Numéro 12 - Décembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2022

ARBITRAGE

1re Civ., 7 décembre 2022, n° 21-15.390, (B) (R), FP

Cassation partielle

Arbitrage international – Sentence – Recours en annulation – Moyen d'annulation – Compétence du tribunal arbitral – Office du juge – Appréciation de la portée de la convention d'arbitrage – Exclusion – Révision au fond de la sentence

Il résulte de l'article 1520, 1°, du code de procédure civile que, si le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage, ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.

En matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l'Etat à l'arbitrage procède de l'offre permanente d'arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d'investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu'il définit.

Il s'ensuit qu'alors que l'offre d'arbitrage stipulée dans un traité ne comporte pas de restriction ratione temporis, le juge de l'annulation doit seulement vérifier, au titre de la compétence ratione temporis, que le litige est né après l'entrée en vigueur du traité.

Arbitrage international – Traité de protection des investissements transnationaux – Offre permanente d'arbitrage – Champ d'application – Investissements définis par le traité – Office du juge – Vérification – Naissance du litige postérieur à l'entrée en vigueur du traité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2021), le 27 novembre 1998, la Fédération de Russie et la République d'Ukraine ont conclu un traité bilatéral de protection des investissements (le TBI), qui est entré en vigueur le 27 janvier 2000.

2. Après avoir défini le terme « investissements » en son article 1.1, le TBI prévoit, en son article 9, que « Tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante qui surgit en rapport avec les investissements, y compris les différends qui concernent le montant, les modalités ou la procédure de paiement des indemnités, prévus à l'article 5 du présent accord, ou la procédure de transfert des paiements, prévue à l'article 7 du présent accord » peut être soumis à l'arbitrage après une tentative de règlement amiable.

3. L'article 12 stipule que « Le présent accord s'applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992. »

4. Le 20 janvier 2016, la société ukrainienne Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine » (la banque) a engagé, sur le fondement de ce traité, une action indemnitaire devant un tribunal arbitral, en invoquant l'expropriation par la Fédération de Russie, en 2014, de ses actifs situés en Crimée.

5. La Fédération de Russie a formé un recours en annulation de la sentence qui, après avoir constaté la violation du TBI, l'a condamnée à payer à la banque la somme de 1 111 300 729 dollars US.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. La banque fait grief à l'arrêt d'annuler la sentence arbitrale et de la condamner à verser 150 000 euros à la Fédération de Russie en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage ; que ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence ; que selon l'article 9 du Traité bilatéral d'investissement conclu le 27 novembre 1998 entre la Fédération de Russie et l'Ukraine sur l'encouragement et la protection réciproque des investissements, « tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante qui surgit en rapport avec les investissements, y compris les différends qui concernent le montant, les modalités ou les procédures de paiement des indemnités, prévu à l'article 5 du présent accord, ou la procédure de transfert des paiements, prévue à l'article 7 du présent accord » peut être soumis à l'arbitrage ; que l'article 12 du Traité bilatéral d'investissement, en ce qu'il prévoit que « le présent accord s'applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d'une partie contractante sur le territoire de l'autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992 », ne limite pas la protection procédurale offerte par la convention d'arbitrage figurant à l'article 9 de ce traité aux investissements réalisés après cette date, mais affecte uniquement l'entrée en vigueur de la protection substantielle des investissements par le traité ; qu'ainsi, en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que « l'offre d'arbitrage qui résulte de l'article 9 n'est pas une offre générale et inconditionnelle pour tout litige d'investissement entre la Fédération de Russie et l'Ukraine, mais une offre insérée dans les limites fixées par le traité bilatéral d'investissement de sorte que la protection procédurale offerte par la clause d'arbitrage et dont la compétence du tribunal arbitral est subordonnée à l'applicabilité du traité à l'investissement objet du litige et plus précisément à l'existence d'un litige portant sur un investissement qui a nécessairement été réalisé par l'investisseur d'une des parties contractantes sur le territoire de l'autre à compter du 1er janvier 1992 » et que « les termes de l'article 12 précité sont suffisamment clairs pour considérer qu'il détermine le champ d'application temporel du traité et qu'il n'ouvre droit à une protection tant substantielle que procédurale qu'aux seuls investissements qui ont été réalisés à compter du 1er janvier 1992 de sorte qu'en sont nécessairement exclu ceux qui l'ont été antérieurement », pour en déduire que l'activité bancaire de la société JSC Oschadbank en Crimée ayant débuté avant le 2 janvier 1992, cela impliquait « nécessairement que la réalisation de l'investissement le fût également » et que « la condition temporelle posée par l'article 12 du Traité bilatéral d'investissement qui contient l'offre d'arbitrage n'est pas satisfaite de sorte que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent pour connaître du litige », la cour d'appel a violé l'article 1520,1°, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. La Fédération de Russie invoque l'irrecevabilité du moyen en ce que la banque se serait contredite à son détriment lors du recours en révision de la sentence.

8. Cependant, les moyens invoqués dans une autre instance ne sauraient caractériser une contradiction au détriment d'autrui.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1520, 1°, du code de procédure civile :

10. Il résulte de ce texte que, si le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage, ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.

11. En matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l'Etat à l'arbitrage procède de l'offre permanente d'arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d'investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu'il définit.

12. Pour annuler la sentence, l'arrêt retient que l'article 9 du TBI n'institue pas une offre générale et inconditionnelle pour tous litiges d'investissements entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante, mais une offre insérée dans les limites fixées par le traité, de sorte que la protection procédurale offerte par la clause d'arbitrage et donc la compétence du tribunal arbitral est subordonnée à l'applicabilité du traité à l'investissement objet du litige et plus précisément à l'existence d'un litige portant sur un investissement qui a nécessairement été réalisé par un investisseur d'une des parties contractantes sur le territoire de l'autre à compter du 1er janvier 1992.

13. En statuant ainsi, alors que ni l'offre d'arbitrage stipulée à l'article 9 ni la définition des investissements prévue à l'article 1 ne comportaient de restriction ratione temporis et que l'article 12 n'énonçait pas une condition de consentement à l'arbitrage dont dépendait la compétence du tribunal arbitral, mais une règle de fond, la cour d'appel, qui devait seulement vérifier, au titre de la compétence ratione temporis, que le litige était né après l'entrée en vigueur du traité, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société par actions Joint Stock Company « State Savings Bank of Ukraine » sur le moyen tiré de l'incompétence temporelle du tribunal arbitral, l'arrêt rendu le 30 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 1520, 1°, du code de procédure civile.

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