Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL

Soc., 15 décembre 2021, n° 19-18.226, (B)

Rejet et cassation partielle sans renvoi

Convention de forfait – Convention de forfait sur l'année – Convention de forfait en jours sur l'année – Validité – Conditions – Durée maximale raisonnable de travail – Respect – Détermination – Portée

Il découle des dispositions de l'article 4 de l'accord d'entreprise prévoyant, d'une part, que la mission et la charge de travail confiées aux cadres ne devaient pas conduire à imposer un horaire moyen sur l'année supérieur à huit heures de temps de travail effectif par jour soit l'équivalent de 1736 heures à l'année pour la majorité des cadres, d'autre part, que les cadres ne devraient pas dépasser un horaire quotidien de dix heures de temps de travail effectif et ne pourraient être astreints à respecter un tel horaire, que l'employeur doit définir et adapter la charge de travail confiée au salarié dans le respect des plafonds horaires conventionnels. Il résulte de l'accord d'entreprise, qui prévoient également de rechercher une organisation du temps de travail permettant l'octroi systématique des deux jours entiers de repos hebdomadaire par semaine accolés ou non suivant les besoins des établissements et que chaque cadre devrait bénéficier d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 35 heures consécutives, sauf dérogation en cas de circonstances exceptionnelles et dans les conditions prescrites par la législation, que l'employeur doit notamment veiller au risque de surcharge de travail du salarié et y remédier, de sorte que le contrôle de la durée maximale de travail soit assuré. Fait l'exacte application de la loi la cour d'appel, qui a retenu que les stipulations de l'accord d'entreprise étaient de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours.

Convention de forfait – Convention de forfait en jours sur l'année – Validité – Conditions – Accord collectif prévoyant la convention de forfait en jours et assurant la protection de la sécurité et de la santé du salarié – Application par l'employeur – Défaut

Le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours n'entraîne pas son inopposabilité aux salariés, mais la privation d'effet de la convention individuelle conclue en application de cet accord.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mai 2019), un accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail concernant le personnel d'encadrement a été conclu le 11 janvier 2001 au sein des sociétés Conforama France (la société), Cogedem et Conforama management services.

2. Le Syndicat national de l'encadrement du commerce SNEC CFE-CGC (le syndicat) a saisi un tribunal de grande instance aux fins notamment de voir prononcer la nullité de cet accord du 11 janvier 2001 et celle des conventions individuelles de forfait en jours prises en son application, en soutenant que ce texte ne respectait pas le droit à la santé et à la sécurité des salariés.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal du syndicat, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif à la nullité des conventions individuelles de forfait conclues en application de l'accord d'entreprise, et sur le second moyen du pourvoi principal du syndicat, en ce qu'il vise les chefs de dispositif relatifs à l'inopposabilité des conventions de forfait en jours aux salariés concernés et au décompte du temps de travail, réunis

Enoncé du moyen

3. Le syndicat fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à la nullité des conventions individuelles de forfait conclues en application de l'accord collectif du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, en ce qu'il a limité à la période antérieure à l'année 2015 l'inopposabilité des conventions individuelles de forfait conclues en application de cet accord, sous réserve, pour la société de justifier avoir établi après cette date le document annuel décomptant forfaitairement le nombre de journées et/ou de demi-journées travaillées prévu à l'article 2.3 de l'accord et en ce qu'il a rejeté en conséquence sa demande tendant au décompte du temps de travail des salariés cadres suivant le droit commun pour la période postérieure, alors :

« 1°/ qu'un régime de forfait en jours ne peut être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps ; qu'après avoir relevé que certains cadres de la société Conforama France étaient chargés d'assurer la fermeture de magasins ou d'effectuer des permanences, ce qui est antinomique avec la notion de cadre autonome, la cour a jugé que ces cadres disposaient d'une autonomie dans l'organisation de leurs fonctions ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'ancien article L. 212-15-3 du code du travail ;

2°/ que l'article 3 de l'accord du 11 janvier 2001, portant « définition du personnel visé par l'accord », « ne définit qu'une catégorie de cadres, dite « cadres autonomes'', dans le souci de « ne pas créer de distinction de régime entre les cadres », et précise que « chaque cadre se voit confirmer et/ou reconnaître une réelle autonomie dans l'exercice de la mission qui lui est confiée » ; que l'article 4 fixe les règles d'organisation et d'aménagement du temps de travail « compte tenu de l'autonomie reconnue aux cadres et du fait qu'ils sont juges des horaires nécessaires à l'accomplissement de la mission dont ils ont la responsabilité » ; qu'en en déduisant que, parmi les cadres de la société Conforama France, l'accord ne visait que ceux bénéficiant d'une autonomie dans l'organisation de leur travail et dont les horaires ne pouvaient être fixés à l'avance, quand il résultait des termes clairs et précis des stipulations précitées que l'ensemble des salariés cadres de la société Conforama France étaient considérés comme autonomes et inclus dans le régime du forfait en jours, la cour a violé l'accord collectif du 11 janvier 2001 ;

3°/ que tout accord collectif autorisant la conclusion de conventions de forfait doit prévoir un suivi effectif et régulier par la hiérarchie du temps travaillé, permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ; que les stipulations de l'accord du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, qui se limitent à prévoir, s'agissant du suivi de la charge et de l'amplitude de travail des salariés concernés, un décompte annuel des journées et demi-journées travaillées de chaque cadre et un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique, n'instaurent pas un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ; qu'en jugeant que de telles stipulations étaient de nature à assurer la santé et la sécurité des cadres intéressés et en refusant de prononcer la nullité de cet accord et des conventions de forfait conclues en application, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 212-15-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, interprété à la lumière de l'article 17, paragraphes 1 et 4, de la directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

5. Si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier de recours au forfait en jours, sous réserve de l'exercice éventuel par les salariés concernés des droits qu'il tiennent de la relation contractuelle, et à satisfaire aux obligations conventionnelles de nature à assurer le respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que les repos quotidiens et hebdomadaires, ses demandes tendant à obtenir, d'une part, la nullité ou l'inopposabilité des conventions individuelles de forfait en jours des salariés concernés et, d'autre part, que le décompte du temps de leur travail soit effectué selon les règles du droit commun, qui n'ont pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession, ne sont pas recevables.

6. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée de ce chef.

Sur le premier moyen du pourvoi principal du syndicat, pris en ses deux premières branches, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif à la nullité de l'accord d'entreprise

Enoncé du moyen

7. Le syndicat fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 1er février 2018 en ce qu'il l'a débouté de sa demande de nullité de l'accord collectif du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, alors :

« 1°/ qu'un régime de forfait en jours ne peut être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps ; qu'après avoir relevé que certains cadres de la société Conforama France étaient chargés d'assurer la fermeture de magasins ou d'effectuer des permanences, ce qui est antinomique avec la notion de cadre autonome, la cour a jugé que ces cadres disposaient d'une autonomie dans l'organisation de leurs fonctions ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'ancien article L. 212-15-3 du code du travail ;

2°/ que l'article 3 de l'accord du 11 janvier 2001, portant « définition du personnel visé par l'accord », « ne définit qu'une catégorie de cadres, dite « cadres autonomes'', dans le souci de « ne pas créer de distinction de régime entre les cadres », et précise que « chaque cadre se voit confirmer et/ou reconnaître une réelle autonomie dans l'exercice de la mission qui lui est confiée » ; que l'article 4 fixe les règles d'organisation et d'aménagement du temps de travail « compte tenu de l'autonomie reconnue aux cadres et du fait qu'ils sont juges des horaires nécessaires à l'accomplissement de la mission dont ils ont la responsabilité » ; qu'en en déduisant que, parmi les cadres de la société Conforama France, l'accord ne visait que ceux bénéficiant d'une autonomie dans l'organisation de leur travail et dont les horaires ne pouvaient être fixés à l'avance, quand il résultait des termes clairs et précis des stipulations précitées que l'ensemble des salariés cadres de la société Conforama France étaient considérés comme autonomes et inclus dans le régime du forfait en jours, la cour a violé l'accord collectif du 11 janvier 2001. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article L. 212-15-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, un régime de forfait en jours ne peut être appliqué qu'aux cadres dont la durée de travail ne peut être déterminée et qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps.

9. Selon l'article 3 de l'accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail concernant le personnel d'encadrement conclu le 11 janvier 2001 au sein des sociétés Conforama France, Cogedem et Conforama management services, le personnel cadre de la société est classé dans une catégorie unique dite « cadres autonomes ». Chaque cadre se voit confirmer et/ou reconnaître une réelle autonomie dans l'exercice de la mission qui lui est confiée et, ainsi, n'est pas astreint au respect d'horaires strictement définis.

10. Cette définition, qui permet d'apprécier le degré d'autonomie des catégories de salariés concernés, est conforme aux exigences de l'article L. 212-15-3 III du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, dans la mesure où, d'une part, la convention de forfait doit faire l'objet d'un accord particulier entre l'employeur et le salarié et où, d'autre part, il appartient au juge de vérifier en cas de litige que les fonctions effectivement exercées par le cadre ne lui permettent pas d'être soumis à l'horaire collectif de travail.

11. La cour d'appel a fait ressortir que les sujétions imposées à certains cadres d'assurer la fermeture du magasin ou d'effectuer des permanences ne les empêchaient pas de disposer d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et ne les contraignaient pas à être soumis à l'horaire collectif, de sorte que ces salariés étaient susceptibles de relever du régime du forfait en jours.

12. Le moyen, qui en sa deuxième branche critique des motifs du jugement qui n'ont pas été adoptés par la cour d'appel, n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi principal du syndicat, pris en sa troisième branche, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif à la nullité de l'accord d'entreprise

Enoncé du moyen

13. Le syndicat fait le même grief à l'arrêt, alors « que tout accord collectif autorisant la conclusion de conventions de forfait doit prévoir un suivi effectif et régulier par la hiérarchie du temps travaillé, permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ; que les stipulations de l'accord du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, qui se limitent à prévoir, s'agissant du suivi de la charge et de l'amplitude de travail des salariés concernés, un décompte annuel des journées et demi-journées travaillées de chaque cadre et un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique, n'instaurent pas un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ; qu'en jugeant que de telles stipulations étaient de nature à assurer la santé et la sécurité des cadres intéressés et en refusant de prononcer la nullité de cet accord et des conventions de forfait conclues en application, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 212-15-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, interprété à la lumière de l'article 17, paragraphes 1 et 4, de la directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

14. L'article 4 de l'accord d'entreprise prévoit, d'une part, que la mission et la charge de travail confiées aux cadres ne devaient pas conduire à imposer un horaire moyen sur l'année supérieur à huit heures de temps de travail effectif par jour soit l'équivalent de 1 736 heures à l'année pour la majorité des cadres et en particulier les responsables de rayon, les responsables administratifs, les responsables de dépôt, les responsables « front-office » et les autres cadres de niveau comparable dans le réseau ou au siège, d'autre part, que les cadres ne devraient pas dépasser un horaire quotidien de dix heures de temps de travail effectif et ne pourraient être astreints à respecter un tel horaire. Il en découle que l'employeur doit définir et adapter la charge de travail confiée au salarié dans le respect des plafonds horaires conventionnels.

15. Aux termes de l'article 7.2 de l'accord d'entreprise, les signataires du texte étaient convenus de rechercher une organisation du temps de travail permettant l'octroi systématique des deux jours entiers de repos hebdomadaire par semaine accolés ou non suivant les besoins des établissements et que chaque cadre devrait bénéficier d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 35 heures consécutives, sauf dérogation en cas de circonstances exceptionnelles et dans les conditions prescrites par la législation.

16. Il résulte de ces dispositions que l'employeur doit notamment veiller au risque de surcharge de travail du salarié et y remédier, de sorte que le contrôle de la durée maximale de travail soit assuré.

17. La cour d'appel, qui a retenu que les stipulations de l'accord d'entreprise étaient de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours, a fait l'exacte application de la loi.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal du syndicat, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif à l'inopposabilité de l'accord d'entreprise

Enoncé du moyen

19. Le syndicat fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du tribunal de grande instance en ce qu'il a limité à la période antérieure à l'année 2015 l'inopposabilité de l'accord du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, alors :

« 1°/ que le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d'effet cet accord et les conventions de forfait conclues en application ; que, pour juger que l'accord du 11 janvier 2001 et les conventions de forfait étaient opposables aux salariés à compter de l'année 2015, sous réserve pour la société de justifier avoir établi après cette date le document annuel décomptant forfaitairement le nombre de journées et/ou de demi-journées travaillées prévu à l'article 2.3 de l'accord, la cour a relevé que le décompte annuel des jours travaillés paraissait assuré et que les entretiens annuels ont abordé l'organisation et la charge de travail des salariés à partir de cette année, conformément à l'article 2.3 ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, après 2015, la société Conforama France avait respecté les règles posées aux articles 4 et 7.2 de l'accord, relatives aux horaires et aux jours de travail des cadres, aux mesures de suivi de la hiérarchie et au repos hebdomadaire, ainsi que cela lui était demandé par le syndicat national de l'encadrement du commerce CFE-CGC, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article L. 212-15-3 du code du travail ;

2°/ qu'il appartient au juge de trancher, en droit et en fait, le litige dont il est saisi ; que, saisie d'une demande tendant à ce que la violation de l'accord du 11 janvier 2001 par la société Conforama soit constatée et sanctionnée, la cour était tenue de se prononcer sur les manquements allégués pour l'ensemble de la durée d'application de cet accord ; qu'en limitant son analyse à la période antérieure à 2015 et en réservant à la société Conforama France la possibilité d'apporter des justifications pour la période ultérieure, la cour a commis un déni de justice et violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

20. Le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours, s'il prive d'effet les conventions individuelles de forfait conclues sur son fondement, n'entraîne pas l'inopposabilité de cet accord collectif aux salariés auxquels il s'applique.

21. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif au respect des garanties prévues par l'accord d'entreprise

Enoncé du moyen

22. L'employeur fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du tribunal de grande instance en ce qu'il a dit qu'il n'avait pas respecté les garanties imposées par l'accord du 11 janvier 2001 relatives au respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires, alors « que l'employeur doit observer les stipulations de l'accord collectif, dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le décompte annuel des jours travaillés par les cadres autonomes en forfait jours était assuré par les pièces produites par la société Conforama France, ce qui établissait que l'employeur respectait l'obligation d'effectuer un décompte forfaitaire, chaque année, du nombre de journées et/ou de demi-journées travaillées (art. 2.3 « modalités de décompte du temps de travail ») ; qu'elle a aussi constaté que « les formulaires d'entretien annuel communiqués par le SNEC CFE-CGC pour les années 2012-2013 » concernaient « essentiellement l'évaluation de la performance et des compétences du salarié, la charge de travail étant simplement citée entre parenthèses dans le cadre des commentaires relatifs à la réalisation des objectifs de l'exercice », ce qui impliquait que la question de la charge de travail de chaque salarié était abordée au cours d'entretiens annuels, conformément à l'article 2.3 de l'accord exigeant un suivi au moins une fois par an à l'occasion d'entretiens individuels de l'organisation du travail de chaque salarié et ses moyens de l'optimiser et, conformément à l'article 4 exigeant que la charge de travail des cadres soit « examinée, chaque année, lors des entretiens d'appréciation » ; que la cour d'appel a également relevé, par motifs adoptés des premiers juges, que l'employeur s'était conformé aux exigences de l'accord d'entreprise du 11 janvier 2001, puisqu'il est indiqué sur les bulletins de paie le nombre de jours travaillés dans le cadre du forfait annuel (218 jours avec la journée de solidarité), le récapitulatif des droits à congés échus et des droits en cours, des droits à RTT et du solde de repos ; qu'en décidant, au mépris de ses propres constatations, que l'employeur n'avait pas, avant 2015, observé les stipulations de l'accord collectif, cependant que le respect de celui-ci était établi même avant 2015, la cour d'appel a violé l'ancien article L. 212-15-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

23. La cour d'appel a relevé, par motifs adoptés, qu'il ressortait des comptes-rendus des réunions du comité d'entreprise des 28 avril 2014 et 24 juin 2014 qu'aucun dispositif n'avait été mis en place au sein de la société pour s'assurer du respect effectif des durées maximales de travail. Elle a constaté, par motifs propres, que les entretiens annuels d'évaluation portaient essentiellement sur la performance et les compétences des salariés et que l'employeur s'était montré défaillant dans son obligation d'effectuer un suivi régulier de la charge de travail.

24. Elle en a exactement déduit que l'employeur n'avait pas respecté les clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours.

25. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

26. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 212-15-3 III du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 :

27. Selon ce texte, la convention ou l'accord collectif prévoyant la conclusion de conventions de forfait en jours détermine les conditions de contrôle de son application et prévoit des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte.

28. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'accord d'entreprise du 11 janvier 2001 était inopposable, jusqu'en 2014, aux salariés cadres ayant conclu une convention de forfait en jours, l'arrêt retient que l'absence de mise en oeuvre par la société de mécanismes de contrôle de la charge des cadres autonomes a rendu inopposable à ces personnels l'accord du 11 janvier 2001 jusqu'en 2014 inclus et que ceux-ci se trouvaient donc, dans les limites de la prescription, soumis à la réglementation de droit commun du temps de travail.

29. En statuant ainsi, alors que le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours n'entraîne pas son inopposabilité aux salariés, mais la privation d'effet des conventions individuelles conclues en application de cet accord, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

30. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

31. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement du 1er février 2018 en ce qu'il dit que l'accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail concernant le personnel d'encadrement conclu le 11 janvier 2001 au sein des sociétés Conforama France, Cogedem et Conforama management services et les conventions de forfait en jours prises en application de cet accord étaient inopposables aux salariés cadres soumis au forfait en jours, jusqu'en 2014, sous réserve pour la société de justifier avoir établi après cette date le document annuel décomptant forfaitairement le nombre de journées et/ou de demi-journées travaillées, prévu à l'article 2.3. de l'accord, et en ce qu'il a dit que jusqu'en 2014, et dans la limite du délai de prescription, le temps de travail des salariés cadres devait être décompté suivant le droit commun et toute heure supplémentaire effectuée au-delà de la durée légale, payée et majorée, l'arrêt rendu le 23 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DEBOUTE le Syndicat national de l'encadrement du commerce SNEC CFE-CGC de sa demande tendant à ce que l'accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail concernant le personnel d'encadrement conclu le 11 janvier 2001 au sein des sociétés Conforama France, Cogedem et Conforama management services soit déclaré inopposable aux salariés relevant de cet accord.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article L. 2132-3 du code du travail ; article 4 de l'accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail du 11 janvier 2001 ; article L. 212-15-3, III, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité d'une convention de forfait en jours sur l'année, à rapprocher : Soc., 17 décembre 2014, pourvoi n° 13-22.890, Bull. 2014, V, n° 301 (2) (cassation partielle). Sur la privation d'effet de la convention de forfait en cas de non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés, dans le même sens que : Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-11.940, Bull. 2014, V, n° 272 (1) (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 8 décembre 2021, n° 20-14.178, (B)

Cassation partielle

Réglementation – Loi applicable – Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 – Article 9 – Lois de police – Caractérisation – Exclusion – Portée

En dehors des situations de détachement de travailleurs sur le territoire français, relevant de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, la législation française sur la durée du travail ne constitue pas une loi de police au sens de l'article 9, § 1, du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), mais relève des dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord au sens de l'article 8, § 1, de ce règlement.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Vinci construction grands projets (la société) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Pôle emploi.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 janvier 2020), M. [V] a été engagé par la société, en qualité d'ingénieur contrat, par contrat à durée indéterminée en date du 21 janvier 2008.

3. Par avenant du 22 mai 2013, les parties sont convenues de l'affectation du salarié au Qatar au sein de la société filiale QDVC ainsi que de se référer au droit du travail français, à l'exception des normes impératives et des lois de police du pays en ce qui concerne la conclusion, l'exécution et la rupture du contrat, et à la convention collective nationale des travaux publics applicable et à ses mises à jour en ses seules dispositions concernant les déplacements à l'étranger.

4. Le salarié a été licencié par lettre du 17 février 2014.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié certaines sommes à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte au repos, d'indemnité pour travail dissimulé, d'indemnité pour contrepartie obligatoire en repos, de rappel d'heures supplémentaires et de droits à congés payés afférents, alors « que selon l'article 8 du règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties sous réserve des dispositions impératives de la loi du pays où le salarié accomplit habituellement son travail ; que, selon l'article 9 du même règlement, une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement ; qu'il n'existe aucun impératif de sauvegarde des intérêts publics justifiant que la réglementation française relative à la durée du travail s'applique à une relation de travail ne s'exécutant pas sur le territoire national, de sorte que la loi française ne peut pas être constitutive d'une loi de police dans une telle hypothèse ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que, s'agissant du droit applicable, le contrat stipulait que les parties conviennent de se référer au droit français à l'exception des normes impératives et des lois de police du pays d'accueil ; que la cour d'appel devait donc rechercher si les dispositions du droit qatarien en matière de durée du travail étaient constitutives de normes impératives et lois de police, de sorte que le droit qatarien devait s'appliquer ; qu'en jugeant, pour ne pas tirer les conséquences du constat qu'elle avait fait que les dispositions du droit qatarien relatives à la durée du travail étaient bien des normes impératives et lois de police, que la loi française relative à la durée du travail était ''en France'' une loi de police, cependant que la relation de travail ne s'exécutait pas en France, mais au Qatar, la cour d'appel a violé les articles 8 et 9 du règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 8 et 9, § 1 et § 2, du règlement (CE) n° 593/2008, du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) :

6. Selon l'article 8 de ce règlement, le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l'article 3. Ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 de cet article.

Selon ce paragraphe 2, à défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail.

Aux termes du paragraphe 3, si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l'établissement qui a embauché le travailleur.

Aux termes du paragraphe 4 de cet article, s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s'applique.

7. Aux termes de l'article 9, § 1, du même règlement, une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après ce règlement.

8. Selon l'article 9, § 2, du règlement n° 593/2008, les dispositions de celui-ci ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi.

9. Selon l'article 3, § 1, de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d'une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément à l'article 1er, § 3, de cette directive, sur le territoire d'un État membre garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d'emploi concernant les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos, la durée minimale des congés annuels payés, ainsi que les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires qui, dans l'État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou par des conventions collectives.

10. Conformément au considérant 34 du règlement n° 593/2008, la règle relative au contrat individuel de travail que ce dernier prévoit ne devrait pas porter atteinte à l'application des lois de police du pays de détachement, prévue par la directive 96/71.

11. Pour condamner la société à payer au salarié certaines sommes à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte au repos, d'indemnité pour travail dissimulé, d'indemnité pour contrepartie obligatoire en repos, de rappel d'heures supplémentaires et de droits à congés payés afférents, l'arrêt retient que la législation sur la durée du travail est constitutive en France d'une loi de police.

12. En statuant ainsi, alors que, en dehors des situations de détachement de travailleurs sur le territoire français, relevant de la directive 96/71, la législation française sur la durée du travail ne constitue pas une loi de police mais relève des dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord au sens de l'article 8, § 1, du règlement n° 593/2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, pris en sa première branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Vinci construction grands projets à payer à M. [V] les sommes de 3 000 euros bruts à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte au repos, de 66 426 euros bruts à titre d'indemnité pour travail dissimulé, de 9 928,70 euros bruts à titre d'indemnité pour contrepartie obligatoire en repos, de 23 772, 96 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et de 237,72 euros au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 15 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles 8 et 9, § 1 et § 2, du règlement (CE) n° 593/2008, du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).

Rapprochement(s) :

Sur le choix par les parties de la loi applicable au contrat de travail, à rapprocher : Soc., 4 décembre 2012, pourvoi n° 11-22.166, Bull. 2012, V, n° 317 (2) (rejet).

Soc., 1 décembre 2021, n° 19-24.766, n° 19-25.812, n° 19-26.269, (B) (R)

Rejet et cassation partielle

Repos et congés – Congés payés – Droit au congé – Condition d'ouverture – Exigence d'une période de travail effectif pendant la période de référence – Exclusion – Cas – Nullité du licenciement – Période d'éviction précédant la réintégration du salarié – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-24.766, 19-26.269 et 19-25.812 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 septembre 2019), statuant sur renvoi après cassation (Soc., 6 octobre 2017, pourvoi n° 16-17.164), M. [T], engagé le 5 novembre 2008 en qualité de « principal consultant », directeur conseil France, par la société Frost & Sullivan Limited (la société), puis à partir de l'avenant du 31 janvier 2011 pour les seules activités de « principal consultant », a été victime d'un accident du travail le 24 juin 2010 et a été placé en arrêt de travail jusqu'au 5 juillet suivant.

3. Il a été licencié pour insuffisance professionnelle le 10 août 2012.

4. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur les premier, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens des pourvois n° 19-24.766 et 19-26.269, et sur le moyen du pourvoi n° 19-25.812, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen des pourvois n° 19-24.766 et 19-26.269

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui payer une rémunération de 8491,66 euros pour chaque mois écoulé entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration assortie des congés payés afférents, alors « que ce qui est annulé est réputé ne jamais avoir existé et l'annulation requiert de rétablir le statu quo ante ; qu'en affirmant que la période d'éviction n'ouvrait pas droit à acquisition de jours de congés payés après avoir pourtant constaté qu'il y avait lieu d'annuler le licenciement du salarié ce dont il résultait qu'il était fondé à solliciter le paiement de toutes les sommes et les droits dont il aurait bénéficié s'il n'avait pas été licencié, en ce compris ses salaires et les jours de congés payés afférents, la cour d'appel a violé l'article 1101 du code civil, ensemble l'article L. 1226-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail :

7. Aux termes du premier de ces textes, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

8. Aux termes du second de ces textes, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions des articles L. 1226-9 et L. 1226-18 est nulle.

9. La Cour de cassation a jugé que la période d'éviction ouvrant droit, non à une acquisition de jours de congés, mais à une indemnité d'éviction, le salarié ne pouvait bénéficier effectivement de jours de congés pour cette période (Soc., 11 mai 2017, pourvoi n° 15-19.731, 15-27.554, Bull. 2017, V, n° 73 ; voir également Soc., 30 janvier 2019, pourvoi n° 16-25.672). Elle a jugé de même que le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans la limite des salaires dont il a été privé et qu'il ne peut acquérir de jours de congés pendant cette période (Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-19.004).

10. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 25 juin 2020 (CJUE, 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, aff. C- 762/18 et Iccrea Banca, aff. C-37-19), a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l'annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n'a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n'a pas accompli un travail effectif au service de l'employeur.

11. La Cour de justice a précisé dans cette décision que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit au congé annuel, consacré à l'article 7 de la directive 2003/88, a une double finalité, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l'exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d'une part, et disposer d'une période de détente et de loisirs, d'autre part (arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15, EU :C :2016 :576, point 34 et jurisprudence citée) (point 57).

12. Cette finalité, qui distingue le droit au congé annuel payé d'autres types de congés poursuivant des finalités différentes, est basée sur la prémisse que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence.

En effet, l'objectif de permettre au travailleur de se reposer suppose que ce travailleur ait exercé une activité justifiant, pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé visée par la directive 2003/88, le bénéfice d'une période de repos, de détente et de loisirs. Partant, les droits au congé annuel payé doivent en principe être déterminés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C-12/17, EU :C :2018 :799, point 28 et jurisprudence citée) (point 58).

13. Cela étant, dans certaines situations spécifiques dans lesquelles le travailleur est incapable de remplir ses fonctions, le droit au congé annuel payé ne peut être subordonné par un État membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, EU :C :2012 :33, point 20 et jurisprudence citée) (point 59).

14. Il en est ainsi, notamment, en ce qui concerne les travailleurs qui sont absents du travail à cause d'un congé de maladie au cours de la période de référence.

En effet, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, au regard du droit au congé annuel payé, ces travailleurs sont assimilés à ceux qui ont effectivement travaillé au cours de cette période (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C-12/17, EU :C :2018 :799, point 29 et jurisprudence citée) (point 60).

15. Or, il y a lieu de constater que, tout comme la survenance d'une incapacité de travail pour cause de maladie, le fait qu'un travailleur a été privé de la possibilité de travailler en raison d'un licenciement jugé illégal par la suite est, en principe, imprévisible et indépendant de la volonté de ce travailleur (point 67).

16. Dès lors, la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de la réintégration du travailleur dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l'annulation de ce licenciement par une décision judiciaire, doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de la détermination des droits au congé annuel payé (point 69).

17. Enfin, il convient de préciser, que, dans l'hypothèse où le travailleur concerné a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son premier emploi, ce travailleur ne saurait prétendre, à l'égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi (points 79 et 88).

18. Il en résulte qu'il y a lieu de juger désormais que, sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

19. Pour rejeter la demande du salarié tendant à obtenir que la société soit condamnée à lui payer une rémunération pour chaque mois écoulé entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration assortie des congés payés afférents, l'arrêt retient que le salaire mensuel à prendre en considération pour calculer l'indemnité d'éviction s'élève à 8 491,66 euros, soit la rémunération perçue en moyenne par l'intéressé avant la rupture, et que la période d'éviction n'ouvre pas droit à acquisition de jours de congés.

20. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation prononcée (sur le deuxième moyen des pourvois n° 19-24.766 et 19-26.269) n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° 19-25.812 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [T] de sa demande au titre des congés payés afférents à l'indemnité d'éviction, l'arrêt rendu le 25 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Capitaine - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'ouverture du droit à l'acquisition de congés durant la période d'éviction précédant la réintégration du salarié : CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, C- 762/18 et Iccrea Banca, C-37-19. En sens contraire : Soc., 11 mai 2017, pourvoi n° 15-19.731, Bull. 2017, V, n° 73 (rejet).

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