Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2020

Partie III - Décisions du Tribunal des conflits

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 7 décembre 2020, n° 20-04.200, (P)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige opposant un service public industriel et commercial à ses usagers – Définition – Cas – Litige relatif à la redevance d'assainissement réclamée à l'usager

Le litige né de la contestation, par un usager du service public de l'assainissement collectif, de la redevance majorée mise à sa charge en application des dispositions du règlement du service relève de la juridiction judiciaire, sous réserve d'éventuelles questions préjudicielles sur la légalité du règlement du service.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article 35 du décret du 27 février 2015 : « lorsqu’une juridiction est saisie d’un litige qui présente à juger, soit sur l’action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n’est susceptible d’aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence.

La juridiction saisie transmet sa décision et les mémoires ou conclusions des parties au Tribunal des conflits. L’instance est suspendue jusqu’à la décision du tribunal des conflits ».

2. Aux termes de l’article L. 2224-11 du code général des collectivités territoriales, « les services publics d'assainissement sont financièrement gérés comme des services à caractère industriel et commercial ».

Aux termes de l’article L. 2224-8 du même code, applicable aux communautés de communes en vertu du 6° de l’article L. 5214-16 du code : « Les communes assurent le contrôle des raccordements au réseau public de collecte, la collecte, le transport et l’épuration des eaux usées ». Enfin, l’article L. 2224-12 du code prévoit que « les communes et les groupements de collectivités territoriales (...) établissent, pour chaque service d’eau ou d’assainissement dont ils sont responsables, un règlement de service définissant, en fonction des conditions locales, les prestations assurées par le service ainsi que les obligations respectives de l’exploitant, des abonnés, des usagers et des propriétaires » et son article L. 2224-12-2 dispose que « les règles relatives aux redevances (...) d’assainissement (...) sont établies par délibération du conseil municipal ou de l’assemblée délibérante du groupement de collectivités territoriales ».

3. L’article 11-3 du règlement du service public d’assainissement collectif de la communauté de communes de l’île de Noirmoutier, pris sur le fondement des dispositions précitées des articles L. 2224-12 et L. 2224-12-2 du code général des collectivités territoriales, dispose que : « Dans le but d’améliorer le fonctionnement du système d’assainissement, le service procède à des contrôles de bon fonctionnement des raccordements. Si, à l’issue de ces contrôles, des anomalies sont décelées, il est demandé au propriétaire de réaliser les travaux nécessaires dans les délais impartis (2 mois à partir du contrôle) et d’en aviser le service assainissement avant la fin de ces travaux pour procéder à la notification du contrôle. Si au terme du délai prédéfini, les travaux n’ont pas été réalisés et vérifiés, le propriétaire sera astreint au paiement de la redevance d’assainissement majorée de 100 % (...). »

4. Ces dispositions prévoient que les propriétaires doivent supporter une majoration de la redevance d’assainissement en cas de non-réalisation des travaux nécessaires pour remédier aux anomalies décelées, à l’occasion d’un contrôle, dans leur raccordement au réseau public d’assainissement collectif. Cette redevance majorée est distincte de la somme que l’article L. 1331-8 du code de la santé publique impose aux propriétaires d’immeubles d’acquitter quand ils n’ont pas respecté les obligations prévues par les articles L. 1331-1 à L. 1331-7-1 du même code, c’est-à-dire quand ils n’ont pas réalisé de raccordement au réseau public d’assainissement et ne sont donc pas usagers du service public de l’assainissement collectif.

5. Le litige qui oppose la communauté de communes de l’Ile de Noirmoutier et la société les Sablons est né de la contestation, par un usager du service public de l’assainissement collectif, de la redevance majorée mise à sa charge en application des dispositions du règlement du service citées au point 3.

6. Un tel litige, relatif à la redevance réclamée à un usager d’un service public industriel et commercial, ressortit, sous réserve d’éventuelles questions préjudicielles sur la légalité du règlement du service, à la juridiction judiciaire.

D E C I D E :

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Article 1 :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant la société Les Moulins à la communauté de communes de l’Ile de Noirmoutier.

- Président : M. Ménéménis - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Bokdam-Tognetti (rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Loi des 16 et 24 août 1790 ; Décret du 16 fructidor an III ; Loi du 24 mai 1872 ; Décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; code général des collectivités territoriales ; code de la santé publique.

Tribunal des conflits, 7 décembre 2020, n° 20-04.199, (P)

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Expropriation d'utilité publique – Litige relatif à la phase administrative de la procédure d'expropriation

Il appartient au juge administratif de connaître de l'action en responsabilité dirigée par l'exproprié contre l'Etat à raison de fautes qui ont été commises dans la phase administrative de la procédure d'expropriation et qui sont susceptibles de lui avoir directement causé un dommage indépendant de ceux qui trouvent leur origine dans le transfert irrégulier de propriété.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 9 juillet 2020, l’expédition du jugement par lequel le tribunal administratif de Poitiers, saisi de la demande formée par Mme Y... C... tendant à la condamnation de l’Etat au paiement d’une indemnité de 30 000 euros en réparation des préjudices subis en raison de l’irrégularité de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique du 21 septembre 2015 de la zone d’aménagement concerté Centre Atlantique, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été communiquée au ministre de l’économie, des finances et de la relance et au ministre de l’intérieur, qui n’ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... est propriétaire de deux parcelles situées sur le territoire de la commune de [...].

La communauté d’agglomération de Saintes ayant décidé l’extension de la zone d’aménagement concerté des [...], une enquête publique a été prescrite. A l’issue de cette enquête et après avis favorable du commissaire enquêteur, le préfet a déclaré l’opération d’utilité publique par un arrêté du 21 septembre 2015.

Par une ordonnance du 20 mai 2016, le juge de l’expropriation a ordonné le transfert de propriété des parcelles appartenant à Mme C.... Celle-ci ayant formé un recours en annulation contre la déclaration d’utilité publique, le tribunal administratif de Poitiers, par un jugement du 11 octobre 2017, devenu définitif, a annulé l’arrêté déclarant le projet d’utilité publique au motif que l’avis du commissaire enquêteur était insuffisamment motivé.

Par un jugement du 18 janvier 2019, la juridiction de l’expropriation, saisie par Mme C..., a constaté la perte de base légale de l’ordonnance d’expropriation, ordonné la restitution des parcelles et constaté que Mme C... ne maintenait pas sa demande de paiement de la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral.

2. Par requête du 21 février 2018, Mme C... a saisi le tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui payer une indemnité de 30 000 euros en réparation des préjudices subis, résultant de l’irrégularité de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique.

Par jugement du 2 juillet 2020, ce tribunal, relevant l’existence d’une difficulté sérieuse relative à la juridiction compétente pour indemniser les préjudices, notamment moraux, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

3. Aux termes de l’article L. 223-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : « En cas d’annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation. Après avoir constaté l’absence de base légale de l’ordonnance portant transfert de propriété, le juge statue sur les conséquences de son annulation ».

Aux termes de l’article R. 223-6 du même code : « Le juge constate, par jugement, l’absence de base légale du transfert de propriété et en précise les conséquences de droit. I. – Si le bien exproprié n’est pas en état d’être restitué, l’action de l’exproprié se résout en dommages et intérêts. II. S’il peut l’être, le juge désigne chaque immeuble ou fraction d’immeuble dont la propriété est restituée. Il détermine également les indemnités à restituer à l’expropriant. Il statue sur la demande de l’exproprié en réparation du préjudice causé par l’opération irrégulière. Il précise que la restitution de son bien à l’exproprié ne peut intervenir qu’après paiement par celui-ci des sommes mises à sa charge, après compensation (...) ».

4. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient au juge de l’expropriation, chargé de constater l’absence de base légale de l’ordonnance d’expropriation, de connaître des actions engagées par l’exproprié contre l’expropriant pour obtenir la réparation de tous les préjudices qui sont en lien avec le transfert irrégulier de propriété.

5. En revanche, il appartient au juge administratif de connaître de l’action en responsabilité dirigée par l’exproprié contre l’Etat à raison de fautes qui ont été commises dans la phase administrative de la procédure d’expropriation et qui sont susceptibles de lui avoir directement causé un dommage indépendant de ceux qui trouvent leur origine dans le transfert irrégulier de propriété.

6. Il résulte de ce qui précède que l’action de Mme C... contre l’Etat relève de la compétence de la juridiction administrative.

D E C I D E :

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Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige.

- Président : M. Ménéménis - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Polge (rapporteur public) -

Textes visés :

Loi des 16 et 24 août 1790 ; Décret du 16 fructidor an III ; Loi du 24 mai 1872 ; code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

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