Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 15 décembre 2021, n° 20-17.628, (B)

Rejet

Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne – Article 41 – Droit à une bonne administration – Respect des droits de la défense – Audition de l'étranger par le juge des libertés et de la détention – Procédure contradictoire de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) – Garantie suffisante

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 18 novembre 2019), et les pièces de la procédure, M. [K], de nationalité algérienne, en situation irrégulière sur le territoire français, a été placé en rétention administrative le 13 novembre 2019, à 19 heures, à la levée d'une garde à vue prise à son encontre le 12 novembre, à 20 heures 25.

2. Le 15 novembre 2019, le juge des libertés et de la détention a été saisi par le préfet d'une demande de prolongation de la mesure, sur le fondement de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et, par M. [K], d'une contestation de la régularité de son placement en rétention, sur le fondement de l'article L. 512-1, III, du même code.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. [K] fait grief à l'ordonnance de rejeter sa requête en contestation du placement en rétention, de rejeter ses moyens de nullité et d'ordonner la prolongation de sa rétention pour une durée de vingt-huit jours, alors « que toute personne a le droit d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; qu'un étranger ne peut être placé en rétention administrative sans avoir au préalable été entendu, et ainsi mis en mesure de présenter ses observations, dès lors que cette mesure restreint sa liberté d'aller et venir ; qu'en retenant le contraire, le premier président de la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 211-2 et L. 121-2, 3°, du code des relations entre le public et l'administration, ensemble le principe des droits de la défense et l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse à ses institutions, organes et organismes et non aux Etats membres (CJUE, arrêt du 5 novembre 2014, S. Mukarubega/préfet de police et préfet de la Seine-Saint-Denis, C-166/13, point 44).

6. En deuxième lieu, si le droit d'être entendu avant l'adoption de toute mesure individuelle faisant grief relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux qui font partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne, il ressort également de la jurisprudence de ladite Cour que ces droits fondamentaux n'apparaissent pas comme des prérogatives absolues mais peuvent comporter des restrictions, à la condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (CJUE, arrêt du 10 septembre 2013, M. G et N. R/ Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-383/13, point 33 ; CJUE, arrêt du 5 novembre 2014, précité, point 53).

7. En troisième lieu, il résulte de l'arrêt précité du 10 septembre 2013 (points 31 et 35) que, dès lors que la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ne comporte pas de disposition précisant dans quelles conditions doit être assuré le respect du droit de l'étranger d'être entendu sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, celles-ci relèvent du droit national pour autant que les mesures arrêtées en ce sens sont du même ordre que celles dont bénéficient les particuliers dans des situations de droit national comparables (principe de l'équivalence) et qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).

8. En quatrième lieu, selon l'article L. 121-2, 3°, du code des relations entre le public et l'administration, l'article L. 121-1 du même code, qui soumet au respect d'une procédure contradictoire préalable les décisions individuelles restreignant l'exercice des libertés publiques ou constituant une mesure de police, n'est pas applicable à celles de ces décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière.

9. Or, il ressort du CESEDA que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure auxquelles sont soumises les décisions de placement en rétention notifiées par l'administration à l'étranger, en prévoyant, en particulier, à l'article L. 552-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, une procédure contradictoire qui contraint l'administration à saisir le juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures de la notification de ce placement, de sorte que l'article L. 121-1 susvisé ne peut être utilement invoqué à l'encontre d'une telle décision.

10. En droit interne, le droit d'être entendu est donc garanti par cette procédure contradictoire permettant à l'intéressé de faire valoir, à bref délai, devant le juge judiciaire, tous les éléments pertinents relatifs à ses garanties de représentation et à sa vie personnelle, sans nuire à l'efficacité de la mesure, destinée, dans le respect de l'obligation des États membres de lutter contre l'immigration illégale (CJUE, arrêt du 5 novembre 2014, précité, point 71), à prévenir un risque de soustraction à la mesure d'éloignement.

11. Ayant énoncé à bon droit que ni les garanties procédurales du chapitre III de la directive 2008/115/CE ni les articles L. 121-1, L. 211-2 et L. 121-2, 3°, du code des relations entre le public et l'administration ne s'appliquent à la décision de placement en rétention, le premier président a exactement retenu que le moyen tiré du défaut d'audition préalable à la décision de placement en rétention devait être rejeté.

12. Le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Dard - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article L552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

2e Civ., 2 décembre 2021, n° 20-14.092, (B)

Cassation partielle

Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 – Décisions susceptibles de reconnaissance et d'exécution – Mesures d'exécution forcée – Conditions

Aux termes de l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution. Selon l'article L. 111-3, 1° et 2°, du même code, seuls constituent des titres exécutoires, d'une part, les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif lorsqu'elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire et, d'autre part, les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d'un recours suspensif d'exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l'Union européenne applicables.

Selon l'article 41, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, sous réserve des dispositions de la section 2 du chapitre III du règlement, la procédure d'exécution des décisions rendues dans un autre Etat membre est régie par le droit de l'Etat membre requis. Une décision rendue dans un Etat membre et qui est exécutoire dans l'Etat membre requis est exécutée dans ce dernier dans les mêmes conditions qu'une décision rendue dans l'Etat membre requis.

Il résulte de ces dispositions qu'un jugement rendu dans un autre Etat membre doit répondre, indépendamment de son caractère exécutoire, aux mêmes critères que ceux appliqués, en droit interne, pour déterminer si une décision rendue par une juridiction nationale permet au créancier d'en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur, de sorte qu'il doit, conformément aux dispositions de l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution constater, à l'encontre de ce dernier, une créance liquide et exigible.

Dès lors, encourt la censure l'arrêt d'une cour d'appel qui retient que le jugement, rendu par une juridiction d'un Etat membre de l'Union européenne, qui homologue une transaction ne comportant aucun engagement du débiteur saisi qui n'y était pas partie, constitue un titre exécutoire à son encontre.

Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 – Article 41

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 19 décembre 2019), par jugement du 30 novembre 1987, un tribunal de grande instance a condamné M. [R] [D] à payer une certaine somme à la Banque populaire du Var qui a cédé sa créance à la société Velg Participations (la société) dont M. [H] [D] était l'actionnaire unique.

2. Par jugement du 10 décembre 2007, le tribunal d'arrondissement de Luxembourg a ordonné la liquidation judiciaire de la société puis, par transaction homologuée selon jugement de la même juridiction du 9 février 2017, la créance de la société sur M. [R] [D] a été attribuée à M. [H] [D].

3. Ce dernier a fait pratiquer plusieurs saisies-attributions et une saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières à l'encontre de M. [R] [D] qui a saisi un juge de l'exécution.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [R] [D] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir déclarer nulles les saisies-attributions et la saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières pratiquées le 27 juin 2018 à la requête de M. [H] [D], alors :

« 1°/ que si la cession de créance transfère au cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée, notamment le titre exécutoire obtenu par le cédant, c'est sur le fondement de ce titre exécutoire que peuvent être mises en oeuvre les mesures d'exécution forcée en vue du recouvrement de la créance cédée ; que la décision de justice en vertu de laquelle la créance est cédée, fût-elle exécutoire, ne constitue pas, à elle seule, le titre exécutoire pouvant servir, en application des articles L. 111-1, L. 111-2 et L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution, de fondement à une telle mesure d'exécution forcée ; qu'en considérant que les saisies litigieuses avaient pu être pratiquées sur le seul fondement du jugement exécutoire du 9 février 2017 par lequel le tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg a homologué la convention portant attribution par voie de cession à M. [H] [D] de la créance sur M. [R] [D] résultant du jugement du tribunal de grande instance de Toulon du 30 novembre 1987 que la Banque populaire du Var avait elle-même cédée à la société de droit luxembourgeois Velg Participation dont M. [H] [D] était l'actionnaire unique, la cour d'appel a violé les textes précités ensemble l'article 1692 ancien du code civil ;

2°/ que la créance est liquide lorsqu'elle est évaluée en argent ou que le titre exécutoire contient des éléments suffisamment précis pour permettre d'en déterminer le montant ; qu'en retenant comme titre exécutoire propre à servir de fondement aux saisies litigieuses le jugement du 9 février 2017 dont le dispositif, qui se bornait à homologuer la transaction intervenue entre le liquidateur de la société Velg Participation et M. [H] [D], ne comportait ni évaluation en argent de la créance, ni éléments suffisamment précis pour en déterminer le montant, la cour d'appel a violé les articles L. 111-2 et L. 111-6 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 111-2 et L. 111-3, 1° et 2°, du code des procédures civiles d'exécution et l'article 41, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 :

6. Aux termes du premier de ces textes, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution.

Selon le deuxième, seuls constituent des titres exécutoires, d'une part, les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif lorsqu'elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire et, d'autre part, les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d'un recours suspensif d'exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l'Union européenne applicables.

Selon le troisième, sous réserve des dispositions de la section 2 du chapitre III du règlement, la procédure d'exécution des décisions rendues dans un autre État membre est régie par le droit de l'État membre requis. Une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans l'État membre requis est exécutée dans ce dernier dans les mêmes conditions qu'une décision rendue dans l'État membre requis.

7. Il résulte du dernier de ces textes qu'un jugement rendu dans un autre Etat membre doit répondre, indépendamment de son caractère exécutoire, aux mêmes critères que ceux appliqués, en droit interne, pour déterminer si une décision rendue par une juridiction nationale permet au créancier d'en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur, de sorte qu'il doit, conformément aux dispositions de l'article L. 111-2 précité, constater, à l'encontre de ce dernier, une créance liquide et exigible.

8. Pour confirmer le jugement en toutes ses dispositions, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que l'examen des trois saisies litigieuses permet de constater que le titre sur le fondement duquel elles sont intervenues est constitué, non par le jugement du 30 novembre 1987, mais par le jugement rendu le 9 février 2017 par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg.

9. L'arrêt relève, par motifs propres, qu'aux termes de ce jugement, le tribunal d'arrondissement de Luxembourg a homologué la transaction intervenue le 4 janvier 2017 entre la société et M. [H] [D]. Il retient que la transaction porte sur une convention d'attribution d'actif par cession de créance, compte tenu de l'engagement de M. [H] [D], en sa qualité d'actionnaire unique de la société en liquidation, de prendre en charge les frais de liquidation, qu'il résulte de ces termes que l'homologation de la cession de créance n'est pas subordonnée au paiement préalable de « certaines sommes », contrairement à ce que soutient l'appelant, qu'une cession de créance transfère au cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée, notamment le titre exécutoire obtenu par le cédant, la société Velg participations, à la suite de la cession selon acte notarié du 28 mai 1998 de la créance de la Banque populaire reconnue par jugement du tribunal de grande instance de Toulon du 30 novembre 1987 à l'encontre de M. [R] [D]. Il en déduit que le cessionnaire, qui bénéficie de par l'effet de la cession de tous les droits et actions appartenant au cédant, est fondé à se prévaloir du titre exécutoire que constitue le jugement du 9 février 2017.

10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces constatations et énonciations que la transaction ne comportait aucun engagement de M. [R] [D] qui n'y était pas partie, de sorte que le jugement du 9 février 2017, qui ne constatait pas une créance liquide et exigible à son encontre, ne pouvait fonder une mesure d'exécution forcée sur ses biens, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de caducité de l'appel et dit que les poursuites ne sont pas prescrites, l'arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Cardini - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SAS Cabinet Colin - Stoclet ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles L. 111-2, L. 111-3, 1° et 2°, du code des procédures civiles d'exécution ; article 41, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012.

Com., 15 décembre 2021, n° 19-16.350, (B)

Cassation

Douanes – Dette douanière – Remboursement et remise des droits – Demande de remboursement – Condition

Il résulte des articles 878 et 881 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du code des douanes communautaire que la demande de remboursement des droits de douane indûment perçus est établie en un original et une copie, sur le formulaire conforme au modèle et aux dispositions figurant à l'annexe 111 de ce règlement, et que, si une demande ne contient pas tous les éléments d'information, dès lors que les rubriques 1 à 3 et 7 sont renseignées, le bureau des douanes fixe au requérant un délai pour la fourniture des éléments d'information et/ou des documents manquants.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 14 mars 2019) et les productions, la société Schaffner Ems (la société Schaffner), qui a pour activité le commerce de matériel électrique, a, entre 2008 et 2010, importé diverses marchandises, notamment des filtres d'antiparasitage électromagnétique, des prises d'alimentation secteur, des filtres capacitifs et des transformateurs, qu'elle a déclarées sous la position 8504 50 95 90 et pour lesquelles elle a souscrit les déclarations douanières correspondantes et acquitté les droits de douane.

2. Estimant que ces marchandises relevaient de la position tarifaire 8504 50 95 20, exonérée de droits de douane, la société Schaffner, après avoir déposé une demande de remboursement auprès de la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 4] le 25 mai 2011, a saisi, le 4 juillet 2011, la direction départementale des douanes et droits indirects du [Localité 2] d'une demande de remboursement des droits de douane portant sur des déclarations d'importation souscrites en 2008.

Le 26 juillet 2012, elle l'a également saisie d'une demande de remboursement de vingt déclarations d'importations en provenance de Chine souscrites en 2010.

3. Après rejet partiel de ses demandes, la société Schaffner a assigné l'administration des douanes en annulation de la décision de rejet et en remboursement des droits de douane visés dans les demandes des 4 juillet 2011 et 26 juillet 2012.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Schaffner fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes d'annulation des décisions du bureau des douanes du [Localité 2] des 13 février 2013 et 8 avril 2013 et de condamnation de l'administration des douanes à lui rembourser une certaine somme au titre de ses demandes de remboursement des 25 mai 2011, 4 juillet 2011 et 26 juillet 2012, alors « que lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l'autorité administrative compétente et en avise l'intéressé ; que par une première demande adressée à la direction régionale de [Localité 4] le 25 mai 2011, la société Schaffner avait demandé le remboursement au titre des déclarations de 2008 non seulement pour des déclarations en provenance de Thaïlande, pour un montant de 3 788 euros, mais également pour des déclarations en provenance de Chine, pour un montant de 19 581 euros ; que la direction régionale de [Localité 4] était tenue de transmettre cette demande à son homologue du [Localité 2], laquelle a d'ailleurs ensuite été saisie d'une demande en ce sens par courrier du 4 juillet 2011 ; qu'en retenant qu'il ne lui appartenait de statuer sur la demande présentée devant la direction régionale du [Localité 2] qu'à hauteur de 3 788 euros, la cour d'appel a violé l'article 20 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, en sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 20 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, devenu l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration, alors applicable :

5. Selon ce texte, lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l'autorité administrative compétente et en avise l'intéressé.

6. Pour dire que la direction départementale des douanes et droits indirects du [Localité 2] avait été saisie par la société Schaffner, le 4 juillet 2011, de demandes de remboursement ne portant que sur des importations en provenance de Thaïlande pour un montant de 3 788 euros, cependant que la société Schaffner revendiquait également le remboursement d'importations en provenance de Chine pour un montant de 19 581 euros, l'arrêt constate que la direction départementale des douanes et droits indirects du [Localité 2] a pris en compte la demande de la société Schaffner telle qu'elle résultait de la lettre qui lui a été adressée et qu'elle en a informé cette dernière le 11 juillet 2011.

7. En statuant ainsi, alors que la société Schaffner avait, le 25 mai 2011, saisi la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 4] d'une demande de remboursement portant sur des déclarations d'importation en France de marchandises en provenance de Thaïlande et de Chine et que ce service, après avoir informé la requérante de son incompétence, aurait dû transmettre les demandes, et les pièces jointes, à la direction départementale des douanes et droits indirects du [Localité 2], compétente pour en connaître, peu important que la société Schaffner ait elle-même adressé une demande à cette dernière direction qui a été interprétée à tort comme une nouvelle demande ne portant que sur les déclarations d'importation en provenance de Thaïlande, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le second moyen, pris en première branche

Enoncé du moyen

8. La société Schaffner fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article 236 du code des douanes communautaire, en sa rédaction applicable au litige, dispose qu' « il est procédé au remboursement des droits à l'importation ou des droits à l'exportation dans la mesure où il est établi qu'au moment de son paiement leur montant n'était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l'article 220 paragraphe 2 » ; que selon les dispositions de l'article 878 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire, « la demande de remboursement ou de remise est établie en un original et une copie sur le formulaire conforme au modèle et aux dispositions figurant à l'annexe 111 » ; que l'article 881 du même règlement prévoit que si des documents sont manquants, le bureau de douane fixe un délai au requérant pour la fourniture des éléments d'information et/ou des documents manquants ; qu'en retenant que la société Schaffner était tenue de motiver ses demandes de remboursement auprès de l'administration des douanes et que ses demandes ne comportaient aucun argumentaire, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que les courriers comportant les demandes de remboursement étaient accompagnées des annexes 111, de sorte que ses demandes comportaient les éléments nécessaires à leur instruction par l'administration des douanes, la cour d'appel a violé l'article 236 du code des douanes communautaires et les articles 878 à 881 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire, en leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6 et 236 du règlement n° 2913 / 92 du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire et les articles 878 et 881 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du code des douanes communautaire, alors applicables :

9. Selon le premier de ces textes, une personne qui demande aux autorités douanières de prendre une décision relative à l'application de la réglementation douanière doit fournir tous les éléments et documents nécessaires à cette autorité pour statuer.

Selon le second, il est procédé au remboursement des droits à l'importation s'il est établi qu'au moment de son paiement, leur montant n'était pas légalement dû.

10. Il résulte des articles 878 et 881 des dispositions d'application du code des douanes communautaire que la demande de remboursement des droits de douane indûment perçus est établie en un original et une copie, sur le formulaire conforme au modèle et aux dispositions figurant à l'annexe 111, et que, si une demande ne contient pas tous les éléments d'information, dès lors que les rubriques 1 à 3 et 7 sont renseignées, le bureau des douanes fixe au requérant un délai pour la fourniture des éléments d'information et/ou des documents manquants.

11. Pour débouter la société Shaffner de ses demandes, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que celle-ci était tenue de motiver ses demandes de remboursement, et que ces dernières étaient particulièrement laconiques puisqu'elles se présentaient sous forme de lettres comportant trois paragraphes. Il retient encore que les pièces jointes à la demande du 4 juillet 2011 étaient constituées des annexes 111 et des renseignements tarifaires contraignants (RTC) et que celle annexée à la demande du 26 juillet 2012 était un tableau récapitulatif des demandes et reprenait les RTC, ainsi que les annexes 111. Il retient, en outre, que l'administration des douanes avait pu procéder à certains remboursements par une analyse des déclarations en douane, des RTC et des factures produites.

12. En statuant ainsi, après avoir constaté que la société Schaffner avait joint à ses demandes les annexes 111 renseignées conformément aux dispositions de l'article 881 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du code des douanes communautaire et alors qu'il incombait à l'administration des douanes, si elle estimait ne pas être suffisamment informée, de solliciter la société Schaffner à cette fin, ce qu'elle n'a pas fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

13. La société Schaffner fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une demande de RTC peut porter sur différentes marchandises à condition que celles-ci relèvent d'un seul type de marchandises ; qu'en application du principe général de droit communautaire de confiance légitime, l'administration doit respecter les espérances légitimes du justiciable suscitées par une prise de position de la part de ladite administration ; que la société Schaffner faisait valoir dans ses écritures d'appel qu'elle avait eu de nombreux échanges avec la direction générale des douanes qui avait accepté en 2010 qu'elle n'établisse que cinq demandes de RTC en regroupant ses produits en cinq types de marchandises, puis, en 2013, qu'elle porte à une vingtaine le nombre de demandes de RTC et qu'elle puisse utiliser ces RTC à l'appui de ses demandes de remboursement ; qu'en jugeant que les développements consacrés aux RTC obtenus seraient « inopérants dès lors que les RTC ne concernent pas les importations qui ont fait l'objet d'une demande de remboursement auprès de la direction régionale du [Localité 2] qui est seule compétente s'agissant des demandes de remboursements formées par la société Schaffner », la cour d'appel a violé l'article 6-2 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire et l'article 236 du code des douanes communautaire, en leur rédaction applicable au litige, ensemble le principe de confiance légitime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de protection de la confiance légitime et l'article 6, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du code des douanes communautaire :

14. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue l'un des principes fondamentaux de l'Union, s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation dont il ressort que l'administration, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées (arrêts du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C 104/97 P et du 15 juillet 2004, Di Lenardo et Dilexport, C-37/02 et C-38/02).

15. Selon l'article 6, paragraphe 2, des dispositions d'application du code des douanes communautaire, la demande de RTC ne peut porter que sur un seul type de marchandises.

La CJUE a dit pour droit que ce texte doit être interprété en ce sens qu'une demande de RTC peut porter sur différentes marchandises à condition que celles-ci relèvent d'un seul type de marchandises. Seules des marchandises présentant des caractéristiques similaires et dont les éléments de différenciation sont dépourvus de toute pertinence aux fins de leur classification tarifaire peuvent être considérées comme relevant d'un seul type de marchandises au sens de ladite disposition (Arrêt 2 décembre 2010, C-199/09, Schenker SIA).

16. Pour débouter la société Schaffner de ses demandes, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'administration des douanes a procédé au remboursement des droits lorsque les références des marchandises figurant sur les factures des fournisseurs correspondaient à celles indiquées sur les RTC et que les RTC délivrés ne couvraient pas toutes les marchandises concernées par les demandes de remboursement. Il retient encore que la société Schaffner ne pouvait se fonder sur les RTC obtenus, dès lors que ceux-ci ne concernaient pas les importations qui ont fait l'objet d'une demande de remboursement.

17. En statuant ainsi alors, d'une part, que la direction générale des douanes et droits indirects avait indiqué à la société Schaffner que les RTC pouvaient servir d'élément à prendre en compte pour l'instruction d'une demande de remboursement, quand bien même ceux-ci n'étaient délivrés que pour l'avenir, et avait délivré, à deux reprises, dans le temps de l'étude des demandes de remboursement de la société Schaffner, des RTC portant sur plusieurs marchandises relevant d'un seul type de marchandises, ce qui pouvait être considéré, par la société Schaffner, comme ayant fait naître chez elle des espérances fondées de ce que les RTC portant sur plusieurs références de produits seraient pris en compte pour l'instruction de ses demandes de remboursement, et d'autre part, qu'une demande de remboursement fondée sur la délivrance d'un RTC couvrant un type de marchandises doit être analysée, à supposer que ce RTC soit pris en compte, au regard de toutes les marchandises constituant ce type de marchandises, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Guérin (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Daubigney - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 878 et 881 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du code des douanes communautaire.

Com., 15 décembre 2021, n° 18-20.216, (B)

Cassation partielle sans renvoi

Fiscalité – Contributions indirectes – Rassemblement de capitaux – Droits de mutation – Apport de fonds de commerce transfrontalier

Intervention

1. Il est donné acte à la société Euralis holding de son intervention volontaire.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 28 mai 2018), la société par actions simplifiées Agrofibre a, le 4 mai 2007, présenté à la formalité de l'enregistrement un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire approuvant un traité portant promesse d'apport d'éléments incorporels par la société de droit espagnol Agrofibra SL et décidant d'une augmentation de capital. Cet acte a été soumis au droit fixe prévu par l'article 810, I, du code général des impôts.

3. L'administration fiscale, considérant que l'opération s'analysait en un apport de fonds de commerce assujetti, conformément aux dispositions de l'article 809, I, 3° du code général des impôts, aux droits d'enregistrement prévus à l'article 719 de ce code, a notifié une proposition de rectification à la société Agrofibre le 7 juin 2011.

4. Après rejet de sa réclamation, la société Agrofibre a assigné l'administration fiscale aux fins d'annulation de cette décision et de décharge des impositions et pénalités mises à sa charge.

5. Par décision du 13 janvier 2020, la société Agrofibre a été dissoute par son associé unique, la société Euralis holding. Cette dissolution a entraîné la transmission universelle de son patrimoine.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société Agrofibre fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la décision de rejet du 10 décembre 2014, alors « que les apports faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne non soumise à cet impôt sont assimilés à des mutations à titre onéreux dans la mesure où ils ont pour objet un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail ; que, pour rejeter la demande de la société Agrofibre, la cour d'appel a relevé que la cession à son profit du fonds de commerce de la société Agrofibra SL retenue par l'administration fiscale pour asseoir les bases de l'imposition, était caractérisée ; qu'en statuant ainsi, sans constater qu'avaient été transmises à titre onéreux à la société Agrofibre l'activité et la clientèle propres au cédant, elle n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 719 et 809.I, 3°, du code général des impôts. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir relevé que, dès le début de son activité en 2007, la société Agrofibre, ayant pour objet social toutes opérations industrielles et commerciales se rapportant à l'achat, la vente de paille, de chanvre, de fibre, de chènevotte et de tout produit résultant des procédés de transformation de ces produits, avait eu pour clients ceux de la société Agrofibra, qui avaient représenté, au titre de l'exercice clos en 2009, près de 47 % du chiffre d'affaires de la société bénéficiaire de l'apport, et que l'un des principaux fournisseurs de matières premières de la société Agrofibra était également devenu le fournisseur de la société Agrofibre, puis constaté qu'il résultait de la demande de renseignements effectuée par l'administration fiscale auprès des autorités espagnoles que la société Agrofibra, dont l'objet social était le traitement, la transformation et la commercialisation de toutes espèces d'articles agricoles, animaux et forestiers, avait vu son chiffre d'affaires diminuer en 2006 pour devenir nul en 2008, tandis que celui de la société Agrofibre avait progressé, la cour d'appel a retenu que la cessation progressive d'activité de la société Agrofibra, révélée par la courbe de son chiffre d'affaires, correspondant à l'évolution très rapide de celui de la société Agrofibre, était révélatrice d'un transfert effectif de la clientèle et des moyens matériels et humains de la société espagnole au profit de la société française.

9. De ces constatations et appréciations, caractérisant la transmission de l'activité et de la clientèle propres à la société ayant réalisé l'apport, la cour d'appel, qui en a déduit que l'acte d'apport en nature ainsi que la cession indirecte de matériel de la société Agrofibra à la société Agrofibre par l'intermédiaire de la société Van Domele constituaient une opération d'apport de fonds de commerce, corroborée par le transfert des contrats de travail de deux salariés et la transmission du nom commercial par simple francisation, a légalement justifié sa décision.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

11. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 809, I, 3°, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, tel qu'interprété à la lumière des articles 10 et 12, paragraphe 1, sous b), de la directive n° 69/335/CEE du Conseil du 17 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux :

12. Par dérogation aux dispositions de l'article 10 de la directive n° 69/335/CEE susvisée, qui prohibent la perception, en dehors du droit d'apport, de toute imposition pour l'augmentation du capital social d'une société de capitaux au moyen de l'apport de biens de toute nature, l'article 12, paragraphe 1, sous b), de cette directive autorise chaque État membre à percevoir des droits de mutation sur l'apport à une société de biens immeubles ou de fonds de commerce à la condition qu'ils soient situés sur son territoire. Il en résulte que l'article 809, I, 3°, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, qui dispose que les apports en nature portant sur un immeuble ou des droits immobiliers, un fonds de commerce, une clientèle, un droit à un bail ou à une promesse de bail sont assimilés à des mutations à titre onéreux lorsqu'ils sont faits à une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés par une personne morale non soumise à cet impôt, de sorte qu'ils sont soumis aux droits d'enregistrement prévus à l'article 719 du code général des impôts, ne s'applique qu'à la condition que les biens apportés soient situés sur le territoire national.

13. Pour dire l'administration fiscale fondée à appliquer le droit spécial de mutation prévu à l'article 809, I, 3° du code général des impôts aux apports effectués par la société espagnole Agrofibra à la société française Agrofibre, l'arrêt relève qu'au cours de l'exercice clos en 2007, la société Agrofibra a vendu une partie de son matériel de production à la société belge Van Domele, qui l'a ensuite revendue à la société Agrofibre au mois de mai 2008, et constate que la société Agrofibra exploitait le fonds de commerce litigieux en Espagne jusqu'à la cession, en 2008, de l'ensemble de ses moyens d'exploitation (fonds de commerce et matériel de production) à la société Agrofibre, dont le siège social est situé à [Localité 4]e et qui l'exploite en France depuis cette date. Il relève encore que l'acte constatant l'apport a bien été enregistré en France. Il en déduit que l'assise matérielle et juridique du fonds de commerce, objet de l'apport, est en France.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait que le 4 mai 2007, date de présentation à la formalité de l'enregistrement du traité d'apport litigieux, le fonds de commerce objet de l'apport n'était pas situé ni exploité sur le territoire national, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en ses dispositions relatives à la prescription du droit de reprise de l'administration fiscale, l'arrêt rendu le 28 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule la décision du 10 décembre 2014 rejetant la réclamation de la société Agrofibre ;

Prononce la décharge des rappels de droits d'enregistrement mis en recouvrement.

- Président : M. Guérin (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lion - Avocat général : Mme Beaudonnet - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 10 et 12, § 1, sous b), de la directive n° 69/335/CEE du Conseil du 17 juillet 1969 ; article 809, I, 3°, du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004.

Rapprochement(s) :

Sur l'application de la directive n° 69/335/CEE du Conseil du 17 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, à rapprocher : Com., 21 mai 1996, pourvoi n° 94-14.785, Bull. 1996, IV, n° 140 (rejet).

Soc., 8 décembre 2021, n° 20-13.905, (B)

Cassation partielle

Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 – Procédures d'insolvabilité – Domaine d'application – Etendue – Cas – Action en lien étroit et direct avec la procédure principale d'insolvabilité – Exclusion – Action du salarié fondée sur l'article L. 1224-1 du code du travail – Portée

Relève du champ d'application du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, l'action du salarié fondée, dans le contexte de l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité au sens du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, sur l'article L. 1224-1 du code du travail.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 novembre 2019), la société Mint Equities Limited, devenue la société MEQ Realisations Limited, établie à [Localité 5] (Royaume-Uni) et ayant une activité de courtage sur instruments financiers pour le compte de tiers, a engagé M. [P], à compter du 1er avril 2010, pour exercer des fonctions de courtier sur le site de sa succursale parisienne.

2. Saisie par les dirigeants de la société Mint Equities Limited, la High Court of Justice, Chancery Division, Companies Court (Royaume-Uni) a, par ordonnance du 19 août 2010, rendue sur le fondement de l'Insolvency Act 1986, désigné MM. [W] et [Y], du cabinet PricewaterhouseCoppers LLP, comme « administrators » de cette société, rejeté la requête en liquidation (« winding-up Petition ») présentée par la société Base Interiors Limited et s'est dite convaincue, aux fins de l'application de l'article 3 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, que le centre des intérêts principaux de la société Mint Equities Limited est en Angleterre et au Pays de Galles.

3. Par acte du 19 août 2010, les sociétés Mint Parteners Limited (« in administration ») et Mint Equities Limited (« in administration »), représentées par MM. [W] et [Y] en qualité d'« administrators » ont cédé, dans le cadre d'un accord « pre-pack », à la société BGC Brokers LP leur activité et certains éléments d'actif, à l'exclusion de l'activité menée depuis la France et des éléments d'actif situés en France. Tout en prévoyant le transfert des contrats de travail des salariés employés au Royaume-Uni, à Dubaï et en Suisse, cet acte excluait expressément la reprise du contrat de travail de M. [P].

4. Saisi par MM. [W] et [Y] en qualité d'« administrators », le tribunal de commerce de Paris a, par jugement en date du 28 octobre 2010, ouvert une procédure secondaire de liquidation judiciaire à l'égard de la société Mint Equities Limited et désigné la société MJA, prise en la personne de Mme [R], en qualité de mandataire judiciaire liquidateur.

5. M. [P] a été licencié pour motif économique par lettre du 12 novembre 2010.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer la juridiction prud'homale incompétente pour connaître de son action fondée sur le transfert du contrat de travail et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé (CJUE, 4 sept. 2014, [I], aff. C-157/13, 9 nov. 2017, [G], aff. C-641/16, 20 déc. 2017, [F], aff. C-649/16, 6 fév. 2019, NK, aff. C-535/17, 18 sept. 2019, [E], aff. C-47/18) que seules les actions qui dérivent directement d'une procédure d'insolvabilité et qui s'y insèrent étroitement entrent dans le champ d'application du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, que l'élément déterminant pour identifier le domaine dont relève une action est non pas le contexte procédural dans lequel elle s'inscrit cette action, mais le fondement juridique de cette dernière et que selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou l'obligation qui sert de base à l'action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d'insolvabilité ; que, d'autre part, la Cour de cassation a jugé (Soc., 28 oct. 2015, n° 14-21.319) que le litige relatif à la rupture du contrat de travail du salarié et aux créances salariales durant la relation de travail ne relève pas de la procédure d'insolvabilité, ainsi que cela résulte des articles 4 et 10 du règlement CE n° 1346/2000, et que la compétence juridictionnelle pour connaître d'un tel litige doit être déterminée en application de l'article 19 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; qu'il en résulte, en l'espèce, que l'action du salarié en paiement de diverses sommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour être intervenu en violation de la directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 et de l'article L. 1224-1 du code du travail ne trouvait pas son fondement juridique dans des règles spécifiques aux procédures d'insolvabilité et, par conséquent, ne relevait pas de la compétence du tribunal anglais ayant ouvert la procédure d'insolvabilité ; que dès lors, en infirmant le jugement en ce qu'il avait reconnu, sur le fondement du lieu d'exécution du contrat de travail en France, la compétence du conseil des prud'hommes pour connaître de l'action du salarié tirée de la violation du droit au transfert de son contrat de travail à la société BGC Brokers, la cour d'appel a violé les articles 4 et 10 du règlement (CE) n° 1346/2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, ensemble l'article 19 du règlement (CE) n° 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1er, § 1 et § 2, sous b), du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et l'article 3, § 1, du règlement (CE) nº 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité :

8. Selon l'article 1er, § 1, du règlement n° 44/2001, ce dernier s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction.

9. Aux termes de l'article 1er, § 2, sous b), de ce règlement sont exclus de son application les faillites, concordats et autres procédures analogues.

10. Aux termes de l'article 3, §1, du règlement n° 1346/2000, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité.

11. Cette disposition attribue également une compétence internationale aux juridictions de l'État membre sur le territoire duquel a été ouverte la procédure d'insolvabilité pour connaître des actions qui dérivent directement de cette procédure et qui s'y insèrent étroitement (CJCE, arrêt du 12 février 2009, Seagon, C-339/07, points 21 et 22).

12. Seules les actions qui dérivent directement d'une procédure d'insolvabilité et qui s'y insèrent étroitement sont exclues du champ d'application du règlement n° 44/2001.

Par voie de conséquence, seules ces actions entrent dans le champ d'application du règlement n° 1346/2000 (CJUE, arrêt du 9 novembre 2017, [G] France et [G] Maschinenbau, C-641/16, point 19).

13. S'agissant du premier critère, afin de déterminer si une action dérive directement d'une procédure d'insolvabilité, l'élément déterminant pour identifier le domaine dont relève une action est non pas le contexte procédural dans lequel s'inscrit cette action, mais le fondement juridique de cette dernière.

Selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou l'obligation qui sert de base à l'action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d'insolvabilité (CJUE, arrêt du 9 novembre 2017, [G] France et [G] Maschinenbau, C-641/16, point 22).

14. Pour déclarer la juridiction prud'homale incompétente pour connaître de l'action tirée de la violation du droit au transfert du contrat de travail du salarié, l'arrêt retient, en premier lieu, que la matière du transfert du contrat de travail lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, telle qu'elle s'évince de l'article L. 1224-1 du code du travail, est équivalente à celle de la directive n° 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, cette directive étant aussi d'effet direct au Royaume-Uni, en deuxième lieu, que la procédure collective d'« administration » de l'Insolvency Act 1986 qui régit la procédure anglaise du « pre-packaged administration », dans sa version applicable au litige, est visée à l'annexe A du règlement nº 1346/2000 et que cette annexe A a la même autorité que son règlement, en troisième lieu, que les articles 16 et 17 du règlement n° 1346/2000 imposent à tout État membre de reconnaître la décision d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité dès que celle-ci produit ses effets dans l'État d'origine sans que puisse être vérifiée la compétence des juridictions de cet État, l'article 26 de ce règlement autorisant tout État membre à refuser de reconnaître une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre État membre ou d'exécuter une décision prise dans le cadre d'une telle procédure seulement lorsque cette reconnaissance ou cette exécution produirait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ou aux droits et aux libertés individuelles garantis par sa Constitution et, en quatrième lieu, que l'action du salarié fondée sur la fraude à la loi anglaise ou aux règles de conflits de lois ou de juridictions en matière de transfert du contrat de travail dérive directement de la procédure d'insolvabilité du Royaume-Uni où est situé le centre des intérêts principaux des débiteurs et s'y insère étroitement.

15. En statuant ainsi, alors que l'action du salarié était fondée sur l'article L. 1224-1 du code du travail prévoyant en cas de survenance d'une modification dans la situation juridique de l'employeur, la subsistance, entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise, de tous les contrats de travail en cours au jour de la modification, que le bénéfice de cette disposition ne requiert pas l'ouverture préalable d'une procédure d'insolvabilité au sens du règlement n° 1346/2000, que son objet est la poursuite des contrats de travail des salariés, que l'exercice d'une telle action ne requiert pas l'intervention d'un syndic, au sens de l'article 2 du règlement n° 1346/2000, et ne tend pas au remboursement partiel des créanciers de sorte que l'action du salarié ne dérivait pas directement d'une procédure d'insolvabilité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare le conseil de prud'hommes de Paris incompétent pour connaître de l'action du salarié fondée sur le transfert du contrat de travail, l'arrêt rendu le 5 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 3, § 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité ; article 1, §§ 1 et 2, sous b), du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination des domaines d'application respectifs du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 et du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, à rapprocher : Soc., 28 octobre 2015, pourvoi n° 14-21.319, Bull. 2015, V, n° 213 (rejet), et les arrêts cités.

Soc., 1 décembre 2021, n° 19-24.766, n° 19-25.812, n° 19-26.269, (B) (R)

Rejet et cassation partielle

Travail – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 – Article 7 – Repos et congés – Droit au congé annuel payé – Exigence d'une période de travail effectif pendant une période de référence – Exclusion – Cas – Nullité du licenciement – Période d'éviction précédant la réintégration du salarié – Portée

Par arrêt du 25 juin 2020 (CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, C- 762/18 et Iccrea Banca, C-37-19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l'annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n'a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n'a pas accompli un travail effectif au service de l'employeur.

Il en résulte que sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Doit en conséquence être cassé l'arrêt qui, pour rejeter la demande du salarié tendant à obtenir que l'employeur soit condamné à lui payer une rémunération pour chaque mois écoulé entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration assortie des congés payés afférents, retient que la période d'éviction n'ouvre pas droit à acquisition de jours de congés.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-24.766, 19-26.269 et 19-25.812 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 septembre 2019), statuant sur renvoi après cassation (Soc., 6 octobre 2017, pourvoi n° 16-17.164), M. [T], engagé le 5 novembre 2008 en qualité de « principal consultant », directeur conseil France, par la société Frost & Sullivan Limited (la société), puis à partir de l'avenant du 31 janvier 2011 pour les seules activités de « principal consultant », a été victime d'un accident du travail le 24 juin 2010 et a été placé en arrêt de travail jusqu'au 5 juillet suivant.

3. Il a été licencié pour insuffisance professionnelle le 10 août 2012.

4. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur les premier, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens des pourvois n° 19-24.766 et 19-26.269, et sur le moyen du pourvoi n° 19-25.812, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen des pourvois n° 19-24.766 et 19-26.269

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui payer une rémunération de 8491,66 euros pour chaque mois écoulé entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration assortie des congés payés afférents, alors « que ce qui est annulé est réputé ne jamais avoir existé et l'annulation requiert de rétablir le statu quo ante ; qu'en affirmant que la période d'éviction n'ouvrait pas droit à acquisition de jours de congés payés après avoir pourtant constaté qu'il y avait lieu d'annuler le licenciement du salarié ce dont il résultait qu'il était fondé à solliciter le paiement de toutes les sommes et les droits dont il aurait bénéficié s'il n'avait pas été licencié, en ce compris ses salaires et les jours de congés payés afférents, la cour d'appel a violé l'article 1101 du code civil, ensemble l'article L. 1226-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail :

7. Aux termes du premier de ces textes, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

8. Aux termes du second de ces textes, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions des articles L. 1226-9 et L. 1226-18 est nulle.

9. La Cour de cassation a jugé que la période d'éviction ouvrant droit, non à une acquisition de jours de congés, mais à une indemnité d'éviction, le salarié ne pouvait bénéficier effectivement de jours de congés pour cette période (Soc., 11 mai 2017, pourvoi n° 15-19.731, 15-27.554, Bull. 2017, V, n° 73 ; voir également Soc., 30 janvier 2019, pourvoi n° 16-25.672). Elle a jugé de même que le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans la limite des salaires dont il a été privé et qu'il ne peut acquérir de jours de congés pendant cette période (Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-19.004).

10. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 25 juin 2020 (CJUE, 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, aff. C- 762/18 et Iccrea Banca, aff. C-37-19), a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l'annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n'a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n'a pas accompli un travail effectif au service de l'employeur.

11. La Cour de justice a précisé dans cette décision que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit au congé annuel, consacré à l'article 7 de la directive 2003/88, a une double finalité, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l'exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d'une part, et disposer d'une période de détente et de loisirs, d'autre part (arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15, EU :C :2016 :576, point 34 et jurisprudence citée) (point 57).

12. Cette finalité, qui distingue le droit au congé annuel payé d'autres types de congés poursuivant des finalités différentes, est basée sur la prémisse que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence.

En effet, l'objectif de permettre au travailleur de se reposer suppose que ce travailleur ait exercé une activité justifiant, pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé visée par la directive 2003/88, le bénéfice d'une période de repos, de détente et de loisirs. Partant, les droits au congé annuel payé doivent en principe être déterminés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C-12/17, EU :C :2018 :799, point 28 et jurisprudence citée) (point 58).

13. Cela étant, dans certaines situations spécifiques dans lesquelles le travailleur est incapable de remplir ses fonctions, le droit au congé annuel payé ne peut être subordonné par un État membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, EU :C :2012 :33, point 20 et jurisprudence citée) (point 59).

14. Il en est ainsi, notamment, en ce qui concerne les travailleurs qui sont absents du travail à cause d'un congé de maladie au cours de la période de référence.

En effet, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, au regard du droit au congé annuel payé, ces travailleurs sont assimilés à ceux qui ont effectivement travaillé au cours de cette période (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C-12/17, EU :C :2018 :799, point 29 et jurisprudence citée) (point 60).

15. Or, il y a lieu de constater que, tout comme la survenance d'une incapacité de travail pour cause de maladie, le fait qu'un travailleur a été privé de la possibilité de travailler en raison d'un licenciement jugé illégal par la suite est, en principe, imprévisible et indépendant de la volonté de ce travailleur (point 67).

16. Dès lors, la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de la réintégration du travailleur dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l'annulation de ce licenciement par une décision judiciaire, doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de la détermination des droits au congé annuel payé (point 69).

17. Enfin, il convient de préciser, que, dans l'hypothèse où le travailleur concerné a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son premier emploi, ce travailleur ne saurait prétendre, à l'égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi (points 79 et 88).

18. Il en résulte qu'il y a lieu de juger désormais que, sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

19. Pour rejeter la demande du salarié tendant à obtenir que la société soit condamnée à lui payer une rémunération pour chaque mois écoulé entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration assortie des congés payés afférents, l'arrêt retient que le salaire mensuel à prendre en considération pour calculer l'indemnité d'éviction s'élève à 8 491,66 euros, soit la rémunération perçue en moyenne par l'intéressé avant la rupture, et que la période d'éviction n'ouvre pas droit à acquisition de jours de congés.

20. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation prononcée (sur le deuxième moyen des pourvois n° 19-24.766 et 19-26.269) n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 19-25.812 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [T] de sa demande au titre des congés payés afférents à l'indemnité d'éviction, l'arrêt rendu le 25 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Capitaine - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'ouverture du droit à l'acquisition de congés durant la période d'éviction précédant la réintégration du salarié : CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, C- 762/18 et Iccrea Banca, C-37-19. En sens contraire : Soc., 11 mai 2017, pourvoi n° 15-19.731, Bull. 2017, V, n° 73 (rejet).

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