Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

ASSURANCE DE PERSONNES

2e Civ., 16 décembre 2021, n° 19-23.907, (B)

Rejet

Assurance-vie – Souscripteur – Renonciation prorogée – Faculté – Exercice – Limite – Abus de droit – Appréciation – Moment

Justifie légalement sa décision une cour d'appel qui, pour apprécier le caractère abusif de l'exercice par l'assuré de la faculté de renonciation prorogée offerte par l'article L. 132-5-2 du code des assurances, s'est placée au jour de la renonciation et a recherché le moment auquel l'intéressé avait disposé des informations lui permettant d'exercer ce droit et a pris en considération sa situation concrète ainsi que sa qualité d'assuré averti ou profane.

Assurance-vie – Souscripteur – Renonciation prorogée – Faculté – Exercice – Conditions – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 septembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 8 décembre 2016, pourvoi n° 15-26.086), le 26 juin 2006, M. [C] a souscrit auprès de la société Sogelife (l'assureur) un contrat d'assurance sur la vie sur lequel il a effectué des versements s'élevant à un total de 20 341 000 euros. Entre le 22 décembre 2006 et le 14 juillet 2009, il a effectué des rachats partiels.

2. Le 20 février 2009, soutenant que l'assureur n'avait pas respecté les obligations précontractuelles d'information imposées par l'article L. 132-5-1 du code des assurances, il a exercé sa faculté prorogée de renonciation au contrat et demandé la restitution des sommes versées, déduction faite des rachats partiels. A la suite du refus de l'assureur, il l'a assigné devant un tribunal de grande instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses cinquième et septième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche, qui est préalable

Enoncé du moyen

4. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer valable et régulière la renonciation au contrat en cause exercée par M. [C], de le condamner à lui restituer la somme de 3 583 232,32 euros avec intérêts au taux légal majoré de moitié et au double du taux légal dans les conditions déterminées par la cour d'appel, alors « que l'assureur n'est pas tenu de faire figurer dans la note d'information remise à l'assuré les mentions relatives aux modalités de calcul des frais et indemnités de rachat, aux garanties de fidélité et aux valeurs de réduction, lorsque le contrat n'en prévoit pas ; qu'en jugeant, pour écarter l'abus allégué, que la documentation précontractuelle remise à Monsieur [C] était irrégulière en la forme au motif que la note d'information ne contenait pas la mention relative aux modalités de calculs des frais et indemnités de rachat, aux garanties de fidélité, et aux valeurs de réduction, cependant qu'une telle mention n'avait pas à figurer dans la note d'information remise à l'assuré dès lors qu'il était constant que le contrat conclu avec Monsieur [C] ne prévoyait pas de tels frais ou garanties, la cour d'appel a violé les articles L.132-5-1, L.132-5-2 et A.132-4 du code des assurances. »

Réponse de la cour

5. Selon l'article L. 132-5-1 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, applicable au litige, la proposition d'assurance ou de contrat doit comprendre un projet de lettre destiné à faciliter l'exercice de la faculté de renonciation et l'entreprise d'assurance ou de capitalisation doit remettre, contre récépissé, une note d'information sur les dispositions essentielles du contrat.

Le défaut de remise des documents et informations ainsi énumérés entraîne de plein droit la prorogation du délai de renonciation jusqu'au trentième jour suivant la date de leur remise effective.

6. Selon l'article A. 132-4 du même code, auquel renvoie ce texte, la note d'information contient les informations prévues par un modèle annexé.

7. Ce modèle, qui recense quatre rubriques, prévoit, au titre de celle intitulée « Caractéristiques du contrat », que la note d'information mentionne « f) contrats en cas de vie ou de capitalisation : frais et indemnités de rachat et autres frais prélevés par l'entreprise d'assurance, mentionnés au premier alinéa de l'article R. 132-3 » et au titre de la rubrique intitulée « Rendement minimum garanti et participation », que la note d'information mentionne « b) Indication des garanties de fidélité, des valeurs de réduction et des valeurs de rachat... ».

8. Aucun de ces deux textes ne prescrit que ces mentions n'ont pas lieu d'être portées dans la note d'information lorsque le contrat ne prévoit pas de frais et indemnités de rachat, de garanties de fidélité, de valeurs de réduction ou de valeurs de rachat.

9. Dès lors, il incombe à l'assureur, dans un tel cas, de mentionner dans la note d'information qu'il délivre que le contrat qu'il propose ne prélève aucun frais ni indemnité de rachat et ne prévoit aucune garantie de fidélité ou aucune valeur de réduction ou de rachat, toutes informations essentielles pour permettre à l'assuré d'apprécier la compétitivité de ce placement, ainsi que les risques inhérents à l'investissement envisagé et par suite, la portée de son engagement.

10. Il s'ensuit que la cour d'appel, ayant relevé que le document intitulé « note d'information » ne mentionnait pas les frais et indemnités de rachat mentionnés au 1er alinéa de l'article R. 132-3 du code des assurances et ne comportait pas l'indication des garanties de fidélité, des valeurs de réduction et des valeurs de rachat, a décidé à bon droit que le contenu de ce document n'était pas conforme aux dispositions impératives des textes précités.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

12. L'assureur fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que pour apprécier l'existence d'un abus dans l'exercice de la faculté de renonciation prévue par l'article L.132-5-2 du code des assurances, il appartient au juge du fond de rechercher au regard de la situation concrète de l'assuré, de sa qualité d'assuré averti ou profane, et des informations dont celui-ci disposait réellement à la date à laquelle il a prétendu renoncer à son contrat, quelle était la finalité de l'exercice de son droit de renonciation et s'il n'en résultait pas l'existence d'un abus de droit ; que pour écarter l'abus allégué, la cour d'appel s'est en l'espèce bornée à énoncer que, compte tenu des manquements entachant la documentation précontractuelle remise à Monsieur [C], il ne pouvait être dit que celui-ci avait été suffisamment informé lors de la signature de son contrat, que sa qualité de dirigeant ne suffisait pas en soi à en faire un connaisseur averti des produits financiers complexes, qu'aucune conséquence ne pouvait en soi être tirée des arbitrages effectués par celui-ci ou du fait qu'il avait prétendu renoncer à ses investissements en période de pertes sauf à admettre que la faculté de renonciation ne puisse s'exercer qu'en période de hausse boursière et, enfin, que la connaissance générale que Monsieur [C] avait pu avoir de ce que ses placements pouvaient être soumis à des fluctuations affectant son capital était en soi insuffisante à établir qu'il avait conclu le contrat litigieux « en connaissance de cause » ; qu'en se prononçant par ces seuls motifs, insuffisants à caractériser la recherche de l'existence d'un abus de droit au regard de la situation concrète de Monsieur [C], de sa qualité d'assuré averti ou de profane, et des informations dont celui-ci disposait réellement à la date à laquelle il avait exercé sa faculté de renonciation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.132-5-1 et L.132-5-2 du code des assurances ;

2°/ que dans ses conclusions d'appel, l'assureur faisait valoir que Monsieur [C] avait été dûment informé sur les caractéristiques essentielles de son contrat, sur les caractéristiques du support sélectionné, sur les risques qui y étaient associés, et que les manquements essentiellement formels allégués par Monsieur [C] avaient dans les faits été sans incidence sur la qualité de son information ; qu'elle faisait ainsi valoir, tout d'abord, que s'il lui était reproché d'avoir annexé son modèle de lettre de renonciation à la note d'information et non au bulletin de souscription lui-même, aucun défaut d'information n'en était résulté pour Monsieur [C] puisqu'un modèle de lettre lui avait bien été communiqué, que ce modèle avait été signé et paraphé par l'assuré, que celui-ci avait reconnu avoir été informé sur les conditions d'exercice de la faculté de renonciation, et qu'il avait en outre reçu un modèle de lettre de renonciation lors de la souscription d'un précédent contrat d'assurance-vie ; que l'assureur avait également fait valoir que s'il lui était reproché d'avoir, par commodité, réuni la note d'information et les conditions générales en une seule liasse,

Monsieur [C] avait en tout état de cause reconnu avoir reçu et pris connaissance de deux documents distincts et avait signé et paraphé chacun de ces documents ; que l'assureur soulignait que s'il lui était reproché d'avoir fait figurer dans sa note d'information une mention trop générale sur le régime fiscal applicable, aucun préjudice n'en était résulté pour Monsieur [C] puisque celui-ci s'était vu remettre une annexe dédiée, qu'il avait paraphée et signée et qui, allant au-delà de ce qu'exige la loi, décrivait de façon exhaustive le régime fiscal applicable au contrat ; qu'elle rappelait encore que s'il lui était reproché de ne pas avoir fait mention des frais supportés par l'unité de compte et des modalités de versement du produit des droits attachés à la détention de l'unité de compte dans la note d'information elle-même, ces informations étaient décrites dans l'annexe financière que Monsieur [C] avait signée et paraphée et dont il avait reconnu avoir pris connaissance ; qu'elle faisait enfin observer que Monsieur [C] ne pouvait sans faire preuve de mauvaise foi lui reprocher de ne pas avoir fait figurer dans la note d'information les mentions relatives aux valeurs de rachats, aux modalités de calculs des frais et indemnités de rachat, aux garanties de fidélités et valeurs de réduction alors que ces derniers éléments n'étaient pas prévus par le contrat ; qu'en se référant, pour écarter l'abus allégué, aux irrégularités qui auraient entaché les documents précontractuels remis à Monsieur [C], sans répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que c'est à la lumière d'un faisceau d'indices qu'il appartient au juge de déterminer si l'assuré avait, au moment où il a exercé sa faculté de renonciation, conscience des caractéristiques de son contrat et de la portée de son engagement ; que pour écarter en l'espèce tout abus dans l'exercice, par Monsieur [C], de sa faculté de renonciation prorogée, la cour d'appel a énoncé que l'abus ne pouvait se déduire de la seule circonstance que Monsieur [C] avait prétendu renoncer à son contrat dans un contexte de perte sauf à admettre que cette faculté ne puisse s'exercer que dans un contexte favorable à l'investisseur, que la profession exercée par Monsieur [C] ne suffisait pas à en faire un « connaisseur averti des produits financiers complexes », que le fait que le Monsieur [C] avait procédé à de nombreux arbitrages ne suffisait pas en soi à démontrer qu'il avait compris la portée de ses engagements, et que la connaissance générale de ce que ses placements pouvaient être soumis à des fluctuations affectant son capital était insuffisante à démontrer que c'est en pleine connaissance de cause qu'il avait « fait le choix du contrat litigieux » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher s'il ne résultait pas de l'ensemble des éléments invoqués, analysés globalement, que Monsieur [C] avait parfaitement conscience de la portée de son engagement et qu'en renonçant tardivement à son contrat, il avait fait un usage déloyal de la faculté de renonciation qui lui était offerte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 132-5-1 et L 132-5-2 du code des assurances dans sa rédaction applicable à la cause ;

4°/ qu'en écartant l'abus allégué sans tenir compte, pour apprécier la situation concrète de Monsieur [C] ainsi que les connaissances dont il disposait réellement à la date à laquelle il avait prétendu renoncer à son contrat, du fait que celui-ci avait souscrit de précédents d'assurance-vie également exprimés en unités de compte, qu'il était depuis la signature de son contrat entouré de nombreux conseils, qu'il était diplômé d'une école de commerce réputée, et qu'il avait, pendant des années, été personnellement destinataire de relevés de situation l'informant sur le nombre d'unités de compte acquises sur le support choisi, le cours de l'unité de compte et la valeur totale de son épargne, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.132-5-1 et L.132-5-2 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

13. Après avoir rappelé que l'abus de droit, qui conduit à priver d'efficacité une renonciation déjà effectuée et dont la preuve incombe à l'assureur, est établi lorsque l'exercice de cette prérogative a été détourné de sa finalité par un souscripteur qui, suffisamment informé, a été en mesure d'apprécier la portée de son engagement, l'arrêt relève qu'au regard des manquements substantiels de l'assureur à l'information précontractuelle qu'il se devait d'apporter concernant des éléments essentiels du contrat, manquements constatés par la cour, il ne saurait être dit que M. [C] a été suffisamment informé.

14. L'arrêt retient qu'il ne peut être tiré aucune conséquence du fait que M. [C] a continué à faire des arbitrages et des rachats partiels postérieurement à l'exercice de la faculté de renonciation dès lors que cette situation trouve sa cause dans le refus de l'assureur de donner suite à l'exercice prorogé de la faculté de renoncer et la nécessité, en conséquence, pour l'assuré de préserver au mieux ses intérêts dans une période de baisse des valeurs boursières.

15. L'arrêt énonce ensuite que M. [C] a opté pour une gestion déléguée, confiée à un spécialiste en gestion de portefeuille, que, dans ces conditions, le fait d'avoir effectué des versements d'un montant total de 20 341 000 euros sur son contrat ne caractérise par sa qualité d'investisseur averti et qu'il en est de même du fait qu'il soit dirigeant de huit sociétés propriétaires de magasins hard discount de petite surface, ses qualités de gestionnaire de ce type de commerces ne faisant pas de lui un connaisseur averti de produits financiers complexes, choisis par le gérant de portefeuille.

16. L'arrêt retient en outre que la connaissance de ce que ses placements pouvaient être soumis à des fluctuations affectant son capital est insuffisante, alors qu'il n'a pas reçu les informations essentielles explicitant les mécanismes de son contrat, pour dire que c'est en pleine connaissance de cause du fonctionnement de celui-ci et de la connaissance des titres souscrits qu'il a fait le choix du contrat litigieux.

17. L'arrêt retient enfin que la mise en jeu « tardive » de la faculté de renoncer n'est que la conséquence du défaut d'information donné sur les risques encourus par les placements et du moment où, devant la baisse importante de son capital, M. [C] a pris conscience des risques et souhaité immédiatement réagir par le moyen qui lui semblait préserver au mieux ses intérêts.

18. L'arrêt en déduit que l'assureur ne rapporte pas la preuve des éléments constitutifs de l'abus de droit et que la déloyauté contractuelle par un usage de la faculté de renonciation sans lien avec sa finalité n'est pas caractérisée.

19. Par ces constatations et énonciations, dont il résulte que la cour d'appel, qui s'est placée au jour de la renonciation pour apprécier son caractère abusif, a recherché le moment auquel l'intéressé avait disposé des informations lui permettant d'exercer la faculté de renonciation prorogée et a pris en considération sa situation concrète et sa qualité d'assuré averti ou profane, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, l'arrêt se trouve légalement justifié.

20. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Guého - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article L. 132-5-2 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 19 mai 2016, pourvoi n° 15-12.767, Bull. 2016, II, n° 138 (cassation partielle) ; 2e Civ., 28 mars 2019, pourvoi n° 18-15.612, Bull. 2019, (cassation).

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