Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

CONFLIT DE LOIS

Soc., 8 décembre 2021, n° 20-11.738, (B)

Cassation partielle

Contrats – Contrat de travail – Loi applicable – Loi choisie par les parties – Limites – Convention de Rome du 19 juin 1980 – Article 3, § 3 – Dispositions impératives de la loi applicable par défaut – Effets – Office du juge – Application de la loi la plus favorable au salarié – Détermination – Modalités – Cas – Portée

La détermination du caractère plus favorable d'une loi doit résulter d'une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet ou se rapportant à la même cause.

Il résulte des dispositions de l'article 3, § 3, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles que les dispositions impératives d'une loi sont celles auxquelles cette loi ne permet pas de déroger par contrat.

Il ne peut être dérogé par contrat aux dispositions de la loi française en matière de rupture du contrat de travail.

La cour d'appel, qui a retenu que concernant la rupture du contrat de travail le code du travail marocain ne prévoit pour le salarié que l'hypothèse de la démission et qu'il énumère limitativement les cas de fautes graves commises par l'employeur de nature à dire le licenciement abusif, si le salarié quitte son travail, en a exactement déduit que les dispositions impératives de la loi française en matière de rupture du contrat de travail, telles qu'interprétées de manière constante par la Cour de cassation, selon lesquelles la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié qui démontre l'existence d'un manquement suffisamment grave de son employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit à son profit au paiement des indemnités afférentes, étaient plus favorables.

Contrats – Contrat de travail – Loi applicable – Loi choisie par les parties – Limites – Convention de Rome du 19 juin 1980 – Article 3, § 3 – Dispositions impératives de la loi applicable par défaut – Cas – Dispositions de la loi française en matière de rupture du contrat de travail – Portée

Contrats – Contrat de travail – Loi applicable – Loi choisie par les parties – Limites – Convention de Rome du 19 juin 1980 – Article 6, § 1 – Dispositions impératives de la loi applicable à défaut de choix – Effets – Application des conventions que la loi rend obligatoires

En vertu des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, les règles d'application des conventions collectives étant fixées par des normes légales et impératives tendant à protéger les salariés, l'application du droit français emporte celle des conventions qu'il rend obligatoires. En application des articles L. 2261-15 et L. 2261-19 du code du travail et du principe de séparation des pouvoirs le juge judiciaire n'a pas à vérifier, en présence d'un accord professionnel étendu, que l'employeur, compris dans le champ d'application professionnel et territorial de cet accord, en est signataire ou relève d'une organisation patronale représentative dans le champ de l'accord et signataire de celui-ci.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 novembre 2019), rendu après cassation (Soc., 8 mars 2017, pourvoi n° 15-28.021), M. [E] a été engagé le 1er novembre 1979 par la Banque centrale populaire du Maroc (la BCP) en qualité d'attaché commercial.

La relation de travail s'est d'abord exécutée au Maroc. A compter du 21 novembre 1983, le salarié a été affecté au sein du bureau de représentation de la BCP en France, à [Localité 3]. Il a ensuite travaillé exclusivement à [Localité 3] où il exerçait en dernier lieu les fonctions de délégué commercial.

2. Par lettre du 21 mai 2010, la BCP a informé le salarié que, dans le cadre du plan de mobilité des cadres du Crédit populaire du Maroc et pour des raisons de service, il était affecté au siège social de la BCP, situé à Casablanca au Maroc à compter du 1er juillet 2010.

Le 18 juin 2010, le salarié a refusé cette affectation en soutenant qu'elle était constitutive d'une modification de son contrat de travail et partant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

3. Le 29 juin 2010, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail.

4. Le 27 juillet 2010, la BCP a adressé au salarié une lettre par laquelle elle constatait la rupture du contrat de travail pour abandon de poste depuis le 1er juillet 2010.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, du pourvoi principal du salarié, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation en ses deux premières branches et qui est irrecevable en sa quatrième branche.

Sur le premier moyen du pourvoi incident de l'employeur, qui est préalable

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le droit français est applicable au contrat de travail, de décider que la prise d'acte est bien fondée et a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner la BCP à payer au salarié diverses sommes, de statuer sur les intérêts et la capitalisation des intérêts et de débouter la BCP de ses autres demandes, alors « qu'en application des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, la loi applicable au contrat de travail est celle choisie par les parties ; que l'article 6 se borne à prévoir, à titre de correctif, que le salarié a néanmoins droit, dans le cadre de l'application du droit étranger, à la protection que lui assurerait la mise en oeuvre des dispositions impératives de la loi applicable à défaut de choix ; qu'en décidant que le contrat de travail était régi, dans son ensemble, par le droit français quand les parties avaient choisi la loi marocaine, les juges du fond, s'écartant du dispositif prévu par l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, en ont violé les termes. »

Réponse de la Cour

7. En vertu de l'article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Celles-ci peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.

Selon l'article 6 de ladite convention, le choix de la loi applicable par les parties à un contrat de travail ne peut avoir pour effet de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe 2 du même texte.

8.L'arrêt qui décide de faire application de la loi française en ses dispositions relatives à la rupture du contrat de travail en ce qu'elles sont plus favorables que la loi marocaine choisie par les parties, n'énonce pas que le contrat de travail est régi, dans son ensemble, par le droit français.

9. Le moyen est dès lors inopérant.

10. La question préjudicielle soumise par l'employeur reposant sur le postulat inexact selon lequel la cour d'appel a énoncé que le contrat de travail est régi, dans son ensemble, par le droit français, est dénuée de pertinence. Il n'y a donc pas lieu de la transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne.

Sur le second moyen du pourvoi incident de l'employeur, qui est préalable

Enoncé du moyen

11. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que la comparaison entre le droit choisi et le droit applicable au titre de loi d'exécution du contrat s'effectue bloc par bloc ; qu'à supposer même que le droit français ait été applicable comme plus protecteur du salarié en tant qu'il assimilait, au titre des modes de rupture, la prise d'acte à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de toute façon, une fois ce constat opéré, le droit marocain, choisi par les parties, recouvrait son empire ; que les juges du fond devaient dès lors l'appliquer sauf à constater, au stade des droits indemnitaires, que le droit français assurait une protection non prévue par le droit marocain ; que faute de procéder de la sorte, les juges du fond ont violé l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980. »

Réponse de la Cour

12. D'abord, la détermination du caractère plus favorable d'une loi doit résulter d'une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet ou se rapportant à la même cause.

13. Ensuite, il résulte des dispositions de l'article 3-3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles que les dispositions impératives d'une loi sont celles auxquelles cette loi ne permet pas de déroger par contrat.

14. Il ne peut être dérogé par contrat aux dispositions de la loi française en matière de rupture du contrat de travail.

15. La cour d'appel, qui a retenu que concernant la rupture du contrat de travail, le code du travail marocain ne prévoit pour le salarié, en son article 34, que l'hypothèse de la démission et qu'il énumère limitativement, en son article 40, les cas de fautes graves commises par l'employeur de nature à dire le licenciement abusif, si le salarié quitte son travail, en raison de l'une de ces fautes si elle établie : « insulte grave, pratique de toute forme de violence ou d'agression dirigée contre le salarié, harcèlement sexuel, incitation à la débauche », en a exactement déduit que les dispositions impératives de la loi française en matière de rupture du contrat de travail, telles qu'interprétées de manière constante par la Cour de cassation, selon lesquelles la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié qui démontre l'existence d'un manquement suffisamment grave de son employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit à son profit au paiement des indemnités afférentes, étaient plus favorables.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

17. En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation des dispositions des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle soumise par la BCP.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal du salarié

Enoncé du moyen

18. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter son indemnisation aux sommes de 5 819,46 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 581,94 euros au titre des congés payés afférents au préavis, 17 124,29 euros au titre de l'indemnité de licenciement et 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que le salaire de référence servant de base au calcul des indemnités de rupture est égal à la totalité de la rémunération versée en contrepartie du travail au cours des 3 ou 12 derniers mois, dont ne peuvent être déduites les sommes prélevées par l'employeur au titre de l'impôt sur le revenu, qui ne viennent pas diminuer le montant de la rémunération du salarié ; qu'en refusant pourtant de réintégrer dans le montant du salaire de base l'impôt sur le revenu prélevé directement par l'employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-4 du code du travail :

19. En application de ces textes, le montant des indemnités de rupture doit être déterminé sur la base de la rémunération perçue par le salarié dont peuvent seulement être déduites les sommes représentant le remboursement de frais exposés pour l'exécution du travail.

20. Pour allouer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le salaire de référence doit être fixé sur la base du salaire brut moyen calculé sur trois mois sans qu'il y ait lieu de réintégrer la somme correspondant à l'impôt sur le revenu prélevé par l'employeur directement comme les autres cotisations.

21. En statuant ainsi, alors que les sommes prélevées par l'employeur au titre de l'impôt sur le revenu marocain dû par le salarié ne pouvaient être exclues de la rémunération pour le calcul des indemnités de rupture, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi principal du salarié

Enoncé du moyen

22. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une convention collective étendue est applicable à l'ensemble des entreprises entrant dans son champ d'application professionnel et territorial ; qu'en retenant, après avoir jugé le droit français applicable, qu'il n'était pas établi que la banque centrale populaire du Maroc ait souscrit à la convention collective nationale française des banques pour en écarter l'application, lorsque cette convention collective étant étendue, il importait seulement de déterminer si la banque entrait dans son champ d'application, la cour d'appel qui a statué par un motif inopérant, a violé les articles L. 2261-15 et L. 2261-16 du code du travail, ensemble l'article 1er de la convention collective nationale des banques. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, les articles L. 2261-15 et L. 2261-19 du code du travail et le principe de séparation des pouvoirs :

23. D'abord, en vertu des deux premiers de ces textes, les règles d'application des conventions collectives étant fixées par des normes légales et impératives tendant à protéger les salariés, l'application du droit français emporte celle des conventions qu'il rend obligatoires.

24. Ensuite, en application des deux derniers de ces textes et du principe susvisé, lorsqu'il s'agit d'un accord collectif professionnel, l'arrêté d'extension suppose nécessairement, sous le contrôle du juge administratif, vérification de la représentativité dans ce champ des organisations syndicales et patronales signataires ou invitées à la négociation. Il en résulte que le juge judiciaire n'a pas à vérifier, en présence d'un accord professionnel étendu, que l'employeur, compris dans le champ d'application professionnel et territorial de cet accord, en est signataire ou relève d'une organisation patronale représentative dans le champ de l'accord et signataire de celui-ci.

25. Pour écarter l'application de la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000, s'agissant de l'assiette de calcul de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis, l'arrêt retient que le salarié prétend à l'application des dispositions de la convention collective nationale française des banques mais qu'aucun élément ne permet de dire que la BCP y a souscrit.

26. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors d'une part que l'application du droit français à la rupture du contrat de travail emporte, dans cette matière, celle des conventions qu'il rend obligatoires, d'autre part que la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000 a été étendue par arrêté du 17 novembre 2004, ce dont il résulte qu'il lui appartenait de déterminer si la BCP entrait dans le champ d'application de cette convention collective, tel que défini par l'article 1er de celle-ci, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisé.

Et sur le second moyen du pourvoi principal du salarié

Enoncé du moyen

27. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter l'indemnisation des préjudices distincts subis à 50 000 euros, alors « que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que dans ses conclusions, M. [E] faisait valoir que dans le cadre de son règlement intérieur, la banque faisait bénéficier ses salariés d'un régime complémentaire de prévoyance auquel il avait cotisé et qui lui ouvrait droit à la somme de 370 663,27 dirhams par suite de son licenciement, qui ne lui avait pas été réglée ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire pour statuer sur les préjudices distincts dont M. [E] demandait réparation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

28. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen qui critique une omission de statuer est irrecevable.

29. Cependant, la cour d'appel ayant relevé dans ses motifs que le salarié sollicitait le paiement d'une somme correspondant à un pécule que lui devrait l'employeur au titre du régime complémentaire de prévoyance du Crédit populaire du Maroc, le moyen ne critique pas une omission de statuer.

30. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

31. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

32. Pour fixer l'indemnisation du salarié à la somme de 50 000 euros pour préjudices distincts, l'arrêt retient que l'employeur n'a pas affilié le salarié au régime de sécurité sociale français, ni à un régime de retraite complémentaire et ne cotisait pas aux Assedic, alors que compte tenu de l'exercice par le salarié d'un travail en France pendant une aussi longue période dans le cadre d'un établissement situé en France, les dispositions dérogatoires de la convention franco-marocaine ne pouvaient s'appliquer, que cependant l'employeur a cotisé pour l'ensemble de ces organismes au Maroc et le salarié reconnaît percevoir de deux caisses marocaines la somme mensuelle de 842,43 euros, que le salarié est en droit, au vu des manquements de son employeur concernant l'absence de diligences à le faire bénéficier des droits et avantages des régimes de protection sociale notamment en cas de chômage, de sécurité sociale, et de retraite français, manifestement plus avantageux que ceux du Maroc, à obtenir une indemnisation au titre de la perte de chance pour l'ensemble des préjudices invoqués et ce de façon distincte du préjudice issu de la perte de son emploi.

33. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du salarié qui soutenait que dans le cadre de son règlement intérieur la BCP faisait souscrire à ses salariés un régime complémentaire, intitulé RCP-CPM, et qu'en application des articles 12 et 13 de ce règlement intérieur, déterminant la liquidation et les montants à verser aux salariés, il lui était dû la somme totale de 370 663,27 dirhams qui ne lui avait jamais été versée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Banque centrale populaire du Maroc à payer à M. [E] les sommes de 5 819,46 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 581,94 euros à titre de congés payés afférents au préavis, 17 124,29 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 50 000 euros pour préjudices distincts, l'arrêt rendu le 27 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 3, § 3, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; articles L. 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-4 du code du travail ; articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; articles L. 2261-15 et L. 2261-19 du code du travail ; principe de séparation des pouvoirs.

Rapprochement(s) :

Sur l'application des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 concernant la protection du salarié par les dispositions impératives de la loi applicable par défaut, à rapprocher : Soc., 9 juillet 2015, pourvoi n° 14-13.497, Bull. 2015, V, n° 152 (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 28 octobre 2015, pourvoi n° 14-16.269, Bull. 2015, V, n° 203 (cassation partielle). Sur l'application de la loi française qui emporte l'application des conventions collectives qu'elle rend obligatoires, à rapprocher : Soc., 29 septembre 2010, pourvoi n° 09-68.852, Bull. 2010, V, n° 200 (3) (rejet), et l'arrêt cité. Sur l'office du juge judiciaire en matière d'application d'un accord collectif étendu, à rapprocher : Soc., 27 novembre 2019, pourvoi n° 17-31.442, Bull., (cassation partielle).

Soc., 8 décembre 2021, n° 20-14.178, (B)

Cassation partielle

Contrats – Loi applicable – Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 – Article 9 – Lois de police – Caractérisation – Exclusion – Cas – Législation française sur la durée du travail – Portée

Contrats – Contrat de travail – Durée du travail – Loi applicable – Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 – Article 8, § 1 – Loi choisie par les parties – Limites – Dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord – Portée

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Vinci construction grands projets (la société) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Pôle emploi.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 janvier 2020), M. [V] a été engagé par la société, en qualité d'ingénieur contrat, par contrat à durée indéterminée en date du 21 janvier 2008.

3. Par avenant du 22 mai 2013, les parties sont convenues de l'affectation du salarié au Qatar au sein de la société filiale QDVC ainsi que de se référer au droit du travail français, à l'exception des normes impératives et des lois de police du pays en ce qui concerne la conclusion, l'exécution et la rupture du contrat, et à la convention collective nationale des travaux publics applicable et à ses mises à jour en ses seules dispositions concernant les déplacements à l'étranger.

4. Le salarié a été licencié par lettre du 17 février 2014.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié certaines sommes à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte au repos, d'indemnité pour travail dissimulé, d'indemnité pour contrepartie obligatoire en repos, de rappel d'heures supplémentaires et de droits à congés payés afférents, alors « que selon l'article 8 du règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties sous réserve des dispositions impératives de la loi du pays où le salarié accomplit habituellement son travail ; que, selon l'article 9 du même règlement, une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement ; qu'il n'existe aucun impératif de sauvegarde des intérêts publics justifiant que la réglementation française relative à la durée du travail s'applique à une relation de travail ne s'exécutant pas sur le territoire national, de sorte que la loi française ne peut pas être constitutive d'une loi de police dans une telle hypothèse ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que, s'agissant du droit applicable, le contrat stipulait que les parties conviennent de se référer au droit français à l'exception des normes impératives et des lois de police du pays d'accueil ; que la cour d'appel devait donc rechercher si les dispositions du droit qatarien en matière de durée du travail étaient constitutives de normes impératives et lois de police, de sorte que le droit qatarien devait s'appliquer ; qu'en jugeant, pour ne pas tirer les conséquences du constat qu'elle avait fait que les dispositions du droit qatarien relatives à la durée du travail étaient bien des normes impératives et lois de police, que la loi française relative à la durée du travail était ''en France'' une loi de police, cependant que la relation de travail ne s'exécutait pas en France, mais au Qatar, la cour d'appel a violé les articles 8 et 9 du règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 8 et 9, § 1 et § 2, du règlement (CE) n° 593/2008, du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) :

6. Selon l'article 8 de ce règlement, le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l'article 3. Ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 de cet article.

Selon ce paragraphe 2, à défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail.

Aux termes du paragraphe 3, si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l'établissement qui a embauché le travailleur.

Aux termes du paragraphe 4 de cet article, s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s'applique.

7. Aux termes de l'article 9, § 1, du même règlement, une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après ce règlement.

8. Selon l'article 9, § 2, du règlement n° 593/2008, les dispositions de celui-ci ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi.

9. Selon l'article 3, § 1, de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d'une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément à l'article 1er, § 3, de cette directive, sur le territoire d'un État membre garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d'emploi concernant les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos, la durée minimale des congés annuels payés, ainsi que les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires qui, dans l'État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou par des conventions collectives.

10. Conformément au considérant 34 du règlement n° 593/2008, la règle relative au contrat individuel de travail que ce dernier prévoit ne devrait pas porter atteinte à l'application des lois de police du pays de détachement, prévue par la directive 96/71.

11. Pour condamner la société à payer au salarié certaines sommes à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte au repos, d'indemnité pour travail dissimulé, d'indemnité pour contrepartie obligatoire en repos, de rappel d'heures supplémentaires et de droits à congés payés afférents, l'arrêt retient que la législation sur la durée du travail est constitutive en France d'une loi de police.

12. En statuant ainsi, alors que, en dehors des situations de détachement de travailleurs sur le territoire français, relevant de la directive 96/71, la législation française sur la durée du travail ne constitue pas une loi de police mais relève des dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord au sens de l'article 8, § 1, du règlement n° 593/2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, pris en sa première branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Vinci construction grands projets à payer à M. [V] les sommes de 3 000 euros bruts à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte au repos, de 66 426 euros bruts à titre d'indemnité pour travail dissimulé, de 9 928,70 euros bruts à titre d'indemnité pour contrepartie obligatoire en repos, de 23 772, 96 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et de 237,72 euros au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 15 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles 8 et 9, § 1 et § 2, du règlement (CE) n° 593/2008, du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).

Rapprochement(s) :

Sur le choix par les parties de la loi applicable au contrat de travail, à rapprocher : Soc., 4 décembre 2012, pourvoi n° 11-22.166, Bull. 2012, V, n° 317 (2) (rejet).

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