Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

AVEU

2e Civ., 8 décembre 2022, n° 21-17.446, (B), FRH

Cassation

Définition – Composantes – Reconnaissance non-équivoque d' un fait – Cas – Modalités de calcul d'un préjudice (non)

Il résulte des articles 1383 et 1383-2 du code civil que l'aveu, qu'il soit judiciaire ou extrajudiciaire, exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques.

Méconnaît, dès lors, ces dispositions, l'arrêt d'une cour d'appel qui retient que la reconnaissance, par une partie, des modalités de calcul de son préjudice constitue un aveu judiciaire, alors que les conclusions de celle-ci portaient sur une appréciation en droit du contenu du préjudice indemnisable et ne constituaient pas l'aveu d'un fait.

Aveu extrajudiciaire – Définition – Reconnaissance de points de fait – Nécessité

Aveu judiciaire – Définition – Reconnaissance d'un point de fait – Applications diverses – Modalités de calcul d'un préjudice

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 5 mai 2021) et les productions, courant 2008, lors d'une séance d'entraînement au sein d'un club de motocyclisme, M. [P] a été percuté par la motocyclette pilotée par M. [J], alors mineur, ce qui a entraîné une atteinte à son intégrité physique et psychique.

2. M. [J] a été déclaré entièrement responsable du préjudice corporel subi par M. [P] et tenu, en la personne de sa mère Mme [L], d'indemniser l'entier préjudice de la victime, une expertise médicale étant ordonnée.

3. M. [P] a fait construire une maison d'habitation d'une surface adaptée à son handicap, dont l'édification s'est achevée en juillet 2014.

4. Par arrêt confirmatif du 19 décembre 2018, M. [J] et la société Maif (l'assureur) ont été condamnés in solidum à payer diverses sommes à M. [P] en réparation de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, à l'exception du poste relatif à l'adaptation du logement pour lequel une mesure d'instruction a été ordonnée.

5. M. [P] a interjeté appel du jugement ayant condamné in solidum M. [J] et l'assureur à lui payer la somme de 105 170,94 euros au titre des frais de logement adapté.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, troisième et cinquième branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. M. [P] fait grief à l'arrêt de fixer le préjudice qu'il a subi du fait de la nécessité dans laquelle il se trouve de vivre dans un logement adapté à son handicap à la somme de 68 488,72 euros de surface supplémentaires et 24 817,20 euros d'équipements et matériels spécifiques, alors « que l'aveu ne peut porter que sur un point de fait et non de droit tel que la définition d'un chef de préjudice ; que, dès lors, en retenant l'existence d'un « aveu judiciaire de M. [P] » par lequel il aurait « admis à plusieurs reprises [...] que l'indemnisation doit correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques », qui lui interdirait de demander, devant la cour d'appel, une indemnisation au titre des frais de logement adapté, incluant le coût de la construction de son logement adapté, la cour d'appel, qui a retenu un aveu portant sur une qualification juridique, a violé l'article 1356 du code civil ».

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. M. [J], Mme [L] et l'assureur contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau, M. [P] n'ayant jamais soutenu que l'aveu portait sur une qualification juridique.

9. Cependant, M. [P] a fait valoir, devant la cour d'appel, que son indemnisation par rapport au coût de son logement était une question de droit, et non de fait.

10. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1383 et 1383-2 du code civil :

11. Il résulte de ces textes que l'aveu, qu'il soit judiciaire ou extrajudiciaire, exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques.

12. Pour fixer le préjudice résultant pour M. [P] de l'accident dont il a été victime, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il a admis à plusieurs reprises dans ses conclusions que son indemnisation doit correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques, ce qui constitue un aveu judiciaire et qu'il a reconnu, pour définir quel était ce surcoût, que l'expert devait le comparer au coût qu'aurait représenté pour lui, hors handicap, la construction d'une maison ou l'acquisition d'un appartement, cette reconnaissance étant bien faite judiciairement.

13. En statuant ainsi, alors que les conclusions de M. [P] portaient sur une appréciation en droit du contenu du préjudice indemnisable et ne constituaient pas l'aveu d'un fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 mai 2021, entre les parties, par la chambre civile de la cour d'appel d'Agen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Delbano - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles 1383 et 1383-2 du code civil.

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