Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

ETRANGER

1re Civ., 15 décembre 2021, n° 20-17.283, (B)

Cassation partielle

Expulsion – Maintien en rétention – Placement en rétention – Régularité – Prise en compte de l'état de vulnérabilité par l'autorité administrative – Condition nécessaire

L'absence de prise en compte, par l'autorité administrative, de l'état de vulnérabilité de la personne au moment du placement en rétention ne peut être suppléée par l'évaluation réalisée par les agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration pendant la mesure.

Expulsion – Maintien en rétention – Placement en rétention – Régularisation – Exclusion – Evaluation de l'état de vulnérabilité par les agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 13 septembre 2019) et les pièces de la procédure, le 9 septembre 2019, M. [M], de nationalité algérienne, en situation irrégulière sur le territoire français, a, à sa sortie de détention, été placé en rétention administrative, en exécution d'un arrêté d'expulsion du 18 février 1999.

2. Le 10 septembre 2019, le juge des libertés et de la détention a été saisi par M. [M] d'une contestation de la décision de placement en rétention sur le fondement de l'article L. 512-1, III, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et par le préfet d'une demande de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 552-1 du même code.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [M] fait grief à l'ordonnance de rejeter ses moyens de nullité ainsi que sa requête en contestation de la décision de placement en rétention et de décider de la prolongation de la mesure, alors « que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; qu'en retenant, pour écarter toute atteinte portée aux droits de M. [M] liée à l'absence d'examen de son état de vulnérabilité lors de son placement en rétention et, partant, ordonner la prolongation de la mesure de rétention administrative à son encontre, que la prise en charge médicale de l'hépatite C pouvait se faire normalement en Algérie suivant les avis des médecins de l'OFII émis régulièrement dans ce type de procédure, quand aucun avis médical ne figurait parmi les pièces versées aux débats, la déléguée du premier président de la cour d'appel a violé l'article 7 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 7, alinéa 1er, du code de procédure civile :

4. Aux termes de ce texte, le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat.

5. Pour rejeter la requête en contestation de l'arrêté de placement en rétention de M. [M], l'ordonnance retient que, s'il n'est pas contesté que cet arrêté ne comporte aucune mention relative à l'examen d'un éventuel état de vulnérabilité, lié en particulier à l'hépatite C dont l'intéressé a, à l'audience, justifié être atteint, il demeure que la prise en charge médicale de cette pathologie peut se faire normalement en Algérie suivant les avis des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), émis régulièrement dans ce type de procédure. Elle en déduit que l'absence de prise en compte de cet élément n'a pas eu de conséquence juridique.

6. En statuant ainsi, en faisant état d'un élément de fait qui n'était pas dans le débat, le premier président a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. M. [M] fait le même grief à l'ordonnance, alors « qu'il résulte du I de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la décision de placement en rétention administrative d'un ressortissant étranger en situation irrégulière doit prendre en compte son état de vulnérabilité ; qu'en retenant, pour écarter toute atteinte portée aux droits de M. [M] liée au défaut d'examen de son état de vulnérabilité lors de son placement en rétention et, partant, ordonner la prolongation de la mesure de rétention administrative à son encontre, que ce dernier avait le droit de demander, pendant sa rétention, que son état de vulnérabilité fasse l'objet d'une évaluation par les agents de l'OFII, quand un tel examen est indépendant de l'examen de vulnérabilité par l'autorité administrative lors du placement en rétention, de sorte que celui-ci ne peut se substituer à celui-là, la déléguée du premier président de la cour d'appel a violé les articles L. 551-1 et R. 553-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 551-1, I, devenu L. 741-4, et l'article R. 553-13, II, devenu R. 751-8, du CESEDA :

8. Selon le premier de ces textes, dans les cas prévus aux 1° à 7° du I de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque mentionné au 3° du II de l'article L. 511-1 peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de quarante-huit heures, en prenant en compte son état de vulnérabilité et tout handicap.

9. Selon le second, l'étranger ou le demandeur d'asile, placé en rétention administrative en application du II de l'article L. 551-1, du I de l'article L. 744-9-1 ou du I de l'article L. 571-4, peut, indépendamment de l'examen de son état de vulnérabilité par l'autorité administrative lors de son placement en rétention, faire l'objet, à sa demande, d'une évaluation de son état de vulnérabilité par des agents de l'OFII au titre de la convention prévue au I et, en tant que de besoin, par un médecin de l'unité médicale du centre de rétention administrative.

10. Pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence de prise en compte de l'état de vulnérabilité et prolonger la rétention, l'ordonnance retient encore que, s'il n'est pas contesté que l'arrêté de placement en rétention administrative pris à l'encontre de M. [M] ne comporte aucune mention relative à l'examen d'un éventuel état de vulnérabilité de l'intéressé (hépatite C), il convient de rappeler que, par application de l'article R. 553-13, l'étranger retenu a le droit de demander, pendant sa rétention, à l'autorité administrative que son état de vulnérabilité fasse l'objet d'une évaluation par des agents de l'OFII, et en tant que besoin, par un médecin.

11. En statuant ainsi, alors que l'absence de prise en compte, par l'autorité administrative, de l'état de vulnérabilité de la personne au moment du placement en rétention ne peut être suppléée par l'évaluation réalisée par les agents de l'OFII pendant la mesure, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare recevables les requêtes de M. [M] et du préfet de l'Essonne, l'ordonnance rendue le 13 septembre 2019, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Feydeau-Thieffry - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 551-1, I, devenu L. 741-4, et R. 553-13, II, devenu R. 751-8, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

1re Civ., 15 décembre 2021, n° 20-17.628, (B)

Rejet

Mesures d'éloignement – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Prolongation de la rétention – Audition de l'étranger par le juge des libertés et de la détention – Procédure contradictoire de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) – Garantie suffisante

Le droit d'être entendu avant l'adoption de toute mesure individuelle faisant grief relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux qui font partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne. Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces droits ne sont pas des prérogatives absolues.

Au regard des conditions posées par cette jurisprudence, le droit d'être entendu de l'étranger placé en rétention administrative est garanti, en droit interne, par la procédure contradictoire prévue à l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, qui contraint l'administration à saisir le juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures de la notification de ce placement et qui permet à l'intéressé de faire valoir, à bref délai, devant le juge judiciaire, tous les éléments pertinents relatifs à ses garanties de représentation et à sa vie personnelle, sans nuire à l'efficacité de la mesure, destinée, dans le respect de l'obligation des États membres de lutter contre l'immigration illégale, à prévenir un risque de soustraction à la mesure d'éloignement.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 18 novembre 2019), et les pièces de la procédure, M. [K], de nationalité algérienne, en situation irrégulière sur le territoire français, a été placé en rétention administrative le 13 novembre 2019, à 19 heures, à la levée d'une garde à vue prise à son encontre le 12 novembre, à 20 heures 25.

2. Le 15 novembre 2019, le juge des libertés et de la détention a été saisi par le préfet d'une demande de prolongation de la mesure, sur le fondement de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et, par M. [K], d'une contestation de la régularité de son placement en rétention, sur le fondement de l'article L. 512-1, III, du même code.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. [K] fait grief à l'ordonnance de rejeter sa requête en contestation du placement en rétention, de rejeter ses moyens de nullité et d'ordonner la prolongation de sa rétention pour une durée de vingt-huit jours, alors « que toute personne a le droit d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; qu'un étranger ne peut être placé en rétention administrative sans avoir au préalable été entendu, et ainsi mis en mesure de présenter ses observations, dès lors que cette mesure restreint sa liberté d'aller et venir ; qu'en retenant le contraire, le premier président de la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 211-2 et L. 121-2, 3°, du code des relations entre le public et l'administration, ensemble le principe des droits de la défense et l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse à ses institutions, organes et organismes et non aux Etats membres (CJUE, arrêt du 5 novembre 2014, S. Mukarubega/préfet de police et préfet de la Seine-Saint-Denis, C-166/13, point 44).

6. En deuxième lieu, si le droit d'être entendu avant l'adoption de toute mesure individuelle faisant grief relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux qui font partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne, il ressort également de la jurisprudence de ladite Cour que ces droits fondamentaux n'apparaissent pas comme des prérogatives absolues mais peuvent comporter des restrictions, à la condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (CJUE, arrêt du 10 septembre 2013, M. G et N. R/ Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-383/13, point 33 ; CJUE, arrêt du 5 novembre 2014, précité, point 53).

7. En troisième lieu, il résulte de l'arrêt précité du 10 septembre 2013 (points 31 et 35) que, dès lors que la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ne comporte pas de disposition précisant dans quelles conditions doit être assuré le respect du droit de l'étranger d'être entendu sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, celles-ci relèvent du droit national pour autant que les mesures arrêtées en ce sens sont du même ordre que celles dont bénéficient les particuliers dans des situations de droit national comparables (principe de l'équivalence) et qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité).

8. En quatrième lieu, selon l'article L. 121-2, 3°, du code des relations entre le public et l'administration, l'article L. 121-1 du même code, qui soumet au respect d'une procédure contradictoire préalable les décisions individuelles restreignant l'exercice des libertés publiques ou constituant une mesure de police, n'est pas applicable à celles de ces décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière.

9. Or, il ressort du CESEDA que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure auxquelles sont soumises les décisions de placement en rétention notifiées par l'administration à l'étranger, en prévoyant, en particulier, à l'article L. 552-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, une procédure contradictoire qui contraint l'administration à saisir le juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures de la notification de ce placement, de sorte que l'article L. 121-1 susvisé ne peut être utilement invoqué à l'encontre d'une telle décision.

10. En droit interne, le droit d'être entendu est donc garanti par cette procédure contradictoire permettant à l'intéressé de faire valoir, à bref délai, devant le juge judiciaire, tous les éléments pertinents relatifs à ses garanties de représentation et à sa vie personnelle, sans nuire à l'efficacité de la mesure, destinée, dans le respect de l'obligation des États membres de lutter contre l'immigration illégale (CJUE, arrêt du 5 novembre 2014, précité, point 71), à prévenir un risque de soustraction à la mesure d'éloignement.

11. Ayant énoncé à bon droit que ni les garanties procédurales du chapitre III de la directive 2008/115/CE ni les articles L. 121-1, L. 211-2 et L. 121-2, 3°, du code des relations entre le public et l'administration ne s'appliquent à la décision de placement en rétention, le premier président a exactement retenu que le moyen tiré du défaut d'audition préalable à la décision de placement en rétention devait être rejeté.

12. Le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Dard - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article L552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

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