Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2020

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

3e Civ., 10 décembre 2020, n° 20-40.059, (P)

QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel

Baux commerciaux – Code de commerce – Article L. 145-14 – Droit de propriété – Caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. La société Malte Opéra est locataire d'un immeuble à usage d'hôtel appartenant à la société Compagnie du Grand Hôtel de Malte et situé à Paris.

2. Par acte du 5 septembre 2016, la bailleresse a refusé le renouvellement du bail et offert à la locataire le paiement d'une indemnité d'éviction.

3. Après dépôt d'un rapport d'expertise judiciaire, la société Malte Opéra a assigné la société Compagnie du Grand Hôtel de Malte en fixation du montant de cette indemnité.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. Par jugement du 17 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a transmis la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« L'article L. 145-14 du code de commerce est-il conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, précisément au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, à la liberté contractuelle garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, à la liberté d'entreprendre protégée par l'article 4 du Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, au principe d'égalité garanti par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, et respecte-t-il la compétence réservée à la loi par la Constitution de 1958 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

5. La disposition contestée est applicable au litige.

6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. La question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

8. Cette question présente un caractère sérieux en ce que, en retenant que l'indemnité d'éviction doit notamment comprendre la valeur vénale du fonds de commerce défini selon les usages de la profession sans prévoir de plafond, de sorte que le montant de l'indemnité d'éviction pourrait dépasser la valeur vénale de l'immeuble, la disposition contestée est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur.

9. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Parneix - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; Me Descorps-Declère -

1re Civ., 18 décembre 2020, n° 20-40.060, (P)

QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel

Donation – Code de l'action sociale et des familles – Article L. 116-4 – Articles 2, 4, 6, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 – Caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. I... X... est décédée le [...], sans laisser d'héritier réservataire, en l'état d'un testament olographe du 17 mai 2017, désignant ses cousins, M. et Mme S..., M. et Mme T..., MM. B... (les consorts S..., T... et B...), légataires universels et Mme F..., son employée de maison, légataire à titre particulier d'un appartement et de son contenu.

2. Les consorts S..., T... et B... ont assigné Mme F... en nullité du legs.

Au cours de cette procédure, cette dernière a posé une question prioritaire de constitutionnalité.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

3. Par un jugement du 30 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Toulouse a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 116-4 du code de l'action sociale et des familles méconnaît-il les droits et libertés garantis par les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

4. La disposition contestée est l'article L. 116-4 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, modifié par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ratifiée par l'article 1er de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, qui dispose, en son I :

« Les personnes physiques propriétaires, gestionnaires, administrateurs ou employés d'un établissement ou service soumis à autorisation ou à déclaration en application du présent code ou d'un service soumis à agrément ou à déclaration mentionné au 2° de l'article L. 7231-1 du code du travail, ainsi que les bénévoles ou les volontaires qui agissent en leur sein ou y exercent une responsabilité, ne peuvent profiter de dispositions à titre gratuit entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur par les personnes prises en charge par l'établissement ou le service pendant la durée de cette prise en charge, sous réserve des exceptions prévues aux 1° et 2° de l'article 909 du code civil.

L'article 911 du même code est applicable aux libéralités en cause.

L'interdiction prévue au premier alinéa du présent article est applicable au couple ou à l'accueillant familial soumis à un agrément en application de l'article L. 441-1 du présent code et à son conjoint, à la personne avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité ou à son concubin, à ses ascendants ou descendants en ligne directe, ainsi qu'aux salariés mentionnés à l'article L. 7221-1 du code du travail accomplissant des services à la personne définis au 2° de l'article L. 7231-1 du même code, s'agissant des dispositions à titre gratuit entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur par les personnes qu'ils accueillent ou accompagnent pendant la durée de cet accueil ou de cet accompagnement. »

5. Elle renvoie à l'article L. 7231-1 du code du travail, qui dispose :

« Les services à la personne portent sur les activités suivantes :

1° La garde d'enfants ;

2° L'assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes qui ont besoin d'une aide personnelle à leur domicile ou d'une aide à la mobilité dans l'environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile ;

3° Les services aux personnes à leur domicile relatifs aux tâches ménagères ou familiales. »

6. Elle est applicable au litige, relatif à la nullité d'une disposition testamentaire consentie à une personne qui, en sa qualité d'employée de maison de la testatrice, est frappée par une incapacité de recevoir.

7. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

8. La question présente un caractère sérieux en ce que, ayant pour conséquence de réduire le droit de disposer librement de ses biens, hors tout constat d'inaptitude du disposant, l'article L. 116-4 du code de l'action sociale et des familles pourrait être de nature à porter atteinte aux articles 2, 4 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 28 août 1789.

9. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Mouty-Tardieu - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) -

Textes visés :

Article L. 116-4 du code de l'action sociale et des familles ; articles 2, 4, 6, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

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