aux jachères par les travaux de reconstruction de la ligne et ceux causés par la création de pistes sur l'exploitation afin de permettre l'exécution de ces travaux présentent un caractère accidentel et relèvent, en conséquence, de la compétence de la juridiction administrative.

7. Les parcelles dont la SCEA est propriétaire n'étant pas grevées de la servitude, le préjudice patrimonial invoqué par cette société, tiers par rapport à l'ouvrage public, du fait de la perte de valeur vénale de ces parcelles n'est pas la conséquence certaine, directe et immédiate de la servitude.

Par suite, seule la juridiction administrative est compétente pour en connaître.

8. En revanche, le préjudice patrimonial subi par M. [T] en raison de la perte de valeur vénale des parcelles dont il est propriétaire constitue une conséquence certaine, directe et immédiate de la servitude, y compris pour les parcelles non grevées, qui constituent, avec les parcelles traversées par l'emprise de la servitude, une unité foncière d'un seul tenant. Il en va de même pour le préjudice visuel subi par le propriétaire.

L'indemnisation de ces préjudices relève donc de la compétence de la juridiction judiciaire.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour statuer sur les demandes de M. [T] et de la SCEA en réparation de leurs préjudices instantanés correspondant aux dégâts causés aux cultures et aux jachères par les travaux de reconstruction de la ligne et aux dommages causés par la création de pistes ayant permis l'accès aux constructions ainsi que sur la demande présentée par la SCEA en réparation de son préjudice patrimonial.

Article 2 :

La juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur la demande de M. [T] en indemnisation de son préjudice visuel et de son préjudice patrimonial lié à la perte de valeur vénale des parcelles dont il est propriétaire.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Victor (rapporteur public) -

Textes visés :

Loi des 16 et 24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; code de l'énergie.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 8 décembre 1971, pourvoi n° 70-13.190, Bull. 1970, III, n° 611 (rejet). Tribunal des conflits, 14 juin 2021, n° 21-04.208, Bull., et l'arrêt cité.

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