Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

PREUVE

Soc., 15 décembre 2021, n° 19-20.978, (B)

Rejet

Règles générales – Charge – Applications diverses – Contrat de travail – Salaire – Fixation – Salaire variable – Critères – Objectifs fixés annuellement par l'employeur – Caractère réalisable – Portée

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à M. [F], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Vestner France, de sa reprise d'instance.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 mai 2019), M. [C] a été engagé par la société Vestner France (la société) en qualité de responsable régional des ventes à compter du 1er septembre 2013. Sa rémunération comprenait une partie fixe et une partie variable.

3. Le 22 février 2016, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives tant à l'exécution qu'à la rupture du contrat de travail.

4. Par jugement du 20 février 2020, la société Vestner France a été placée en liquidation judiciaire et M. [F] a été désigné en qualité de liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt, en premier lieu, d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la prise d'acte du salarié produisait les effets d'une démission, débouté le salarié de toutes ses demandes indemnitaires à ce titre, en ce qu'il a condamné ce dernier à payer à l'employeur certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour inexécution du préavis et en application de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il a encore débouté le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de rémunération variable et l'a condamné aux dépens, puis en second lieu, de le condamner à verser au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaire sur la rémunération variable pour les exercices 2013, 2014 et 2015, outre les congés payés afférents, à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte injustifiée de son emploi, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, ainsi qu'au titre de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité compensatrice de congés payés, enfin de le condamner aux dépens de première instance et d'appel, à la remise des documents de fin de contrat et bulletins de paie et au remboursement des indemnités chômage aux organismes concernés, alors :

« 1°/ que pèse sur le salarié la charge de prouver le caractère irréaliste des objectifs fixés d'un commun accord avec son employeur ; qu'en reprochant à l'employeur de ne fournir aucun élément de nature à déterminer si les objectifs de l'année 2013 étaient réalisables, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;

2°/ que le contrat est la loi des parties ; qu'en l'espèce, le contrat de travail conclu le 3 juillet 2013 entre M. [C] et la société Vestner France, prévoyait en son paragraphe 4 intitulé « rémunération » que « le salarié bénéficie d'un intéressement sur les ventes réalisées, suivant le schéma décrit en annexe », cette annexe définissant les modalités de la part variable de la rémunération ainsi que les objectifs à atteindre pour l'année 2013, sans qu'à aucun moment, il ne soit précisé que ces objectifs devaient être annuellement fixés tant dans leur quantum ou dans leur nature ; qu'il résultait donc clairement du contrat de travail du salarié que les objectifs fixés n'étaient pas discutés chaque année et qu'ils étaient de facto maintenus, faute d'un autre accord entre les parties ; qu'en retenant que si la formule décrite dans l'annexe 1 du contrat de travail était reconductible d'une année sur l'autre, les objectifs chiffrés qui y étaient mentionnés ne concernaient que la seule année 2013, sans tacite reconduction possible et en reprochant à l'employeur de ne pas avoir fixé d'objectifs ni pour l'année 2014, ni pour l'année 2015, la cour d'appel a dénaturé le contrat de travail et, partant, a violé l'article 1134 devenu les articles 1103 et 1104 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article 1315, devenu 1353, du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

7. Ainsi, la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur ne produisait aucun élément de nature à établir que les objectifs qu'il avait fixés au salarié pour l'année 2013 étaient réalisables, a, sans inverser la charge de la preuve, décidé à bon droit que la rémunération variable au titre de cet exercice était due.

8. Procédant ensuite à l'interprétation, exclusive de dénaturation, du contrat de travail, rendue nécessaire par l'ambiguïté de ses termes, la cour d'appel a estimé que les objectifs avaient été fixés dans l'annexe 1 au contrat de travail, pour la seule année 2013, sans reconduction possible pour les années suivantes.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. L'employeur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la cassation du chef de dispositif ayant condamné l'employeur à payer au salarié une somme à titre de rappel de salaire sur la rémunération variable pour les exercices 2013 à 2015 et les congés payés afférents entraînera la cassation des chefs de dispositif ayant condamné l'employeur à payer au salarié diverses indemnités de rupture, et ce en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en tout état de cause, la prise d'acte ne peut produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les manquements reprochés à l'employeur font obstacle à la poursuite du contrat de travail ; qu'en l'espèce, pour dire fondée la prise d'acte du salarié du 9 janvier 2016, la cour d'appel s'est fondée sur l'absence de paiement de la rémunération variable de 2013 à 2015 en raison du caractère irréaliste des objectifs définis pour 2013 et de l'absence de fixation d'objectifs pour les années suivantes, absence de paiement antérieure de plusieurs années à la prise d'acte et n'ayant pas empêché la poursuite de son contrat de travail ; qu'en jugeant le manquement invoqué par le salarié suffisamment grave pour justifier la rupture aux torts de l'employeur, quand il résultait de ses propres constatations que le manquement, à le supposer avéré, n'avait pas empêché la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles 1134 devenu 1103 et 1104 code civil et L. 1231-1, L. 1237-1 et L. 1235-1, alors en vigueur, du code du travail ;

3°/ que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ; que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture ne produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les faits invoqués sont la véritable cause de son départ ; qu'en l'espèce, l'employeur faisait valoir, preuves à l'appui, qu'outre que le salarié n'avait jamais réclamé une rémunération variable jusqu'à la prise d'acte, il avait rompu son contrat de travail suite à la proposition de poste faite par une société concurrente mi-décembre 2015, qu'il avait acceptée, qu'ayant ainsi trouvé un autre emploi, il avait souhaité se soustraire à l'accomplissement de son préavis, préférant prendre acte de la rupture de son contrat de travail, de sorte que le salarié avait, en réalité, orchestré son départ et opportunément tenté d'imputer à l'employeur la rupture de son contrat de travail ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié n'était pas en réalité motivée par sa volonté de quitter l'entreprise afin de rejoindre une entreprise concurrente, tout en bénéficiant des conséquences financières d'une rupture imputée à l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 devenu 1103 et 1104 code civil et des articles L. 1231-1, L. 1237-1 et L. 1235-1, alors en vigueur, du code du travail. »

Réponse de la Cour

11. D'abord, le rejet du premier moyen prive de portée le second moyen, pris en sa première branche, tiré d'une cassation par voie de conséquence.

12. Ensuite, la cour d'appel, qui a constaté que les manquements de l'employeur, pendant plusieurs années, avaient privé le salarié de sa rémunération variable contractuelle, a pu en déduire, sans procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que ces manquements avaient empêché la poursuite du contrat de travail.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Rouchayrole - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article 1315, devenu 1353, du code civil.

2e Civ., 16 décembre 2021, n° 20-15.875, (B)

Cassation

Règles générales – Moyen de preuve – Attestation – Valeur probante – Applications diverses

Il ne peut être dénié toute valeur probante à une attestation régulièrement communiquée au seul motif qu'elle a fait l'objet d'une plainte émanant de la partie à laquelle elle est opposée.

Règles générales – Moyen de preuve – Force probante – Attestation – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Aix-en-Provence, 10 mars 2020), M. et Mme [H] ont confié la défense de leurs intérêts à M. [M], avocat exerçant au sein de la société [L] (l'avocat), à l'occasion d'une procédure contentieuse qui les opposait à une société de promotion immobilière et à un syndicat de copropriétaires.

2. M. et Mme [H] ayant refusé de lui régler un honoraire de résultat qu'il indiquait avoir été convenu, l'avocat a saisi le bâtonnier de son ordre afin de les voir condamnés à lui payer cet honoraire complémentaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'avocat fait grief à l'ordonnance de dire que M. et Mme [H] ne sont redevables d'aucun honoraire de résultat envers lui, et de le débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « qu'est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que « la seule pièce permettant de retenir l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat » est l'attestation rédigée par Maître [P] ; que, pour refuser toutefois à l'attestation de Maître [P] tout caractère probant, la cour d'appel relève que « les époux [H] justifient avoir déposé plainte le 24 janvier 2020 pour fausse attestation à l'encontre de Mme [V] [P] et contestent formellement avoir accepté le principe d'un tel honoraire », de sorte « qu'en l'état de cette contestation », l'existence d'un accord des parties sur un honoraire de résultat n'est pas démontrée ; qu'en refusant ainsi toute valeur probante à une attestation dont elle avait pourtant constaté qu'elle permettait de retenir l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat, au seul motif, parfaitement inopérant, que les époux [H] avaient déposé une plainte pénale pour fausse attestation et qu'ils contestaient avoir accepté le principe d'un tel honoraire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et l'article 202 du code de procédure civile :

5. Il résulte du premier de ces textes que le défaut de signature d'une convention ne prive pas l'avocat du droit de percevoir un honoraire de résultat convenu en son principe, après service rendu.

6. Il résulte du second que, notamment, l'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés. Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales.

7. Le premier président, pour débouter l'avocat de sa demande en paiement d'un honoraire de résultat, énonce d'abord que l'accord du client sur le principe de cet honoraire, s'il peut n'être que tacite, doit toutefois être certain ou à tout le moins, résulter d'actes dont il est raisonnable de déduire une telle acceptation.

8. Il retient ensuite qu'en l'occurrence M. et Mme [H] justifient avoir déposé plainte le 24 janvier 2020 pour fausse attestation contre Mme [V] [P] qui est l'auteure de la seule pièce permettant de retenir l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat.

9. En statuant ainsi, en déniant toute valeur probante à une attestation, au seul motif qu'elle faisait l'objet d'une plainte pénale déposée par ses clients, le premier président a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 10 mars 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : Me Balat ; SAS Cabinet Colin - Stoclet -

Textes visés :

Article 202 du code de procédure civile.

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