Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

PRET

2e Civ., 15 décembre 2022, n° 19-25.339, (B), FS

Cassation partielle

Prêt d'argent – Prêt assorti d'un contrat d'assurance de groupe – Clauses claires et dénuées d'ambiguïté – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 16 octobre 2019) et les productions, Mme [F], épouse [M], agent titulaire de la fonction publique territoriale, a adhéré à deux contrats d'assurance de groupe auprès de la société AXA France vie (l'assureur), afin de garantir les prêts consentis par la société Banque populaire du Sud (la banque) à elle-même et à son mari, ainsi qu'à la société Flaman.

2. Mme [F] a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie à compter du 1er mars 2004, avant d'être reconnue définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions, par arrêté du 30 avril 2009, et mise, de ce fait, à la retraite pour invalidité à compter du 1er mars 2009, alors qu'elle était âgée de 50 ans.

Les mensualités des deux prêts ont été prises en charge par l'assureur au titre de la garantie « incapacité de travail ».

3. L'assureur lui a notifié le 26 mars 2013 la cessation de l'indemnisation à compter du 1er mars 2009, date de sa mise en retraite pour inaptitude.

4. Mme [F] a assigné l'assureur et la banque devant un tribunal de grande instance aux fins d'obtenir, à titre principal, le maintien de sa garantie et la prise en charge des échéances des prêts à compter du 1er mars 2009.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme [F] la somme de 181 942,50 euros au titre de la prise en charge des échéances des prêts consentis les 27 juin 2003 et 23 juillet 2002 par la banque à M. et Mme [M] et à la société Flaman alors « que la cour d'appel a constaté que la notice d'information relative au contrat souscrit par la banque auprès de l'assureur, auquel Mme [F] avait adhéré, stipulait que la mobilisation de la garantie « incapacité de travail » était subordonnée à la fourniture, « si vous êtes salarié, fonctionnaire ou assimilé, [de] la notification de votre pension ou rente d'invalidité par la sécurité sociale ou tout organisme assimilé » et que cette garantie prendrait fin « à la date de la préretraite ou de la retraite de l'assuré, quelle qu'en soit la cause, y compris pour inaptitude au travail » ; qu'il résulte de la combinaison de ces clauses, sans aucune contradiction, que l'adhérent est couvert lorsqu'il est en situation d'invalidité, mais que cette garantie cesse lorsque, sur décision de son employeur, il est mis à la retraite, à l'âge normal ou de façon anticipée, y compris lorsque cette mise à la retraite est la conséquence de son invalidité ; qu'en affirmant, pour juger que nonobstant l'admission anticipée de Mme [F] à la retraite, l'assureur devait prendre en charge les prêts souscrits par cette dernière jusqu'à son âge normal de départ à la retraite, que les clauses précitées étaient contradictoires dans la mesure où la situation d'incapacité serait à la fois la cause de la garantie et la cause de la cessation de la garantie, de sorte que l'incapacité demeurerait couverte en dépit de l'admission de l'adhérent à la retraite lorsque cette admission résulte de l'invalidité de l'adhérent, quand il ne résultait d'aucune mention de la notice que l'assureur garantissait le risque invalidité jusqu'à l'âge normal de départ à la retraite de l'adhérent quand bien même celui-ci aurait été admis par anticipation à faire valoir ses droits à la retraite, fût-ce à raison de son invalidité, la cour d'appel a dénaturé la notice précitée en violation du principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les éléments qui lui sont soumis. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

6. Pour dire que la garantie « incapacité de travail » était acquise définitivement jusqu'à la date des 60 ans de Mme [F] et condamner, en conséquence, l'assureur à lui payer les sommes correspondant aux échéances des prêts consentis, l'arrêt retient que si la clause de cessation de cette garantie prévoit qu'elle intervient à « la date de votre préretraite ou de votre retraite quelle qu'en soit la cause y compris pour inaptitude au travail », la clause relative aux modalités de mise en oeuvre de cette garantie, en ce qu'elle prévoit qu'il convient de fournir « si vous êtes salarié, fonctionnaire ou assimilé... la notification de votre pension ou rente d'invalidité par la sécurité sociale ou tout organisme assimilé », établit que l'assureur garantit le risque d'invalidité au titre de l'incapacité de travail, y compris pour les fonctionnaires.

7. La décision énonce encore qu'en l'espèce, la reconnaissance d'invalidité par l'administration à compter du 1er mars 2009 est, à raison du statut de Mme [F], la cause de sa mise à la retraite anticipée, qu'en présence d'une telle contradiction entre elles, les deux clauses, prises ensemble, doivent être interprétées dans le sens le plus favorable à l'assurée et en déduit que, dès lors que l'invalidité est couverte, la clause dont se prévaut l'assureur ne peut être regardée comme exclusive de la garantie de ce risque lorsque c'est la survenance de celui-ci qui est la cause de la décision de placer l'assurée en retraite anticipée.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé les clauses litigieuses qui, prises ensemble comme séparément, sont claires et dénuées d'ambiguïté en ce qu'elles prévoient que la garantie « incapacité de travail » est acquise lorsque l'adhérent est en situation d'invalidité, mais que cette garantie cesse à la date de sa retraite, y compris lorsque cette mise à la retraite est la conséquence statutaire de son invalidité, et a violé le principe susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. L'assureur fait le même grief à l'arrêt alors « qu'en affirmant que la garantie de la société AXA était définitivement acquise à Mme [F] jusqu'à l'âge normal de son départ à la retraite dès lors que l'assureur avait continué à prendre en charge les échéances postérieurement à la consolidation de l'adhérent et en connaissance de l'état de santé de celui-ci, quand il ne résultait d'aucune stipulation du contrat que la prise en charge des échéances postérieurement à la consolidation de l'adhérent et en connaissance du taux d'incapacité de celui-ci emportait obligation pour l'assureur de poursuivre le paiement des échéances jusqu'à l'âge normal de départ à la retraite de l'adhérent, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause (nouvel article 1103 du même code) ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige :

10. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

11. Pour dire que la garantie « incapacité de travail » était acquise définitivement jusqu'à la date des 60 ans de Mme [F] et condamner, en conséquence, l'assureur à lui payer les sommes correspondant aux échéances des prêts consentis, l'arrêt retient encore que ce dernier a versé des indemnités pendant cinq ans à compter du premier arrêt de travail initial du 1er mars 2004, jusqu'à la mise à la retraite de l'assurée pour invalidité à compter du 1er mars 2009, alors que le contrat prévoit qu'à la date de consolidation et au plus tard trois ans après l'arrêt de travail, le médecin-conseil de l'assureur fixe le taux contractuel d'incapacité, de sorte que l'assureur a versé les indemnités à l'assurée encore pendant deux ans après la date limite contractuelle pour fixer le taux contractuel d'incapacité.

12. L'arrêt en déduit qu'à compter du 1er mars 2007, l'assureur a versé les indemnités en toute connaissance de cause de l'état de l'assurée et qu'il ne peut donc prétendre cesser sa garantie qui, passé ce délai de trois ans, était définitivement acquise à l'assurée jusqu'à l'âge théorique de sa retraite.

13. En statuant ainsi, alors qu'il ne résultait d'aucune stipulation du contrat que la prise en charge des échéances postérieurement à la consolidation de l'adhérent et en connaissance du taux d'incapacité de celui-ci emportait obligation pour l'assureur de poursuivre le paiement des échéances jusqu'à l'âge normal de départ à la retraite de l'adhérent, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

14. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la banque, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi, le pourvoi n'étant accueilli qu'en ce que l'arrêt condamne la société AXA à payer à Mme [F] la somme de 181 942,50 euros, au titre de la prise en charge des échéances de 849,34 euros et de 666,85 euros des prêts consentis les 27 juin 2003 et 23 juillet 2002 par la banque à M. et Mme [M] et à la société Flaman.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société AXA France vie à payer à Mme [F] la somme de 181 942,50 euros au titre de la prise en charge des échéances de 849,34 euros et de 666,85 euros des prêts consentis les 27 juin 2003 et 23 juillet 2002 par la société Banque populaire du Sud à M. et Mme [M] et à la société Flaman, l'arrêt rendu le 16 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Met hors de cause la société Banque populaire du Sud ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Isola - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SAS Buk Lament-Robillot ; Me Haas -

Textes visés :

Article L. 133-2 du code de la consommation.

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