Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

ASSURANCE RESPONSABILITE

2e Civ., 15 décembre 2022, n° 19-20.763, (B), FRH

Cassation

Garantie – Conditions – Réclamation du tiers lésé – Réclamation relative à un fait dommageable engageant la responsabilité de l'assuré – Fait dommageable – Définition – Cas – Faute inexcusable de l'employeur – Exposition à l'amiante

Le fait dommageable, tel que visé aux articles L. 124-1 et L. 124-1-1 du code des assurances dans les rapports entre l'employeur assuré au titre de la faute inexcusable et son assureur, est constitué par l'exposition à l'amiante et non par la connaissance par le salarié de cette exposition à l'amiante ou l'inscription de l'entreprise sur la liste des établissements relevant de l'ACAATA.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 juin 2019), M. [T] a saisi le 19 janvier 2018 le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) à fin de réparation de ses préjudices liés à la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante, qui lui a opposé un refus en raison de la prescription de sa demande. Il a saisi une cour d'appel aux mêmes fins.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branches, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs dont les quatre premiers sont irrecevables et dont le dernier n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. M. [T] fait grief à l'arrêt de dire son recours prescrit, alors :

« 1°/ que les droits de la victime au bénéfice des prestations et indemnités prévues par la législation professionnelle se prescrivent à compter de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle ; que l'examen tomodensitométrique ne constitue pas le certificat médical faisant courir la prescription ; que, pour déclarer prescrit le recours de la victime auprès du FIVA, la cour d'appel relève « qu'il résulte du scanner thoracique du 12 décembre 2007, produit aux débats, lequel mentionne des « calcifications punctiformes sous pleurales pariétales antérieures bilatérales plus marquées à gauche », et du certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante du 28 janvier 2013, que M. [T] a eu connaissance du lien entre sa pathologie et l'exposition à l'amiante dès le 12 décembre 2007 » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 ;

2°/ que les droits de la victime au bénéfice des prestations et indemnités prévues par la législation professionnelle se prescrivent à compter de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle ; qu'en cas de succession de certificats médicaux, la prescription ne court qu'à compter du premier certificat qui énonce le lien possible entre la maladie et l'activité professionnelle de la victime - les certificats antérieurs, même s'ils diagnostiquent la même maladie, ne font pas courir la prescription, car la première constatation médicale de la maladie ne s'assimile pas avec la date de la connaissance du lien entre la maladie et la profession ; que, pour déclarer prescrit le recours de la victime auprès du FIVA, la cour d'appel relève « qu'il résulte du scanner thoracique du 12 décembre 2007, produit aux débats, lequel mentionne des « calcifications punctiformes sous pleurales pariétales antérieures bilatérales plus marquées à gauche », et du certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante du 28 janvier 2013, que M. [T] a eu connaissance du lien entre sa pathologie et l'exposition à l'amiante dès le 12 décembre 2007 » ; qu'ayant ainsi mis en évidence que le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante avait été établi pour la première fois par le certificat médical de 2013, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Le FIVA conteste la recevabilité du moyen pour être mélangé de fait et de droit en ce qu'il invoque les règles du livre IV du code de la sécurité sociale, notamment les dispositions de l'article L. 461-1 de ce code alors que M. [T] n'invoquait dans ses conclusions d'appel que l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 et l'arrêté du 5 mai 2002 fixant la liste des maladies dont le constat vaut exposition à l'amiante.

5. Cependant, l'arrêt rappelle que M. [T] sollicitait l'indemnisation du FIVA à la suite de la reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie au visa du tableau n° 30 des maladies professionnelles, de sorte que les dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale visées par le moyen étaient dans le débat.

6. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 53, III bis, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 :

7. Selon ce texte, la demande d'indemnisation de la victime d'une maladie liée à une exposition à l'amiante adressée au FIVA se prescrit par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante.

8. Pour dire le recours de M. [T] prescrit, l'arrêt retient qu'il résulte du scanner thoracique du 12 décembre 2007 mentionnant des calcifications punctiformes sous pleurales pariétales antérieures bilatérales plus marquées à gauche et du certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante du 28 janvier 2013 que M. [T] a eu connaissance du lien entre sa pathologie et l'exposition à l'amiante dès le 12 décembre 2007.

9. En statuant ainsi, alors d'une part que le scanner thoracique du 12 décembre 2007, dont les conclusions ne mentionnaient ni l'exposition à l'amiante ni le caractère professionnel de la pathologie, ne pouvait constituer le certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante, d'autre part, qu'elle constatait que le certificat médical établissant ce lien était daté du 28 janvier 2013, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Chauve - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 53, III bis, de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ; articles L. 124-1 et L.124-1-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 16 juin 2011, pourvoi n° 10-17.092, Bull. 2011, II, n° 134 (annulation).

2e Civ., 15 décembre 2022, n° 21-16.682, (B), FRH

Cassation

Garantie – Conditions – Réclamation du tiers lésé – Réclamation relative à un fait dommageable engageant la responsabilité de l'assuré – Fait dommageable – Définition – Cas – Faute inexcusable de l'employeur – Exposition à l'amiante

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 mars 2021), les sociétés Saint-Gobain Isover, Saint-Gobain Seva, Saint-Gobain Pam et Everite (les sociétés Saint-Gobain et Everite) assurées en responsabilité civile auprès de la société UAP jusqu'au 1er juillet 1982, ont assigné leur assureur, la société AXA Corporate Solutions Assurances (AXA), venant aux droits de la société UAP, et ses coassureurs, aux fins d'obtenir leur garantie pour le paiement des indemnités réclamées ou mises à leur charge en réparation du préjudice d'anxiété subi par certains de leurs salariés exposés à l'amiante.

2. Ces assureurs ont refusé leur garantie en faisant valoir que les préjudices d'anxiété au titre desquels les sociétés Saint Gobain et Everite avaient été condamnées ou assignées étaient nés après la résiliation des contrats.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Les sociétés Saint-Gobain et Everite font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes tendant 1) à voir dire et juger qu'AXA, ainsi que ses coassureurs, compte tenu de leur quote-part dans la coassurance, sont tenus à les garantir de l'ensemble des conséquences financières qu'elles supportent et supporteront dans l'ensemble des instances prud'homales qui sont listées en annexes 1, 2, 3 et 4 de leurs conclusions, 2) à les voir les condamnées à titre provisionnel à leur payer certaines sommes, ces somme étant augmentée des intérêts légaux décomptés du jour de la délivrance des assignations de première instance des 16 janvier 2013, 3 septembre 2013, 23 et 25 juillet 2014, outre leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, 3) à voir dire et juger qu'elles pourront compléter ultérieurement leurs demandes à l'encontre d'AXA et de ses coassureurs et voir ceux-ci condamnés à leur verser des sommes complémentaires eu égard à l'évolution des dossiers garantis, 4) à voir dire et juger à titre subsidiaire, si la cour devait considérer que l'exclusion relative aux atteintes à l'environnement devait s'appliquer, qu'AXA, ainsi que ses coassureurs, compte tenu de leur quote-part dans la coassurance, seront tenus à les garantir de l'ensemble des conséquences financières qu'elles supportent et supporteront dans l'ensemble des instances prud'homales qui sont listées en annexes 6, 7, 8 et 9 de leurs conclusions, 5) à les voir condamnés à titre provisionnel à payer à la société Saint-Gobain Seva certaines sommes augmentées des intérêts légaux décomptés du jour de la délivrance de l'assignation de première instance, outre leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, 6) à voir dire et juger que les sociétés Saint-Gobain Isover, Saint-Gobain Seva, Saint-Gobain Pam et Everite pourront compléter ultérieurement leurs demandes à l'encontre d'AXA et de ses coassureurs et voir ceux-ci condamnés à leur verser des sommes complémentaires eu égard à l'évolution des dossiers garantis, 7) à voir dire et juger qu'AXA, ainsi que ses coassureurs, compte tenu de leur quote-part dans la coassurance, seront tenus à leur rembourser les frais et honoraires qu'elles ont respectivement engagés pour leur défense sur les actions prud'homales initiées contre elles, 8) à les voir condamnées à titre provisionnel à leur payer certaines sommes, avec intérêts légaux décomptés du jour de la délivrance de l'assignation de première instance, et leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, 9) à voir dire et juger que les sociétés Saint-Gobain Isover, Saint-Gobain Seva, Saint-Gobain Pam et Everite pourront compléter ultérieurement leurs demandes à l'encontre d'AXA et de ses coassureurs et voir ceux-ci condamnés à lui verser des sommes complémentaires eu égard à l'évolution des dossiers garantis, alors « que la cause génératrice du préjudice d'anxiété est l'exposition à l'amiante ; qu'en jugeant les sinistres non couverts par le contrat d'assurance de responsabilité civile des employeurs comme étant apparus après sa résiliation, aux motifs inopérants que dans les rapports entre les employeurs et les salariés, le fait générateur du préjudice d'anxiété est la conscience par le salarié du risque de développer une pathologie grave résultant de l'exposition à l'amiante, irréfragablement présumée en cas d'inscription du site au titre de ceux dont les travailleurs sont éligibles à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, la cour d'appel, qui a confondu cause génératrice du dommage et apparition du sinistre, a violé les articles L 124-1 et L 124-1-1 du code des assurances, ensemble l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 124-1 et L. 124-1-1 du code des assurances :

4. Selon le premier de ces textes, dans les assurances de responsabilité, l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé.

5. Le second précise que constitue un sinistre tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations.

Le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage. Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique.

6. Pour débouter les sociétés Saint-Gobain et Everite de leurs demandes, l'arrêt, après avoir rappelé qu'il convenait de rechercher si le fait dommageable, défini comme l'événement qui est la cause génératrice du dommage, s'est produit pendant la période de garantie, retient que le fait générateur du préjudice d'anxiété est constitué, pour le salarié ayant travaillé dans un établissement ayant fait l'objet d'une inscription sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, par ce classement et, pour le salarié ayant travaillé dans un établissement non listé, à la date à laquelle il est établi qu'il a eu conscience de son exposition.

7. Il en déduit que les faits dommageables pour lesquels la garantie est sollicitée ne sont pas survenus avant l'expiration de la résiliation du contrat.

8. En statuant ainsi, alors que le fait dommageable, dans les rapports entre l'assuré garanti au titre de la faute inexcusable et son assureur, est constitué par l'exposition à l'amiante, et non par la connaissance par le salarié de cette exposition ou l'inscription de l'entreprise sur la liste des établissements relevant de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

9. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il convient de mettre hors de cause la société Groupement de gestion et d'assurances dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a mis hors de cause la société XL Catlin services et la société Aviva assurances, l'arrêt rendu le 11 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Met hors de cause la société Groupement de gestion et d'assurances ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Chauve - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP L. Poulet-Odent ; SARL Ortscheidt ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 124-1 et L. 124-1-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 15 décembre 2022, pourvoi n° 19-20.763, Bull. (cassation).

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