Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

2e Civ., 8 décembre 2022, n° 21-16.186, (B) (R), FS

Rejet

Article 6, § 1 – Droit d'accès au juge – Compatibilité – Appel civil – Procédure prud'homale – Mandataire – Désignation d'un défenseur syndical – Effets – Obligations

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 février 2021), Mme [C], représentée par un défenseur syndical, a relevé appel, le 5 avril 2019, d'un jugement d'un conseil de prud'hommes la déboutant de ses demandes dans un litige l'opposant à l'association Centre dentaire Nord [Localité 3] aux droits de laquelle se trouve l'association Coordination des oeuvres sociales et médicales (l'association).

2. L'association intimée a soulevé l'absence d'effet dévolutif de l'acte d'appel qui ne mentionnait pas les chefs critiqués du jugement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme [C] fait grief à l'arrêt de constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel interjeté le 5 avril 2019 et l'absence de saisine de la cour, alors « que les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'en l'espèce, pour considérer qu'elle n'était saisie d'aucune demande en l'absence d'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel a retenu que la déclaration d'appel effectuée par le représentant syndical de Mme [C] ne mentionnait pas les chefs de jugement critiqués et que dès lors, elle ne permettait pas à l'effet dévolutif de jouer, en l'absence de régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d'appel dans la mesure où elle ne pouvait être regardée comme emportant la critique de l'intégralité des chefs du jugement ni être régularisée par des conclusions au fond prises dans le délai requis énonçant les chefs critiqués du jugement ; qu'elle a ensuite écarté le caractère indivisible de l'objet du litige ainsi que l'existence d'une demande d'annulation du jugement ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, si, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'application des règles de l'effet dévolutif de l'appel ne portait pas atteinte à la substance du droit d'accès au juge au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle constatait que l'appelante n'était pas représentée par un professionnel du droit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901 et 562 du code de procédure civile ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. L'association soulève l'irrecevabilité du moyen, le défenseur syndical ne s'étant pas prévalu de ce que, faute de représentation de l'appelant par un professionnel du droit, il y aurait atteinte à son droit d'accès au juge à priver la déclaration d'appel, méconnaissant l'article 901, alinéa 1, 4°, du code de procédure civile, d'effet dévolutif.

5. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.

Bien-fondé du moyen

6. Il résulte des articles R. 1461-2 et R. 1461-1, alinéas 2 et 3, du code du travail, dans leur version issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 applicable aux instances d'appel introduites depuis le 1er août 2016, que dans la procédure d'appel du jugement des conseils de prud'hommes, soumise aux règles de la représentation obligatoire, les parties peuvent être représentées par un avocat ou par un défenseur syndical.

7. Selon l'article L. 1453-4, alinéa 2, du code du travail, le défenseur syndical est inscrit sur une liste arrêtée par l'autorité administrative sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés.

Selon l'article D. 1453-2-1 du même code, il est sélectionné en fonction de son expérience des relations professionnelles et de ses connaissances du droit social.

8. Il résulte de l'article L. 1453-7 de ce code que le défenseur syndical reçoit une formation obligatoire qui donne lieu à autorisation d'absence pour l'exercice de son mandat.

En application de l'article D. 1453-2-5, alinéa 3, du même code, sauf à justifier d'un motif légitime, le défenseur syndical, qui n'exerce pas sa mission pendant un an, est retiré d'office de la liste des défenseurs syndicaux.

9. Selon l'article L. 1453-8 de ce code, le défenseur syndical est tenu à une obligation de discrétion à l'égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d'une négociation.

La méconnaissance de cette obligation peut entraîner la radiation de la liste.

10. Selon l'article L. 1453-9 du même code, lorsqu'il est salarié, le défenseur syndical bénéficie du statut de salarié protégé.

11. Ces dispositions qui concernent le défenseur syndical sont destinées à offrir au justiciable représenté par celui-ci des garanties équivalentes à celles du justiciable représenté par un avocat quant au respect des droits de la défense et de l'équilibre des droits des parties.

12. Sous réserve des dispositions des articles 930-2 et 930-3 du code de procédure civile, il résulte de l'article R. 1461-2, alinéa 3, du code du travail que le défenseur syndical accomplit valablement les actes mis à la charge de l'avocat, de même que ceux destinés à l'avocat sont valablement accomplis auprès du défenseur syndical.

13. Il s'ensuit que le défenseur syndical, que choisit l'appelant pour le représenter, s'il n'est pas un professionnel du droit, n'en est pas moins à même d'accomplir les formalités requises par la procédure d'appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

15. Mme [C] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la régularisation de la déclaration d'appel ne peut pas intervenir après l'expiration du délai imparti à l'appelant pour conclure conformément aux articles 910-4, alinéa 1, et 954, alinéa 1, du code de procédure civile ; que l'exposante faisait valoir dans sa note en délibéré du 19 novembre 2020 que le Centre dentaire [Localité 3] n'avait invoqué l'absence d'effet dévolutif de l'appel que très tardivement, ses premières conclusions du 12 septembre 2019 ne mentionnant pas cette irrecevabilité ; qu'en se bornant à relever l'absence de régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d'appel sans rechercher, ainsi qu'il y était invitée, si l'absence d'effet dévolutif de l'appel avait été opposée à l'appelante à une date où une régularisation par le dépôt d'une nouvelle déclaration d'appel était devenue impossible et partant, s'il était porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901, 562 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

16. L'association soulève l'irrecevabilité du moyen, le défenseur syndical ne s'étant pas prévalu de ce qu'il y aurait atteinte au droit d'accès au juge de l'appelant à soulever l'absence d'effet dévolutif lorsque la régularisation de la déclaration d'appel n'est plus possible.

17. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.

Bien-fondé du moyen

18. Il ne résulte d'aucun texte que l'absence d'effet dévolutif consécutif à l'inobservation des dispositions de l'article 901, alinéa 1, 4°, du code de procédure civile doive être soulevée par la partie intimée avant l'expiration du délai imparti à l'appelant pour conclure, durant lequel la possibilité lui est ouverte de régulariser la déclaration d'appel.

19. Cette règle ne prive pas l'appelant du droit d'accès au juge dès lors il a été mis en mesure d'effectuer cette régularisation indépendamment de tout incident soulevé par l'intimé.

20. Il s'ensuit qu'il ne saurait être reproché à la cour d'appel de s'être abstenue d'effectuer une recherche inopérante.

21. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 901, alinéa 1, 4°, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Soc., 2 février 2022, pourvoi n° 19-21.810, Bull., (rejet).

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