Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 15 décembre 2021, n° 20-11.046, (B)

Rejet

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Préjudice – Préjudice personnellement subi par le salarié – Caractérisation – Nécessité – Portée

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Besançon, 30 avril 2019 et 26 novembre 2019), M. [G], salarié jusqu'au 25 avril 1978 de la société Alstom Power Turbomachines, aux droits de laquelle vient la société Alstom Power Systems (la société), a travaillé au sein de l'établissement de [Localité 3].

2. En exécution d'un jugement rendu le 26 juin 2007 par le tribunal administratif de Besançon, cet établissement a, selon arrêté ministériel du 30 octobre 2007, été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période de 1965 à 1985. Ce jugement a été annulé par un arrêt prononcé le 22 juin 2009 par la cour administrative d'appel de Nancy.

3. Le 17 juin 2013, M. [G] a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété.

4. Après avoir rejeté la demande en réparation d'un préjudice d'anxiété formée sur le fondement de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée, la cour d'appel a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande du salarié au titre de la violation de l'obligation de sécurité et a condamné la société au paiement de dommages-intérêts de ce chef.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, et le second moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt du 26 novembre 2019 de rejeter « l'exception de prescription » et de la condamner au paiement de dommages-intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité, alors :

« 1°/ que le point de départ du délai de prescription de l'action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d'anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante ; qu'en jugeant, en l'espèce, que « seule l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA publiée au Journal officiel du 6 novembre 2017, et ce peu importe que cette décision ait ensuite été remise en cause par la juridiction administrative, a donné à M. [G] une connaissance des faits lui permettant d'exercer son action », pour en déduire que celle-ci n'est pas prescrite, quand il lui appartenait de rechercher, in concreto, à quelle date le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

2°/ que le régime du préjudice d'anxiété fondé sur le droit commun de l'obligation de sécurité de l'employeur ne se confond pas avec le régime du préjudice spécifique d'anxiété applicable au salarié ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel ; qu'en se prononçant de la sorte et en ayant adopté les motifs de son arrêt précédent du 30 avril 2019 ayant rejeté l'exception de prescription de l'action en réparation du préjudice spécifique d'anxiété, sans rechercher à quelle date le salarié avait eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

3°/ que la connaissance qu'a eue le salarié du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante peut résulter des diverses mesures mises en oeuvre par l'employeur au cours de l'exécution du contrat de travail et des réglementations successivement adoptées en matière d'utilisation de l'amiante jusqu'à son interdiction par le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 ; qu'en l'espèce, en décidant de manière péremptoire que « seule l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA publiée au Journal officiel du 6 novembre 2017 (...) a donné à M. [G] une connaissance des faits lui permettant d'exercer son action », sans rechercher, comme il lui était pourtant demandé, si la réglementation de l'amiante dès 1977 et les mesures mises en oeuvre par l'employeur au cours de la relation de travail, ayant pris fin en 1978, n'étaient de nature à justifier de l'apparition de la situation d'inquiétude permanente du salarié face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, constitutive du préjudice d'anxiété, antérieurement à la date de l'inscription sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime général de l'ACAATA, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

4°/ qu'en considérant que l'employeur ne justifie pas que le salarié avait une connaissance personnelle des risques liés à l'utilisation de l'amiante au cours de l'exécution du contrat de travail, lors même qu'il appartenait à ce dernier de justifier de la date à laquelle il a eu connaissance du dommage dont il demandait réparation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1353 du code civil, ensemble l'article 2224 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

7. Le point de départ du délai de prescription de l'action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d'anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante. Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin.

8. Appréciant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a constaté que seule l'inscription publiée au Journal officiel du 6 novembre 2007 de l'établissement de [Localité 3] sur la liste permettant la mise en oeuvre du régime ACAATA avait, peu important la remise en cause de cet arrêté par la juridiction administrative, donné au salarié une connaissance des faits lui permettant d'exercer son action.

9. Par de tels motifs, la cour d'appel, qui a ainsi accompli les recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

10. La société fait grief à l'arrêt du 26 novembre 2019 de la condamner au paiement de dommages-intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité, alors « que le salarié qui [a] sollicité la réparation d'un préjudice d'anxiété sur le fondement du droit commun de l'obligation de sécurité doit prouver l'existence de ce préjudice qu'il a personnellement subi, celui-ci ne se déduisant pas nécessairement de l'exposition au risque mais devant ressortir d'un trouble dans ses conditions d'existence ; que la cour d'appel, qui a simplement estimé que la prétendue exposition du salarié à l'amiante générait un préjudice d'anxiété dont l'existence était établi par des attestations produites par le salarié desquelles il ne ressortait pourtant qu'une inquiétude du salarié face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie grave en raison de l'exposition à l'amiante, mais non d'un trouble dans ses conditions d'existence, n'a pas légalement caractérisé le préjudice d'anxiété et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

11. En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

12. Le salarié doit justifier d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'un tel risque.

13. Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés.

14. Après avoir rappelé que, compte tenu de son exposition avérée à l'amiante et des délais de latence propres aux maladies liées à l'exposition de ce matériau, le salarié devait faire face au risque élevé de développer une pathologie grave, la cour d'appel a constaté qu'il produisait des attestations de proches faisant état de crises d'angoisse régulières, de peur de se soumettre aux examens médicaux, d'insomnies et d'un état anxio-dépressif, et en a déduit que l'existence d'un préjudice personnellement subi était avérée.

15. Par de tels motifs, elle a, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Silhol - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Spinosi ; Me Haas -

Textes visés :

Articles 1353 et 2224 du code civil, dans leur rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ; article 1231-1 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité d'établir un préjudice personnellement subi par le salarié résultant du risque élevé de développer une pathologie grave, dans le même sens que : Ass. plén., 5 avril 2019, pourvoi n° 18-17.442, Bull., (cassation partielle) ; Soc., 13 octobre 2021, pourvoi n° 20-16.584, Bull., (cassation) ; Soc., 13 octobre 2021, pourvoi n° 20-16.585, Bull., (cassation).

Soc., 15 décembre 2021, n° 20-18.782, (B)

Cassation partielle sans renvoi

Maladie – Maladie ou accident non professionnel – Inaptitude au travail – Obligation de reclassement – Procédure de reclassement – Notification écrite des motifs s'opposant au reclassement – Défaut – Effets – Réparation du préjudice – Indemnités – Cumul avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse – Possibilité (non) – Portée

Maladie – Maladie ou accident non professionnel – Inaptitude au travail – Obligation de reclassement – Procédure de reclassement – Notification écrite des motifs s'opposant au reclassement – Défaut – Sanction – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 11 juin 2020), M. [X] a été engagé en qualité d'ouvrier d'expédition à compter du 1er mars 1989 par la société Vicat et occupait en dernier lieu les fonctions de contremaître de quai.

2. En arrêt maladie à compter du 22 novembre 2016, il a été déclaré inapte à son poste de travail à l'issue d'un examen réalisé par le médecin du travail le 22 janvier 2018 et a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 5 avril 2018.

3. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme nette de 63 364,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu'aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux en mois de salaire brut ; qu'en condamnant la société Vicat à payer à M. [X], licencié pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement le 5 avril 2018, la somme nette de 63 364,20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, bien que le salarié ne pouvait prétendre, au regard de son ancienneté de vingt-neuf ans dans l'entreprise et au montant de son salaire brut au dernier état de 3 168,21 euros, qu'à une indemnité maximale de 63 364, 20 euros bruts, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 :

5. Selon ce texte, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et si l'une ou l'autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire brut.

6. Pour condamner l'employeur à payer au salarié la somme nette de 63 364,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié (3 168,21 euros par mois), de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l'entreprise et de l'effectif de celle-ci, il y a lieu de fixer le préjudice à la somme nette de 63 364,20 euros en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.

7. En statuant ainsi, alors que le salarié ne pouvait prétendre, au regard de son ancienneté de vingt-neuf ans dans l'entreprise et au montant de son salaire brut de 3 168,21 euros, qu'à une indemnité maximale de 63 364,20 euros brut, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une somme nette à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une somme à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, alors « que l'indemnité pour absence de notification écrite, avant l'engagement de la procédure de licenciement, des motifs qui s'opposent au reclassement d'un salarié déclaré inapte à la suite d'une maladie non professionnelle, ne se cumule pas avec l'indemnité octroyée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en condamnant la société Vicat payer à M. [B] [X] la somme nette de 63 364,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 300 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de son obligation de notifier par écrit avant l'engagement de la procédure de licenciement, les motifs qui s'opposaient au reclassement, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-2-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 et L. 1226-2-1, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

9. Selon le premier de ces textes, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et si l'une ou l'autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire brut.

10. Aux termes du second de ces textes, lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement.

11. Il résulte de leur combinaison que l'indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de notification écrite des motifs qui s'opposent au reclassement et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne se cumulent pas.

12. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de notification écrite des motifs s'opposant à son reclassement, l'arrêt retient, après avoir condamné l'employeur à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que la formalité prévue à l'article L. 1226-2-1 du code du travail qui doit intervenir avant que ne soit engagée la procédure de licenciement, a été accomplie postérieurement à la première convocation à l'entretien préalable.

13. En statuant ainsi, alors que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle pour défaut de notification écrite des motifs qui s'opposent au reclassement sont exclusives l'une de l'autre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

16. La Cour de cassation dispose des éléments nécessaires pour condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 63 364,20 euros exprimée en mois de salaire brut, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

17. Au vu de la réponse apportée au second moyen, il convient de débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts en application de l'article L. 1226-2-1 du code du travail.

18. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à payer au salarié diverses sommes n'emporte pas la cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Vicat à payer à M. [X] la somme nette de 63 364,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 300 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, l'arrêt rendu le 11 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société Vicat à payer à M. [X] la somme de 63 364,20 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déboute M. [X] de sa demande de dommages-intérêts en application de l'article L. 1226-2-1 du code du travail.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Capitaine - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ; article L.1226-2-1, alinéa 1, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence de cumul de l'indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de notification écrite des motifs qui s'opposent au reclassement en cas d'inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à rapprocher : Soc., 18 novembre 2003, pourvoi n° 01-43.710, Bull. 2003, V, n° 286 (2) (cassation).

Soc., 15 décembre 2021, n° 15-24.990, n° 15-24.992, (B)

Rejet et cassation partielle sans renvoi

Salaire – Heures supplémentaires – Convention de forfait – Validité – Conditions

La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que ne soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération ne permet pas de caractériser une convention de forfait.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 15-24.990 et 15-24.992 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Douai, 18 mai 2015), MM. [R] et [E] ont été engagés le 12 mai 2006 pour le premier et le 8 avril 2008 pour le second en qualité d'avocats par la société Jurinord.

3. Le 11 février 2014, ils ont saisi le bâtonnier de l'Ordre des avocats d'[Localité 4] statuant en matière prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de leur contrat de travail et de diverses demandes se rapportant à leur exécution et leur rupture.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches, et le moyen du pourvoi incident des salariés, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à verser diverses sommes à titre de rappel de salaire, congés payés afférents, dommages-intérêts au titre de la contrepartie en repos, de prononcer la résiliation judiciaire des contrats de travail et de le condamner à payer les rémunérations dues jusqu'au terme du contrat, le solde de l'indemnité de licenciement compris, ainsi que des indemnités compensatrice du préavis et les congés payés afférents, conventionnelle de licenciement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre du manquement aux règles de procédure du licenciement et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les parties au contrat de travail peuvent, lorsque la convention collective le prévoit et que la profession exercée ne permet pas de connaître le nombre d'heures effectuées, convenir d'une rémunération annuelle forfaitaire couvrant l'intégralité des heures de travail ; qu'en l'espèce, l'article 4.1 de la convention collective du 17 février 1995 des cabinets d'avocats (avocats salariés) prévoit que l'indépendance de l'avocat dans l'exercice de sa profession a pour conséquence la liberté dans la détermination de son temps de travail, notamment dans les dépassements individuels de l'horaire collectif du cabinet, justifiés par l'accomplissement des tâches qui lui sont confiées. De ce fait, sa rémunération constitue un forfait. Dans chaque cas individuel, il doit être tenu compte de l'importance de cette sujétion pour la détermination des salaires effectifs » ; que l'article 6 du contrat de travail des salariés - qui avaient perçu depuis leur embauche une rémunération très largement supérieure à la rémunération minimale annuelle conventionnelle (selon les années, près ou plus du double de cette rémunération minimale) - indiquait que cette rémunération a été convenue en tenant compte de la nature de l'activité professionnelle de la société Jurinord et notamment des sujétions imposées par la clientèle, de la liberté dont le salarié dispose dans l'organisation de son travail ainsi que des responsabilités dont il reconnaît avoir pleine connaissance » et précisait que compte tenu de ces modalités, la présente rémunération a un caractère global et forfaitaire. Ainsi définie, la rémunération couvre tous les aspects de l'exercice de l'activité, quel que soit le temps qui y est consacré, notamment les temps passés aux déplacements, aux études, aux documentations, à la formation ? » ; qu'en jugeant que cette clause ne pouvait constituer une convention de forfait licite, la cour d'appel a violé l'article 4.1 de la convention collective du 17 février 1995 des cabinets d'avocats (avocats salariés), ensemble l'article 19-III de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008. »

Réponse de la Cour

6. La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que ne soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait.

7. Ayant, tant par motifs propres qu'adoptés, constaté que les conventions de forfait de rémunération ne précisaient pas le nombre d'heures supplémentaires inclus dans la rémunération, la cour d'appel en a exactement déduit que les parties ne pouvaient avoir valablement conclu une telle convention.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à verser une somme au titre du manquement aux règles de procédure du licenciement, alors « que l'indemnité prévue par l'article L. 1235-2 du code du travail ne peut être allouée que lorsque le contrat de travail a été rompu par un licenciement ; qu'en condamnant l'employeur au paiement d'une somme au titre du manquement aux règles de procédure du licenciement, quand le contrat de travail était rompu par l'effet d'une résiliation judiciaire et non par un licenciement, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

10. Les salariés contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que le moyen, qui n'a pas été soulevé devant les juges du fond, est nouveau.

11. Cependant le moyen est de pur droit.

12. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1235-2 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 et l'article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

13. Aux termes du premier de ces textes, si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

14. Il résulte de ces dispositions que l'indemnité prévue par ce texte ne peut être allouée que lorsque le contrat de travail a été rompu par un licenciement.

15. Pour condamner l'employeur à verser aux salariés une somme au titre du manquement aux règles du licenciement, les arrêts retiennent qu'en ce qui concerne l'indemnité pour manquement aux règles de la procédure de licenciement, la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

16. Après avoir rappelé les termes de l'article L. 1235-2 du code du travail, les arrêts ajoutent que lorsque le licenciement est sans cause réelle ni sérieuse, l'article L. 1235-3 du même code ne prévoit pour le salarié qu'une indemnité globale qui ne peut être inférieure à six mois de salaire, que l'article L. 1235-5 de ce code réintroduit les dispositions relatives aux irrégularités de procédure prévues à l'article L. 1235-2 en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse, mais seulement pour le licenciement d'un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté ou opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

17. Constatant que l'effectif de la société était inférieur à onze salariés et estimant que le manquement aux règles de procédure était établi, les arrêts en déduisent que les demandes sont fondées.

18. En statuant ainsi, alors que les contrats de travail avaient été rompus par une décision de résiliation judiciaire et non par un licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

19. Il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, ainsi que suggéré par la demanderesse aux pourvois principaux.

20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

21. La cassation partielle n'atteint pas la cassation des chefs de dispositif portant sur les condamnations de l'employeur à verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens, justifiées par les autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois incidents ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la société Jurinord à verser à MM. [R] et [E] la somme de 1 000 euros chacun au titre du manquement aux règles de procédure du licenciement, les arrêts rendus le 18 mai 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute MM. [R] et [E] de leurs demandes de dommages-intérêts pour manquement aux règles de procédure du licenciement.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 4.1 de la convention collective du 17 février 1995 des cabinets d'avocats (avocats salariés) ; ensemble l'article 19-III de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité d'une convention de forfait, à rapprocher : Soc., 19 janvier 1999, pourvoi n° 96-45.628, Bull. 1999, V, n° 29 (rejet), et l'arrêt cité.

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