Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

SECURITE SOCIALE

2e Civ., 1 décembre 2022, n° 20-22.759, (B), FRH

Cassation partielle

Caisse – URSSAF – Contrôle – Procédure – Lutte contre les fautes, abus et fraudes des professionnels de santé – Mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel – Traitement d'informations définissant le profil ou la personnalité d'une personne (non)

Aux termes de l'article 10, alinéa 1, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, applicable au litige, aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d'une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de sa personnalité.

C'est à bon droit qu'une cour d'appel retient que le traitement automatisé des télétransmissions adressées par le professionnel de santé à la caisse n'étant pas destiné à établir le profil de celui-ci, ni à évaluer certains aspects de sa personnalité, la caisse pouvait produire ces données pour rapporter la preuve du non-respect des règles de tarification et de facturation fixées par l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 octobre 2020), à la suite d'un contrôle de l'application des règles de tarification et de facturation des actes professionnels, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis (la caisse) a notifié, le 19 décembre 2016, à M. [K], médecin généraliste libéral (le professionnel de santé), un indu d'un certain montant relatif à la facturation de majorations de nuit et de majorations pour dimanches et jours fériés, pour la période du 17 février 2013 au 20 septembre 2016.

2. Le professionnel de santé a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le professionnel de santé fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « qu'il résulte de l'article L. 114-10 du code de la sécurité sociale que les agents réalisant les vérifications ou enquêtes administratives des organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale doivent être assermentés et agréés ; qu'en écartant le moyen de nullité tiré de l'absence de serment et d'agrément des agents de la caisse primaire d'assurance maladie pour cela qu'ils n'ont procédé notamment à aucune audition, transport ou constatation matérielle sur place, la cour d'appel, en ajoutant à la loi des conditions dont elle ne dispose pas, a violé les dispositions susvisées. »

Réponse de la Cour

5. Les dispositions de l'article L. 114-10 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015, qui habilitent les directeurs des organismes de sécurité sociale à confier à des agents assermentés et agréés dans les conditions fixées par voie réglementaire, ainsi qu'à des praticiens conseils et auditeurs assermentés et agréés dans les mêmes conditions, le soin de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations, le contrôle du respect des conditions de résidence et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles, ne sont pas applicables aux contrôles de l'observation des règles de tarification et de facturation des actes, prestations, produits, fournitures et frais par les professionnels de santé, les établissements de santé et les prestataires et fournisseurs, qui obéissent exclusivement aux dispositions de l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale et aux dispositions réglementaires prises pour leur application.

6. L'arrêt relève qu'à l'occasion du contrôle administratif de facturation, les agents de la caisse ont procédé uniquement à l'exploitation par analyse et recoupement des documents émanant du professionnel de santé, consistant en ses télétransmissions pour le versement de prestations et en ses tableaux de garde complétés. Il retient que ces agents n'ont donc procédé à aucun acte de vérification ou d'enquête au sens de l'article L. 114-10 du code de la sécurité sociale, notamment aucune audition, transport ou constatation matérielle sur place.

7. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que la procédure en recouvrement de l'indu engagée par la caisse n'était pas entachée d'irrégularité en raison du défaut de justification de l'agrément et de l'assermentation des agents chargés du contrôle.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. Le professionnel de santé fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une décision de justice impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé d'informations donnant une définition du profil ou de la personnalité de l'intéressé ; qu'en validant un redressement exclusivement fondé sur des données statistiques, la cour d'appel a violé l'article 10 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, informatique et libertés, dans sa version applicable au litige, ensemble l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

10. Aux termes de l'article 10, alinéa 1, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, applicable au litige, aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d'une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de sa personnalité.

11. L'arrêt retient qu'il ressort de l'analyse des télétransmissions du professionnel de santé que ce dernier a facturé systématiquement à la caisse des majorations de nuit et des majorations pour dimanches et jours fériés en violation des prescriptions de la Nomenclature générale des actes professionnels, peu important que ces télétransmissions analysées dans le cadre du contrôle puissent s'inscrire dans un traitement informatisé.

12. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que le traitement des données n'étant pas destiné à établir le profil du professionnel de santé destinataire de la décision, ni à évaluer certains aspects de sa personnalité, la caisse pouvait produire ces données pour rapporter la preuve du non-respect des règles de tarification et de facturation fixées par l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale.

13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

14. La caisse fait grief à l'arrêt de condamner le professionnel de santé au paiement d'une certaine somme au titre de l'indu, alors « que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant, pour dire justifiées les majorations pendant les périodes de garde, que les actes facturés et payés à hauteur de 15.395, 60 euros correspondaient à des actes effectivement réalisés en « permanence de soins ambulatoire », après avoir pourtant constaté que pendant les périodes où il était de garde, M. [K] n'avait déclaré à l'ARS réaliser que très peu d'actes dans le cadre de la permanence des soins mais qu'il avait facturé de très nombreuses majorations de nuit et jours fériés, la cour d'appel qui a statué par des motifs contraires a violé l'article 455 code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

15. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.

16. Pour rejeter partiellement la demande de la caisse en remboursement de sommes indûment perçues par le professionnel de santé, l'arrêt retient que ce dernier, pour les périodes où il était de garde, n'a déclaré à l'agence régionale de santé réaliser que très peu d'actes dans le cadre de la permanence des soins, mais qu'il a facturé de très nombreuses majorations de nuit et jours fériés. Il ajoute que, pour ces périodes, les actes ont été effectivement réalisés en permanence de soins ambulatoire, de sorte que le professionnel de santé était fondé à facturer des majorations de nuit et jours fériés.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit bien-fondé l'indu correspondant aux majorations facturées à tort à hauteur de 129 724,26 euros pour la période du 17 février 2013 au 23 septembre 2016, et condamne M. [K] à payer cette somme à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis, au titre de l'indu, l'arrêt rendu le 9 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Labaune - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 10, alinéa 1, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004.

2e Civ., 1 décembre 2022, n° 21-11.997, (B), FRH

Cassation partielle

Cotisations – Recouvrement – Redressement judiciaire – Jugement d'ouverture – Effets – Dettes antérieures – Interdiction de paiement

Il résulte des articles L. 622-7 et L. 631-14 du code de commerce, 131, VII, de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, et 6 du décret n° 2004-581 du 21 juin 2004, dans sa rédaction issue du décret n° 2014-1179 du 13 octobre 2014, que la jeune entreprise innovante, à laquelle il est interdit de payer les cotisations et contributions sociales afférentes à la période antérieure au jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, est, à cette date, réputée, au sens de l'article 131 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 précité, avoir rempli ses obligations de déclaration et de paiement à l'égard de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 15 décembre 2020), l'URSSAF de Rhône-Alpes (l'URSSAF) a décerné une contrainte le 21 avril 2017 à la société [3] (la société), pour le recouvrement des cotisations et majorations de retard afférentes à l'année 2015 et aux 2e, 3e et 4e trimestres 2016.

2. La société a formé opposition devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 622-7 et L. 631-14 du code de commerce, 131, VII, de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, et 6 du décret n° 2004-581 du 21 juin 2004, dans sa rédaction issue du décret n° 2014-1179 du 13 octobre 2014, applicable au litige :

4. Selon les deux premiers de ces textes, le jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.

5. Selon le troisième, le droit à l'exonération des cotisations sociales prévue par le I du même texte pour les jeunes entreprises innovantes est subordonné à la condition que l'entreprise ait rempli ses obligations de déclaration et de paiement à l'égard de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales.

6. Selon le dernier, lorsque l'entreprise est à nouveau à jour du paiement de ses cotisations et contributions sociales, l'exonération peut être appliquée aux gains et rémunérations versés à compter du premier jour du mois suivant.

7. Il résulte de ces textes que la jeune entreprise innovante, à laquelle il est interdit de payer les cotisations et contributions sociales afférentes à la période antérieure au jugement d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, est, à cette date, réputée, au sens de l'article 131 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 susvisé, avoir rempli ses obligations de déclaration et de paiement à l'égard de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales.

8. Pour rejeter le recours formé par la société cotisante, l'arrêt relève qu'elle a continué à appliquer l'exonération liée au statut de jeune entreprise innovante pendant la période d'observation consécutive à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire le 14 décembre 2014. Il retient qu'elle ne pourra être considérée comme étant à jour de ses cotisations sociales que sous réserve d'avoir respecté, jusqu'à son terme fixé en 2026, le plan d'apurement qui a été validé par jugement du tribunal de commerce le 14 juin 2016.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'opposition formée par la société [3] à l'encontre de la contrainte délivrée par l'URSSAF de Rhône-Alpes le 21 avril 2017, l'arrêt rendu le 15 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties, sauf sur ce point, dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Labaune - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 622-7 et L. 631-14 du code de commerce ; Article 131 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 ; Article 6 du décret n° 2004-581 du 21 juin 2004 dans sa rédaction issue du décret n° 2014-1179 du 13 octobre 2014.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 16 juin 2016, pourvoi n° 15-20.231, Bull. 2016, II, n° 154 (rejet) ; Com., 5 avril 2016, pourvoi n° 14-21.277, Bull. 2016, IV, n° 60 (cassation).

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