Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

SUCCESSION

1re Civ., 1 décembre 2021, n° 20-12.315, (B)

Cassation partielle sans renvoi

Conjoint successible – Droits légaux de succession – Collatéraux privilégiés sur des biens reçus par le défunt par succession de ses ascendants – Assiette du droit de retour légal – Exclusion – Bien reçus en règlement d'une créance de salaire différé

Il résulte de la combinaison de l'article 757-3 du code civil et de l'article L. 321-17, alinéa 1, du code rural et de la pêche maritime que les biens reçus de son ascendant par le défunt en règlement d'une créance de salaire différé échappent au droit de retour légal des collatéraux privilégiés.

Dès lors, viole ces textes une cour d'appel qui, après avoir relevé qu'un acte de partage avait attribué à l'un des copartageants des parcelles à concurrence des trois-cinquièmes au titre de la créance de salaire différé dont il était titulaire contre la succession de sa mère et des deux-cinquièmes au titre de ses droits dans l'actif net de succession de celle-ci, décide que l'ensemble des biens attribués à ce copartageant par l'acte de partage, présents en nature au jour de l'ouverture de sa succession, constitue l'assiette du droit de retour légal.

Acte de partage – Biens attribués au copartageant présents en nature au jour de l'ouverture de la succession – Biens reçus en règlement d'une créance de salaire différé – Assiette du droit de retour légal des collatéraux privilégiés – Prise en considération (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 5 décembre 2019), par un acte du 8 novembre 1986 il a été procédé au partage de la succession d'[L] [Y], décédée le 10 février 1986, entre ses trois enfants, Mme [U], Mme [F] et [D] [K]. Celle-ci a reçu des biens immobiliers, dont une partie en règlement d'une créance de salaire différé. Elle est décédée le 27 septembre 2011, en laissant pour lui succéder son époux, M. [K].

2. Lors du partage de cette succession, un litige est né entre le conjoint survivant et les soeurs de la défunte quant à l'assiette du droit de retour légal.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [K] fait grief à l'arrêt de dire que l'ensemble des biens attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, présents en nature au jour de l'ouverture de sa succession, constitue l'assiette pour l'exercice du droit de retour sur le fondement de l'article 757-3 du code civil, alors « que le droit de retour légal des collatéraux privilégiés ne s'exerce que sur les biens que le défunt a reçus de ses ascendants par succession ou donation ; qu'en retenant que le droit de retour avait pour assiette l'intégralité des biens qui avaient été attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, cependant que ceux reçus en contrepartie d'une créance de salaire différée ne pouvaient faire l'objet de cette mesure, la cour d'appel a violé l'article 757-3 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Mme [U] conteste la recevabilité du moyen au motif que M. [K] n'a pas conclu devant la cour d'appel.

5. Cependant, aux termes de l'article 954, dernier alinéa, du code de procédure civile relatif à la procédure devant la cour d'appel, la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement.

6. Le jugement du 8 juin 2018 a retenu qu'il convenait d'exclure de l'assiette du droit de retour légal des collatéraux privilégiés les biens immobiliers reçus par [D] [K] au titre du paiement de sa créance de salaire différé.

7. M. [K], n'ayant pas conclu devant la cour d'appel, est réputé s'approprier les motifs de ce jugement.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 757-3 du code civil et l'article L. 321-17, alinéa 1, du code rural et de la pêche maritime :

9. Aux termes du premier de ces textes, par dérogation à l'article 757-2, en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt avait reçus de ses ascendants par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession sont, en l'absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et soeurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l'origine de la transmission.

10. Aux termes du second, le bénéficiaire d'un contrat de salaire différé exerce son droit de créance après le décès de l'exploitant et au cours du règlement de la succession ; cependant l'exploitant peut, de son vivant, remplir le bénéficiaire de ses droits de créance, notamment lors de la donation-partage à laquelle il procéderait.

11. Il en résulte que les biens reçus de son ascendant par le défunt en règlement d'une créance de salaire différé échappent au droit de retour légal des collatéraux privilégiés.

12. Pour dire que l'ensemble des biens attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, présents en nature au jour de l'ouverture de sa succession, constitue l'assiette du droit de retour légal de Mmes [U] et [F], l'arrêt relève que cet acte a attribué à [D] [K] des parcelles à concurrence des trois-cinquièmes au titre de sa créance de salaire différé et des deux-cinquièmes au titre de ses droits dans l'actif net de succession de sa mère et retient que, si le droit de retour légal ne peut porter, en valeur, que sur la moitié des biens que [D] [K] a recueillis dans l'actif net de succession et non au titre de la créance de salaire différé, il doit pouvoir s'exercer sur l'intégralité des biens qui ont été attribués à celle-ci, sans que le juge ne puisse, en l'état et en l'absence d'accord entre les parties, se prononcer sur l'attribution de lots indivis entre le conjoint survivant et les collatéraux privilégiés.

13. En statuant ainsi, alors que le droit de retour légal ne pouvait porter sur les biens attribués à [D] [K] en règlement de sa créance de salaire différé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'ensemble des biens attribués à [D] [A] épouse [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986, présents en nature au jour de l'ouverture de sa succession, constitue l'assiette pour l'exercice du droit de retour sur le fondement de l'article 757-3 du code civil, l'arrêt rendu le 5 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que l'assiette du droit de retour légal de Mmes [U] et [F] est constituée des deux-cinquièmes des biens qui ont été attribués à [D] [K] par l'acte de partage du 8 novembre 1986 et qui se retrouvent en nature dans la succession.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Buat-Ménard - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SAS Cabinet Colin - Stoclet ; Me Balat -

Textes visés :

Article 757-3 du code civil ; article L. 321-17, alinéa 1, du code rural et de la pêche maritime.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 28 février 2018, pourvoi n° 17-12.040, Bull. 2018, I, n° 39 (rejet).

1re Civ., 1 décembre 2021, n° 20-12.923, (B)

Rejet

Rapport – Modalités – Rapport en valeur – Indemnité de rapport – Eléments constitutifs – Evaluation – Critères – Détermination – Appréciation – Portée

Aux termes de l'article 924-2 du code civil, le montant de l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet.

En l'absence d'indivision entre le bénéficiaire de la libéralité et l'héritier réservataire et, par conséquent, en l'absence de partage, le montant de l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque de sa liquidation ou de leur aliénation par le gratifié.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 16 décembre 2019), [H] [C] est décédé le 19 septembre 2008, en laissant pour lui succéder son fils, M. [R], héritier réservataire, en l'état de deux testaments olographes datés des 30 octobre 2007 et 23 janvier 2008 et instituant MM. [P] et [A] [W], respectivement légataires universel et à titre universel. M. [P] [W] a mis en vente le bien immobilier constituant son legs.

2. M. [R] a assigné MM. [W] en paiement d'indemnités de réduction.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [R] fait grief à l'arrêt de chiffrer aux sommes de 132 720 euros et de 473 740 euros les indemnités de réduction lui étant respectivement dues par MM. [A] et [P] [W], de dire que ces indemnités sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la date de son prononcé, de rejeter sa demande de capitalisation des intérêts et de le condamner à restituer la somme de 57 509 euros à M. [P] [W], alors « qu'en l'absence d'indivision entre le légataire universel et les héritiers réservataires, le calcul de l'indemnité de réduction due par le légataire universel ne saurait, être affecté ni par la date à laquelle ce dernier, postérieurement au décès, a aliéné le bien légué ni par le montant auquel il l'a aliéné ; qu'en prenant en considération, pour fixer le montant de l'indemnité de réduction due par [P] [W], propriétaire de l'immeuble de Mouguerre depuis le décès du testateur le 19 septembre 2008, le prix fixé par le juge de l'expropriation le 23 septembre 2016 pour la cession de ce bien, la cour d'appel a violé les articles 924 et 924-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article 924-2 du code civil, le montant de l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet.

5. En l'absence d'indivision entre le bénéficiaire de la libéralité et l'héritier réservataire et, par conséquent, en l'absence de partage, le montant de l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque de sa liquidation ou de leur aliénation par le gratifié.

6. La cour d'appel a retenu à bon droit que l'indemnité de réduction due par M. [P] [W] devait être calculée d'après le montant de l'indemnité allouée par le juge de l'expropriation à la suite de la préemption de l'immeuble dont il avait été gratifié, soit d'après la valeur du bien légué à l'époque de son aliénation.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches

Enoncé du moyen

8. M. [R] fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors :

« 2°/ qu'en l'absence d'indivision entre le légataire universel et les héritiers réservataires, l'indemnité de réduction est due à compter du décès, point de départ des intérêts de retard ; qu'en retenant que les indemnités de réduction dues par les consorts [W] étaient payables à la date de l'arrêt intervenu, les intérêts courant à compter de celui-ci, la cour d'appel a violé les articles 924 et 924-3 du code civil ;

3°/ subsidiairement, qu'en l'absence d'indivision entre le légataire universel et les héritiers réservataires, l'indemnité de réduction est due à compter de la date de délivrance du legs ; qu'en retenant que les indemnités de réduction dues par les consorts [W] étaient payables à la date de l'arrêt intervenu, les intérêts courant à compter de celui-ci, après avoir constaté que la délivrance des legs s'était effectuée antérieurement, la cour d'appel a violé les articles 924, 924-3 et 1005 du code civil ;

4°/ plus subsidiairement encore, qu'en l'absence d'indivision entre le légataire universel et les héritiers réservataires, les intérêts moratoires courent à compter du jour où le débiteur de l'indemnité de réduction a été mis en demeure de s'en acquitter ; qu'en retenant que les indemnités de réduction dues par les consorts [W] étaient payables à la date de l'arrêt intervenu, les intérêts courant à compter de celui-ci, la cour d'appel a violé les articles 924 et 924-3 du code civil, ensemble l'article 1153, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article 924-3, alinéa 2, du code civil, également applicable en l'absence d'indivision successorale, à défaut de convention ou de stipulation contraire, l'indemnité de réduction est productive d'intérêts à compter de la date à laquelle son montant a été fixé.

10. Le moyen n'est donc pas fondé

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Dard - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 924-2 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 11 mai 2016, pourvoi n° 14-16.967, Bull. 2016, I, n° 104 (rejet) ; 1re Civ., 4 novembre 2020, pourvoi n° 19-10.179, Bull. 2020, (cassation), et l'arrêt cité.

1re Civ., 15 décembre 2021, n° 20-15.345, (B)

Cassation partielle

Recel – Deniers employés à l'acquisition d'un bien – Restitution des sommes recelées – Modalités – Somme représentant la valeur du bien à la date du partage

Il résulte de l'article 792 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, que l'héritier qui s'est rendu coupable de recel en dissimulant la donation de deniers employés à l'acquisition d'un bien est redevable d'une somme représentant la valeur de ce bien à la date du partage.

S'agissant d'une dette de valeur, les intérêts sur cette somme ne sont dus qu'à compter du jour où elle est déterminée.

Recel – Restitution des sommes recelées – Intérêts – Point de départ – Date à laquelle la dette de valeur est déterminée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 5 novembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 30 septembre 2009, pourvoi n° 08-16.601), [UF] [ZF] et [RY] [H] sont décédés respectivement les 2 septembre 1976 et 19 juillet 1978, en laissant pour leur succéder leur sept enfants, [F], [M], [NB], [VX], [P], [GI] et [L]. [VX] [ZF] est décédée le 4 mai 1995, en laissant pour lui succéder ses trois enfants, [XN], [K] et [UF].

2. Le 28 avril 1998, M. [UF] [D] a assigné [L] [ZF] en rapport de donations et recel successoral.

3. Un arrêt du 25 avril 2008 a dit que [L] [ZF] est privée de tous droits sur un appartement de [Localité 18], dont la nue-propriété a été acquise par elle à l'aide de deniers fournis par son père et dont elle n'a pas fait état lors des opérations de liquidation et de partage, et qu'elle doit restituer ce bien en nature, et non en valeur, à la succession.

4. Cet arrêt a été cassé, mais seulement en ce qu'il dit que l'immeuble recelé doit être restitué en nature et non en valeur.

5. [L] [ZF] étant décédée le 22 janvier 2017, M. [D] a assigné en intervention forcée ses deux filles, Mmes [U] et [A] [J], celle-ci étant représentée par sa tutrice, Mme [Z].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Mme [U] [J] fait grief à l'arrêt de dire que les intérêts de retard sur la valeur de l'immeuble sis à [Adresse 19] courent à compter du 28 avril 1998, alors « que le rapport à succession de la donation d'une somme d'argent ayant permis l'acquisition d'un bien est une dette de valeur déterminée au jour du partage et porte donc intérêts au taux légal à compter de celui-ci ; qu'en jugeant le contraire pour dire que la somme que les ayants-droit d'[L] [ZF] étaient condamnées à rapporter à la succession de [UF] [ZF], qui correspondait à la valeur au jour du partage du bien immobilier de [Localité 18], serait assortie des intérêts de retard à compter du 20 avril 1998, jour de l'assignation des cohéritiers, la cour d'appel a violé l'article 792 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. M. [D] conteste la recevabilité du moyen, en raison de sa nouveauté.

8. Cependant, le moyen est de pur droit.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 792 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 :

10. Il résulte de ce texte que l'héritier qui s'est rendu coupable de recel en dissimulant la donation de deniers employés à l'acquisition d'un bien est redevable d'une somme représentant la valeur de ce bien à la date du partage. S'agissant d'une dette de valeur, les intérêts ne sont dus qu'à compter du jour où elle est déterminée.

11. Après avoir énoncé que le notaire chargé des opérations de liquidation et de partage de la succession devra déterminer la valeur actuelle de l'appartement de [Localité 18], l'arrêt retient que les intérêts de retard au taux légal sur la valeur de l'immeuble seront dûs à compter de la date de l'assignation du 20 avril 1998.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les intérêts de retard sur la valeur de l'appartement de [Localité 18] courent à compter du 20 avril 1998 ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 792 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006.

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