Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2020

CONFLIT DE LOIS

1re Civ., 16 décembre 2020, n° 19-20.948, (P)

Rejet

Application de la loi étrangère – Ordre public – Filiation naturelle – Etablissement – Loi étrangère la prohibant – Loi étrangère privant un enfant français ou résidant habituellement en France du droit d'établir sa filiation – Disposition contraire à la conception française de l'ordre public international

Application de la loi étrangère – Mise en oeuvre par le juge français – Conditions – Contrariété à l'ordre public international – Caractérisation – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2018), l'enfant P... N... est née le [...] 2014 à Paris de Mme N..., de nationalité marocaine, sans filiation paternelle établie.

Le 28 avril 2015, celle-ci, agissant en qualité de représentante légale de sa fille, a assigné M. X... devant le tribunal de grande instance de Meaux en recherche de paternité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. X... fait grief à l'arrêt d'écarter la loi marocaine pour contrariété à l'ordre public international et, faisant application de la loi française, de déclarer recevable l'action en recherche de paternité exercée par Mme N... au nom de sa fille P... et d'ordonner une expertise biologique, alors :

« 1° / que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, la cour a admis qu'il y avait lieu, en principe, de faire application de la loi marocaine, en l'occurrence le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, la mère de l'enfant étant marocaine ; que, pour juger que cette loi était contraire à l'ordre public international français, la cour, par motifs adoptés, a retenu, au regard des textes qu'elle a visés, que « le droit marocain ne reconnaît la filiation que dans le cadre du mariage, sauf aveu du père et rapports sexuels « par erreur » (relation illégitime entre la femme et l'homme lorsque celui-ci croit à la légitimité de la relation suite à une erreur en ce qui concerne le fait, la personne ou la règle du chraâ comme dans le mariage vicié) ; qu'il n'admet pas ainsi librement le concubinage et la filiation qui pourrait en découler » ; que, cependant, la cour a ainsi elle-même constaté que, par les exceptions citées, la loi marocaine rendait possible la reconnaissance de la filiation paternelle pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 3 et 311-14 du code civil ;

2°/ que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, pour juger qu'il en était ainsi de la loi marocaine, qui prévoit pourtant différentes hypothèses dans lesquelles la filiation paternelle d'un enfant né hors mariage peut être établie (aveu du père, rapports sexuels par erreur, mariage vicié, reconnaissance de paternité), la cour a retenu que cette loi n'admet pas « librement » (?) le concubinage et la filiation qui peut en découler ; que, cependant, le concubinage n'est pas la seule situation où un enfant peut naître hors mariage, et son absence de reconnaissance par la loi marocaine n'a aucune incidence sur la réalité des droits qu'elle prévoit pour établir la « filiation paternelle », dans les cas qu'elle énumère, d'un enfant né hors mariage ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier sa décision, la cour a violé les articles 3 et 311-14 du code civil ;

3°/ que le juge, appelé à déterminer le contenu de la loi étrangère par application de la règle de conflit, ne doit pas la dénaturer ; qu'en l'espèce, le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, loi marocaine ici applicable, dispose que la filiation paternelle est présumée découler, non seulement des « rapports conjugaux », mais aussi « de l'aveu du père » et des « rapports sexuels par erreur », hypothèses se rapportant toutes deux à la conception d'enfants nés hors mariage (art. 152, 156, 158) ; qu'elle peut être établie par « l'aveu du père, le témoignage de deux adoul, la preuve déduite du ouï-dire, et par tout moyen légalement prévu, y compris l'expertise judiciaire » (art. 158) ; que l'article 157 ajoute que « lorsque la filiation paternelle est établie même à la suite d'un mariage vicié, de rapports sexuels par erreur ou d'une reconnaissance de paternité, elle produit tous ses effets » ; qu'ainsi, selon ces dispositions claires et dénuées d'ambiguïté, la loi marocaine admet avec certitude la reconnaissance de paternité pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, pour retenir que ces dispositions ne permettraient pas l'établissement de la paternité de l'enfant P... « à l'égard d'un homme non marié à sa mère » et que, partant, elles seraient contraires à l'ordre public international français, la cour a dénaturé cette loi étrangère, en violation de l'article 3 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Il résulte des articles 3 et 311-14 du code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation.

4. Ayant relevé, par une appréciation souveraine de la loi étrangère exempte de dénaturation, que la loi marocaine, loi nationale de la mère, ne reconnaissait, s'agissant de la filiation paternelle, que la filiation légitime, ce qui rendait l'action de Mme N... en recherche de paternité hors mariage irrecevable, la cour d'appel en a exactement déduit que cette loi devait être écartée comme contraire à la conception française de l'ordre public international et qu'il convenait d'appliquer la loi française.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat(s) : SCP Le Griel ; Me Carbonnier -

Textes visés :

Articles 3 et 311-14 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 février 1993, pourvoi n° 89-21.997, Bull. 1993, I, n° 64 (rejet) ; 1re Civ., 10 mai 2006, pourvoi n° 05-10.299, Bull. 2006, I, n° 226 (cassation).

1re Civ., 2 décembre 2020, n° 18-20.691, (P)

Rejet

Application de la loi étrangère – Ordre public – Principe essentiel du droit français – Atteinte – Refus du juge de l'Etat de New-York de donner effet à un contrat de mariage reçu en France – Absence de contrariété à l'ordre public international français

Une décision rendue par une juridiction étrangère qui, par application de sa loi nationale, refuse de donner effet à un contrat de mariage reçu en France, n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français de fond et ne peut être écartée que si elle consacre de manière concrète, au cas d'espèce, une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels. 

Si le principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale relève de l'ordre public international français, la circonstance qu'une décision étrangère réserve à l'un des parents le soin de prendre seul certaines décisions relatives aux enfants, ne peut constituer un motif de non-reconnaissance qu'autant qu'elle heurte de manière concrète les principes essentiels du droit français.

Application de la loi étrangère – Ordre public – Principe essentiel du droit français – Egalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale – Atteinte – Décision étrangère qui confie à l'un des parents le soin de prendre seul des décisions relatives à l'enfant – Absence de contrariété à l'ordre public international français

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 avril 2018), M. E...-Z..., de nationalité française, et Mme I..., de nationalité russe et américaine, se sont mariés à Paris le 28 mai 1991 sous le régime de la séparation de biens, suivant contrat de mariage reçu par notaire le 21 mai. Ils se sont installés aux Etats-Unis où sont nés leurs deux enfants.

2. Mme I... a, le 8 novembre 2001, saisi la Supreme Court de l'Etat de New York d'une requête en divorce.

Par « Decision and Order » du 28 juin 2002, le juge Lobis a rejeté la demande de M. E...-Z... tendant à voir dire le contrat de mariage français valide et exécutoire et écarté l'application de ce contrat.

Le juge Goodman a ensuite rendu une « Trial Decision » le 3 octobre 2003, puis un « Judgement of Divorce » le 9 janvier 2004, lequel a prononcé le divorce aux torts du mari, confié la garde des enfants mineurs à la mère, avec un droit de visite et d'hébergement au profit du père, en précisant que la mère devrait consulter le père sur toutes les décisions significatives concernant les enfants mais qu'elle aurait le pouvoir de décision finale, fixé les modalités de contribution du père à l'entretien et l'éducation des enfants, alloué à l'épouse une pension alimentaire mensuelle pendant sept ans et statué sur la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux.

Sur ce dernier point, le jugement a été partiellement réformé par une décision de la cour d'appel de l'Etat de New York du 3 mai 2005, qui a notamment dit que l'intégralité du solde du produit de la vente de l'appartement new-yorkais devait revenir à M. E...-Z....

3. Par acte du 9 février 2005, Mme I... a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une demande d'exequatur des décisions américaines des 3 octobre 2003 et 9 janvier 2004 en leurs seules dispositions relatives aux pensions alimentaires. A titre reconventionnel, M. E...-Z... a demandé que soit déclaré inopposable en France le jugement du 28 juin 2002.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. E...-Z... fait grief à l'arrêt de déclarer opposable la décision du juge Lobis du 28 juin 2002 et, en conséquence, celles du juge Goodman relatives à la liquidation des intérêts patrimoniaux, alors :

« 1°/ qu'un jugement étranger ne peut être déclaré exécutoire en France s'il n'est pas conforme à l'ordre public international français ; qu'il en est ainsi si la procédure suivie à l'étranger viole les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales, notamment l'exigence d'impartialité du juge ; qu'au cas d'espèce, il était soutenu que le défaut d'impartialité du juge Goodman caractérisait une violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et partant une violation de l'ordre public international justifiant le refus d'exequatur des décisions que ce dernier avait rendues ; qu'en jugeant ce moyen inopérant, motifs pris que les jugements dont l'exequatur était demandé ayant été frappés d'appel - et (pour l'essentiel) confirmés - il s'en déduisait que d'autres magistrats que le juge Goodman, dont la partialité était alléguée, avaient eu à connaître du litige, après avoir pourtant relevé que ce sont les décisions rendues par ce dernier qui étaient présentées à l'exequatur et sans constater l'impartialité du juge Goodman, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 509 du code de procédure civile, de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des principes qui régissent le droit international privé ;

2°/ qu'un jugement étranger ne peut être déclaré exécutoire en France s'il n'est pas conforme à l'ordre public international français ; qu'il en est ainsi si la procédure suivie à l'étranger viole les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales, notamment l'exigence d'impartialité du juge ; qu'au cas d'espèce, il était soutenu que le défaut d'impartialité du juge Goodman caractérisait une violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et partant une violation de l'ordre public international justifiant le refus d'exequatur des décisions que ce dernier avait rendues ; qu'en jugeant ce moyen inopérant, motifs pris que les jugements dont l'exequatur était demandé ayant été frappés d'appel - et (pour l'essentiel) confirmés - il s'en déduisait que d'autres magistrats que le juge Goodman, dont la partialité était alléguée, avaient eu à connaître du litige, tout en accordant l'exequatur en France à des décisions dont elle a elle-même relevé qu'elles avaient été partiellement infirmées aux États-Unis, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile et les principes qui régissent le droit international privé ;

3°/ qu'un jugement étranger ne peut être déclaré exécutoire en France s'il n'est pas conforme à l'ordre public international français ; qu'il en est ainsi si la procédure suivie à l'étranger viole les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment l'exigence d'impartialité du juge ; que M. Q... E... soutenait, pièces à l'appui, que le défaut d'impartialité du juge Goodman tenait à l'attitude du juge lors de l'audition du 6 mars, au refus d'audition de ses témoins, au refus de production de ses pièces, au refus de ses offres de preuve et, enfin, au refus que le contrat de mariage soit versé aux débats ; qu'en se contentant de juger que les jugements dont l'exequatur était demandé avaient été frappés d'appel et pour l'essentiel confirmés, sans rechercher s'il n'existait pas un défaut d'impartialité du juge Goodman, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 509 du code de procédure civile, de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des principes qui régissent le droit international privé. »

Réponse de la Cour

6. En application de l'article 509 du code de procédure civile, pour accorder l'exequatur, hors toute convention internationale, le juge français doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère en s'assurant que celle-ci remplit les conditions de compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au for saisi, de conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et d'absence de fraude.

7. Aux termes de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

8. L'arrêt constate, d'abord, par motifs propres et adoptés, qu'après que le juge Lobis eut rejeté la demande de M. E...-Z... tendant à l'application du contrat de mariage français, le juge Goodman a prononcé le divorce des époux et statué sur ses conséquences en ce qui concerne tant la liquidation des intérêts patrimoniaux de ceux-ci que leurs enfants communs. Il relève, ensuite, que la décision du juge Goodman a été frappée d'appel et confirmée en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives à la distribution du solde du produit de la vente de l'appartement de New York. Il ajoute que l'allégation de M. E...-Z... selon laquelle l'appel n'emporterait pas purge des vices affectant la procédure, en l'absence d'effet dévolutif, n'est pas justifiée et se trouve contredite par l'infirmation partielle de la décision déférée et le rejet de la prétention de l'épouse au titre de sa participation à l'aménagement et à la décoration du logement familial. Il retient, encore, que les décisions du juge Goodman, accusé de partialité, relatives à la répartition des biens entre les époux ainsi qu'aux pensions alimentaires dues à l'épouse et pour l'entretien et l'éducation des enfants sont fondées, non sur des considérations générales tenant au sexe des parties ou à leur nationalité, mais sur des critères propres à l'affaire tenant en particulier au train de vie de la famille pendant le mariage, aux choix professionnels faits en commun, aux perspectives de chacun des époux dans ce domaine, aux situations financières des parties et aux besoins des enfants. Il relève, enfin, que les observations formulées par le juge Goodman à l'égard du mari et de son père quant à leur défaut de crédibilité ne peuvent caractériser un défaut d'impartialité, alors que ces critiques se limitaient à certaines de leurs affirmations, notamment celles tenant à la propriété de l'appartement de New York, jugées contradictoires avec d'autres éléments tirés du dossier.

9. De ces constatations et énonciations, faisant ressortir, d'une part, que l'appréciation portée par le juge Goodman sur les affirmations de M. E...-Z... ne révélait aucun parti pris hostile, d'autre part, que les mesures prises étaient fondées sur des éléments objectifs tirés de la situation personnelle des parties, enfin, que l'exercice par M. E...-Z... des voies de recours ouvertes contre ces décisions lui avait permis de faire entendre sa cause devant une autre juridiction dont l'impartialité n'était pas discutée, ce qui était de nature à exclure toute atteinte à ses droits, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer une recherche rendue inopérante, a exactement déduit l'absence de violation de l'ordre public international de procédure.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

11. M. E...-Z... fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'un jugement étranger qui écarte, sans aucune raison, un acte authentique français, reçu par un officier public français au nom de la République française est nécessairement contraire à l'ordre public international français, dès lors que la position de l'ordre juridique français, concrétisée dans l'acte authentique, a été une base de prévision pour les parties, prévisions parfaitement légitimes puisque l'acte authentique est valable en France ; qu'en déclarant opposable en France le jugement américain du 28 juin 2002, qui avait écarté péremptoirement un acte authentique français au motif que « sans la constatation en bonne et due forme requise, qui manque dans le cas de la convention conclue entre les parties, le contrat de mariage était nécessairement invalide », et partant qui violait l'ordre public international français, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile et les principes qui gouvernent le droit international privé ;

2°/ qu'à supposer même que le contrat de mariage de séparation de biens par acte authentique français, reçu par un officier public français au nom de la République française, puisse être écarté sans raison par un jugement étranger, ce dernier doit au minimum en tenir compte comme un simple élément d'appréciation de la distribution « équitable » opéré par lui au moment de liquider le régime matrimonial des époux ; qu'en déclarant opposable en France le jugement américain du 28 juin 2002, qui a écarté le contrat de mariage conclu devant un officier public français en date du 21 mai 1991 par lequel les époux ont expressément adopté le régime de la séparation de biens, sans même en tenir compte comme un simple élément d'appréciation de la distribution « équitable » opéré par lui, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile et les principes qui gouvernent le droit international privé ;

3°/ que la liberté pour les époux de choisir la loi applicable à leur régime matrimonial, et partant leur régime matrimonial, est une composante de l'ordre public international français en garantissant la sécurité juridique et le respect des légitimes prévisions des époux ; qu'en l'espèce, au lieu de liquider les intérêts patrimoniaux des époux conformément au droit français de la séparation de biens choisi par les époux, les juges américains ont refusé purement et simplement de prendre en considération le contrat de mariage et la volonté commune des époux ainsi exprimée et ont liquidé leurs intérêts pécuniaires selon les dispositions de la loi de l'État de New York ; qu'en déclarant opposable en France le jugement américain en date du 28 juin 2002 et les décisions subséquentes des 3 octobre 2003 et 9 janvier 2004 relatives à la liquidation des droits, alors que ces décisions américaines violent le principe de libre choix par les époux de leur régime matrimonial, composante de l'ordre public international français, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile et les principes qui gouvernent le droit international privé. »

Réponse de la Cour

12. Une décision rendue par une juridiction étrangère qui, par application de sa loi nationale, refuse de donner effet à un contrat de mariage reçu en France, n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français de fond et ne peut être écartée que si elle consacre de manière concrète, au cas d'espèce, une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels.

13. L'arrêt relève, d'abord, que, hormis le fait que le contrat de mariage des époux, lequel n'est pas assimilable à un jugement, a été reçu en France préalablement à leur union qui y a été célébrée et que le mari est de nationalité française, le litige se rattache pour l'essentiel aux Etats-Unis où les époux se sont aussitôt établis et n'ont cessé de résider, où sont nés leurs enfants, où le mari a obtenu des diplômes et développé diverses activités professionnelles et où se situaient les actifs immobiliers du couple au jour de la demande en divorce. Il retient, ensuite, que, pour répartir les biens communs à proportion de 75 % à l'épouse et 25 % au mari, le juge américain qui a procédé à la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, selon le principe de « la distribution équitable » conformément au régime matrimonial en vigueur de l'Etat de New York, a tenu compte des revenus et charges des parties, des conséquences des choix communs faits pendant le mariage, ainsi que des éléments constants du train de vie des époux. Il ajoute, enfin, qu'au soutien de l'affirmation du caractère prétendument confiscatoire de la distribution réalisée, M. E...-Z... n'a communiqué aucun élément permettant d'apprécier le caractère disproportionné de l'effet des décisions rendues par rapport à la réalité de sa situation financière et patrimoniale.

14. En l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte que le litige se rattachait pour l'essentiel aux Etats-Unis et que la décision étrangère, en appliquant la loi du for pour la liquidation des droits patrimoniaux des époux, n'avait pas consacré concrètement une situation incompatible avec les principes essentiels du droit français, la cour d'appel en a déduit à bon droit, écartant toute inconciliabilité, que ni le principe de la liberté des conventions matrimoniales, d'ordre public en droit interne, ni les objectifs de sécurité juridique et de prévisibilité invoqués, ne pouvaient faire obstacle à la reconnaissance en France des décisions américaines.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

16. M. E...-Z... fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale relève de l'ordre public international français, de sorte qu'un jugement de divorce étranger qui met à néant l'exercice conjoint de l'autorité parentale en donnant à une mère le droit de prendre seule toutes les décisions concernant les enfants, sans autre justification que les mauvaises relations mutuelles entre les parents, porte atteinte au principe essentiel du droit français fondé sur l'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale ; qu'en déclarant opposables en France les dispositions des jugements américains des 3 octobre 2003 et 9 janvier 2004, après avoir constaté que s'agissant des modalités d'exercice de l'autorité parentale, ces jugements prévoyaient que la décision finale appartiendra à la mère, ce qui n'est pas autre chose que constater que, de jure et de facto, en cas de désaccord, le père se trouve privé de toute autorité parentale, sans autre justification que les mauvaises relations mutuelles entre les parents, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile et les principes qui régissent le droit international privé ;

2°/ que le principe de non-révision des jugements étrangers n'interdit pas le contrôle de l'ordre public international ; qu'il était soutenu, devant la cour, que les jugements américains des 3 octobre 2003 et 9 janvier 2004 violaient l'ordre public international puisqu'ils violaient le principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale ; qu'en écartant ce moyen motif pris qu'il n'appartenait pas au juge de l'exequatur de réviser la décision étrangère ni d'en apprécier le bien-fondé, et en refusant ainsi de rechercher si la circonstance que s'agissant des modalités d'exercice de l'autorité parentale, les jugements américains des 3 octobre 2003 et 9 janvier 2004 prévoyaient que la décision finale appartiendra à la mère, sans autre justification que les mauvaises relations mutuelles entre les parents, ne violaient pas le principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale, la cour d'appel a refusé d'exercer le contrôle de conformité du jugement étranger à l'ordre public international et, partant, privé sa décision de base légale au regard de l'article 509 du code de procédure civile et des principes qui régissent le droit international privé. »

Réponse de la Cour

17. Si le principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale relève de l'ordre public international français, la circonstance qu'une décision étrangère réserve à l'un des parents le soin de prendre seul certaines décisions relatives aux enfants, ne peut constituer un motif de non-reconnaissance qu'autant qu'elle heurte de manière concrète les principes essentiels du droit français.

18. L'arrêt relève, d'abord, que la décision américaine qui organise le droit de visite et d'hébergement du père, en tenant compte de l'éloignement géographique de celui-ci et conformément à l'accord des parties, lui ménage des rencontres régulières avec ses enfants pendant l'année scolaire et les vacances. Il retient, ensuite, s'agissant des modalités d'exercice de l'autorité parentale, que les jugements américains qui, s'appuyant sur les recommandations d'un expert psychiatre, réservent à la mère la décision finale, en cas de désaccord, soulignent, d'une part, les mauvaises relations entre les parents qui ne sont pas parvenus pendant la procédure de divorce à discuter sur les questions d'éducation, d'autre part, l'intérêt pour les enfants d'éviter des conflits constants concernant leur vie. Il ajoute, enfin, que ces jugements rappellent le devoir de consulter le père, de prendre ses préférences et préoccupations et d'essayer de l'inclure dans les événements significatifs de la vie des enfants.

19. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que les mesures relatives aux enfants avaient été arrêtées par référence à leur intérêt supérieur et que les droits du père n'étaient pas méconnus, celui-ci devant, dans tous les cas, être consulté avant toute décision, a exactement retenu que les décisions américaines, en l'absence de violation de l'ordre public international, devaient être reconnues dans l'ordre juridique français.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 509 du code de procédure civile ; article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 27 septembre 2017, pourvoi n° 16-17.198, Bull. 2017, I, n° 199 (rejet), et l'arrêt cité.

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