Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

SECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL

2e Civ., 1 décembre 2022, n° 20-22.760, (B), FS

Cassation partielle

Cotisations – Taux – Fixation – Taux individuel – Accidents ou maladies professionnelles prises en considération – Maladies professionnelles – Dépenses engagées par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) – Inscription au compte spécial – Charge de la preuve

Lorsque l'employeur demande l'inscription au compte spécial des dépenses afférentes à une maladie professionnelle en application de l'article 2, 3°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995, il appartient à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail qui a inscrit ces dépenses au compte de cet employeur de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque de la maladie dans l'un de ses établissements. Dans le cas où cette preuve n'a pas été rapportée, il incombe à l'employeur de prouver que la maladie a été contractée soit dans une autre entreprise qui a disparu, soit dans un établissement relevant d'une autre entreprise qui a disparu ou qui ne relevait pas du régime général de sécurité sociale.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 16 octobre 2020), M. [I] (la victime), ancien salarié de la société [3] (la société), a déclaré le 25 juin 2018 un mésothéliome malin du péritoine, pris en charge au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône.

2. La caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) de Rhône-Alpes ayant imputé au compte employeur de son établissement de [Localité 4] les dépenses afférentes à cette maladie, la société a saisi la juridiction de la tarification d'une demande d'inscription au compte spécial, en application des 3° et 4° de l'article 2 de l'arrêté du 16 juillet 1995.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours alors « qu'une maladie professionnelle est présumée avoir été contractée auprès du dernier employeur auprès duquel la victime a été exposé au risque ; qu'en cas de contestation par l'employeur d'une décision de tarification, c'est à la caisse qui a pris la décision litigieuse de rapporter la preuve que le salarié a été exposé au risque chez le dernier employeur auquel elle impute l'origine de la maladie ; qu'au cas présent, la société contestait avoir exposé le salarié au risque d'inhalation de poussières d'amiante à l'origine de sa maladie et demandait en conséquence le retrait des coûts afférents à la maladie de son salarié de son compte employeur ; qu'elle soulignait que le salarié avait été exclusivement exposé au risque à l'origine de sa maladie chez ses employeurs précédents entre 1966 et 1981 ; qu'en déboutant la société de ses prétentions au motif que « l'employeur ne produit aucune pièce relative aux conditions concrètes de travail de son salarié chez elle et qu'elle n'apporte pas le moindre commencement de preuve que ce dernier n'y aurait pas été exposé à l'amiante », la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles 1353 du code civil, 6 et 9 du code de procédure civile, D. 242-6-1, D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, ensemble de l'article 2, 3°, de l'arrêté du 16 octobre 1995. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1353 du code civil, D. 242-6-1, D. 242-6-4, D. 242-6-5, D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale et 2, 3°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995, pris pour l'application de l'article D. 242-6-5 du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction applicable au litige :

4. Il résulte du premier de ces textes que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de l'obligation.

5. Aux termes du deuxième de ces textes, le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé par établissement.

6. Selon le troisième, l'ensemble des dépenses constituant la valeur du risque est pris en compte par les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail dès que ces dépenses leur ont été communiquées par les caisses primaires, sans préjudice de l'application des décisions de justice ultérieures. Seules sont prises en compte dans la valeur du risque les dépenses liées aux accidents ou aux maladies dont le caractère professionnel a été reconnu.

7. Selon les quatrième et cinquième de ces textes, les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget ne sont pas comprises dans la valeur du risque mais sont inscrites à un compte spécial.

8. Selon le dernier, sont inscrites au compte spécial, les dépenses afférentes à la maladie professionnelle qui a été constatée dans un établissement dont l'activité n'expose pas au risque, mais qui a été contractée dans une autre entreprise ou dans un établissement relevant d'une autre entreprise qui a disparu ou qui ne relevait pas du régime général de la sécurité sociale.

9. Lorsque l'employeur demande l'inscription au compte spécial des dépenses afférentes à une maladie professionnelle, en application de l'article 2, 3°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995, il appartient à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail, qui a inscrit ces dépenses au compte de cet employeur, de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque de la maladie dans l'un de ses établissements. Dans le cas où cette preuve n'a pas été rapportée, il incombe à l'employeur de prouver que la maladie a été contractée soit dans une autre entreprise qui a disparu, soit dans un établissement relevant d'une autre entreprise qui a disparu ou qui ne relevait pas du régime général de sécurité sociale.

10. Pour rejeter le recours de la société, l'arrêt retient que celle-ci ne démontre pas que son activité n'a pas exposé le salarié au risque de sa pathologie.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a ordonné la jonction des procédures inscrites au registre général sous les numéros 19/06689 et 20/01503, l'arrêt rendu le 16 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Lapasset - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 2, 3°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n° 21-11.252, Bull. (cassation partielle).

2e Civ., 1 décembre 2022, n° 21-10.773, (B), FRH

Cassation

Faute inexcusable de l'employeur – Autorité du pénal – Décision de relaxe – Relaxe de l'employeur – Portée

Si l'article 4-1 du code de procédure pénale permet au juge civil, en l'absence de faute pénale non intentionnelle, de retenir une faute inexcusable en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de celui à qui le fait est imputé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 19 novembre 2020), M. [J] (la victime), salarié de la société [5] (l'employeur), a été victime, le 4 octobre 2011, d'un accident pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 3] au titre de la législation professionnelle.

Par jugement définitif d'un tribunal de police, l'employeur a été relaxé des poursuites du chef de blessures involontaires.

2. La victime a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de retenir sa faute inexcusable, alors : « 1°/ que l'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision ; qu'en l'espèce, en retenant que la déclaration, par le juge répressif, de l'absence de faute pénale non intentionnelle ne s'opposait pas à la reconnaissance d'une faute inexcusable, cependant que le tribunal de police avait jugé que « l'enquête n'a pas permis d'établir d'une manière certaine la cause de l'ouverture de la vanne d'aspiration », que « restent des causes hypothétiques » réfutées par les techniciens en intervention qui avaient exclu toute manipulation volontaire ou par négligence, que « la possibilité d'une ouverture inopinée et spontanée de cette vanne n'a pu être identifiée même sur un mode improbable », que les salariés étaient « formés, habilités et expérimentés pour ce type d'intervention », que le « risque de brûlure » ne pouvait « pas être identifié au regard de l'intervention programmée » « justement appréciée », que si un système avec une double vanne pouvait prévenir les conséquences d'un geste involontaire ou la défaillance matérielle, « d'une part, aucune norme ne le prévoit et, d'autre part, il n'est pas habituellement spécifiquement recommandé pour ce type d'installation », de sorte que la décision de relaxe s'imposait dans l'instance civile reposant sur les mêmes faits, et que compte tenu des motifs et constatations matérielles du jugement, l'accident reposait sur une cause indéterminée, excluant toute faute inexcusable de l'employeur, dès lors que, sans identification d'un fait générateur précis, ne pouvaient être caractérisés ni le fait que l'employeur pouvait avoir conscience d'un danger, ni un lien entre un comportement fautif de l'employeur et la survenue de l'accident, la cour d'appel a violé les articles L. 452-1 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil et l'article 1351 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, et les articles 4-1 du code de procédure pénale et L. 452-1 du code de la sécurité sociale :

4. Si le premier de ces textes permet au juge civil, en l'absence de faute pénale non intentionnelle, de retenir une faute inexcusable en application du second, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de celui à qui le fait est imputé.

5. Pour dire la faute inexcusable établie, l'arrêt relève que selon l'enquête, malgré un travail préalable d'isolement de la pompe que les salariés s'apprêtaient à démonter, un jet d'ammoniac a surgi brutalement de la conduite et les a aspergés, brûlant gravement la victime, et que la fuite a été causée par l'ouverture inopinée de la vanne située entre la pompe et le stockage d'ammoniac. Il retient que quelle que soit la cause de l'ouverture de la vanne, le dispositif de sécurité était inadéquat et que l'employeur connaissait ou aurait dû connaître le fait que cette vanne n'était munie d'aucun dispositif de verrouillage en position fermée, contrairement aux règles de sécurité applicables à la matière.

6. En statuant ainsi, alors que pour prononcer la relaxe de l'employeur des poursuites du chef de blessures involontaires, par un motif qui était le soutien nécessaire de sa décision, la juridiction pénale, après avoir relevé que les causes de l'ouverture de la vanne étaient indéterminées, a écarté un manquement aux règles de sécurité lié à l'absence de double vanne ou d'un système de verrouillage de la vanne nécessitant un outil spécifique, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Cassignard - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article 4-1 du code de procédure pénale ; article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.

2e Civ., 15 décembre 2022, n° 19-20.763, (B), FRH

Cassation

Faute inexcusable de l'employeur – Contrat d'assurance – Conditions – Fait dommageable – Définition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 juin 2019), M. [T] a saisi le 19 janvier 2018 le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) à fin de réparation de ses préjudices liés à la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante, qui lui a opposé un refus en raison de la prescription de sa demande. Il a saisi une cour d'appel aux mêmes fins.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branches, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs dont les quatre premiers sont irrecevables et dont le dernier n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. M. [T] fait grief à l'arrêt de dire son recours prescrit, alors :

« 1°/ que les droits de la victime au bénéfice des prestations et indemnités prévues par la législation professionnelle se prescrivent à compter de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle ; que l'examen tomodensitométrique ne constitue pas le certificat médical faisant courir la prescription ; que, pour déclarer prescrit le recours de la victime auprès du FIVA, la cour d'appel relève « qu'il résulte du scanner thoracique du 12 décembre 2007, produit aux débats, lequel mentionne des « calcifications punctiformes sous pleurales pariétales antérieures bilatérales plus marquées à gauche », et du certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante du 28 janvier 2013, que M. [T] a eu connaissance du lien entre sa pathologie et l'exposition à l'amiante dès le 12 décembre 2007 » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 ;

2°/ que les droits de la victime au bénéfice des prestations et indemnités prévues par la législation professionnelle se prescrivent à compter de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle ; qu'en cas de succession de certificats médicaux, la prescription ne court qu'à compter du premier certificat qui énonce le lien possible entre la maladie et l'activité professionnelle de la victime - les certificats antérieurs, même s'ils diagnostiquent la même maladie, ne font pas courir la prescription, car la première constatation médicale de la maladie ne s'assimile pas avec la date de la connaissance du lien entre la maladie et la profession ; que, pour déclarer prescrit le recours de la victime auprès du FIVA, la cour d'appel relève « qu'il résulte du scanner thoracique du 12 décembre 2007, produit aux débats, lequel mentionne des « calcifications punctiformes sous pleurales pariétales antérieures bilatérales plus marquées à gauche », et du certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante du 28 janvier 2013, que M. [T] a eu connaissance du lien entre sa pathologie et l'exposition à l'amiante dès le 12 décembre 2007 » ; qu'ayant ainsi mis en évidence que le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante avait été établi pour la première fois par le certificat médical de 2013, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Le FIVA conteste la recevabilité du moyen pour être mélangé de fait et de droit en ce qu'il invoque les règles du livre IV du code de la sécurité sociale, notamment les dispositions de l'article L. 461-1 de ce code alors que M. [T] n'invoquait dans ses conclusions d'appel que l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 et l'arrêté du 5 mai 2002 fixant la liste des maladies dont le constat vaut exposition à l'amiante.

5. Cependant, l'arrêt rappelle que M. [T] sollicitait l'indemnisation du FIVA à la suite de la reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie au visa du tableau n° 30 des maladies professionnelles, de sorte que les dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale visées par le moyen étaient dans le débat.

6. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 53, III bis, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 :

7. Selon ce texte, la demande d'indemnisation de la victime d'une maladie liée à une exposition à l'amiante adressée au FIVA se prescrit par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante.

8. Pour dire le recours de M. [T] prescrit, l'arrêt retient qu'il résulte du scanner thoracique du 12 décembre 2007 mentionnant des calcifications punctiformes sous pleurales pariétales antérieures bilatérales plus marquées à gauche et du certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante du 28 janvier 2013 que M. [T] a eu connaissance du lien entre sa pathologie et l'exposition à l'amiante dès le 12 décembre 2007.

9. En statuant ainsi, alors d'une part que le scanner thoracique du 12 décembre 2007, dont les conclusions ne mentionnaient ni l'exposition à l'amiante ni le caractère professionnel de la pathologie, ne pouvait constituer le certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante, d'autre part, qu'elle constatait que le certificat médical établissant ce lien était daté du 28 janvier 2013, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Chauve - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 53, III bis, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ; articles L. 124-1 et L.124-1-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 16 juin 2011, pourvoi n° 10-17.092, Bull. 2011, II, n° 134 (annulation).

2e Civ., 15 décembre 2022, n° 21-16.682, (B), FRH

Cassation

Faute inexcusable de l'employeur – Contrat d'assurance – Conditions – Fait dommageable – Définition

Le fait dommageable, tel que visé aux articles L. 124-1 et L. 124-1-1 du code des assurances, dans les rapports entre l'employeur assuré au titre de la faute inexcusable et son assureur, est constitué par l'exposition à l'amiante et non par la connaissance par le salarié de cette exposition ou l'inscription de l'entreprise sur la liste des établissements relevant de l'ACAATA.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 mars 2021), les sociétés Saint-Gobain Isover, Saint-Gobain Seva, Saint-Gobain Pam et Everite (les sociétés Saint-Gobain et Everite) assurées en responsabilité civile auprès de la société UAP jusqu'au 1er juillet 1982, ont assigné leur assureur, la société AXA Corporate Solutions Assurances (AXA), venant aux droits de la société UAP, et ses coassureurs, aux fins d'obtenir leur garantie pour le paiement des indemnités réclamées ou mises à leur charge en réparation du préjudice d'anxiété subi par certains de leurs salariés exposés à l'amiante.

2. Ces assureurs ont refusé leur garantie en faisant valoir que les préjudices d'anxiété au titre desquels les sociétés Saint Gobain et Everite avaient été condamnées ou assignées étaient nés après la résiliation des contrats.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Les sociétés Saint-Gobain et Everite font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes tendant 1) à voir dire et juger qu'AXA, ainsi que ses coassureurs, compte tenu de leur quote-part dans la coassurance, sont tenus à les garantir de l'ensemble des conséquences financières qu'elles supportent et supporteront dans l'ensemble des instances prud'homales qui sont listées en annexes 1, 2, 3 et 4 de leurs conclusions, 2) à les voir les condamnées à titre provisionnel à leur payer certaines sommes, ces somme étant augmentée des intérêts légaux décomptés du jour de la délivrance des assignations de première instance des 16 janvier 2013, 3 septembre 2013, 23 et 25 juillet 2014, outre leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, 3) à voir dire et juger qu'elles pourront compléter ultérieurement leurs demandes à l'encontre d'AXA et de ses coassureurs et voir ceux-ci condamnés à leur verser des sommes complémentaires eu égard à l'évolution des dossiers garantis, 4) à voir dire et juger à titre subsidiaire, si la cour devait considérer que l'exclusion relative aux atteintes à l'environnement devait s'appliquer, qu'AXA, ainsi que ses coassureurs, compte tenu de leur quote-part dans la coassurance, seront tenus à les garantir de l'ensemble des conséquences financières qu'elles supportent et supporteront dans l'ensemble des instances prud'homales qui sont listées en annexes 6, 7, 8 et 9 de leurs conclusions, 5) à les voir condamnés à titre provisionnel à payer à la société Saint-Gobain Seva certaines sommes augmentées des intérêts légaux décomptés du jour de la délivrance de l'assignation de première instance, outre leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, 6) à voir dire et juger que les sociétés Saint-Gobain Isover, Saint-Gobain Seva, Saint-Gobain Pam et Everite pourront compléter ultérieurement leurs demandes à l'encontre d'AXA et de ses coassureurs et voir ceux-ci condamnés à leur verser des sommes complémentaires eu égard à l'évolution des dossiers garantis, 7) à voir dire et juger qu'AXA, ainsi que ses coassureurs, compte tenu de leur quote-part dans la coassurance, seront tenus à leur rembourser les frais et honoraires qu'elles ont respectivement engagés pour leur défense sur les actions prud'homales initiées contre elles, 8) à les voir condamnées à titre provisionnel à leur payer certaines sommes, avec intérêts légaux décomptés du jour de la délivrance de l'assignation de première instance, et leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, 9) à voir dire et juger que les sociétés Saint-Gobain Isover, Saint-Gobain Seva, Saint-Gobain Pam et Everite pourront compléter ultérieurement leurs demandes à l'encontre d'AXA et de ses coassureurs et voir ceux-ci condamnés à lui verser des sommes complémentaires eu égard à l'évolution des dossiers garantis, alors « que la cause génératrice du préjudice d'anxiété est l'exposition à l'amiante ; qu'en jugeant les sinistres non couverts par le contrat d'assurance de responsabilité civile des employeurs comme étant apparus après sa résiliation, aux motifs inopérants que dans les rapports entre les employeurs et les salariés, le fait générateur du préjudice d'anxiété est la conscience par le salarié du risque de développer une pathologie grave résultant de l'exposition à l'amiante, irréfragablement présumée en cas d'inscription du site au titre de ceux dont les travailleurs sont éligibles à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, la cour d'appel, qui a confondu cause génératrice du dommage et apparition du sinistre, a violé les articles L 124-1 et L 124-1-1 du code des assurances, ensemble l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 124-1 et L. 124-1-1 du code des assurances :

4. Selon le premier de ces textes, dans les assurances de responsabilité, l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé.

5. Le second précise que constitue un sinistre tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations.

Le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage. Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique.

6. Pour débouter les sociétés Saint-Gobain et Everite de leurs demandes, l'arrêt, après avoir rappelé qu'il convenait de rechercher si le fait dommageable, défini comme l'événement qui est la cause génératrice du dommage, s'est produit pendant la période de garantie, retient que le fait générateur du préjudice d'anxiété est constitué, pour le salarié ayant travaillé dans un établissement ayant fait l'objet d'une inscription sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, par ce classement et, pour le salarié ayant travaillé dans un établissement non listé, à la date à laquelle il est établi qu'il a eu conscience de son exposition.

7. Il en déduit que les faits dommageables pour lesquels la garantie est sollicitée ne sont pas survenus avant l'expiration de la résiliation du contrat.

8. En statuant ainsi, alors que le fait dommageable, dans les rapports entre l'assuré garanti au titre de la faute inexcusable et son assureur, est constitué par l'exposition à l'amiante, et non par la connaissance par le salarié de cette exposition ou l'inscription de l'entreprise sur la liste des établissements relevant de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

9. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il convient de mettre hors de cause la société Groupement de gestion et d'assurances dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a mis hors de cause la société XL Catlin services et la société Aviva assurances, l'arrêt rendu le 11 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Met hors de cause la société Groupement de gestion et d'assurances ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Chauve - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP L. Poulet-Odent ; SARL Ortscheidt ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 124-1 et L. 124-1-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 15 décembre 2022, pourvoi n° 19-20.763, Bull. (cassation).

2e Civ., 1 décembre 2022, n° 21-11.252, (B), FS

Cassation partielle

Maladies professionnelles – Dispositions générales – Travaux susceptibles de les provoquer – Exposition au risque – Pluralité d'employeurs – Imputation – Preuve – Charge – Détermination

Sans préjudice d'une demande d'inscription au compte spécial, l'employeur peut solliciter le retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle lorsque la victime n'a pas été exposée au risque à son service. En cas de contestation devant la juridiction de la tarification, il appartient à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) qui a inscrit les dépenses au compte de cet employeur de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque chez celui-ci.

Cotisations – Taux – Fixation – Taux individuel – Accidents ou maladies professionnelles prises en considération – Maladies professionnelles – Dépenses engagées par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) – Inscription au compte spécial

Maladies professionnelles – Inscription au compte spécial – Contestation – Caisse d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) – Preuve – Charge – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 4 décembre 2020), M. [C] (la victime), employé en dernier lieu au service de l'établissement de [Localité 4] de la société [3] (la société), en qualité d'agent technique d'entretien, du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2011, a déclaré, le 7 août 2017, une affection professionnelle consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a prise en charge au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.

2. La caisse d'assurance retraite et de la santé au travail du Sud-Est (la CARSAT) ayant imputé au compte employeur de son établissement de [Localité 4] les dépenses afférentes à la maladie professionnelle de la victime, la société a saisi d'un recours la juridiction de la tarification en demandant leur retrait de ce compte et l'inscription de ces dépenses au compte spécial en application de l'article 2, 4°, de l'arrêté du 16 octobre 1995.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux branches

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors :

« 1°/ que le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé par établissement ; qu'il en résulte que seuls les coûts relatifs aux sinistres imputables à l'activité d'un salarié au sein d'un établissement déterminé peuvent être pris en compte pour le calcul de la valeur du risque propre à cet établissement, de sorte que les coûts afférents à une maladie professionnelle ne peuvent être imputés au compte employeur d'un établissement que s'il est établi que le salarié y a été exposé ; que si la maladie professionnelle est présumée avoir été contractée auprès du dernier employeur ayant exposé la victime au risque du tableau au moment de la survenance de la maladie, il n'existe, en revanche, aucune présomption d'exposition au risque auprès du dernier employeur ayant employé le salarié ; qu'en refusant de rechercher, comme elle y était invitée, si la victime avait effectivement été exposée au risque de la maladie professionnelle au sein de l'établissement de [Localité 4] de la société au motif qu'une telle exposition devait être présumée dans le cadre du contentieux de la tarification, la cour d'appel a violé les articles D. 242-6-1, D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 1353 du code civil ;

2°/ que la contestation par l'employeur d'une décision de prise en charge d'une maladie sur le fondement d'un tableau de maladies professionnelles devant la juridiction du contentieux général peut uniquement porter sur la régularité de la décision de prise en charge et son bien-fondé au regard des conditions du tableau ; que relève, en revanche, de la compétence du juge de la tarification, la contestation du dernier employeur portant, non pas sur le bien-fondé de la décision de prise en charge, mais sur le fait que celle-ci ne lui est pas imputable faute d'exposition au risque en son sein ; qu'au cas présent, la société ne contestait pas, devant la cour d'appel, le caractère professionnel de la maladie déclarée par la victime, mais demandait le retrait de son compte employeur des dépenses afférentes à cette maladie en faisant valoir que le salarié n'avait pas été exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante au sein de la société et que la maladie ne pouvait donc résulter que d'une exposition au risque pour le compte de précédents employeurs ; qu'en déboutant néanmoins la société de son recours au motif que « si la société affirme que le salarié n'a pu être exposé chez elle, elle ne justifie pas avoir contesté la prise en charge de la pathologie devant les juridictions du contentieux général, et ainsi, l'exposition est présumée dans le cadre de la présente procédure », la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision, violant l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 et l'article D. 242-6-5 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1353 du code civil, D. 242-6-1, D. 242-6-4, D. 242-6-5, D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale et 2, 4°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995, pris pour l'application de l'article D. 242-6-5 du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction applicable au litige :

4. Il résulte du premier de ces textes que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de l'obligation.

5. Aux termes du deuxième de ces textes, le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé par établissement.

6. Selon le troisième, l'ensemble des dépenses constituant la valeur du risque est pris en compte par les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail dès que ces dépenses leur ont été communiquées par les caisses primaires, sans préjudice de l'application des décisions de justice ultérieures. Seules sont prises en compte dans la valeur du risque les dépenses liées aux accidents ou aux maladies dont le caractère professionnel a été reconnu.

7. Selon les quatrième et cinquième, les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget ne sont pas comprises dans la valeur du risque mais sont inscrites à un compte spécial.

8. Selon le dernier, sont inscrites au compte spécial, les dépenses afférentes à des maladies professionnelles constatées ou contractées lorsque la victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie.

9. En application des trois derniers de ces textes, la maladie professionnelle est présumée contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, sauf à cet employeur à rapporter la preuve contraire. Il appartient, alors, à l'employeur qui demande l'inscription au compte spécial des dépenses afférentes à cette maladie en application de l'article 2, 4°, de l'arrêté du 16 octobre 1995 de rapporter la preuve que l'affection déclarée par la victime est imputable aux conditions de travail au sein des établissements des entreprises différentes qui l'ont employée, sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie.

10. Par ailleurs, dans deux arrêts du 17 mars 2022 (2e Civ., 17 mars 2022, pourvoi n° 20-19.294, publié au bulletin et 2e Civ., 17 mars 2022, pourvoi n° 20-19.293), la Cour de cassation a décidé que le défaut d'imputabilité à l'employeur de la maladie professionnelle qui n'a pas été contractée à son service n'est pas sanctionné par l'inopposabilité de la décision de prise en charge et que, toutefois, l'employeur peut contester cette imputabilité si sa faute inexcusable est recherchée ou si les conséquences financières de la maladie sont inscrites à son compte accidents du travail et maladies professionnelles.

11. Dès lors, sans préjudice d'une demande d'inscription au compte spécial, l'employeur peut solliciter le retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle lorsque la victime n'a pas été exposée au risque à son service.

En cas de contestation devant la juridiction de la tarification, il appartient à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail qui a inscrit les dépenses au compte de cet employeur, de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque chez celui-ci.

12. Pour rejeter le recours de la société, l'arrêt énonce que celle-ci affirme que la victime n'a pas pu être exposée chez elle car elle a été à son service à partir de 2005 bien après l'interdiction de l'utilisation de l'amiante, que cependant, la société ne justifie pas avoir contesté la prise en charge de la pathologie devant les juridictions du contentieux de la sécurité sociale alors que l'exposition est présumée dans le cadre de la présente procédure.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il ordonne la jonction sous le numéro de répertoire général 20/01529 des dossiers suivis sous les numéros 20/01524 et 20/02127, l'arrêt rendu le 4 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Renault-Malignac - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 1353 du code civil ; articles D. 242-6-1, D. 242-6-4, D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale ; article 2, 4°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995, dans sa rédaction applicable au litige.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 6 janvier 2022, pourvoi n° 20-13.690, Bull. (cassation).

2e Civ., 15 décembre 2022, n° 21-10.783, (B), FRH

Cassation partielle

Rente – Rente prévue à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale – Objet – Indemnisation de la victime – Etendue – Pertes de gains professionnels, incidence professionnelle, déficit fonctionnel permanent – Effets – Demande de réparation au titre de l'incidence professionnelle – Office du juge

Viole les articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime une cour d'appel qui, sans avoir préalablement fixé son préjudice au titre de l'incidence professionnelle, rejette la demande de la victime de ce chef au motif qu'elle percevait une pension d'invalidité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 23 novembre 2020), le 12 mars 2016, à La Tamca, M. [F] a été victime, alors qu'il était passager transporté, d'un accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur conduit par M. [V] et assuré auprès de la société QBE (l'assureur).

2. M. [F] a assigné l'assureur pour obtenir, notamment, l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs, de l'incidence professionnelle, des frais d'appareillages futurs, de logement adapté et de véhicule adapté.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. M. [F] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation de M. [V], sous la garantie de la société QBE, à lui régler la somme de 8 000 000 francs CFP à titre d'indemnisation de l'incidence professionnelle, alors « que, s'agissant d'une victime tétraplégique ayant perdu toute autonomie dans les gestes de la vie courante, en rejetant la demande d'indemnisation de l'incidence professionnelle au motif inopérant que la victime perçoit une pension d'invalidité de la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT), la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

5. Il résulte de ces deux textes que le juge, après avoir fixé l'étendue du préjudice résultant des atteintes à la personne et évalué celui-ci indépendamment des prestations indemnitaires qui sont versées à la victime, ouvrant droit à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ou son assureur, doit procéder à l'imputation de ces prestations, poste par poste.

6. Pour rejeter la demande d'indemnisation au titre de l'incidence professionnelle, après avoir énoncé qu'il est constant que l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs sur la base d'une rente viagère d'une victime privée de toute activité professionnelle pour l'avenir fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt constate que M. [F] perçoit une pension invalidité de la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) et en déduit qu'aucune somme ne lui est due à ce titre.

7. En statuant ainsi, sans fixer le préjudice indemnisable de M. [F] au titre de l'incidence professionnelle avant d'imputer sur ce poste, s'il y a lieu, le montant de la rente invalidité perçue de la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT), la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

8. M. [F] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de réserve sur les frais de santé futurs, alors « que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; que M. [F] ayant demandé à la cour d'appel de réserver au titre du poste de préjudice « frais de santé futurs », les frais d'appareillages futurs, ainsi que d'aménagement de la voiture et du logement de la victime, en disant que ce poste « n'est pas contesté », la cour d'appel a violé l'interdiction faite au juge de dénaturer les conclusions des parties au regard des articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile :

9. Il résulte de ces textes que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé.

10. Pour confirmer le jugement déféré en ce qu'il avait fixé à 5 365 121 francs CFP les dépenses de santé futures et à zéro l'indemnité complémentaire due à ce titre à M. [F], après avoir, par motifs adoptés, retenu que ce poste est totalement pris en charge par la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) et des dépendances et que, en l'absence de toute évaluation financière produite par M. [F], il ne lui revient aucune indemnité complémentaire, l'arrêt constate que ce poste de préjudice n'est pas contesté.

11. En statuant ainsi, alors que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [F] avait sollicité que soient réservés le poste de préjudice des frais de santé futurs incluant les frais d'appareillage ainsi que les postes d'aménagement du domicile et du véhicule, la cour d'appel, qui a dénaturé les conclusions d'appel, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, d'une part, il déboute M. [F] de sa demande présentée au titre de l'incidence professionnelle, d'autre part, il condamne in solidum M. [V] et la société QBE à payer à M. [F] la somme de 68 787 759 francs CFP en réparation de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, l'arrêt rendu le 23 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 14 octobre 2021, pourvoi n° 19-24.456, Bull. (cassation).

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