Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2020

FILIATION

1re Civ., 2 décembre 2020, n° 19-20.279, (P)

Rejet

Actions relatives à la filiation – Actions aux fins d'établissement de la filiation – Action en recherche de paternité – Prescription prévue par l'article 321 du code civil – Convention européenne des droits de l'homme – Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale – Proportionnalité

Une cour d'appel qui relève que la demanderesse à une action en établissement de sa filiation paternelle, par constatation de la possession d'état, a bénéficié d'un délai de quarante-cinq années, dont vingt-sept à compter de sa majorité, peut en déduire que le délai de prescription qui lui est opposé respecte un juste équilibre et qu'il ne porte pas, au regard du but légitime poursuivi, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 mai 2019), Mme W..., née le [...], a, par acte d'huissier de justice du 15 avril 2016, assigné le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille aux fins de voir établir, par la possession d'état, sa filiation paternelle à l'égard de Y... D..., décédé accidentellement le jour de sa naissance. Mme U..., soeur du défunt, ainsi que ses neveu et nièce, M. V... et Mme V..., sont intervenus volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. Mme W... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en établissement de filiation paternelle par possession d'état, alors :

« 1°/ que lorsque le demandeur ne connaît pas l'existence ou l'identité des personnes qui ont successivement qualité pour défendre à une action en reconnaissance d'un lien de filiation avant que n'expire le délai de prescription, il peut diriger son action contre celle qui, selon l'ordre fixé par l'article 328 du code civil, lui succède comme étant habilitée à défendre à l'action ; que l'assignation délivrée contre cette dernière interrompt alors le délai de prescription ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que l'assignation en reconnaissance d'un lien de filiation par possession d'état à l'égard de Y... D... délivrée par Mme W... au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille n'avait pu interrompre le délai de prescription dès lors qu'elle aurait dû être dirigée contre les héritiers de Y... D... qui n'avaient pas renoncé à la succession ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si Mme W... pouvait connaître ses héritiers au jour de son assignation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 321, 328, 330, 2241 et 234 du code civil, 6 et 8 de Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe suivant lequel chacun a le droit de connaître ses origines ;

2°/ que l'impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que si la prescription des actions relatives à la filiation est prévue par la loi et poursuit un but légitime en ce qu'elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique, l'application des règles procédurales selon lesquelles l'action doit être formée ne doit pas conduire à porter une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale du demandeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui s'est abstenue de rechercher, au regard des circonstances propres du litige et de la situation de Mme W..., si le fait que celle-ci ait assigné l'Etat au lieu des héritiers, alors que le premier était désigné par le texte comme étant un potentiel défendeur, justifiait qu'elle fût privée du droit de faire reconnaître sa filiation sans qu'il en résulte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

3. Selon l'article 330 du code civil, la possession d'état peut être constatée, à la demande de toute personne qui y a intérêt, dans le délai de dix ans à compter de sa cessation ou du décès du parent prétendu.

4. Selon l'article 321 du même code, sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté. À l'égard de l'enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité.

5. L'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, a, pour l'action en constatation de la possession d'état, substitué au délai de prescription trentenaire un délai de prescription décennale.

6. Selon l'article 2222 du code civil, en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

7. Il résulte de l'article 328, alinéa 3, du même code que l'action en recherche de paternité ou de maternité est exercée contre le parent prétendu ou ses héritiers et que ce n'est qu'à défaut d'héritiers, ou si ceux-ci ont renoncé à la succession, qu'elle est dirigée contre l'Etat.

8. Aux termes de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

9. Ces dispositions sont applicables en l'espèce dès lors que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le droit à l'identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée.

10. Si l'impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée, cette ingérence est, en droit interne, prévue par la loi, dès lors qu'elle résulte de l'application des textes précités du code civil, qui définissent de manière claire et précise les conditions de prescription des actions relatives à la filiation, cette base légale étant accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets.

11. Elle poursuit un but légitime, au sens du second paragraphe de l'article 8 précité, en ce qu'elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique.

12. Les délais de prescription des actions aux fins d'établissement de la filiation paternelle ainsi fixés par la loi, qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l'enfant d'agir après sa majorité, constituent des mesures nécessaires pour parvenir au but poursuivi et adéquates au regard de cet objectif.

13. Cependant, il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces délais légaux de prescription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.

14. L'arrêt relève que Mme W... a mal dirigé ses demandes lorsqu'elle a assigné le procureur de la République le 15 avril 2016 et que cette assignation n'a pu interrompre, à l'égard des héritiers de Y... D..., le délai de prescription qui a expiré le 1er juillet 2016. Il ajoute qu'elle a bénéficié d'un délai de quarante-cinq années, dont vingt-sept à compter de sa majorité, pour exercer l'action en établissement de sa filiation paternelle.

15. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu, sans être tenue de procéder à une recherche que ces constatations rendaient inopérante, déduire que le délai de prescription qui lui était opposé respectait un juste équilibre et qu'il ne portait pas, au regard du but légitime poursuivi, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale.

16. Le moyen, irrecevable en sa première branche comme proposant une argumentation incompatible avec celle que Mme W... a développée devant la cour d'appel en soutenant avoir entretenu avec les héritiers de Y... D... des relations régulières pendant de nombreuses années, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Feydeau-Thieffry - Avocat(s) : SCP Boulloche ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles 330, 321, 2222 et 328, alinéa 3, du code civil ; ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, entrée en vigueur le 1er juillet 2006 ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-25.068, Bull. 2016, I, n° 216 (rejet) ; 1re Civ., 7 novembre 2018, pourvoi n° 17-25.938, Bull. 2018, (rejet) ; 1re Civ., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-21.095, Bull. 2018, (cassation).

1re Civ., 16 décembre 2020, n° 19-20.948, (P)

Rejet

Dispositions générales – Conflit de lois – Loi applicable – Loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant – Conditions – Absence de contrariété à l'ordre public international – Caractérisation – Défaut – Cas – loi privant un enfant français ou résidant habituellement en France du droit d'établir sa filiation

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2018), l'enfant P... N... est née le [...] 2014 à Paris de Mme N..., de nationalité marocaine, sans filiation paternelle établie.

Le 28 avril 2015, celle-ci, agissant en qualité de représentante légale de sa fille, a assigné M. X... devant le tribunal de grande instance de Meaux en recherche de paternité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. X... fait grief à l'arrêt d'écarter la loi marocaine pour contrariété à l'ordre public international et, faisant application de la loi française, de déclarer recevable l'action en recherche de paternité exercée par Mme N... au nom de sa fille P... et d'ordonner une expertise biologique, alors :

« 1° / que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, la cour a admis qu'il y avait lieu, en principe, de faire application de la loi marocaine, en l'occurrence le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, la mère de l'enfant étant marocaine ; que, pour juger que cette loi était contraire à l'ordre public international français, la cour, par motifs adoptés, a retenu, au regard des textes qu'elle a visés, que « le droit marocain ne reconnaît la filiation que dans le cadre du mariage, sauf aveu du père et rapports sexuels « par erreur » (relation illégitime entre la femme et l'homme lorsque celui-ci croit à la légitimité de la relation suite à une erreur en ce qui concerne le fait, la personne ou la règle du chraâ comme dans le mariage vicié) ; qu'il n'admet pas ainsi librement le concubinage et la filiation qui pourrait en découler » ; que, cependant, la cour a ainsi elle-même constaté que, par les exceptions citées, la loi marocaine rendait possible la reconnaissance de la filiation paternelle pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 3 et 311-14 du code civil ;

2°/ que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, pour juger qu'il en était ainsi de la loi marocaine, qui prévoit pourtant différentes hypothèses dans lesquelles la filiation paternelle d'un enfant né hors mariage peut être établie (aveu du père, rapports sexuels par erreur, mariage vicié, reconnaissance de paternité), la cour a retenu que cette loi n'admet pas « librement » (?) le concubinage et la filiation qui peut en découler ; que, cependant, le concubinage n'est pas la seule situation où un enfant peut naître hors mariage, et son absence de reconnaissance par la loi marocaine n'a aucune incidence sur la réalité des droits qu'elle prévoit pour établir la « filiation paternelle », dans les cas qu'elle énumère, d'un enfant né hors mariage ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier sa décision, la cour a violé les articles 3 et 311-14 du code civil ;

3°/ que le juge, appelé à déterminer le contenu de la loi étrangère par application de la règle de conflit, ne doit pas la dénaturer ; qu'en l'espèce, le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, loi marocaine ici applicable, dispose que la filiation paternelle est présumée découler, non seulement des « rapports conjugaux », mais aussi « de l'aveu du père » et des « rapports sexuels par erreur », hypothèses se rapportant toutes deux à la conception d'enfants nés hors mariage (art. 152, 156, 158) ; qu'elle peut être établie par « l'aveu du père, le témoignage de deux adoul, la preuve déduite du ouï-dire, et par tout moyen légalement prévu, y compris l'expertise judiciaire » (art. 158) ; que l'article 157 ajoute que « lorsque la filiation paternelle est établie même à la suite d'un mariage vicié, de rapports sexuels par erreur ou d'une reconnaissance de paternité, elle produit tous ses effets » ; qu'ainsi, selon ces dispositions claires et dénuées d'ambiguïté, la loi marocaine admet avec certitude la reconnaissance de paternité pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, pour retenir que ces dispositions ne permettraient pas l'établissement de la paternité de l'enfant P... « à l'égard d'un homme non marié à sa mère » et que, partant, elles seraient contraires à l'ordre public international français, la cour a dénaturé cette loi étrangère, en violation de l'article 3 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Il résulte des articles 3 et 311-14 du code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation.

4. Ayant relevé, par une appréciation souveraine de la loi étrangère exempte de dénaturation, que la loi marocaine, loi nationale de la mère, ne reconnaissait, s'agissant de la filiation paternelle, que la filiation légitime, ce qui rendait l'action de Mme N... en recherche de paternité hors mariage irrecevable, la cour d'appel en a exactement déduit que cette loi devait être écartée comme contraire à la conception française de l'ordre public international et qu'il convenait d'appliquer la loi française.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat(s) : SCP Le Griel ; Me Carbonnier -

Textes visés :

Articles 3 et 311-14 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 février 1993, pourvoi n° 89-21.997, Bull. 1993, I, n° 64 (rejet) ; 1re Civ., 10 mai 2006, pourvoi n° 05-10.299, Bull. 2006, I, n° 226 (cassation).

1re Civ., 2 décembre 2020, n° 19-21.850, (P)

Rejet

Dispositions générales – Modes d'établissement – Expertise biologique – Obligation d'y procéder – Exception – Motif légitime – Caractérisation – Cas – Impossibilité matérielle

L'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder. L'impossibilité matérielle de procéder à l'expertise, en raison, notamment, de l'impossibilité de localiser le père prétendu, peut constituer un tel motif légitime.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 27 juin 2019), Y... V... est née le [...] à Seclin, de Mme V....

Le 26 mai 2017, celle-ci a assigné M. W... en recherche de paternité.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, sixième et septième branches

Enoncé du moyen

3. Mme V... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :

« 1°/ qu'aucun texte ne subordonne le bien-fondé de l'action en recherche de paternité à la production de la copie intégrale de l'acte de naissance de l'enfant, actualisée au jour où le juge statue ; qu'en déboutant pourtant Mme V... de son action en recherche de paternité, aux motifs que la copie intégrale de l'acte de naissance de la jeune Y... V... qu'elle versait aux débats datait du 26 novembre 2016 et n'avait pas été actualisée depuis cette date, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne contient pas, a violé les articles 310-3 et 327 du code civil ;

2°/ en toute hypothèse, que le juge ne peut se prononcer par des motifs dubitatifs ou hypothétiques ; que pour débouter Mme V... de son action en recherche de paternité, la cour d'appel a retenu que, depuis le 26 novembre 2016, Mme V... n'avait pas actualisé la copie intégrale de l'acte de naissance de sa fille Y..., de sorte que cet enfant avait très bien « pu être reconnue dans l'intervalle par M. Q... W... ou un tiers » ; qu'en se prononçant ainsi, par un motif hypothétique relatif à l'existence d'un lien de filiation paternelle à l'égard de la jeune Y... V..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'aucun texte ne subordonne le succès de l'action en recherche de paternité à la production de documents officiels permettant de s'assurer de l'état civil du père présumé, lorsqu'il est défaillant à l'instance ; qu'en l'espèce, en déboutant Mme V... de son action en recherche de paternité, aux motifs que cette action avait été introduite sur la base des seules déclarations de Mme V..., qui ne produisait aucun document officiel permettant de s'assurer des prénoms, nom, date et lieu de naissance de M. W..., qui était défaillant à l'instance, la cour d'appel, qui a derechef ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé les articles 310-3 et 327 du code civil code ;

6°/ que la mesure d'expertise biologique tendant à établir la paternité du défendeur n'est pas subordonnée à la délivrance d'une assignation à personne ; qu'au cas présent, en déboutant Mme V... de sa demande d'expertise biologique aux fins d'établir la paternité de M. W... sur sa fille Y... V..., aux motifs que cette expertise, si elle était ordonnée, serait manifestement vaine « dans la mesure où M. Q... W... n'a pas été assigné à sa personne et que l'acte n'a pas été remis à un proche ayant connaissance de ses coordonnées et étant resté en contact avec lui », la cour d'appel, qui a une nouvelle fois ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé les articles 310-3 et 327 du code civil ;

7°/ que la possibilité de tirer des conséquences d'un éventuel refus du défendeur à l'action en recherche de paternité, de se soumettre à l'expertise biologique qui a été ordonnée à son égard, n'est pas subordonnée au fait qu'il ait eu personnellement connaissance de ladite mesure d'expertise ordonnée contre lui ; qu'en l'espèce, en refusant d'ordonner l'expertise biologique sollicitée par Mme V... pour déterminer la paternité de M. W... sur sa fille mineure, aux motifs « qu'il ne peut être tiré des conséquences d'un refus de se soumettre à l'expertise que si le défendeur a eu personnellement connaissance que celle-ci a été ordonnée à son égard », la cour d'appel, qui a une fois encore ajouté à la loi une condition qu'elle ne contient pas, a violé les articles 310-3 et 327 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article 310-3, alinéa 2, du code civil que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder.

5. L'impossibilité matérielle de procéder à l'expertise, en raison, notamment, de l'impossibilité de localiser le père prétendu, peut constituer un tel motif légitime.

6. La cour d'appel ayant relevé que l'expertise serait vaine dès lors que l'adresse de M. W... était inconnue, ainsi que cela ressortait du procès-verbal de recherches infructueuses du 31 juillet 2018, elle a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 310-3 du code civil.

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 23 novembre 2007, pourvoi n° 06-10.039, Bull. 2007, Ass. plén., n° 8 (cassation) ; 1re Civ., 30 septembre 2009, pourvoi n° 08-18.398, Bull. 2009, I, n° 197 (rejet).

1re Civ., 16 décembre 2020, n° 19-22.103, (P)

Rejet

Filiation adoptive – Adoption simple – Domaine d'application – Cas – Adoption tunisienne

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 1er juillet 2019), un jugement du 16 avril 2015 du tribunal cantonal de Tunis (Tunisie) a validé l'adoption de l'enfant E... D..., née le [...] 2014 à T... (Tunisie) par M. B... et Mme M..., son épouse, et dit que l'enfant s'appellerait désormais X... O.... Ces derniers ont saisi le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de transcription, soutenant que le jugement tunisien produisait les effets de l'adoption plénière.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. et Mme B... font grief à l'arrêt de dire que le jugement du tribunal cantonal de Tunis du 16 avril 2015 validant l'adoption de l'enfant E... D... née le [...] 2014 à T... produira en France les effets d'une adoption simple et de rejeter leur demande tendant à ce que l'enfant porte le nom de B... M..., alors :

« 1°/ que l'arrêt attaqué a constaté que l'enfant est née de père inconnu, qu'elle a été abandonnée par sa mère à l'Institut national de la protection de l'enfance tunisien, qu'aux termes de son acte écrit d'abandon la mère a certifié avoir abandonné l'enfant de sa propre volonté et de façon définitive, que par jugement du 27 mars 2015 il a été décidé du placement de l'enfant à titre définitif auprès de l'Institut national de la protection de l'enfance tunisien, et que ce dernier, par attestation du 21 avril 2015, a certifié que l'enfant était abandonnée par ses parents, sans attache familiale et pupille de l'Etat, et que suite à la rupture complète et irrévocable du lien de filiation préexistant de l'enfant le directeur de l'Institut avait donné son consentement définitif et irrévocable à l'adoption par M. et Mme B... pour une adoption plénière de droit français ; qu'il en résultait que le lien préexistant de filiation de l'enfant a été totalement et irrévocablement rompu, peu important que l'adoption elle-même fût révocable, de sorte que l'adoption litigieuse remplissait les conditions posées par l'article 370-5 du code civil pour produire en France les effets d'une adoption plénière ; qu'en jugeant que le lien préexistant de filiation n'avait pas été totalement et irrévocablement rompu parce que l'adoption elle-même était révocable si bien qu'elle produisait en France les effets d'une adoption simple, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 370-5 du code civil, qu'elle a ainsi violé ;

2°/ que l'arrêt de la cour d'appel de Tunis du 14 février 1980 concernait des enfants majeurs ayant donné leur accord pour la rétractation du jugement d'adoption, et qu'il était ancien, isolé et non confirmé par une autre jurisprudence ; qu'ils ajoutaient que l'arrêt de la Cour de cassation tunisienne du 9 novembre 2011 était relatif à des enfants en danger victimes de mauvais traitements de la part des adoptants, que dès lors la « rétractation » du jugement d'adoption devait plutôt s'analyser comme une procédure de retrait de l'autorité parentale, que la traduction française de cette décision était confuse et approximative, et qu'il leur était impossible de la vérifier puisque l'original en arabe n'était pas produit ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Aux termes de l'article 370-5 du code civil, l'adoption régulièrement prononcée à l'étranger produit en France les effets de l'adoption plénière si elle rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant. A défaut, elle produit les effets de l'adoption simple. Elle peut être convertie en adoption plénière si les consentements requis ont été donnés expressément en connaissance de cause.

4. L'arrêt énonce que la loi tunisienne du 4 mars 1958 relative à la tutelle publique, à la tutelle officieuse et à l'adoption, qui autorise l'adoption, ne précise pas expressément si celle-ci a pour effet de rompre le lien de filiation avec les parents par le sang ni si elle est révocable. Il relève qu'il résulte cependant d'un arrêt de la cour d'appel de Tunis du 14 février 1980 et d'un arrêt de la Cour de cassation tunisienne du 2 novembre 2011 que ces juridictions ont interprété cette loi comme permettant la révocation de l'adoption. Il en déduit que l'adoption tunisienne ne rompt pas de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant.

5. La cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande de conversion de l'adoption simple en adoption plénière mais d'une demande de transcription, en a exactement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la décision tunisienne produirait en France les effets d'une adoption simple.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 370-5 du code civil.

1re Civ., 16 décembre 2020, n° 19-22.101, (P)

Cassation

Filiation adoptive – Procédure – Jugement – Décision étrangère – Exequatur – Conditions – Absence de contrariété à l'ordre public international français – Cas – Adoption de neveux et nièces par leur tante ou oncle

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 janvier 2018), Mme P... a saisi le tribunal régional hors classe de Dakar (Sénégal) d'une demande d'adoption plénière des enfants K... D... P..., né le [...] à Guédiawaye (Sénégal), I... P..., née le [...] à Ndiamére, et D... P..., né le [...] à Dakar, ses neveux et nièce, fils et fille de son frère W... P..., décédé le [...].

2. Le tribunal a accueilli sa demande par un jugement du 19 mai 2014, dont elle a sollicité l'exequatur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme P... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'exequatur du jugement n° 968 rendu le 19 mai 2014 par le tribunal régional hors classe de Dakar, prononçant l'adoption plénière par elle des enfants K... D..., I... et D... P..., alors « que le droit interne français admettant l'adoption, par une tante, de ses neveux et nièces, dès lors qu'il ne s'agit pas d'enfants nés d'un inceste, une telle adoption est conforme à l'ordre public international français ; qu'en considérant, pour rejeter la demande d'exequatur du jugement du tribunal régional hors classe de Dakar au Sénégal du 19 mai 2014 prononçant l'adoption plénière par Mme P... des enfants de son frère K... D..., I... et D..., que ce jugement aurait méconnu la conception française de l'ordre public international, après avoir constaté que ces enfants étaient nés de Mme V... E..., les juges du fond ont violé l'article 47 de la convention de coopération en matière judiciaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République sénégalaise signée le 29 mars 1974. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 47, e), de la Convention de coopération en matière judiciaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal signée le 29 mars 1974 et les articles 310-2 et 162 du code civil :

4. Selon le premier de ces textes, en matière civile, sociale ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire du Sénégal, sont reconnues de plein droit et ont l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat, sous réserve que la décision ne contienne rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée.

5. Aux termes du deuxième, s'il existe entre les père et mère de l'enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 du code civil pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l'égard de l'un, il est interdit d'établir la filiation à l'égard de l'autre par quelque moyen que ce soit.

6. Aux termes du troisième, en ligne collatérale, le mariage est prohibé entre le frère et la soeur, entre frères et entre soeurs.

7. Ces textes interdisent l'établissement, par l'adoption, du double lien de filiation de l'enfant né d'un inceste absolu lorsque l'empêchement à mariage a pour cause la parenté. Ils n'ont pas pour effet d'interdire l'adoption des neveux et nièces par leur tante ou leur oncle, dès lors que les adoptés ne sont pas nés d'un inceste.

8. Il se déduit, en effet, de l'article 348-5 du code civil que l'adoption intra-familiale est possible en droit français.

9. Il en résulte que l'adoption des neveux et nièces par leur tante n'est pas, en elle-même, contraire à l'ordre public international.

10. Pour rejeter la demande d'exequatur, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que l'adoption plénière par Mme P... des enfants de son frère, qui conduirait à l'établissement d'un acte de naissance d'enfants nés d'une relation incestueuse, comme nés de l'union d'un frère et d'une soeur, est contraire aux articles 162 et 310-2 du code civil et méconnaît par conséquent la conception française de l'ordre public international.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 310-2 du code civil.

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