Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

DOUANES

Com., 15 décembre 2021, n° 19-16.350, (B)

Cassation

Droits – Remboursement ou remise des droits à l'importation ou à l'exportation – Conditions – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 14 mars 2019) et les productions, la société Schaffner Ems (la société Schaffner), qui a pour activité le commerce de matériel électrique, a, entre 2008 et 2010, importé diverses marchandises, notamment des filtres d'antiparasitage électromagnétique, des prises d'alimentation secteur, des filtres capacitifs et des transformateurs, qu'elle a déclarées sous la position 8504 50 95 90 et pour lesquelles elle a souscrit les déclarations douanières correspondantes et acquitté les droits de douane.

2. Estimant que ces marchandises relevaient de la position tarifaire 8504 50 95 20, exonérée de droits de douane, la société Schaffner, après avoir déposé une demande de remboursement auprès de la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 4] le 25 mai 2011, a saisi, le 4 juillet 2011, la direction départementale des douanes et droits indirects du [Localité 2] d'une demande de remboursement des droits de douane portant sur des déclarations d'importation souscrites en 2008.

Le 26 juillet 2012, elle l'a également saisie d'une demande de remboursement de vingt déclarations d'importations en provenance de Chine souscrites en 2010.

3. Après rejet partiel de ses demandes, la société Schaffner a assigné l'administration des douanes en annulation de la décision de rejet et en remboursement des droits de douane visés dans les demandes des 4 juillet 2011 et 26 juillet 2012.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Schaffner fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes d'annulation des décisions du bureau des douanes du [Localité 2] des 13 février 2013 et 8 avril 2013 et de condamnation de l'administration des douanes à lui rembourser une certaine somme au titre de ses demandes de remboursement des 25 mai 2011, 4 juillet 2011 et 26 juillet 2012, alors « que lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l'autorité administrative compétente et en avise l'intéressé ; que par une première demande adressée à la direction régionale de [Localité 4] le 25 mai 2011, la société Schaffner avait demandé le remboursement au titre des déclarations de 2008 non seulement pour des déclarations en provenance de Thaïlande, pour un montant de 3 788 euros, mais également pour des déclarations en provenance de Chine, pour un montant de 19 581 euros ; que la direction régionale de [Localité 4] était tenue de transmettre cette demande à son homologue du [Localité 2], laquelle a d'ailleurs ensuite été saisie d'une demande en ce sens par courrier du 4 juillet 2011 ; qu'en retenant qu'il ne lui appartenait de statuer sur la demande présentée devant la direction régionale du [Localité 2] qu'à hauteur de 3 788 euros, la cour d'appel a violé l'article 20 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, en sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 20 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, devenu l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration, alors applicable :

5. Selon ce texte, lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l'autorité administrative compétente et en avise l'intéressé.

6. Pour dire que la direction départementale des douanes et droits indirects du [Localité 2] avait été saisie par la société Schaffner, le 4 juillet 2011, de demandes de remboursement ne portant que sur des importations en provenance de Thaïlande pour un montant de 3 788 euros, cependant que la société Schaffner revendiquait également le remboursement d'importations en provenance de Chine pour un montant de 19 581 euros, l'arrêt constate que la direction départementale des douanes et droits indirects du [Localité 2] a pris en compte la demande de la société Schaffner telle qu'elle résultait de la lettre qui lui a été adressée et qu'elle en a informé cette dernière le 11 juillet 2011.

7. En statuant ainsi, alors que la société Schaffner avait, le 25 mai 2011, saisi la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 4] d'une demande de remboursement portant sur des déclarations d'importation en France de marchandises en provenance de Thaïlande et de Chine et que ce service, après avoir informé la requérante de son incompétence, aurait dû transmettre les demandes, et les pièces jointes, à la direction départementale des douanes et droits indirects du [Localité 2], compétente pour en connaître, peu important que la société Schaffner ait elle-même adressé une demande à cette dernière direction qui a été interprétée à tort comme une nouvelle demande ne portant que sur les déclarations d'importation en provenance de Thaïlande, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le second moyen, pris en première branche

Enoncé du moyen

8. La société Schaffner fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article 236 du code des douanes communautaire, en sa rédaction applicable au litige, dispose qu' « il est procédé au remboursement des droits à l'importation ou des droits à l'exportation dans la mesure où il est établi qu'au moment de son paiement leur montant n'était pas légalement dû ou que le montant a été pris en compte contrairement à l'article 220 paragraphe 2 » ; que selon les dispositions de l'article 878 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire, « la demande de remboursement ou de remise est établie en un original et une copie sur le formulaire conforme au modèle et aux dispositions figurant à l'annexe 111 » ; que l'article 881 du même règlement prévoit que si des documents sont manquants, le bureau de douane fixe un délai au requérant pour la fourniture des éléments d'information et/ou des documents manquants ; qu'en retenant que la société Schaffner était tenue de motiver ses demandes de remboursement auprès de l'administration des douanes et que ses demandes ne comportaient aucun argumentaire, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que les courriers comportant les demandes de remboursement étaient accompagnées des annexes 111, de sorte que ses demandes comportaient les éléments nécessaires à leur instruction par l'administration des douanes, la cour d'appel a violé l'article 236 du code des douanes communautaires et les articles 878 à 881 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire, en leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6 et 236 du règlement n° 2913 / 92 du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire et les articles 878 et 881 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du code des douanes communautaire, alors applicables :

9. Selon le premier de ces textes, une personne qui demande aux autorités douanières de prendre une décision relative à l'application de la réglementation douanière doit fournir tous les éléments et documents nécessaires à cette autorité pour statuer.

Selon le second, il est procédé au remboursement des droits à l'importation s'il est établi qu'au moment de son paiement, leur montant n'était pas légalement dû.

10. Il résulte des articles 878 et 881 des dispositions d'application du code des douanes communautaire que la demande de remboursement des droits de douane indûment perçus est établie en un original et une copie, sur le formulaire conforme au modèle et aux dispositions figurant à l'annexe 111, et que, si une demande ne contient pas tous les éléments d'information, dès lors que les rubriques 1 à 3 et 7 sont renseignées, le bureau des douanes fixe au requérant un délai pour la fourniture des éléments d'information et/ou des documents manquants.

11. Pour débouter la société Shaffner de ses demandes, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que celle-ci était tenue de motiver ses demandes de remboursement, et que ces dernières étaient particulièrement laconiques puisqu'elles se présentaient sous forme de lettres comportant trois paragraphes. Il retient encore que les pièces jointes à la demande du 4 juillet 2011 étaient constituées des annexes 111 et des renseignements tarifaires contraignants (RTC) et que celle annexée à la demande du 26 juillet 2012 était un tableau récapitulatif des demandes et reprenait les RTC, ainsi que les annexes 111. Il retient, en outre, que l'administration des douanes avait pu procéder à certains remboursements par une analyse des déclarations en douane, des RTC et des factures produites.

12. En statuant ainsi, après avoir constaté que la société Schaffner avait joint à ses demandes les annexes 111 renseignées conformément aux dispositions de l'article 881 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du code des douanes communautaire et alors qu'il incombait à l'administration des douanes, si elle estimait ne pas être suffisamment informée, de solliciter la société Schaffner à cette fin, ce qu'elle n'a pas fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

13. La société Schaffner fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une demande de RTC peut porter sur différentes marchandises à condition que celles-ci relèvent d'un seul type de marchandises ; qu'en application du principe général de droit communautaire de confiance légitime, l'administration doit respecter les espérances légitimes du justiciable suscitées par une prise de position de la part de ladite administration ; que la société Schaffner faisait valoir dans ses écritures d'appel qu'elle avait eu de nombreux échanges avec la direction générale des douanes qui avait accepté en 2010 qu'elle n'établisse que cinq demandes de RTC en regroupant ses produits en cinq types de marchandises, puis, en 2013, qu'elle porte à une vingtaine le nombre de demandes de RTC et qu'elle puisse utiliser ces RTC à l'appui de ses demandes de remboursement ; qu'en jugeant que les développements consacrés aux RTC obtenus seraient « inopérants dès lors que les RTC ne concernent pas les importations qui ont fait l'objet d'une demande de remboursement auprès de la direction régionale du [Localité 2] qui est seule compétente s'agissant des demandes de remboursements formées par la société Schaffner », la cour d'appel a violé l'article 6-2 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire et l'article 236 du code des douanes communautaire, en leur rédaction applicable au litige, ensemble le principe de confiance légitime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de protection de la confiance légitime et l'article 6, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du code des douanes communautaire :

14. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue l'un des principes fondamentaux de l'Union, s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation dont il ressort que l'administration, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées (arrêts du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C 104/97 P et du 15 juillet 2004, Di Lenardo et Dilexport, C-37/02 et C-38/02).

15. Selon l'article 6, paragraphe 2, des dispositions d'application du code des douanes communautaire, la demande de RTC ne peut porter que sur un seul type de marchandises.

La CJUE a dit pour droit que ce texte doit être interprété en ce sens qu'une demande de RTC peut porter sur différentes marchandises à condition que celles-ci relèvent d'un seul type de marchandises. Seules des marchandises présentant des caractéristiques similaires et dont les éléments de différenciation sont dépourvus de toute pertinence aux fins de leur classification tarifaire peuvent être considérées comme relevant d'un seul type de marchandises au sens de ladite disposition (Arrêt 2 décembre 2010, C-199/09, Schenker SIA).

16. Pour débouter la société Schaffner de ses demandes, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'administration des douanes a procédé au remboursement des droits lorsque les références des marchandises figurant sur les factures des fournisseurs correspondaient à celles indiquées sur les RTC et que les RTC délivrés ne couvraient pas toutes les marchandises concernées par les demandes de remboursement. Il retient encore que la société Schaffner ne pouvait se fonder sur les RTC obtenus, dès lors que ceux-ci ne concernaient pas les importations qui ont fait l'objet d'une demande de remboursement.

17. En statuant ainsi alors, d'une part, que la direction générale des douanes et droits indirects avait indiqué à la société Schaffner que les RTC pouvaient servir d'élément à prendre en compte pour l'instruction d'une demande de remboursement, quand bien même ceux-ci n'étaient délivrés que pour l'avenir, et avait délivré, à deux reprises, dans le temps de l'étude des demandes de remboursement de la société Schaffner, des RTC portant sur plusieurs marchandises relevant d'un seul type de marchandises, ce qui pouvait être considéré, par la société Schaffner, comme ayant fait naître chez elle des espérances fondées de ce que les RTC portant sur plusieurs références de produits seraient pris en compte pour l'instruction de ses demandes de remboursement, et d'autre part, qu'une demande de remboursement fondée sur la délivrance d'un RTC couvrant un type de marchandises doit être analysée, à supposer que ce RTC soit pris en compte, au regard de toutes les marchandises constituant ce type de marchandises, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Guérin (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Daubigney - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 878 et 881 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d'application du code des douanes communautaire.

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