Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

PRUD'HOMMES

Soc., 14 décembre 2022, n° 20-22.425, (B), FS

Rejet

Appel – Décisions susceptibles – Décision du bureau de conciliation – Conditions – Excès de pouvoir – Applications diverses – Irrecevabilité – Cas – Décision ordonnant la communication de documents utiles et en rapport à la solution du litige – Portée

Il résulte de l'article R. 1454-16, alinéa 2, du code du travail que l'appel immédiat à l'encontre des décisions du bureau de conciliation et d'orientation prises en application des articles R. 1454-14 et R. 1454-15 du code du travail n'est ouvert qu'en cas d'excès de pouvoir.

Est en conséquence approuvé l'arrêt qui déclare irrecevable l'appel immédiat formé contre la décision du bureau de conciliation et d'orientation, après avoir relevé que cette formation, saisie d'un litige relatif à la détermination de la rémunération variable d'une salariée, avait apprécié en fonction des éléments qui lui étaient soumis et des intérêts en présence, la nécessité d'ordonner à l'employeur la communication de documents utiles à la solution du litige et en rapport avec lui.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 13 novembre 2020), Mme [V], engagée courant 2014 par la société Praeconis et exerçant en dernier lieu la fonction d'animateur du réseau mandataire, a démissionné le 10 janvier 2018.

2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale qui, par une ordonnance du 21 juin 2018, rendue en référé, a ordonné à l'employeur de délivrer sous astreinte à la salariée les documents comportant les chiffres d'affaires réalisés par tous les mandataires sous son autorité et son chiffre d'affaires détaillé par affaire nouvelle pour le calcul de sa rémunération variable et ce, durant les trois dernières années.

3. La salariée a saisi à nouveau la juridiction prud'homale, aux fins d'obtenir du bureau de conciliation et d'orientation, par provision, qu'il ordonne à l'employeur de lui remettre sous astreinte un décompte des chiffres d'affaires réalisés par M. [C] sur la période s'étendant de février 2017 à avril 2018 et, au fond, un rappel de salaire outre les congés payés afférents.

L'employeur a formé un appel-nullité contre l'ordonnance du 25 novembre 2019 ayant accueilli la demande par provision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'appel-nullité qu'il a formé à l'encontre de la décision du bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes de Nevers du 25 novembre 2019, alors :

« 1°/ qu'est ouvert, l'appel immédiat formé contre une ordonnance du bureau de conciliation et d'orientation entachée d'un excès de pouvoir ; qu'excède ses pouvoirs le bureau qui ordonne à l'employeur (la société Praeconis) la remise à la salariée du décompte chiffré des chiffres d'affaires d'un tiers (M. [C]) avec lequel il n'entretient aucune relation contractuelle ou extracontractuelle ; qu'en déclarant irrecevable l'appel-nullité formé par la société Praeconis motif pris de ce que la solution du litige dépend en partie de ces éléments, lesquels méritent d'être débattus au fond, précisément à la lumière des pièces querellées, pour être au coeur du litige, que leur source émane d'un tiers à la relation des parties ou non étant indifférent, sauf à ajouter un critère aux dispositions de l'article R. 1454-14, plus précisément le 3°, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir et a violé l'article R. 1454-14 du code du travail, ensemble les articles 11, alinéa 2, 133 et 134 du code de procédure civile ;

2°/ qu'est ouvert, l'appel immédiat formé contre une ordonnance du bureau de conciliation et d'orientation entachée d'un excès de pouvoir ; qu'excède ses pouvoirs le bureau qui ordonne à une partie la production de pièces détenues par un tiers au procès ; que dans ses conclusions, la société Praeconis avait soutenu d'une part, qu'elle n'était pas liée à M. [C] par un mandat ou un contrat de travail pendant la période d'exécution du contrat de travail de la salariée ou après la démission de celle-ci et que la société Praeconis ne disposait juridiquement d'aucun motif légal pour exiger la communication par sa société mère, la Mutuelle Médico-Chirurgicale, du contrat de mandat la liant à M. [C] ou le décompte des chiffres d'affaires réalisés par celui-ci ; qu'en déclarant néanmoins irrecevable l'appel-nullité formé par la société Praeconis motif pris de ce que la solution du litige dépend en partie de ces éléments, lesquels méritent d'être débattus au fond, précisément à la lumière des pièces querellées, pour être au coeur du litige, que leur source émane d'un tiers à la relation des parties ou non étant indifférent, sauf à ajouter un critère aux dispositions de l'article R. 1454-14, plus précisément le 3°, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir et a violé l'article R. 1454-14 du code du travail, ensemble les articles 11, alinéa 2 et 138 et 139 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article R. 1454-16, alinéa 2, du code du travail que l'appel immédiat à l'encontre des décisions du bureau de conciliation et d'orientation prises en application des articles R. 1454-14 et R. 1454-15 du code du travail n'est ouvert qu'en cas d'excès de pouvoir.

7. Après avoir retenu à bon droit que le bureau de conciliation et d'orientation disposait, en application des paragraphes 3 et 4 de l'article R. 1454-14 du code du travail, du pouvoir d'ordonner toutes mesures d'instruction et toutes mesures nécessaires à la conservation des preuves, la cour d'appel a relevé que cette formation, saisie d'un litige relatif à la détermination de la rémunération variable de la salariée, avait apprécié, en fonction des éléments qui lui étaient soumis et des intérêts en présence, la nécessité d'ordonner à l'employeur la communication de documents utiles à la solution du litige et en rapport avec lui.

8. Elle en a exactement déduit que le bureau de conciliation et d'orientation n'avait pas commis d'excès de pouvoir.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : M. Gambert - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles R. 1454-14, R. 1454-15 et R.1454-16, alinéa 2, du code du travail.

2e Civ., 8 décembre 2022, n° 21-16.186, (B) (R), FS

Rejet

Procédure – Représentation des parties – Personnes habilitées – Mandataire – Défenseur syndical – Effets – Appel – Accomplissement des actes de la procédure d'appel

Le défenseur syndical, que choisit l'appelant pour le représenter, bénéficie d'un statut résultant de dispositions légales et réglementaires qui sont destinées à offrir au justiciable représenté par celui-ci des garanties équivalentes à celles du justiciable représenté par un avocat quant au respect des droits de la défense et de l'équilibre des droits des parties.

Il en résulte que, s'il n'est pas un professionnel du droit, il n'en est pas moins à même d'accomplir les formalités requises par la procédure d'appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif, de nature à porter atteinte au droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 février 2021), Mme [C], représentée par un défenseur syndical, a relevé appel, le 5 avril 2019, d'un jugement d'un conseil de prud'hommes la déboutant de ses demandes dans un litige l'opposant à l'association Centre dentaire Nord [Localité 3] aux droits de laquelle se trouve l'association Coordination des oeuvres sociales et médicales (l'association).

2. L'association intimée a soulevé l'absence d'effet dévolutif de l'acte d'appel qui ne mentionnait pas les chefs critiqués du jugement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme [C] fait grief à l'arrêt de constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel interjeté le 5 avril 2019 et l'absence de saisine de la cour, alors « que les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'en l'espèce, pour considérer qu'elle n'était saisie d'aucune demande en l'absence d'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel a retenu que la déclaration d'appel effectuée par le représentant syndical de Mme [C] ne mentionnait pas les chefs de jugement critiqués et que dès lors, elle ne permettait pas à l'effet dévolutif de jouer, en l'absence de régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d'appel dans la mesure où elle ne pouvait être regardée comme emportant la critique de l'intégralité des chefs du jugement ni être régularisée par des conclusions au fond prises dans le délai requis énonçant les chefs critiqués du jugement ; qu'elle a ensuite écarté le caractère indivisible de l'objet du litige ainsi que l'existence d'une demande d'annulation du jugement ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, si, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'application des règles de l'effet dévolutif de l'appel ne portait pas atteinte à la substance du droit d'accès au juge au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle constatait que l'appelante n'était pas représentée par un professionnel du droit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901 et 562 du code de procédure civile ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. L'association soulève l'irrecevabilité du moyen, le défenseur syndical ne s'étant pas prévalu de ce que, faute de représentation de l'appelant par un professionnel du droit, il y aurait atteinte à son droit d'accès au juge à priver la déclaration d'appel, méconnaissant l'article 901, alinéa 1, 4°, du code de procédure civile, d'effet dévolutif.

5. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.

Bien-fondé du moyen

6. Il résulte des articles R. 1461-2 et R. 1461-1, alinéas 2 et 3, du code du travail, dans leur version issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 applicable aux instances d'appel introduites depuis le 1er août 2016, que dans la procédure d'appel du jugement des conseils de prud'hommes, soumise aux règles de la représentation obligatoire, les parties peuvent être représentées par un avocat ou par un défenseur syndical.

7. Selon l'article L. 1453-4, alinéa 2, du code du travail, le défenseur syndical est inscrit sur une liste arrêtée par l'autorité administrative sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés.

Selon l'article D. 1453-2-1 du même code, il est sélectionné en fonction de son expérience des relations professionnelles et de ses connaissances du droit social.

8. Il résulte de l'article L. 1453-7 de ce code que le défenseur syndical reçoit une formation obligatoire qui donne lieu à autorisation d'absence pour l'exercice de son mandat.

En application de l'article D. 1453-2-5, alinéa 3, du même code, sauf à justifier d'un motif légitime, le défenseur syndical, qui n'exerce pas sa mission pendant un an, est retiré d'office de la liste des défenseurs syndicaux.

9. Selon l'article L. 1453-8 de ce code, le défenseur syndical est tenu à une obligation de discrétion à l'égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d'une négociation.

La méconnaissance de cette obligation peut entraîner la radiation de la liste.

10. Selon l'article L. 1453-9 du même code, lorsqu'il est salarié, le défenseur syndical bénéficie du statut de salarié protégé.

11. Ces dispositions qui concernent le défenseur syndical sont destinées à offrir au justiciable représenté par celui-ci des garanties équivalentes à celles du justiciable représenté par un avocat quant au respect des droits de la défense et de l'équilibre des droits des parties.

12. Sous réserve des dispositions des articles 930-2 et 930-3 du code de procédure civile, il résulte de l'article R. 1461-2, alinéa 3, du code du travail que le défenseur syndical accomplit valablement les actes mis à la charge de l'avocat, de même que ceux destinés à l'avocat sont valablement accomplis auprès du défenseur syndical.

13. Il s'ensuit que le défenseur syndical, que choisit l'appelant pour le représenter, s'il n'est pas un professionnel du droit, n'en est pas moins à même d'accomplir les formalités requises par la procédure d'appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

15. Mme [C] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la régularisation de la déclaration d'appel ne peut pas intervenir après l'expiration du délai imparti à l'appelant pour conclure conformément aux articles 910-4, alinéa 1, et 954, alinéa 1, du code de procédure civile ; que l'exposante faisait valoir dans sa note en délibéré du 19 novembre 2020 que le Centre dentaire [Localité 3] n'avait invoqué l'absence d'effet dévolutif de l'appel que très tardivement, ses premières conclusions du 12 septembre 2019 ne mentionnant pas cette irrecevabilité ; qu'en se bornant à relever l'absence de régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d'appel sans rechercher, ainsi qu'il y était invitée, si l'absence d'effet dévolutif de l'appel avait été opposée à l'appelante à une date où une régularisation par le dépôt d'une nouvelle déclaration d'appel était devenue impossible et partant, s'il était porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901, 562 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

16. L'association soulève l'irrecevabilité du moyen, le défenseur syndical ne s'étant pas prévalu de ce qu'il y aurait atteinte au droit d'accès au juge de l'appelant à soulever l'absence d'effet dévolutif lorsque la régularisation de la déclaration d'appel n'est plus possible.

17. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.

Bien-fondé du moyen

18. Il ne résulte d'aucun texte que l'absence d'effet dévolutif consécutif à l'inobservation des dispositions de l'article 901, alinéa 1, 4°, du code de procédure civile doive être soulevée par la partie intimée avant l'expiration du délai imparti à l'appelant pour conclure, durant lequel la possibilité lui est ouverte de régulariser la déclaration d'appel.

19. Cette règle ne prive pas l'appelant du droit d'accès au juge dès lors il a été mis en mesure d'effectuer cette régularisation indépendamment de tout incident soulevé par l'intimé.

20. Il s'ensuit qu'il ne saurait être reproché à la cour d'appel de s'être abstenue d'effectuer une recherche inopérante.

21. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 901, alinéa 1, 4°, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Soc., 2 février 2022, pourvoi n° 19-21.810, Bull., (rejet).

2e Civ., 8 décembre 2022, n° 21-16.487, (B), FS

Rejet

Procédure – Représentation des parties – Personnes habilitées – Mandataire – Défenseur syndical – Effets – Appel – Accomplissement des actes de la procédure d'appel – Remise au greffe

L'obligation impartie aux défenseurs syndicaux, en matière prud'homale, de remettre au greffe les actes de procédure, notamment les premières conclusions d'appelant, ou de les lui adresser par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ne crée pas de rupture dans l'égalité des armes, dès lors qu'il n'en ressort aucun net désavantage au détriment des défenseurs syndicaux auxquels sont offerts, afin de pallier l'impossibilité de leur permettre de communiquer les actes de procédure par voie électronique dans des conditions conformes aux exigences posées par le code de procédure civile, des moyens adaptés de remise de ces actes dans les délais requis.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 16 mars 2021), M. [H], représenté par un défenseur syndical, a interjeté appel, le 1er juillet 2020, d'une ordonnance de référé rendue par le président d'un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à la société EDF.

2. M. [H] a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du président de la chambre saisie ayant prononcé la caducité de la déclaration d'appel sur le fondement de l'article 905-2 du code de procédure civile.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [H] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance ayant prononcé la caducité de la déclaration d'appel et de le débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que le principe de l'égalité des armes, tel qu'il résulte du droit à un procès équitable, interdit qu'une partie au procès soit placée dans une situation plus avantageuse que la situation occupée par son adversaire ; qu'en retenant que, « par sa simplicité et son caractère peu onéreux », la remise par les défenseurs syndicaux de leurs actes de procédure au moyen d'un dépôt au greffe ou d'une lettre recommandée ne les place pas « dans une situation de net désavantage par rapport aux avocats », lesquels peuvent adresser leurs actes par voie électronique, quand le désavantage réside, non pas dans la complexité ou le coût du procédé, mais dans la rapidité de transmission qui bénéficie aux avocats, la cour d'appel, qui n'a pas pris en considération ce désavantage, a violé le principe d'égalité des armes entre les défenseurs syndicaux et les avocats, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 24 avril 2003, Yvon c. France, n° 44962/98, § 31), le principe de l'égalité des armes est l'un des éléments de la notion plus large de procès équitable, au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il exige un juste équilibre entre les parties, chacune d'elles devant se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires.

6. L'obligation impartie aux défenseurs syndicaux, en matière prud'homale, de remettre au greffe les actes de procédure, notamment les premières conclusions d'appelant, ou de les lui adresser par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ne crée pas de rupture dans l'égalité des armes, dès lors qu'il n'en ressort aucun net désavantage au détriment des défenseurs syndicaux auxquels sont offerts, afin de pallier l'impossibilité de leur permettre de communiquer les actes de procédure par voie électronique dans des conditions conformes aux exigences posées par le code de procédure civile, des moyens adaptés de remise de ces actes dans les délais requis.

7. La cour d'appel, qui a exactement retenu que l'obligation pour les défenseurs syndicaux de remettre au greffe leurs actes de procédure ou de les lui adresser par lettre recommandée avec accusé de réception, excluant ainsi leur envoi par télécopie ou courriel, ne faisait que tirer les conséquences de l'impossibilité pour eux d'accéder au réseau privé virtuel des avocats (RPVA), en a à juste titre déduit que ces modalités de remise des actes de procédure, par leur simplicité et leur caractère peu onéreux, ne plaçait pas les défenseurs syndicaux dans une situation de net désavantage par rapport aux avocats.

8. Ayant constaté que M. [H] avait reçu l'avis de fixation de l'affaire à bref délai le 22 août 2020 et que, dans le délai prévu par l'article 905-2 du code de procédure civile expirant le 22 septembre 2020, il n'avait remis aucune conclusion au greffe et qu'il ne rapportait pas la preuve d'un envoi postal ou d'un cas de force majeure de nature à l'exonérer de son obligation, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : Me Bertrand ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 930-1 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Soc., 2 février 2022, pourvoi n° 19-21.810, Bull., (rejet).

Soc., 14 décembre 2022, n° 21-10.263, (B), FS

Rejet

Référé – Mesures conservatoires ou de remise en état – Trouble manifestement illicite – Applications diverses – Travailleur handicapé – Contrat de soutien et d'aide par le travail – Rupture par l'établissement et service d'aide par le travail (ESAT) – Décision

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 2 novembre 2020), statuant en matière de référé, M. [C], travailleur handicapé, a été admis le 2 septembre 2014 à l'établissement et service d'aide par le travail [3] (l'ESAT) à la suite d'une décision d'orientation de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de l'Ardèche (CDAPH) constituée au sein de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Un contrat de soutien et d'aide par le travail a été signé le 22 septembre 2014 avec l'association hospitalière [4] (l'association), par l'intermédiaire de son établissement secondaire l'ESAT [3].

2. Le 9 avril 2018, le médecin du travail a déclaré M. [C] inapte à son poste, avec dispense d'obligation de recherche de reclassement.

3. Le 17 avril 2018, l'ESAT a sollicité de la MDPH la sortie de M. [C] des effectifs de l'ESAT.

4. Le 14 juin 2018, la CDAPH a décidé la sortie de M. [C] des effectifs de l'ESAT.

5. Sur recours gracieux de M. [C], la CDAPH l'a orienté au sein de l'ESAT [3].

6. Le 12 octobre 2018, l'ESAT a informé M. [C] de son refus de le réintégrer.

7. Le 7 mars 2019, la CDAPH a renouvelé l'orientation de M. [C], avec un « accord en ESAT [3] ou au sein de tout autre établissement de même agrément » pour la période du 1er avril 2019 au 31 mars 2024.

8. Par lettre du 21 mars 2019, l'ESAT [3] a informé M. [C] qu'elle refusait son admission au sein de son établissement.

9. M. [C] a fait assigner l'association devant le président du tribunal de grande instance, statuant en référé, aux fins de solliciter la condamnation de celle-ci à le réintégrer dans ses effectifs de manière rétroactive et à lui verser sa rémunération depuis le 15 juin 2018.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

10. L'association fait grief à l'arrêt d'ordonner la réintégration de M. [C] dans ses effectifs et au sein de l'ESAT [3] à compter du 15 juin 2018 et la poursuite des relations contractuelles selon les termes du contrat initial et de la condamner à régler à celui-ci les arriérés de rémunération garantie depuis le 15 juin 2018, alors :

« 1°/ que l'avis du médecin du travail déclarant inapte avec dispense d'obligation de reclassement un travailleur handicapé accueilli dans un établissement ou service d'aide par le travail (ESAT) en vertu d'un contrat de soutien et d'aide par le travail s'impose à l'ESAT ; qu'en conséquence, la décision de cet établissement de sortir des effectifs le travailleur handicapé ne constitue pas un trouble manifestement illicite nonobstant l'absence de décision préalable de la CDAPH ou la remise en cause rétroactive de cette décision sur recours gracieux du travailleur ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et l'article 835 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de ce décret, l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles dans ses rédactions issues des lois n° 2005-102 du 11 février 2005, n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, n° 2016-41 du 26 janvier 2016 et n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, ensemble l'article R. 344-6 du code de l'action sociale et des familles, les articles L. 241-2 et suivants anciens du code du travail, et en particulier l'ancien article L. 241-10-1 devenu l'article L. 4624-1 puis L. 4624-6 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

2°/ que le juge des référés ne peut ordonner la réintégration d'un travailleur handicapé accueilli dans un ESAT en vertu d'un contrat de soutien et d'aide par le travail lorsqu'il a été déclaré inapte par le médecin du travail avec dispense d'obligation de reclassement, un tel avis s'imposant tant au juge qu'à l'établissement qui ne peut donc confier aucune tâche à cette personne ; qu'en l'espèce, par avis du 9 avril 2018 devenu définitif, le médecin du travail a déclaré M. [C] inapte à son poste en mentionnant que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable » et en conséquence avec « dispense de reclassement » ; qu'en affirmant que l'ESAT [3] ne pouvait refuser de fournir du travail à M. [C] et en ordonnant sa réintégration au sein de l'ESAT, assortie d'une condamnation à payer les arriérés de rémunération, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et l'article 835 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de ce décret, l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles dans ses rédactions issues des lois n° 2005-102 du 11 février 2005, n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, n° 2016-41 du 26 janvier 2016 et n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, ensemble l'article R. 344-6 du code de l'action sociale et des familles, les articles L. 241-2 et suivants anciens du code du travail, et en particulier l'ancien article L. 241-10-1 devenu l'article L. 4624-1 puis L. 4624-6 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

3°/ que l'ESAT n'est pas tenu de verser de rémunération au travailleur handicapé déclaré inapte par le médecin du travail avec dispense d'obligation de reclassement ; qu'en l'espèce, par avis du 9 avril 2018 devenu définitif, le médecin du travail a déclaré M. [C] inapte à son poste en mentionnant que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable » et en conséquence avec « dispense de reclassement » ; qu'en condamnant l'ESAT [3] à régler à M. [C] les arriérés de rémunération garantie depuis le 15 juin 2018, la cour d'appel a violé les articles R. 344-6, R. 243-7, R. 243-4, R. 243-11, R. 243-12 et R. 243-13 du code de l'action sociale et des familles, ensemble l'article 809 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et l'article 835 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de ce décret ;

4°/ qu'en présence d'une décision de la CDAPH orientant une personne handicapée au sein d'un ESAT, un ESAT n'a compétence liée pour l'accueil de cette personne que lorsqu'il est le seul établissement désigné par la décision ; qu'en l'espèce, la décision de la CDAPH du 7 mars 2019 a décidé l'orientation de M. [C] « à l'ESAT [3] ou tout autre établissement de même agrément » ; qu'en énonçant que seul l'adulte handicapé bénéficiaire de l'orientation pouvait faire le choix d'un autre établissement que celui noté dans la décision et que la décision du 7 mars 2019 offrait un choix à M. [C] mais s'imposait à l'ESAT [3], la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et l'article 835 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de ce décret, ensemble l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 ;

5°/ qu'en présence d'une décision de CDAPH orientant une personne handicapée au sein d'un ESAT, la question de savoir si un ESAT a ou non compétence liée pour l'accueil de cette personne lorsqu'il n'est pas le seul établissement désigné par la décision ne relève pas du pouvoir du juges des référés ; qu'en l'espèce, la décision de la CDAPH du 7 mars 2019 a décidé l'orientation de M. [C] « à l'ESAT [3] ou tout autre établissement de même agrément » ; qu'en énonçant que seul l'adulte handicapé bénéficiaire de l'orientation pouvait faire le choix d'un autre établissement que celui noté dans la décision et que la décision du 7 mars 2019 offrait un choix à M. [C] mais s'imposait à l'ESAT [3], la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et l'article 835 du code de procédure civile dans sa rédaction issue de ce décret, ensemble l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016. »

Réponse de la Cour

11. Il résulte de l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) est compétente pour désigner les établissements et services mentionnés à l'article L. 312-1 concourant à l'accueil de l'adulte handicapé, que cette désignation s'impose à tout établissement ou service dans la limite de sa spécialité au titre de laquelle il a été autorisé, que lorsque l'évolution de son état ou de sa situation le justifie, l'adulte handicapé ou l'établissement ou le service peuvent demander la révision de la décision d'orientation prise par la commission et que l'établissement ou le service ne peut mettre fin, de sa propre initiative, à l'accompagnement sans décision préalable de la commission.

12. Selon l'article R. 344-8 du code de l'action sociale et des familles, les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) sont soumis aux règles de la médecine du travail telles que prévues aux articles L. 241-2 et suivants du code du travail, devenus L. 4622-2, L. 4622-3 et L. 4622-4, relatifs aux missions et organisations de la médecine du travail et insérés dans le livre sixième de la quatrième partie du code du travail, intitulé « institutions et organismes de prévention ».

13. Aux termes de l'article L. 311-4 du code de l'action sociale et des familles, les personnes reconnues travailleurs handicapés et orientées par la CDAPH vers un établissement ou service d'aide par le travail sont usagers de ces établissements et ne sont pas liés à ceux-ci par un contrat de travail.

14. Il en résulte que ces établissements ne peuvent rompre le contrat en application des articles L. 1226-2 et suivants du code du travail.

15. D'abord, la cour d'appel, qui a relevé, par motifs propres et adoptés, que l'ESAT [3] n'avait pas le pouvoir de rompre le contrat de M. [C], une telle décision appartenant exclusivement à la CDAPH et que l'article R. 344-8 du code du travail ne renvoie ni aux dispositions du titre III du livre II de la première partie du code du travail, qui fixent les règles relatives à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, ni à celles du chapitre III du titre IV du même code, qui concernent la rupture anticipée du contrat à durée déterminée, en a exactement déduit que le comportement de l'ESAT [3], en ce qu'il constitue une violation des règles contractuelles liant les parties et des dispositions du code de l'action sociale et des familles, constituaient un trouble manifestement illicite impliquant la réintégration de l'intéressé dans les effectifs de l'ESAT et que l'obligation de l'association de verser les arriérés de rémunération due depuis le 15 juin 2018 n'était pas sérieusement contestable.

16. Ensuite, la cour d'appel, qui a constaté, par motifs propres et adoptés, que la décision du 7 mars 2019 ne constituait pas une nouvelle orientation mais l'un des renouvellements périodiques de la décision d'orientation initiale conformément au II de l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles et qu'en raison de cette décision, l'orientation et le contrat de soutien et d'aide par le travail étaient réputés n'avoir jamais fait l'objet d'interruption ou de suspension depuis le 2 septembre 2014, en a exactement déduit que cette décision s'imposait à l'ESAT [3].

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Pecqueur - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) et M. Juan - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Articles L. 241-6, L. 311-4 et L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ; articles L.1226-2 et suivants du code du travail.

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