Numéro 12 - Décembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2021

Partie I - Arrêts des chambres et ordonnances du Premier Président

ACCIDENT DE LA CIRCULATION

2e Civ., 9 décembre 2021, n° 20-14.254, n° 20-15.991, (B)

Rejet

Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 – Domaine d'application – Exclusion – Accident causé par la partie étrangère à la fonction de déplacement d'un véhicule

L'accident corporel, qui est exclusivement en lien avec la fonction d'outil d'une moissonneuse-batteuse et non avec sa fonction de circulation, dès lors que la machine, à l'arrêt, ne se trouvait plus en action de fauchage, mais en position de maintenance de la vis sans fin à l'origine du dommage n'est pas constitutif d'un accident de la circulation au sens de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-14.254 et 20-15.991, qui attaquent le même arrêt, sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 17 décembre 2019), le 14 septembre 2010, M. [N], exploitant agricole, a demandé à la société HB Agri-service de moissonner un champ de tournesols lui appartenant. Alors qu'un bourrage s'était produit dans la trémie de la moissonneuse-batteuse, M. [N] est monté sur l'engin afin de débloquer la trémie.

Au cours de cette opération, sa jambe gauche a été happée par la vis située au fond de la trémie et arrachée au-dessus du genou.

3. M. [N] a fait assigner la société HB Agri-service, la Mutualité sociale agricole Sud Champagne et son assureur au titre de la garantie complémentaire de santé, la société Groupama Grand Est, devant un tribunal de grande instance aux fins d'obtenir la réparation de ses préjudices.

La société HB Agri-service a appelé en garantie son assureur, la société La Comtoise.

La Mutuelle centrale d'assurances, venant aux droits de la société La Comtoise, en liquidation judiciaire, ainsi que la société Monceau générale assurances, assureur de la moissonneuse-batteuse, sont intervenues volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 20-14.254 formé par M. [N] et le moyen du pourvoi n° 20-15.991 formé par la société HB Agri-service, réunis

Enoncé des moyens

4. M. [N] fait grief à l'arrêt de déclarer la société HB Agri-service responsable à hauteur seulement de 50 % de l'ensemble des préjudices subis par M. [N] à l'occasion de l'accident survenu le 14 septembre 2010, de mettre hors de cause la société Monceau générale assurances et la société Mutuelle centrale d'assurances, venant aux droits de la société La Comtoise, et de rejeter la demande de M. [N] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que dès lors qu'un véhicule ne travaille pas en poste fixe et doit, ou peut, selon les étapes de son travail, simultanément se déplacer pour utiliser sa fonction d'outil, l'accident qu'il génère est un accident de la circulation au sens de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'il est survenu à l'occasion de la fonction d'outil ou de déplacement de l'engin, ces deux fonctions étant indissociables dans une telle hypothèse ; qu'en relevant, pour refuser de faire application de ce dispositif légal à M. [N], que lors de l'accident, la moissonneuse-batteuse était à l'arrêt et que seul était en cause le fonctionnement de la vis sans fin, sans lien avec la fonction de déplacement, dès lors qu'elle pouvait être mise en oeuvre à l'arrêt de la machine, quand la moissonneuse, qui au moment de l'accident avait le moteur en marche et le conducteur présent sur son siège, devait, ou pouvait, selon les étapes de son travail, simultanément se déplacer pour exercer sa fonction d'outil, ce qui la rendait indissociable de la fonction de déplacement, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

2°/ qu'en énonçant, pour écarter l'application de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, qu'au moment de l'accident, la moissonneuse-batteuse, à l'arrêt, se trouvait en état de maintenance de l'un de ses outils, et non en action de fauchage, sans répondre aux conclusions de M. [N] faisant valoir qu'en raison du maintien de M. [R] sur son siège de conducteur et du défaut de descente au sol de l'échelle d'accès au sommet de la moissonneuse, les éléments mobiles comme la vis sans fin ne s'étaient pas coupés, le privant ainsi de sécurité et maintenant l'engin dont le moteur tournait, en état de déplacement, ce dont il déduisait que les fonctions d'outil et de déplacement étaient indissociables et que la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 devait s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que, subsidiairement, en se contentant de retenir, pour écarter l'application de la loi n° 85-677, qu'au moment de l'accident, la moissonneuse-batteuse était à l'arrêt et était en situation de maintenance de l'un de ses outils, en l'occurrence la vis sans fin, sans lien avec la fonction de déplacement, sans rechercher, alors qu'elle constatait qu'au moment de l'accident, le conducteur était présent sur son siège et le moteur du véhicule en marche, si la machine n'était pas en cours d'activité de fauchage et par conséquent en déplacement lorsqu'un dysfonctionnement l'avait contrainte à s'interrompre, en sorte que M. [N], dont l'intervention dans la trémie s'inscrivait dans l'exercice de cette activité spécifique, devait bénéficier du dispositif protecteur légal susvisé, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. »

5. La société HB Agri-service fait grief à l'arrêt attaqué de la déclarer responsable à hauteur de 50 % de l'ensemble des préjudices subis par M. [N] à l'occasion de l'accident survenu le 14 septembre 2010 et de mettre hors de cause la société Monceau générale assurances et la Mutuelle centrale d'assurances, venant aux droits de la société La Comtoise, alors « que les dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 s'appliquent, mêmes lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ; qu'en se fondant sur les circonstances, inopérantes, tirées de ce qu'au moment de l'accident dont avait été victime M. [N], la moissonneuse-batteuse ne circulait pas et ne procédait à aucune coupe, et que M. [N] intervenait, alors, dans la trémie dans le but de pallier à un dysfonctionnement de l'outil de vidange de celle-ci, pour retenir que les dispositions de cette loi n'étaient pas applicables en l'espèce, et ce tandis qu'il était établi que M. [N] avait été victime dudit accident dans lequel était impliqué un véhicule terrestre à moteur, dont le moteur était, alors, en marche et dont le machiniste occupait, alors, sa place de pilotage, que cet accident était, lui-même, dû à un mouvement enclenché par ledit moteur et que, quand s'était produit le sinistre, l'engin avait, à tout le moins potentiellement, vocation et à sa mouvoir et à accomplir les travaux agricoles spécifiques pour lesquels il avait été conçu, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, précité. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt retient qu'il résulte des pièces produites aux débats, et particulièrement des auditions recueillies par les enquêteurs auprès de la victime, de M. [R], conducteur de la machine, ainsi que de M. [E], employé de M. [N] et témoin de l'accident, que la moissonneuse-batteuse était à l'arrêt total au moment des faits, que c'est vainement que M. [N] soutient dans ses dernières écritures que l'arrêt n'aurait pas été complet, en se prévalant des déclarations par lesquelles M. [E] a indiqué qu'il avait demandé à M. [R] de stopper totalement l'engin, qu'il résulte en effet sans aucune ambiguïté des déclarations de ce témoin que la moissonneuse-batteuse ne se déplaçait pas, et qu'il apparaît que la demande faite à M. [R] ne tendait aucunement à l'immobilisation du véhicule, mais à l'arrêt de son moteur, qui continuait d'entraîner la vis sans fin située en fond de trémie.

7. L'arrêt constate que, bien qu'entraînée par le moteur permettant par ailleurs à la machine de rouler, cette vis sans fin est totalement indépendante de la fonction de déplacement, comme pouvant être mise en oeuvre à l'arrêt de la machine, et ayant pour seul objet de vidanger les grains introduits dans la trémie de stockage après leur récolte.

8. L'arrêt énonce que c'est le fonctionnement de cette vis sans fin qui est seul à l'origine de l'accident survenu à M. [N], lequel est descendu dans la trémie afin de casser avec un bâton les amas de grains agglomérés par l'humidité, empêchant ainsi la vis sans fin de remplir son office, que c'est à cette occasion que, son pied ayant glissé et son lacet étant défait, M. [N] a vu sa jambe gauche happée et entraînée par la vis sans fin.

9. L'arrêt ajoute que, dès lors qu'au moment de l'accident la moissonneuse-batteuse ne circulait pas, ne procédait à aucune coupe, et que M. [N] intervenait dans la trémie dans le seul but de pallier un dysfonctionnement de l'outil de vidange de celle-ci, la machine ne se trouvait manifestement plus en action de fauchage, mais en position de maintenance de l'un de ses outils et que la fonction de déplacement de l'engin était totalement étrangère à la survenue de l'accident, peu important à cet égard que le moteur ait été en fonctionnement ou que le conducteur ait été présent sur son siège.

10. De ces constatations et énonciations, relevant de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel qui a mis en évidence que l'accident était exclusivement en lien avec la fonction d'outil de la moissonneuse-batteuse et aucunement avec sa fonction de circulation, dès lors que la machine ne se trouvait plus en action de fauchage, mais en position de maintenance de la vis sans fin et à l'arrêt,en a exactement déduit qu'il ne constituait pas un accident de la circulation au sens de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Gadiou et Chevallier ; SCP Spinosi ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-18.421, Bull. 2017, II, n° 101 (rejet).

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