Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL

Soc., 15 décembre 2021, n° 19-18.226, (B)

Rejet et cassation partielle sans renvoi

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accord d'entreprise – Accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail du 11 janvier 2001 – Article 4 – Organisation et aménagement du temps de travail – Durée maximale raisonnable de travail – Respect – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mai 2019), un accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail concernant le personnel d'encadrement a été conclu le 11 janvier 2001 au sein des sociétés Conforama France (la société), Cogedem et Conforama management services.

2. Le Syndicat national de l'encadrement du commerce SNEC CFE-CGC (le syndicat) a saisi un tribunal de grande instance aux fins notamment de voir prononcer la nullité de cet accord du 11 janvier 2001 et celle des conventions individuelles de forfait en jours prises en son application, en soutenant que ce texte ne respectait pas le droit à la santé et à la sécurité des salariés.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal du syndicat, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif à la nullité des conventions individuelles de forfait conclues en application de l'accord d'entreprise, et sur le second moyen du pourvoi principal du syndicat, en ce qu'il vise les chefs de dispositif relatifs à l'inopposabilité des conventions de forfait en jours aux salariés concernés et au décompte du temps de travail, réunis

Enoncé du moyen

3. Le syndicat fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à la nullité des conventions individuelles de forfait conclues en application de l'accord collectif du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, en ce qu'il a limité à la période antérieure à l'année 2015 l'inopposabilité des conventions individuelles de forfait conclues en application de cet accord, sous réserve, pour la société de justifier avoir établi après cette date le document annuel décomptant forfaitairement le nombre de journées et/ou de demi-journées travaillées prévu à l'article 2.3 de l'accord et en ce qu'il a rejeté en conséquence sa demande tendant au décompte du temps de travail des salariés cadres suivant le droit commun pour la période postérieure, alors :

« 1°/ qu'un régime de forfait en jours ne peut être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps ; qu'après avoir relevé que certains cadres de la société Conforama France étaient chargés d'assurer la fermeture de magasins ou d'effectuer des permanences, ce qui est antinomique avec la notion de cadre autonome, la cour a jugé que ces cadres disposaient d'une autonomie dans l'organisation de leurs fonctions ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'ancien article L. 212-15-3 du code du travail ;

2°/ que l'article 3 de l'accord du 11 janvier 2001, portant « définition du personnel visé par l'accord », « ne définit qu'une catégorie de cadres, dite « cadres autonomes'', dans le souci de « ne pas créer de distinction de régime entre les cadres », et précise que « chaque cadre se voit confirmer et/ou reconnaître une réelle autonomie dans l'exercice de la mission qui lui est confiée » ; que l'article 4 fixe les règles d'organisation et d'aménagement du temps de travail « compte tenu de l'autonomie reconnue aux cadres et du fait qu'ils sont juges des horaires nécessaires à l'accomplissement de la mission dont ils ont la responsabilité » ; qu'en en déduisant que, parmi les cadres de la société Conforama France, l'accord ne visait que ceux bénéficiant d'une autonomie dans l'organisation de leur travail et dont les horaires ne pouvaient être fixés à l'avance, quand il résultait des termes clairs et précis des stipulations précitées que l'ensemble des salariés cadres de la société Conforama France étaient considérés comme autonomes et inclus dans le régime du forfait en jours, la cour a violé l'accord collectif du 11 janvier 2001 ;

3°/ que tout accord collectif autorisant la conclusion de conventions de forfait doit prévoir un suivi effectif et régulier par la hiérarchie du temps travaillé, permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ; que les stipulations de l'accord du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, qui se limitent à prévoir, s'agissant du suivi de la charge et de l'amplitude de travail des salariés concernés, un décompte annuel des journées et demi-journées travaillées de chaque cadre et un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique, n'instaurent pas un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ; qu'en jugeant que de telles stipulations étaient de nature à assurer la santé et la sécurité des cadres intéressés et en refusant de prononcer la nullité de cet accord et des conventions de forfait conclues en application, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 212-15-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, interprété à la lumière de l'article 17, paragraphes 1 et 4, de la directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

5. Si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier de recours au forfait en jours, sous réserve de l'exercice éventuel par les salariés concernés des droits qu'il tiennent de la relation contractuelle, et à satisfaire aux obligations conventionnelles de nature à assurer le respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que les repos quotidiens et hebdomadaires, ses demandes tendant à obtenir, d'une part, la nullité ou l'inopposabilité des conventions individuelles de forfait en jours des salariés concernés et, d'autre part, que le décompte du temps de leur travail soit effectué selon les règles du droit commun, qui n'ont pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession, ne sont pas recevables.

6. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée de ce chef.

Sur le premier moyen du pourvoi principal du syndicat, pris en ses deux premières branches, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif à la nullité de l'accord d'entreprise

Enoncé du moyen

7. Le syndicat fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 1er février 2018 en ce qu'il l'a débouté de sa demande de nullité de l'accord collectif du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, alors :

« 1°/ qu'un régime de forfait en jours ne peut être appliqué qu'aux cadres dont la durée du travail ne peut pas être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps ; qu'après avoir relevé que certains cadres de la société Conforama France étaient chargés d'assurer la fermeture de magasins ou d'effectuer des permanences, ce qui est antinomique avec la notion de cadre autonome, la cour a jugé que ces cadres disposaient d'une autonomie dans l'organisation de leurs fonctions ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'ancien article L. 212-15-3 du code du travail ;

2°/ que l'article 3 de l'accord du 11 janvier 2001, portant « définition du personnel visé par l'accord », « ne définit qu'une catégorie de cadres, dite « cadres autonomes'', dans le souci de « ne pas créer de distinction de régime entre les cadres », et précise que « chaque cadre se voit confirmer et/ou reconnaître une réelle autonomie dans l'exercice de la mission qui lui est confiée » ; que l'article 4 fixe les règles d'organisation et d'aménagement du temps de travail « compte tenu de l'autonomie reconnue aux cadres et du fait qu'ils sont juges des horaires nécessaires à l'accomplissement de la mission dont ils ont la responsabilité » ; qu'en en déduisant que, parmi les cadres de la société Conforama France, l'accord ne visait que ceux bénéficiant d'une autonomie dans l'organisation de leur travail et dont les horaires ne pouvaient être fixés à l'avance, quand il résultait des termes clairs et précis des stipulations précitées que l'ensemble des salariés cadres de la société Conforama France étaient considérés comme autonomes et inclus dans le régime du forfait en jours, la cour a violé l'accord collectif du 11 janvier 2001. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article L. 212-15-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, un régime de forfait en jours ne peut être appliqué qu'aux cadres dont la durée de travail ne peut être déterminée et qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps.

9. Selon l'article 3 de l'accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail concernant le personnel d'encadrement conclu le 11 janvier 2001 au sein des sociétés Conforama France, Cogedem et Conforama management services, le personnel cadre de la société est classé dans une catégorie unique dite « cadres autonomes ». Chaque cadre se voit confirmer et/ou reconnaître une réelle autonomie dans l'exercice de la mission qui lui est confiée et, ainsi, n'est pas astreint au respect d'horaires strictement définis.

10. Cette définition, qui permet d'apprécier le degré d'autonomie des catégories de salariés concernés, est conforme aux exigences de l'article L. 212-15-3 III du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, dans la mesure où, d'une part, la convention de forfait doit faire l'objet d'un accord particulier entre l'employeur et le salarié et où, d'autre part, il appartient au juge de vérifier en cas de litige que les fonctions effectivement exercées par le cadre ne lui permettent pas d'être soumis à l'horaire collectif de travail.

11. La cour d'appel a fait ressortir que les sujétions imposées à certains cadres d'assurer la fermeture du magasin ou d'effectuer des permanences ne les empêchaient pas de disposer d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et ne les contraignaient pas à être soumis à l'horaire collectif, de sorte que ces salariés étaient susceptibles de relever du régime du forfait en jours.

12. Le moyen, qui en sa deuxième branche critique des motifs du jugement qui n'ont pas été adoptés par la cour d'appel, n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi principal du syndicat, pris en sa troisième branche, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif à la nullité de l'accord d'entreprise

Enoncé du moyen

13. Le syndicat fait le même grief à l'arrêt, alors « que tout accord collectif autorisant la conclusion de conventions de forfait doit prévoir un suivi effectif et régulier par la hiérarchie du temps travaillé, permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ; que les stipulations de l'accord du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, qui se limitent à prévoir, s'agissant du suivi de la charge et de l'amplitude de travail des salariés concernés, un décompte annuel des journées et demi-journées travaillées de chaque cadre et un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique, n'instaurent pas un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail des salariés éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ; qu'en jugeant que de telles stipulations étaient de nature à assurer la santé et la sécurité des cadres intéressés et en refusant de prononcer la nullité de cet accord et des conventions de forfait conclues en application, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 212-15-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, interprété à la lumière de l'article 17, paragraphes 1 et 4, de la directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

14. L'article 4 de l'accord d'entreprise prévoit, d'une part, que la mission et la charge de travail confiées aux cadres ne devaient pas conduire à imposer un horaire moyen sur l'année supérieur à huit heures de temps de travail effectif par jour soit l'équivalent de 1 736 heures à l'année pour la majorité des cadres et en particulier les responsables de rayon, les responsables administratifs, les responsables de dépôt, les responsables « front-office » et les autres cadres de niveau comparable dans le réseau ou au siège, d'autre part, que les cadres ne devraient pas dépasser un horaire quotidien de dix heures de temps de travail effectif et ne pourraient être astreints à respecter un tel horaire. Il en découle que l'employeur doit définir et adapter la charge de travail confiée au salarié dans le respect des plafonds horaires conventionnels.

15. Aux termes de l'article 7.2 de l'accord d'entreprise, les signataires du texte étaient convenus de rechercher une organisation du temps de travail permettant l'octroi systématique des deux jours entiers de repos hebdomadaire par semaine accolés ou non suivant les besoins des établissements et que chaque cadre devrait bénéficier d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 35 heures consécutives, sauf dérogation en cas de circonstances exceptionnelles et dans les conditions prescrites par la législation.

16. Il résulte de ces dispositions que l'employeur doit notamment veiller au risque de surcharge de travail du salarié et y remédier, de sorte que le contrôle de la durée maximale de travail soit assuré.

17. La cour d'appel, qui a retenu que les stipulations de l'accord d'entreprise étaient de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours, a fait l'exacte application de la loi.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal du syndicat, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif à l'inopposabilité de l'accord d'entreprise

Enoncé du moyen

19. Le syndicat fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du tribunal de grande instance en ce qu'il a limité à la période antérieure à l'année 2015 l'inopposabilité de l'accord du 11 janvier 2001 pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail, alors :

« 1°/ que le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d'effet cet accord et les conventions de forfait conclues en application ; que, pour juger que l'accord du 11 janvier 2001 et les conventions de forfait étaient opposables aux salariés à compter de l'année 2015, sous réserve pour la société de justifier avoir établi après cette date le document annuel décomptant forfaitairement le nombre de journées et/ou de demi-journées travaillées prévu à l'article 2.3 de l'accord, la cour a relevé que le décompte annuel des jours travaillés paraissait assuré et que les entretiens annuels ont abordé l'organisation et la charge de travail des salariés à partir de cette année, conformément à l'article 2.3 ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, après 2015, la société Conforama France avait respecté les règles posées aux articles 4 et 7.2 de l'accord, relatives aux horaires et aux jours de travail des cadres, aux mesures de suivi de la hiérarchie et au repos hebdomadaire, ainsi que cela lui était demandé par le syndicat national de l'encadrement du commerce CFE-CGC, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article L. 212-15-3 du code du travail ;

2°/ qu'il appartient au juge de trancher, en droit et en fait, le litige dont il est saisi ; que, saisie d'une demande tendant à ce que la violation de l'accord du 11 janvier 2001 par la société Conforama soit constatée et sanctionnée, la cour était tenue de se prononcer sur les manquements allégués pour l'ensemble de la durée d'application de cet accord ; qu'en limitant son analyse à la période antérieure à 2015 et en réservant à la société Conforama France la possibilité d'apporter des justifications pour la période ultérieure, la cour a commis un déni de justice et violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

20. Le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours, s'il prive d'effet les conventions individuelles de forfait conclues sur son fondement, n'entraîne pas l'inopposabilité de cet accord collectif aux salariés auxquels il s'applique.

21. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur, en ce qu'il vise le chef de dispositif relatif au respect des garanties prévues par l'accord d'entreprise

Enoncé du moyen

22. L'employeur fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du tribunal de grande instance en ce qu'il a dit qu'il n'avait pas respecté les garanties imposées par l'accord du 11 janvier 2001 relatives au respect des durées maximales de travail et des repos journaliers et hebdomadaires, alors « que l'employeur doit observer les stipulations de l'accord collectif, dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le décompte annuel des jours travaillés par les cadres autonomes en forfait jours était assuré par les pièces produites par la société Conforama France, ce qui établissait que l'employeur respectait l'obligation d'effectuer un décompte forfaitaire, chaque année, du nombre de journées et/ou de demi-journées travaillées (art. 2.3 « modalités de décompte du temps de travail ») ; qu'elle a aussi constaté que « les formulaires d'entretien annuel communiqués par le SNEC CFE-CGC pour les années 2012-2013 » concernaient « essentiellement l'évaluation de la performance et des compétences du salarié, la charge de travail étant simplement citée entre parenthèses dans le cadre des commentaires relatifs à la réalisation des objectifs de l'exercice », ce qui impliquait que la question de la charge de travail de chaque salarié était abordée au cours d'entretiens annuels, conformément à l'article 2.3 de l'accord exigeant un suivi au moins une fois par an à l'occasion d'entretiens individuels de l'organisation du travail de chaque salarié et ses moyens de l'optimiser et, conformément à l'article 4 exigeant que la charge de travail des cadres soit « examinée, chaque année, lors des entretiens d'appréciation » ; que la cour d'appel a également relevé, par motifs adoptés des premiers juges, que l'employeur s'était conformé aux exigences de l'accord d'entreprise du 11 janvier 2001, puisqu'il est indiqué sur les bulletins de paie le nombre de jours travaillés dans le cadre du forfait annuel (218 jours avec la journée de solidarité), le récapitulatif des droits à congés échus et des droits en cours, des droits à RTT et du solde de repos ; qu'en décidant, au mépris de ses propres constatations, que l'employeur n'avait pas, avant 2015, observé les stipulations de l'accord collectif, cependant que le respect de celui-ci était établi même avant 2015, la cour d'appel a violé l'ancien article L. 212-15-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

23. La cour d'appel a relevé, par motifs adoptés, qu'il ressortait des comptes-rendus des réunions du comité d'entreprise des 28 avril 2014 et 24 juin 2014 qu'aucun dispositif n'avait été mis en place au sein de la société pour s'assurer du respect effectif des durées maximales de travail. Elle a constaté, par motifs propres, que les entretiens annuels d'évaluation portaient essentiellement sur la performance et les compétences des salariés et que l'employeur s'était montré défaillant dans son obligation d'effectuer un suivi régulier de la charge de travail.

24. Elle en a exactement déduit que l'employeur n'avait pas respecté les clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours.

25. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

26. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 212-15-3 III du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 :

27. Selon ce texte, la convention ou l'accord collectif prévoyant la conclusion de conventions de forfait en jours détermine les conditions de contrôle de son application et prévoit des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte.

28. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'accord d'entreprise du 11 janvier 2001 était inopposable, jusqu'en 2014, aux salariés cadres ayant conclu une convention de forfait en jours, l'arrêt retient que l'absence de mise en oeuvre par la société de mécanismes de contrôle de la charge des cadres autonomes a rendu inopposable à ces personnels l'accord du 11 janvier 2001 jusqu'en 2014 inclus et que ceux-ci se trouvaient donc, dans les limites de la prescription, soumis à la réglementation de droit commun du temps de travail.

29. En statuant ainsi, alors que le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours n'entraîne pas son inopposabilité aux salariés, mais la privation d'effet des conventions individuelles conclues en application de cet accord, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

30. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

31. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement du 1er février 2018 en ce qu'il dit que l'accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail concernant le personnel d'encadrement conclu le 11 janvier 2001 au sein des sociétés Conforama France, Cogedem et Conforama management services et les conventions de forfait en jours prises en application de cet accord étaient inopposables aux salariés cadres soumis au forfait en jours, jusqu'en 2014, sous réserve pour la société de justifier avoir établi après cette date le document annuel décomptant forfaitairement le nombre de journées et/ou de demi-journées travaillées, prévu à l'article 2.3. de l'accord, et en ce qu'il a dit que jusqu'en 2014, et dans la limite du délai de prescription, le temps de travail des salariés cadres devait être décompté suivant le droit commun et toute heure supplémentaire effectuée au-delà de la durée légale, payée et majorée, l'arrêt rendu le 23 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DEBOUTE le Syndicat national de l'encadrement du commerce SNEC CFE-CGC de sa demande tendant à ce que l'accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail concernant le personnel d'encadrement conclu le 11 janvier 2001 au sein des sociétés Conforama France, Cogedem et Conforama management services soit déclaré inopposable aux salariés relevant de cet accord.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article L. 2132-3 du code du travail ; article 4 de l'accord pour le développement de l'emploi par la réduction négociée et l'aménagement du temps de travail du 11 janvier 2001 ; article L. 212-15-3, III, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité d'une convention de forfait en jours sur l'année, à rapprocher : Soc., 17 décembre 2014, pourvoi n° 13-22.890, Bull. 2014, V, n° 301 (2) (cassation partielle). Sur la privation d'effet de la convention de forfait en cas de non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés, dans le même sens que : Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-11.940, Bull. 2014, V, n° 272 (1) (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 15 décembre 2021, n° 20-16.175, (B)

Rejet

Conventions et accords collectifs – Accords particuliers – Transports routiers et activités auxiliaires de transport – Accord de réduction du temps de travail du 18 avril 2002, annexé à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transport du 21 décembre 1950 – Article 26 – Taux horaire et 13e mois pour les personnels des annexes I à III de la convention collective – 13e mois – Bénéfice – Ambulances – Exclusion – Portée

L'article 1 de l'accord sur l'aménagement et réduction du temps de travail (ARTT) du 18 avril 2002 précise que l'accord s'applique aux entreprises de transport routier de voyageurs relevant de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport.

Doit être approuvée une cour d'appel qui a retenu que les ambulances ne pouvaient être considérées comme une entreprise de transport routier de voyageurs au sens des dispositions de la convention collective, en sorte que le salarié d'une entreprise de transport sanitaire ne pouvait prétendre au versement du 13ème mois prévu par l'article 26 de cet accord.

Conventions et accords collectifs – Accords particuliers – Transports routiers et activités auxiliaires de transport – Accord de réduction du temps de travail du 18 avril 2002, annexé à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transport du 21 décembre 1950 – Article 1 – Champ d'application de l'accord – Ambulances – Exclusion – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 janvier 2019), M. [L] a été engagé le 14 avril 2010 par la société Ambulances Ovilloise en qualité d'ambulancier.

2. La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.

3. Le 8 novembre 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation du contrat de travail et de demandes relatives à son exécution et sa rupture.

4. Il a été licencié le 17 janvier 2014.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de rappel de salaire au titre du treizième mois conventionnel, alors « que l'article 26 de l'accord du 18 avril 2002, applicable aux entreprises de transports routiers de voyageurs », aux termes duquel il est créé, pour les salariés ayant au moins un an d'ancienneté dans l'entreprise au 31 décembre de chaque année, un treizième mois conventionnel, est attaché à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, laquelle inclut les ambulances ; qu'en retenant qu'en tant qu'ambulancier d'une entreprise de transport sanitaire M. [L] ne relevait pas de l'annexe I de l'accord du 16 juin 1961 relatifs aux ouvriers, cependant que les ambulances figurent à l'article 1er de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 dont relève la société Ambulances Ovilloise, la cour d'appel a violé l'article 26 de l'accord du 18 avril 2002, ensemble la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 et l'annexe I de l'accord du 16 juin 1961 relatifs aux ouvriers. »

Réponse de la Cour

7. L'article 1er de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transport du 21 décembre 1950 précise que, destinée à régler les rapports entre les employeurs et salariés, elle s'applique aux entreprises relevant de l'une des activités énumérées par référence à la nomenclature d'activité française - NAF - adaptée de la nomenclature d'activité européenne - NACE - et approuvée par le décret n° 92-1129 du 2 octobre 1992 au nombre desquelles figurent les transports routiers réguliers de voyageurs (60-2 B), les autres transports routiers de voyageurs (60-2 G) et les ambulances (85-1 J).

8. L'article 24 de la même convention prévoit que des conventions annexes, fixant les conditions particulières de travail, seront établies pour certaines catégories de personnel qu'il énonce. Il ajoute qu'en complément de ces conventions annexes, des protocoles et accords spécifiques pourront être établis dans des domaines d'application particuliers ou pour tenir compte des spécificités de certaines activités ou de certains métiers.

9. C'est ainsi que l'article 1 de l'accord ARTT du 18 avril 2002 précise qu'il s'applique aux entreprises de transport routier de voyageurs relevant de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport.

10. La cour d'appel, après avoir rappelé les dispositions conventionnelles, a exactement retenu que les ambulances ne pouvaient pas être considérées comme une activité de transport routier de voyageurs au sens de la convention collective et que le salarié, ambulancier, employé par une entreprise de transport sanitaire, ne relevait pas de l'accord du 18 avril 2002 en sorte qu'il était mal fondé à réclamer le bénéfice du treizième mois conventionnel prévu par ce texte.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SARL Cabinet Munier-Apaire -

Textes visés :

Articles 1 et 26 de l'accord du 18 avril 2002 relatif à l'aménagement et réduction du temps de travail (ARTT).

Soc., 8 décembre 2021, n° 20-11.738, (B)

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Application – Conflit de lois – Loi française applicable – Application emportant celle des conventions collectives qui en font partie

Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Arrêté d'extension – Effets – Champ d'application – Représentativité des organisations syndicales et patronales signataires – Vérification – Office du juge judiciaire – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 novembre 2019), rendu après cassation (Soc., 8 mars 2017, pourvoi n° 15-28.021), M. [E] a été engagé le 1er novembre 1979 par la Banque centrale populaire du Maroc (la BCP) en qualité d'attaché commercial.

La relation de travail s'est d'abord exécutée au Maroc. A compter du 21 novembre 1983, le salarié a été affecté au sein du bureau de représentation de la BCP en France, à [Localité 3]. Il a ensuite travaillé exclusivement à [Localité 3] où il exerçait en dernier lieu les fonctions de délégué commercial.

2. Par lettre du 21 mai 2010, la BCP a informé le salarié que, dans le cadre du plan de mobilité des cadres du Crédit populaire du Maroc et pour des raisons de service, il était affecté au siège social de la BCP, situé à Casablanca au Maroc à compter du 1er juillet 2010.

Le 18 juin 2010, le salarié a refusé cette affectation en soutenant qu'elle était constitutive d'une modification de son contrat de travail et partant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3. Le 29 juin 2010, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail.

4. Le 27 juillet 2010, la BCP a adressé au salarié une lettre par laquelle elle constatait la rupture du contrat de travail pour abandon de poste depuis le 1er juillet 2010.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, du pourvoi principal du salarié, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation en ses deux premières branches et qui est irrecevable en sa quatrième branche.

Sur le premier moyen du pourvoi incident de l'employeur, qui est préalable

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le droit français est applicable au contrat de travail, de décider que la prise d'acte est bien fondée et a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner la BCP à payer au salarié diverses sommes, de statuer sur les intérêts et la capitalisation des intérêts et de débouter la BCP de ses autres demandes, alors « qu'en application des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, la loi applicable au contrat de travail est celle choisie par les parties ; que l'article 6 se borne à prévoir, à titre de correctif, que le salarié a néanmoins droit, dans le cadre de l'application du droit étranger, à la protection que lui assurerait la mise en oeuvre des dispositions impératives de la loi applicable à défaut de choix ; qu'en décidant que le contrat de travail était régi, dans son ensemble, par le droit français quand les parties avaient choisi la loi marocaine, les juges du fond, s'écartant du dispositif prévu par l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, en ont violé les termes. »

Réponse de la Cour

7. En vertu de l'article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Celles-ci peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.

Selon l'article 6 de ladite convention, le choix de la loi applicable par les parties à un contrat de travail ne peut avoir pour effet de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du même texte.

8.L'arrêt qui décide de faire application de la loi française en ses dispositions relatives à la rupture du contrat de travail en ce qu'elles sont plus favorables que la loi marocaine choisie par les parties, n'énonce pas que le contrat de travail est régi, dans son ensemble, par le droit français.

9. Le moyen est dès lors inopérant.

10. La question préjudicielle soumise par l'employeur reposant sur le postulat inexact selon lequel la cour d'appel a énoncé que le contrat de travail est régi, dans son ensemble, par le droit français, est dénuée de pertinence. Il n'y a donc pas lieu de la transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne.

Sur le second moyen du pourvoi incident de l'employeur, qui est préalable

Enoncé du moyen

11. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que la comparaison entre le droit choisi et le droit applicable au titre de loi d'exécution du contrat s'effectue bloc par bloc ; qu'à supposer même que le droit français ait été applicable comme plus protecteur du salarié en tant qu'il assimilait, au titre des modes de rupture, la prise d'acte à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de toute façon, une fois ce constat opéré, le droit marocain, choisi par les parties, recouvrait son empire ; que les juges du fond devaient dès lors l'appliquer sauf à constater, au stade des droits indemnitaires, que le droit français assurait une protection non prévue par le droit marocain ; que faute de procéder de la sorte, les juges du fond ont violé l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980. »

Réponse de la Cour

12. D'abord, la détermination du caractère plus favorable d'une loi doit résulter d'une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet ou se rapportant à la même cause.

13. Ensuite, il résulte des dispositions de l'article 3-3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles que les dispositions impératives d'une loi sont celles auxquelles cette loi ne permet pas de déroger par contrat.

14. Il ne peut être dérogé par contrat aux dispositions de la loi française en matière de rupture du contrat de travail.

15. La cour d'appel, qui a retenu que concernant la rupture du contrat de travail, le code du travail marocain ne prévoit pour le salarié, en son article 34, que l'hypothèse de la démission et qu'il énumère limitativement, en son article 40, les cas de fautes graves commises par l'employeur de nature à dire le licenciement abusif, si le salarié quitte son travail, en raison de l'une de ces fautes si elle établie : « insulte grave, pratique de toute forme de violence ou d'agression dirigée contre le salarié, harcèlement sexuel, incitation à la débauche », en a exactement déduit que les dispositions impératives de la loi française en matière de rupture du contrat de travail, telles qu'interprétées de manière constante par la Cour de cassation, selon lesquelles la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié qui démontre l'existence d'un manquement suffisamment grave de son employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit à son profit au paiement des indemnités afférentes, étaient plus favorables.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

17. En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation des dispositions des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle soumise par la BCP.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal du salarié

Enoncé du moyen

18. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter son indemnisation aux sommes de 5 819,46 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 581,94 euros au titre des congés payés afférents au préavis, 17 124,29 euros au titre de l'indemnité de licenciement et 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que le salaire de référence servant de base au calcul des indemnités de rupture est égal à la totalité de la rémunération versée en contrepartie du travail au cours des 3 ou 12 derniers mois, dont ne peuvent être déduites les sommes prélevées par l'employeur au titre de l'impôt sur le revenu, qui ne viennent pas diminuer le montant de la rémunération du salarié ; qu'en refusant pourtant de réintégrer dans le montant du salaire de base l'impôt sur le revenu prélevé directement par l'employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-4 du code du travail :

19. En application de ces textes, le montant des indemnités de rupture doit être déterminé sur la base de la rémunération perçue par le salarié dont peuvent seulement être déduites les sommes représentant le remboursement de frais exposés pour l'exécution du travail.

20. Pour allouer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le salaire de référence doit être fixé sur la base du salaire brut moyen calculé sur trois mois sans qu'il y ait lieu de réintégrer la somme correspondant à l'impôt sur le revenu prélevé par l'employeur directement comme les autres cotisations.

21. En statuant ainsi, alors que les sommes prélevées par l'employeur au titre de l'impôt sur le revenu marocain dû par le salarié ne pouvaient être exclues de la rémunération pour le calcul des indemnités de rupture, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi principal du salarié

Enoncé du moyen

22. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une convention collective étendue est applicable à l'ensemble des entreprises entrant dans son champ d'application professionnel et territorial ; qu'en retenant, après avoir jugé le droit français applicable, qu'il n'était pas établi que la banque centrale populaire du Maroc ait souscrit à la convention collective nationale française des banques pour en écarter l'application, lorsque cette convention collective étant étendue, il importait seulement de déterminer si la banque entrait dans son champ d'application, la cour d'appel qui a statué par un motif inopérant, a violé les articles L. 2261-15 et L. 2261-16 du code du travail, ensemble l'article 1er de la convention collective nationale des banques. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, les articles L. 2261-15 et L. 2261-19 du code du travail et le principe de séparation des pouvoirs :

23. D'abord, en vertu des deux premiers de ces textes, les règles d'application des conventions collectives étant fixées par des normes légales et impératives tendant à protéger les salariés, l'application du droit français emporte celle des conventions qu'il rend obligatoires.

24. Ensuite, en application des deux derniers de ces textes et du principe susvisé, lorsqu'il s'agit d'un accord collectif professionnel, l'arrêté d'extension suppose nécessairement, sous le contrôle du juge administratif, vérification de la représentativité dans ce champ des organisations syndicales et patronales signataires ou invitées à la négociation. Il en résulte que le juge judiciaire n'a pas à vérifier, en présence d'un accord professionnel étendu, que l'employeur, compris dans le champ d'application professionnel et territorial de cet accord, en est signataire ou relève d'une organisation patronale représentative dans le champ de l'accord et signataire de celui-ci.

25. Pour écarter l'application de la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000, s'agissant de l'assiette de calcul de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis, l'arrêt retient que le salarié prétend à l'application des dispositions de la convention collective nationale française des banques mais qu'aucun élément ne permet de dire que la BCP y a souscrit.

26. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors d'une part que l'application du droit français à la rupture du contrat de travail emporte, dans cette matière, celle des conventions qu'il rend obligatoires, d'autre part que la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000 a été étendue par arrêté du 17 novembre 2004, ce dont il résulte qu'il lui appartenait de déterminer si la BCP entrait dans le champ d'application de cette convention collective, tel que défini par l'article 1er de celle-ci, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisé.

Et sur le second moyen du pourvoi principal du salarié

Enoncé du moyen

27. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter l'indemnisation des préjudices distincts subis à 50 000 euros, alors « que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que dans ses conclusions, M. [E] faisait valoir que dans le cadre de son règlement intérieur, la banque faisait bénéficier ses salariés d'un régime complémentaire de prévoyance auquel il avait cotisé et qui lui ouvrait droit à la somme de 370 663,27 dirhams par suite de son licenciement, qui ne lui avait pas été réglée ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire pour statuer sur les préjudices distincts dont M. [E] demandait réparation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

28. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen qui critique une omission de statuer est irrecevable.

29. Cependant, la cour d'appel ayant relevé dans ses motifs que le salarié sollicitait le paiement d'une somme correspondant à un pécule que lui devrait l'employeur au titre du régime complémentaire de prévoyance du Crédit populaire du Maroc, le moyen ne critique pas une omission de statuer.

30. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

31. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

32. Pour fixer l'indemnisation du salarié à la somme de 50 000 euros pour préjudices distincts, l'arrêt retient que l'employeur n'a pas affilié le salarié au régime de sécurité sociale français, ni à un régime de retraite complémentaire et ne cotisait pas aux Assedic, alors que compte tenu de l'exercice par le salarié d'un travail en France pendant une aussi longue période dans le cadre d'un établissement situé en France, les dispositions dérogatoires de la convention franco-marocaine ne pouvaient s'appliquer, que cependant l'employeur a cotisé pour l'ensemble de ces organismes au Maroc et le salarié reconnaît percevoir de deux caisses marocaines la somme mensuelle de 842,43 euros, que le salarié est en droit, au vu des manquements de son employeur concernant l'absence de diligences à le faire bénéficier des droits et avantages des régimes de protection sociale notamment en cas de chômage, de sécurité sociale, et de retraite français, manifestement plus avantageux que ceux du Maroc, à obtenir une indemnisation au titre de la perte de chance pour l'ensemble des préjudices invoqués et ce de façon distincte du préjudice issu de la perte de son emploi.

33. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du salarié qui soutenait que dans le cadre de son règlement intérieur la BCP faisait souscrire à ses salariés un régime complémentaire, intitulé RCP-CPM, et qu'en application des articles 12 et 13 de ce règlement intérieur, déterminant la liquidation et les montants à verser aux salariés, il lui était dû la somme totale de 370 663,27 dirhams qui ne lui avait jamais été versée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Banque centrale populaire du Maroc à payer à M. [E] les sommes de 5 819,46 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 581,94 euros à titre de congés payés afférents au préavis, 17 124,29 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 50 000 euros pour préjudices distincts, l'arrêt rendu le 27 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 3, § 3, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; articles L. 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-4 du code du travail ; articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; articles L. 2261-15 et L. 2261-19 du code du travail ; principe de séparation des pouvoirs.

Rapprochement(s) :

Sur l'application des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 concernant la protection du salarié par les dispositions impératives de la loi applicable par défaut, à rapprocher : Soc., 9 juillet 2015, pourvoi n° 14-13.497, Bull. 2015, V, n° 152 (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 28 octobre 2015, pourvoi n° 14-16.269, Bull. 2015, V, n° 203 (cassation partielle). Sur l'application de la loi française qui emporte l'application des conventions collectives qu'elle rend obligatoires, à rapprocher : Soc., 29 septembre 2010, pourvoi n° 09-68.852, Bull. 2010, V, n° 200 (3) (rejet), et l'arrêt cité. Sur l'office du juge judiciaire en matière d'application d'un accord collectif étendu, à rapprocher : Soc., 27 novembre 2019, pourvoi n° 17-31.442, Bull., (cassation partielle).

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