Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2020

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 16 décembre 2020, n° 19-17.637, n° 19-17.638, n° 19-17.639, n° 19-17.640, n° 19-17.641, n° 19-17.642, n° 19-17.643, n° 19-17.644, n° 19-17.645, n° 19-17.646 et suivants, (P)

Cassation

Employeur – Discrimination entre salariés – Preuve – Moyens de preuve – Administration – Mesure d'instruction in futurum – Mesure admissible – Motif légitime – Détermination

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 19-17.637 à W 19-17.667 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Lyon, 11 avril 2019), statuant en référé, M. F... et trente autres salariés de la société Renault Trucks, exerçant des mandats de représentants du personnel sous l'étiquette CGT et soutenant faire l'objet d'une discrimination en raison de leurs activités syndicales, ont, le 29 janvier 2018, saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale pour obtenir les informations permettant l'évaluation utile de leur situation au regard de celle des autres salariés placés dans une situation comparable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa septième branche

Enoncé du moyen

3. Les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leur demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, alors « que dans leurs écritures, les exposants avaient eu soin de faire valoir qu'ils étaient titulaires d'un mandat syndical et que leur carrière comme leur rémunération n'avaient quasiment pas évolué en comparaison des salariés ne disposant pas d'un mandat, que dans ces conditions ils avaient sollicité à plusieurs reprises que leur employeur leur communique les éléments leur permettant de comparer l'évolution de leur carrière et de leur rémunération avec les salariés embauchés à la même époque et sur le même site et qu'alors que ces éléments étaient indispensables pour pouvoir établir l'étendue de la discrimination syndicale et du préjudice subis, la société Renault Trucks avait toujours refusé de transmettre ces informations alors qu'elle était la seule à disposer des pièces de nature à pouvoir procéder à une comparaison utile ; qu'en se bornant, pour débouter les salariés de leurs demandes, à affirmer, après avoir constaté que la mesure demandée était légitime, que celle-ci s'analysait en une mesure générale d'investigation excédant par sa généralité les précisions de l'article 145 du code de procédure civile, sans rechercher si les mesures demandées n'étaient pas nécessaires à l'exercice du droit à la preuve des exposants et en particulier, si la communication des documents demandés, dont seul l'employeur disposait et qu'il refusait de communiquer, n'était pas nécessaire à la protection de leurs droits, la cour d'appel, qui a méconnu ses pouvoirs, a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile :

4. Selon le premier des textes susvisés, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

5. Pour débouter les salariés de leur demande de production et communication de pièces sous astreinte, les arrêts énoncent que si le demandeur à la mesure d'instruction n'est pas tenu, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, de caractériser le motif légitime qu'il allègue au regard des différents fondements juridiques qu'il envisage pour son action future, il doit néanmoins apporter au juge les éléments permettant de constater l'existence d'un tel motif au regard de ces fondements. Ils constatent que les salariés caractérisent ce motif légitime en produisant un tableau issu de la négociation annuelle obligatoire, dressant la moyenne des rémunérations des salariés classés dans leur catégorie et dont il résulte que, malgré leur ancienneté, leur rémunération annuelle se trouve tout juste dans la moyenne, différence de traitement qu'ils mettent en lien avec l'activité syndicale.

Les arrêts en déduisent qu'il existe un litige potentiel susceptible d'opposer le salarié et l'employeur, lequel détient effectivement les éléments de fait pouvant servir de base au procès lié à une discrimination syndicale. Ils constatent néanmoins que les salariés, qui ne se comparent pas avec des salariés nommément visés, demandent communication de l'ensemble des éléments concernant les salariés embauchés sur le même site qu'eux, la même année ou dans les deux années précédentes et suivantes, dans la même catégorie professionnelle, au même niveau ou à un niveau très proche de qualification/classification et de coefficient ainsi que de tous les éléments de rémunération, de diplômes, de formation en lien avec l'évolution de carrière, de sorte que cette demande s'analyse en une mesure générale d'investigation, portant sur plusieurs milliers de documents.

Les arrêts déduisent de ces constatations que la mesure demandée excède par sa généralité les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile et doit être rejetée.

6. En se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait, après avoir estimé que les salariés justifiaient d'un motif légitime, de vérifier quelles mesures étaient indispensables à la protection de leur droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 11 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles 9 et 145 du code de procédure civile ; article 9 du code civil ; articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Soc., 9 décembre 2020, n° 19-13.470, (P)

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Préjudice – Réparation – Etendue – Office du juge

L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 janvier 2019), M. Y... a été engagé le 1er novembre 2009, avec reprise d'ancienneté au 19 janvier 2000, par la société Ramp Terminal One, en qualité d'assistant avion 1.

2. Estimant faire l'objet d'actes de discrimination et de harcèlement depuis notamment sa désignation en qualité de délégué syndical et invoquant un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen :

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen :

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat, alors :

« 1°/ que tout salarié dispose d'un droit à la santé et au repos constitutionnellement et conventionnellement garanti ; que la méconnaissance par l'employeur des préconisations du médecin du travail qui indique l'existence d'un risque grave, spécifique et identifié, en cas de conduite d'un certain types d'engins, commet une faute qui cause nécessairement un préjudice au salarié, privé ainsi du droit constitutionnellement et conventionnellement garanti à la préservation de sa santé ; qu'en déboutant M. Y... de sa demande au motif qu'il ne justifiait pas du préjudice qui résultait du manquement de l'employeur à l'obligation de suivre les préconisations du médecin du travail lequel avait interdit son affectation à la conduite d'un engin aéroportuaire lourd, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail dans leur rédaction alors applicable, interprété à la lumière de l'article 5.1 de la directive 89/391 du 12 juin 1989 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2°/ que lorsque le salarié justifie d'une dégradation de son état de santé corrélative à la violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat il appartient à ce dernier d'apporter la preuve de l'absence de lien entre eux ; qu'en reprochant au salarié de ne pas avoir apporté la preuve d'un tel lien, la cour d'appel qui a inversé la charge de la preuve, a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et 1315, devenu 1353, du code civil. »

Réponse de la Cour

5. L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

6. La cour d'appel, dans l'exercice de son pouvoir souverain, a constaté que le salarié se bornait à une déclaration de principe d'ordre général sans caractériser l'existence d'un préjudice dont il aurait personnellement souffert.

7. Le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à tout harcèlement ; qu'en déboutant M. Y... de ses demandes aux motifs que ni le maintien d'un salarié sur son poste correspondant à ses fonctions, son expérience et ses qualifications, même au détriment des prescriptions et restrictions du médecin du travail, ni le refus de mobilité professionnelle, ni celui d'accorder des heures supplémentaires qui relèvent du pouvoir de direction de l'employeur, ni la régularisation tardive des heures de délégation du salarié après rappel à l'ordre de l'inspecteur du travail, ni la dégradation constatée de l'état de santé du salarié dont il n'est pas établi qu'elle serait en lien avec le comportement de l'employeur, n'étaient de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel qui a en réalité fait peser sur le seul salarié la charge de la preuve du harcèlement moral, a violé l'article L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, le second dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

9. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

10. Pour rejeter les demandes formées au titre d'un harcèlement moral, l'arrêt retient que ni le maintien d'un salarié sur son poste correspondant à ses fonctions, son expérience et ses qualifications, même au détriment des prescriptions et restrictions du médecin du travail, ni le refus de mobilité professionnelle ni celui d'accorder des heures supplémentaires ne caractérisent des méthodes de gestion ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

11. Il ajoute que les conditions d'emploi du salarié n'ont pas entraîné de dégradation de son état de santé, que les instances représentatives du personnel n'ont jamais été alertées, que la régularisation tardive des heures de délégation s'explique par le retard de transmission du salarié et par le débat qu'il y a eu entre l'employeur et le salarié sur la possibilité de les prendre durant les arrêts de travail. Il conclut que la matérialité d'éléments de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement, n'est pas démontrée.

12. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait d'examiner les éléments invoqués par le salarié, de dire s'ils étaient matériellement établis, et, dans l'affirmative, d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve de l'existence du harcèlement moral sur le seul salarié, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. Y... en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt rendu le 10 janvier 2019 entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 4121-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, L. 4121-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le pouvoir souverain du juge du fond quant à l'appréciation d'un préjudice, à rapprocher : Soc., 13 avril 2016, pourvoi n° 14-28.293, Bull. 2016, V, n° 72 (rejet).

Soc., 16 décembre 2020, n° 18-15.532, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Employeur – Redressement et liquidation judiciaires – Créances des salariés – Assurance contre le risque de non-paiement – Garantie – Domaine d'application – Exclusion – Somme concourant à l'indemnisation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail dans le cadre d'un licenciement pour motif économique – Cas – Indemnité supra-légale de licenciement – Portée

Une indemnité supra-légale de licenciement n'est pas une mesure d'accompagnement résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi au sens de l'article L. 3253-8, 4°, du code du travail, mais une somme concourant à l'indemnisation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail au sens de l'article L. 3253-13 du même code qui, lorsqu'elle entre dans le champ d'application de ce texte, n'est pas couverte par l 'AGS.

Employeur – Redressement et liquidation judiciaires – Créances des salariés – Assurance contre le risque de non-paiement – Garantie – Domaine d'application – Mesures d'accompagnement résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 20 février 2018), M. Y... a été engagé le 1er novembre 1992 par la société Union des coopérateurs d'Alsace (la société UCA) et occupait en dernier lieu les fonctions d'assistant acheteur. Il a été licencié pour motif économique le 23 avril 2014.

2. En application du plan de sauvegarde de l'emploi validé en mars 2014 par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, il devait bénéficier d'une indemnité supra-légale de licenciement payable en trois échéances, soit une échéance à hauteur de 50 % au jour du licenciement, qui a été versée, puis deux échéances à hauteur de 25 % fixées au 15 septembre 2014 puis au jour du solde de tout compte, lesquelles n'ont pas été honorées.

3. La société UCA a fait l'objet le 20 octobre 2014 d'une procédure de redressement judiciaire, puis a été mise en liquidation judiciaire le 30 mars 2015, Mme E... étant désignée liquidateur judiciaire.

4. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir l'inscription sur le relevé de créances de la société UCA de diverses sommes, notamment du montant du solde de l'indemnité supra-légale de licenciement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. L'AGS fait grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme la créance du salarié au passif de la liquidation judiciaire de la société UCA au titre de l'indemnité supra-légale de licenciement et de déclarer que cette créance lui est opposable, alors :

« 1°/ qu'une indemnité supra légale de licenciement a pour seul objet l'indemnisation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail ; que la garantie de l'AGS n'est pas due au titre des sommes qui concourent à l'indemnisation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail dans le cadre d'un licenciement pour motif économique, en application d'un accord d'entreprise ou d'établissement ou de groupe, d'un accord collectif validé ou d'une décision unilatérale de l'employeur homologuée conformément à l'article L. 1233-57-3, lorsque l'accord a été conclu et déposé ou la décision notifiée moins de dix-huit mois avant la date du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ou l'accord conclu ou la décision notifiée postérieurement à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ; qu'il n'était pas contesté que l'indemnité supra légale de licenciement fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société UCA trouvait sa source dans un plan de sauvegarde de l'emploi datant du mois de mars 2014, le jugement d'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la société UCA ayant été prononcé le 20 octobre 2014 ; que cette indemnité ne pouvait être garantie par l'AGS ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 3253-13 du code du travail ;

2°/ que la garantie de l'AGS prévue à l'article L. 3253-8 4° du code du travail se limite aux mesures d'accompagnement résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi déterminé par un accord collectif majoritaire ou par un document élaboré par l'employeur, dès lors qu'il a été validé ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 1233-58 avant ou après l'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ; que l'indemnité supra légale de licenciement prévue dans un plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas une mesure d'accompagnement et ne relève pas du champ d'application de l'article L. 3253-8 4° du code du travail ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 3253-8 4° et L.3253-13 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3253-8 4° du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016, et l'article L. 3253-13 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :

6. Selon le premier de ces textes, l'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 du code du travail couvre les mesures d'accompagnement résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi déterminé par un accord collectif majoritaire ou par un document élaboré par l'employeur, conformément aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4, dès lors qu'il a été validé ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 1233-58 avant ou après l'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

7. Selon le second des ces textes, l'assurance prévue à l'article L. 3253-6 du code du travail ne couvre pas les sommes qui concourent à l'indemnisation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail dans le cadre d'un licenciement pour motif économique, en application d'un accord d'entreprise ou d'établissement ou de groupe, d'un accord collectif validé ou d'une décision unilatérale de l'employeur homologuée conformément à l'article L. 1233-57-3, lorsque l'accord a été conclu et déposé ou la décision notifiée moins de dix-huit mois avant la date du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ou l'accord conclu ou la décision notifiée postérieurement à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

8. Pour dire la créance du salarié fixée à titre d'indemnité supra-légale de licenciement opposable à l'AGS, l'arrêt retient que si celle-ci fonde sa position sur l'article L. 3253-13 du code du travail, c'est avec pertinence que le salarié invoque à son profit l'exception au principe posé par ce texte constituée par l'article L. 3253-8, alinéa 4, du code du travail. Il ajoute qu'au vu de la date d'adoption du plan de sauvegarde de l'emploi, la garantie serait exclue si l'indemnité considérée n'avait pour objet que la réparation financière de la rupture du contrat de travail, mais qu'elle est en revanche due dès lors que la somme vise à accompagner le salarié dans une demande de reclassement professionnel et de recherche d'un emploi. Il conclut qu'à l'évidence instaurée par un plan de sauvegarde de l'emploi, l'indemnité litigieuse participe de la volonté d'accroître les moyens matériels du salarié pour faciliter la mise en oeuvre de son reclassement professionnel, ce qui suffit à rendre la garantie de l'AGS mobilisable.

9. En statuant ainsi, alors qu'une indemnité supra-légale de licenciement n'est pas une mesure d'accompagnement résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi au sens de l'article L. 3253-8 4° du code du travail, mais une somme concourant à l'indemnisation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail au sens de l'article L. 3253-13 du même code, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation n'atteint pas le chef de dispositif fixant à une certaine somme la créance du salarié au passif de la liquidation judiciaire de la société UCA au titre de l'indemnité supra-légale de licenciement.

11. Ainsi que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare opposable à l'AGS la créance de M. Y... d'un montant de 15 750 euros au titre de l'indemnité supra-légale de licenciement, l'arrêt rendu le 20 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que l'AGS ne doit pas sa garantie pour la somme d'un montant de 15 750 euros fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Union des coopérateurs d'Alsace au titre de l'indemnité supra-légale de licenciement au profit de M. Y...

- Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Pietton - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP de Nervo et Poupet -

Textes visés :

Articles L. 3253-8, 4°, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 et L. 3253-13, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, du code du travail.

Soc., 16 décembre 2020, n° 18-23.966, (P)

Cassation partielle

Employeur – Responsabilité – Faute – Attitude de l'employeur – Licenciement prononcé dans des conditions abusives ou vexatoires – Effet

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 31 août 2018), M. Y... a été engagé à compter du 1er janvier 2010 par la société Altercafé en qualité de serveur, puis de responsable de bar.

2. Le 26 septembre 2016, le salarié a été licencié pour faute grave.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième à sixième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour rupture du contrat de travail dans des conditions vexatoires, alors « que, même lorsqu'il est prononcé en raison d'une faute grave du salarié, le licenciement peut causer au salarié en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné un préjudice dont il est fondé à demander réparation ; qu'en l'espèce, après avoir considéré que les faits qu'elle a examinés constituaient un manquement flagrant à ses obligations contractuelles, notamment de loyauté, et que leur gravité justifiait la rupture immédiate du contrat de travail et décidé que M. Y... devait être débouté de ses demandes, la cour d'appel en a également conclu que le salarié devait être débouté de la demande de dommages-intérêts pour rupture du contrat dans des conditions vexatoires ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier si, comme il était soutenu par le salarié, le licenciement n'avait pas été entouré de circonstances vexatoires tenant au fait pour l'employeur de s'être répandu en public sur les motifs du licenciement du salarié, en prétendant qu'il prenait de la drogue et qu'il était un voleur, de nature à lui causer un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction alors applicable. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Même lorsqu'il est justifié par une faute grave du salarié, le licenciement peut causer à celui-ci, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice dont il est fondé à demander réparation.

6. Après avoir dit le licenciement fondé sur une faute grave du salarié, la cour d'appel a rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire en réparation du préjudice moral causé par les circonstances de la rupture.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le licenciement n'avait pas été entouré de circonstances vexatoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, l'arrêt rendu le 31 août 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée.

- Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Pietton - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la réparation du préjudice distinct causé par les circonstances vexatoires du licenciement, à rapprocher : Soc., 19 juillet 2000, pourvoi n° 98-44.025, Bull. civ. 2000, V, n° 306 (cassation partielle) ; Soc., 25 février 2003, pourvoi n° 00-42.031, Bull. 2003, V, n° 66 (cassation partielle).

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