Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2020

RESPONSABILITE DU FAIT DES PRODUITS DEFECTUEUX

1re Civ., 9 décembre 2020, n° 19-21.390, (P)

Cassation partielle

Domaine d'application – Exclusion – Cas – Dommage causé au produit défectueux lui-même et préjudices économiques découlant de cette atteinte

Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ne s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques découlant de cette atteinte. C'est donc à bon droit qu'une cour d'appel a retenu que la perte d'exploitation et l'absence de fourniture de machine de remplacement ne sont pas indemnisables sur le fondement des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du code civil.

Produit – Défectuosité – Dommage – Réparation – Régime – Domaine d'application – Cas – Réparation du dommage causé au produit défectueux lui-même et préjudices économiques découlant de cette atteinte

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 18 juin 2019), la société Mafroco a vendu à la société civile d'exploitation viticole P... U... (la société P...) un matériel agricole servant au travail des vignes, dont la livraison est intervenue le 22 août 2011.

2. Le lendemain, M. P..., gérant de la société P..., a été victime d'un accident corporel lors de l'utilisation de ce matériel et a subi une intervention chirurgicale.

3. Après avoir sollicité deux expertises en référé aux fins d'examen du matériel litigieux et d'évaluation du préjudice corporel subi par M. P..., ce dernier et la société P... ont assigné la société Mafroco en responsabilité et indemnisation, en sollicitant, d'une part, la réparation de différents préjudices sur le fondement des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du code civil, d'autre part, la résolution judiciaire du contrat de vente au titre d'un défaut de conformité du matériel.

4. La société Mafroco a été déclarée responsable du préjudice subi par M. P... à hauteur de la moitié, sur le fondement des textes précités, et condamnée à lui payer différentes sommes à ce titre.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, et sur le quatrième moyen, réunis

Enoncé du moyen

6. Par son troisième moyen, pris en sa seconde branche, la société P... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre de la perte d'exploitation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux, alors « que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit ; qu'en jugeant par motifs adoptés, pour débouter la société P... de sa demande de réparation au titre de la perte d'exploitation, que cette demande concernerait un « préjudice économique consécutif à l'atteinte à la machine litigieuse », la cour d'appel a violé l'article 1386-1, devenu 1245, du code civil, et par fausse application son article 1386-2, devenu 1245-1. »

7. Par son quatrième moyen, la société P... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre de l'absence de fourniture d'une machine de remplacement fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux, alors « que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit ; que, pour justifier sa demande d'indemnisation au titre des préjudices subis au titre de l'immobilisation de la machine achetée, la société P... rappelait que la société Mafroco ne lui avait « jamais proposé (...) une machine en remplacement du Trimovigne non-conforme et qui a connu onze avaries notables (...) entre la date d'achat et janvier 2013 (...), date à laquelle M. P... a ramené le Trimovigne en panne afin d'en demander le remboursement », et qu'elle avait dû en conséquence « recourir le 16 novembre 2012 à l'acquisition d'un chenillard « Rotair R70 1 Must Diesel Kubota » aux performances très inférieures, ainsi qu'à l'embauche d'un ouvrier qualifié, M. D... E... pour obtenir un résultat malgré tout inférieur à ce qu'elle était en droit d'attendre du Trimovigne » ; qu'en jugeant par motifs propres et adoptés, pour débouter la société P... de sa demande de réparation au titre du préjudice subi du fait de l'absence de fourniture d'une machine de remplacement, que cette demande concernerait un « préjudice économique consécutif à l'atteinte à la machine litigieuse », la cour d'appel a violé l'article 1386-1, devenu 1245, du code civil, et par fausse application son article 1386-2, devenu 1245-1. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article 1386-2, devenu 1245-1 du code civil, issu de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne et du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

9. Après avoir énoncé, à bon droit, que ce régime de responsabilité ne s'applique pas à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques découlant de cette atteinte, la cour d'appel en a exactement déduit que la perte d'exploitation et l'absence de fourniture de machine de remplacement invoquées par la société P... étaient consécutives à l'atteinte au matériel en cause et n'étaient pas indemnisables sur le fondement des articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du code civil.

10. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

11. La société P... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en résolution de la vente fondée sur le défaut de conformité du produit, alors « que la demande en résolution pour défaut de conformité de la chose vendue ne présuppose pas des dommages causés par cette chose mais uniquement sa non-conformité à ce que l'acheteur était en droit d'en attendre au regard de l'objet du contrat ; qu'en jugeant « qu'en tout état de cause, il convient d'observer que le défaut de conformité allégué, tenant à la sécurité du produit ne comporte aucun lien de causalité avec les dommages dont la société P... poursuit la réparation, en lien avec les avaries ci-dessus énumérées », la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1604 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-2, devenu 1245-1, 1604 et 1184 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

12. Selon le premier de ces textes, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne et du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

En application des deuxième et troisième, l'acquéreur d'un bien peut agir en résolution de la vente en cas de manquement du vendeur à son obligation contractuelle de délivrance d'un bien conforme.

13. Cette action en résolution ne tendant pas à la réparation d'un dommage qui résulte d'une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou à un bien autre que ce produit, elle se trouve hors du champ de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 et de la loi du 19 mai 1998 qui l'a transposée, et n'est donc soumise à aucune de leurs dispositions.

14. Pour déclarer irrecevable l'action en résolution de la vente du matériel agricole pour non-conformité, l'arrêt retient que, si le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui tiré d'un défaut de sécurité du produit litigieux et que, sous le couvert d'une non-conformité du matériel acquis, la société P... reproche à la société Mafroco sa défectuosité résultant du défaut de sa sécurité.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'action en résolution de la vente de la société civile d'exploitation viticole P... U... fondée sur le défaut de conformité du produit, l'arrêt rendu le 18 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Mornet - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Lévis -

Textes visés :

Articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 et suivants du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 1 juillet 2015, pourvoi n° 14-18.391, Bull. 2015, I, n° 165 (cassation partielle).

1re Civ., 9 décembre 2020, n° 19-17.724, (P)

Cassation partielle

Produit – Défectuosité – Définition – Produit n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre – Caractérisation – Défaut – Applications diverses – Défaut n'étant pas de nature à nuire à la santé des consommateurs, ni à leur intégrité

Viole l'article 1386-2, devenu 1245-1, du code civil, et l'article 1er du décret n° 2005-113 du 11 février 2005, la cour d'appel qui retient que, si l'utilisation de produits a provoqué la dégradation d'un vin en altérant son goût, ils ne sauraient être considérés comme défectueux dès lors que ce dernier n'est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité, alors qu'elle avait constaté que l'altération du vin était consécutive à sa pollution par les produits dont la défectuosité était invoquée.

Produit – Défectuosité – Définition – Produit n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre – Appréciation – Appréciation au regard de la présentation et de l'usage pouvant être raisonnablement attendu du produit – Recherche nécessaire

Prive sa décision de base légale au regard de l'article 1386-4, alinéas 1 et 2, devenu 1245-3, alinéas 1 et 2, du code civil, la cour d'appel qui retient que des produits ne sauraient être considérés comme défectueux dès lors qu'aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité de ceux-ci n'est établi, sans examiner si au regard des circonstances et notamment de leur présentation et de l'usage qui pouvait en être raisonnablement attendu, ces produits présentaient la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 2 avril 2019), la société Domaine du Moulin à l'or a confié la filtration, le dégazage et l'électrodialyse de l'ensemble de ses vins millésimés 2014 à la société Filtration services, qui a fait appel pour la préparation de l'appareil d'électrodialyse à la société Eurodia ayant utilisé à cet effet de l'acide nitrique et de la lessive de soude, acquis par la société Filtration services auprès de la société Groupe Pierre Le Goff (le vendeur) et produits par la société Brenntag (le producteur). A l'issue des opérations, une pollution des vins a été décelée provenant de la lessive de soude et de l'acide nitrique et provoquant des désordres organoleptiques.

2. Les sociétés Domaine du Moulin à l'or et Filtration services ont assigné en responsabilité et indemnisation le producteur et le vendeur, ainsi que leurs assureurs respectifs, les sociétés Generali IARD, et AIG Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société AIG Europe.

Le vendeur a été mis hors de cause.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La société Filtration services fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors que « les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ; qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, c'est-à-dire lorsqu'il risque de porter atteinte à l'intégrité physique ou psychique des individus, ou bien de provoquer la destruction ou la dégradation d'un bien ; qu'en retenant, pour juger que la preuve de la défectuosité des produits n'était pas rapportée, qu'aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité desdits produits n'est établi dès lors que la pollution des vins traités n'est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité, le vin restant inoffensif s'il est ingéré même si son goût s'avère désagréable, quand l'altération du goût des vins en raison de leur pollution par les produits en cause caractérisait un défaut de sécurité du produit, la cour d'appel a violé les articles 1386-2 et 1386-4 du code civil, désormais articles 1245-1 et 1245-3 dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1386-2, devenu 1245-1 du code civil, et l'article 1er du décret n° 2005-113 du 11 février 2005 :

4. Il résulte de ces textes que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation, d'une part, du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne, d'autre part, du dommage supérieur à 500 euros, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même, en provoquant sa destruction ou son altération.

5. Pour rejeter les demandes de la société Filtration services, l'arrêt retient que si l'utilisation des produits chimiques, qui contenaient des quantités plus ou moins importantes de trichloroanisole et de tétrachloroanisole, a contaminé l'ensemble de l'appareil d'électrodialyse et provoqué la dégradation du vin en altérant son goût, les produits litigieux ne sauraient être considérés comme défectueux dès lors que la pollution des vins n'est pas de nature à nuire à la santé des consommateurs ni à leur intégrité.

6. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté une altération des vins consécutive à leur pollution par les produits dont la défectuosité était invoquée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

7. La société Domaine du Moulin à l'or fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que, pour l'application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas, à l'égard des personnes ou des biens, la sécurité, à laquelle on peut légitimement s'attendre ; qu'en se bornant, pour écarter le caractère défectueux des produits Brenntag, à relever que le vin traité avec ces produits, s'il avait un goût de bouchon, était inoffensif pour les consommateurs, sans examiner si les produits litigieux offraient, pour le vin traité avec les machines nettoyées avec ces produits, la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, la cour d'appel a violé les articles 1386-2 et 1386-4, devenus les articles 1245-1 et 1245-3, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1386-4, alinéas 1 et 2, devenu 1245-3, alinéas 1 et 2, du code civil :

8. Aux termes de ce texte, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et, dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment, de la présentation du produit et de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu.

9. Pour statuer comme il a été dit, l'arrêt retient que les produits litigieux ne sauraient être considérés comme défectueux dès lors qu'aucun danger anormal et excessif caractérisant un défaut de sécurité des produits n'est établi.

10. En se déterminant ainsi, sans examiner si au regard des circonstances et notamment de leur présentation et de l'usage qui pouvait en être raisonnablement attendu, les produits dont la défectuosité était invoquée présentaient la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il met hors de cause la société Groupe Pierre Le Goff, l'arrêt rendu le 2 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Kloda - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Didier et Pinet ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 1386-2, devenu 1245-1, du code civil ; article 1er du décret n° 2005-113 du 11 février 2005 ; article 1386-4, alinéas 1 et 2, devenu 1245-3, alinéas 1 et 2, du code civil.

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