Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2020

PREUVE

Soc., 16 décembre 2020, n° 19-14.682, (P)

Cassation partielle

Règles générales – Charge – Applications diverses – Convention collective nationale du personnel du régime d'assurance chômage – Article 10 – Priorité d'embauche – Envoi des appels de candidatures et examen des candidatures – Ordre de priorité – Respect par l'employeur – Nécessité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 janvier 2018), Mme I... K... a été engagée par Pôle emploi suivant contrat à durée déterminée du 3 juin au 30 novembre 2009 en qualité d'agent allocataires-conseiller à l'emploi.

2. Le 19 décembre 2011, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et au paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Examen du moyen

Sur le moyen en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la salariée de requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et de réintégration

Enoncé du moyen

3. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ces chefs de demande, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 10 § 3 de la convention collective nationale du personnel du régime de l'assurance chômage que « dans le but de favoriser la promotion interne, les directions doivent pourvoir les postes de travail en respectant, pour l'examen des candidatures, l'ordre des priorités défini ci-dessus » ce dont il s'évince que les agents et anciens agents en contrat à durée déterminée bénéficient non seulement d'une priorité dans la diffusion des appels de candidatures mais également dans l'examen de leur candidature aux postes de travail qui doivent être pourvus dans le respect des règles de priorité définies par l'article 10, ce dont il appartient à l'employeur de justifier ; et qu'en considérant que l'article 10 de cette convention collective ne prévoyait qu'un ordre de priorité dans la diffusion des appels de candidatures, la cour d'appel a violé cette disposition ;

2°/ que l'article 10 § 3 de la convention collective nationale du personnel du régime de l'assurance chômage impose à l'employeur de pourvoir les postes de travail, en respectant pour l'examen des candidatures, l'ordre des priorités défini pour leur diffusion ; et qu'en s'abstenant de vérifier si l'employeur avait pourvu les sept postes disponibles à l'agence Pôle emploi de Tolbiac, auxquels Mme I... K... avait postulé, dans le respect de cette disposition, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 10 § 3 de la convention collective nationale du personnel du régime de l'assurance chômage. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 10 § 2 de la convention collective nationale du personnel du régime d'assurance chômage, les appels de candidatures doivent obligatoirement être effectués par les directions, en priorité, auprès des agents de l'institution, puis simultanément auprès de personnes appartenant à diverses catégories, au nombre desquelles figurent les anciens agents sous contrat à durée déterminée ayant quitté l'institution depuis moins de trois mois et ayant fait expressément, lors de leur départ, ou ultérieurement, la demande d'être informés de toute vacance de poste.

En vertu de l'article 10 § 3 de ladite convention, dans le but de favoriser la promotion interne, les directions doivent pourvoir les postes de travail en respectant, pour l'examen des candidatures, l'ordre des priorités défini ci-dessus.

5. Il résulte de ces dispositions conventionnelles que l'employeur doit respecter un ordre de priorité, dont bénéficient notamment les anciens salariés sous contrat à durée déterminée aux conditions prévues par le texte susvisé, dans l'envoi des appels de candidatures et dans l'examen des candidatures pour pourvoir les postes de travail.

6. Il appartient à l'employeur de justifier avoir respecté cet ordre de priorité à l'égard des catégories de personnes en bénéficiant et le manquement de l'employeur à cette obligation ouvre droit au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice éventuellement subi.

7. La cour d'appel, qui a débouté la salariée de ses demandes de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et de réintégration après avoir retenu que le non-respect par l'employeur de ses obligations conventionnelles ne pouvait donner lieu qu'au paiement de dommages-intérêts, a, par ces seuls motifs, justifié sa décision.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts

Enoncé du moyen

9. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ce chef de demande, alors « qu'il résulte de l'article 10 § 3 de la convention collective nationale du personnel du régime de l'assurance chômage que « dans le but de favoriser la promotion interne, les directions doivent pourvoir les postes de travail en respectant, pour l'examen des candidatures, l'ordre des priorités défini ci-dessus » ce dont il s'évince que les agents et anciens agents en contrat à durée déterminée bénéficient non seulement d'une priorité dans la diffusion des appels de candidatures mais également dans l'examen de leur candidature aux postes de travail qui doivent être pourvus dans le respect des règles de priorité définies par l'article 10, ce dont il appartient à l'employeur de justifier ; et qu'en considérant que l'article 10 de cette convention collective ne prévoyait qu'un ordre de priorité dans la diffusion des appels de candidatures, la cour d'appel a violé cette disposition. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10 § 2 et § 3 de la convention collective nationale du personnel du régime d'assurance chômage et l'article 1315, devenu 1353, du code civil :

10. En application du premier de ces textes, l'employeur doit respecter un ordre de priorité, dont bénéficient notamment les anciens salariés sous contrat à durée déterminée, aux conditions prévues par les dispositions conventionnelles, dans l'envoi des appels de candidatures et dans l'examen des candidatures pour pourvoir les postes de travail.

11. Il appartient à l'employeur de justifier avoir respecté cet ordre de priorité à l'égard des catégories de personnes en bénéficiant et le manquement de l'employeur à cette obligation ouvre droit au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice éventuellement subi.

12. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts de la salariée, la cour d'appel a retenu que l'article 10 de la convention collective applicable oblige seulement les directions de Pôle emploi à adresser les appels à candidatures, en priorité, notamment aux anciens agents sous contrat à durée déterminée en fonction dans l'institution, ou ayant quitté l'institution depuis moins de trois mois et ayant fait expressément, lors de leur départ, ou ultérieurement, la demande d'être informés de toute vacance de poste, que la salariée a été informée pendant son contrat de travail des postes ouverts au recrutement et correspondant à des emplois à durée indéterminée et qu'elle ne justifie pas ne pas en avoir été informée dans les trois mois qui avaient suivi la fin de son contrat.

13. En statuant ainsi, alors que les dispositions conventionnelles imposent à l'employeur de respecter un ordre de priorité non seulement dans la diffusion des appels à candidature mais également dans l'examen des candidatures et qu'il appartenait à l'employeur de justifier avoir respecté ses obligations, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de dommages-intérêts, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme I... K... de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, l'arrêt rendu le 25 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 10, § 2 et § 3, de la convention collective nationale du personnel du régime d'assurance chômage.

Soc., 16 décembre 2020, n° 19-17.637, n° 19-17.638, n° 19-17.639, n° 19-17.640, n° 19-17.641, n° 19-17.642, n° 19-17.643, n° 19-17.644, n° 19-17.645, n° 19-17.646 et suivants, (P)

Cassation

Règles générales – Moyen de preuve – Administration – Mesure d'instruction in futurum – Mesure admissible – Motif légitime – Caractérisation – Preuve d'une discrimination à l'égard de salariés – Conditions – Protection du droit à la preuve et atteinte à la vie personnelle proportionnée au but poursuivi

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 19-17.637 à W 19-17.667 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Lyon, 11 avril 2019), statuant en référé, M. F... et trente autres salariés de la société Renault Trucks, exerçant des mandats de représentants du personnel sous l'étiquette CGT et soutenant faire l'objet d'une discrimination en raison de leurs activités syndicales, ont, le 29 janvier 2018, saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale pour obtenir les informations permettant l'évaluation utile de leur situation au regard de celle des autres salariés placés dans une situation comparable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa septième branche

Enoncé du moyen

3. Les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leur demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, alors « que dans leurs écritures, les exposants avaient eu soin de faire valoir qu'ils étaient titulaires d'un mandat syndical et que leur carrière comme leur rémunération n'avaient quasiment pas évolué en comparaison des salariés ne disposant pas d'un mandat, que dans ces conditions ils avaient sollicité à plusieurs reprises que leur employeur leur communique les éléments leur permettant de comparer l'évolution de leur carrière et de leur rémunération avec les salariés embauchés à la même époque et sur le même site et qu'alors que ces éléments étaient indispensables pour pouvoir établir l'étendue de la discrimination syndicale et du préjudice subis, la société Renault Trucks avait toujours refusé de transmettre ces informations alors qu'elle était la seule à disposer des pièces de nature à pouvoir procéder à une comparaison utile ; qu'en se bornant, pour débouter les salariés de leurs demandes, à affirmer, après avoir constaté que la mesure demandée était légitime, que celle-ci s'analysait en une mesure générale d'investigation excédant par sa généralité les précisions de l'article 145 du code de procédure civile, sans rechercher si les mesures demandées n'étaient pas nécessaires à l'exercice du droit à la preuve des exposants et en particulier, si la communication des documents demandés, dont seul l'employeur disposait et qu'il refusait de communiquer, n'était pas nécessaire à la protection de leurs droits, la cour d'appel, qui a méconnu ses pouvoirs, a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile :

4. Selon le premier des textes susvisés, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

5. Pour débouter les salariés de leur demande de production et communication de pièces sous astreinte, les arrêts énoncent que si le demandeur à la mesure d'instruction n'est pas tenu, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, de caractériser le motif légitime qu'il allègue au regard des différents fondements juridiques qu'il envisage pour son action future, il doit néanmoins apporter au juge les éléments permettant de constater l'existence d'un tel motif au regard de ces fondements. Ils constatent que les salariés caractérisent ce motif légitime en produisant un tableau issu de la négociation annuelle obligatoire, dressant la moyenne des rémunérations des salariés classés dans leur catégorie et dont il résulte que, malgré leur ancienneté, leur rémunération annuelle se trouve tout juste dans la moyenne, différence de traitement qu'ils mettent en lien avec l'activité syndicale.

Les arrêts en déduisent qu'il existe un litige potentiel susceptible d'opposer le salarié et l'employeur, lequel détient effectivement les éléments de fait pouvant servir de base au procès lié à une discrimination syndicale. Ils constatent néanmoins que les salariés, qui ne se comparent pas avec des salariés nommément visés, demandent communication de l'ensemble des éléments concernant les salariés embauchés sur le même site qu'eux, la même année ou dans les deux années précédentes et suivantes, dans la même catégorie professionnelle, au même niveau ou à un niveau très proche de qualification/classification et de coefficient ainsi que de tous les éléments de rémunération, de diplômes, de formation en lien avec l'évolution de carrière, de sorte que cette demande s'analyse en une mesure générale d'investigation, portant sur plusieurs milliers de documents.

Les arrêts déduisent de ces constatations que la mesure demandée excède par sa généralité les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile et doit être rejetée.

6. En se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait, après avoir estimé que les salariés justifiaient d'un motif légitime, de vérifier quelles mesures étaient indispensables à la protection de leur droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 11 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles 9 et 145 du code de procédure civile ; article 9 du code civil ; articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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