Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2020

CONFLIT DE JURIDICTIONS

1re Civ., 16 décembre 2020, n° 19-22.103, (P)

Rejet

Effets internationaux des jugements – Exequatur – Effets – Etendue – Limites – Cas – Jugement d'adoption tunisien

L'adoption tunisienne produit en France les effets d'une adoption simple.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 1er juillet 2019), un jugement du 16 avril 2015 du tribunal cantonal de Tunis (Tunisie) a validé l'adoption de l'enfant E... D..., née le [...] 2014 à T... (Tunisie) par M. B... et Mme M..., son épouse, et dit que l'enfant s'appellerait désormais X... O.... Ces derniers ont saisi le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de transcription, soutenant que le jugement tunisien produisait les effets de l'adoption plénière.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. et Mme B... font grief à l'arrêt de dire que le jugement du tribunal cantonal de Tunis du 16 avril 2015 validant l'adoption de l'enfant E... D... née le [...] 2014 à T... produira en France les effets d'une adoption simple et de rejeter leur demande tendant à ce que l'enfant porte le nom de B... M..., alors :

« 1°/ que l'arrêt attaqué a constaté que l'enfant est née de père inconnu, qu'elle a été abandonnée par sa mère à l'Institut national de la protection de l'enfance tunisien, qu'aux termes de son acte écrit d'abandon la mère a certifié avoir abandonné l'enfant de sa propre volonté et de façon définitive, que par jugement du 27 mars 2015 il a été décidé du placement de l'enfant à titre définitif auprès de l'Institut national de la protection de l'enfance tunisien, et que ce dernier, par attestation du 21 avril 2015, a certifié que l'enfant était abandonnée par ses parents, sans attache familiale et pupille de l'Etat, et que suite à la rupture complète et irrévocable du lien de filiation préexistant de l'enfant le directeur de l'Institut avait donné son consentement définitif et irrévocable à l'adoption par M. et Mme B... pour une adoption plénière de droit français ; qu'il en résultait que le lien préexistant de filiation de l'enfant a été totalement et irrévocablement rompu, peu important que l'adoption elle-même fût révocable, de sorte que l'adoption litigieuse remplissait les conditions posées par l'article 370-5 du code civil pour produire en France les effets d'une adoption plénière ; qu'en jugeant que le lien préexistant de filiation n'avait pas été totalement et irrévocablement rompu parce que l'adoption elle-même était révocable si bien qu'elle produisait en France les effets d'une adoption simple, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 370-5 du code civil, qu'elle a ainsi violé ;

2°/ que l'arrêt de la cour d'appel de Tunis du 14 février 1980 concernait des enfants majeurs ayant donné leur accord pour la rétractation du jugement d'adoption, et qu'il était ancien, isolé et non confirmé par une autre jurisprudence ; qu'ils ajoutaient que l'arrêt de la Cour de cassation tunisienne du 9 novembre 2011 était relatif à des enfants en danger victimes de mauvais traitements de la part des adoptants, que dès lors la « rétractation » du jugement d'adoption devait plutôt s'analyser comme une procédure de retrait de l'autorité parentale, que la traduction française de cette décision était confuse et approximative, et qu'il leur était impossible de la vérifier puisque l'original en arabe n'était pas produit ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Aux termes de l'article 370-5 du code civil, l'adoption régulièrement prononcée à l'étranger produit en France les effets de l'adoption plénière si elle rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant. A défaut, elle produit les effets de l'adoption simple. Elle peut être convertie en adoption plénière si les consentements requis ont été donnés expressément en connaissance de cause.

4. L'arrêt énonce que la loi tunisienne du 4 mars 1958 relative à la tutelle publique, à la tutelle officieuse et à l'adoption, qui autorise l'adoption, ne précise pas expressément si celle-ci a pour effet de rompre le lien de filiation avec les parents par le sang ni si elle est révocable. Il relève qu'il résulte cependant d'un arrêt de la cour d'appel de Tunis du 14 février 1980 et d'un arrêt de la Cour de cassation tunisienne du 2 novembre 2011 que ces juridictions ont interprété cette loi comme permettant la révocation de l'adoption. Il en déduit que l'adoption tunisienne ne rompt pas de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant.

5. La cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une demande de conversion de l'adoption simple en adoption plénière mais d'une demande de transcription, en a exactement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la décision tunisienne produirait en France les effets d'une adoption simple.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 370-5 du code civil.

1re Civ., 16 décembre 2020, n° 19-22.101, (P)

Cassation

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Conditions – Absence de contrariété à l'ordre public international – Caractérisation – Applications diverses – Adoption de neveux et nièces par leur tante ou oncle

Si l'article 310-2 du code civil interdit l'établissement, par l'adoption, du double lien de filiation de l'enfant né de frère et soeur, il n'a pas pour effet d'interdire l'adoption des neveux et nièces par leur tante ou leur oncle, dès lors que les adoptés ne sont pas nés d'un inceste. L'adoption des neveux et nièces par leur tante n'est donc pas, en elle-même, contraire à l'ordre public international.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 janvier 2018), Mme P... a saisi le tribunal régional hors classe de Dakar (Sénégal) d'une demande d'adoption plénière des enfants K... D... P..., né le [...] à Guédiawaye (Sénégal), I... P..., née le [...] à Ndiamére, et D... P..., né le [...] à Dakar, ses neveux et nièce, fils et fille de son frère W... P..., décédé le [...].

2. Le tribunal a accueilli sa demande par un jugement du 19 mai 2014, dont elle a sollicité l'exequatur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme P... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'exequatur du jugement n° 968 rendu le 19 mai 2014 par le tribunal régional hors classe de Dakar, prononçant l'adoption plénière par elle des enfants K... D..., I... et D... P..., alors « que le droit interne français admettant l'adoption, par une tante, de ses neveux et nièces, dès lors qu'il ne s'agit pas d'enfants nés d'un inceste, une telle adoption est conforme à l'ordre public international français ; qu'en considérant, pour rejeter la demande d'exequatur du jugement du tribunal régional hors classe de Dakar au Sénégal du 19 mai 2014 prononçant l'adoption plénière par Mme P... des enfants de son frère K... D..., I... et D..., que ce jugement aurait méconnu la conception française de l'ordre public international, après avoir constaté que ces enfants étaient nés de Mme V... E..., les juges du fond ont violé l'article 47 de la convention de coopération en matière judiciaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République sénégalaise signée le 29 mars 1974. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 47, e), de la Convention de coopération en matière judiciaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal signée le 29 mars 1974 et les articles 310-2 et 162 du code civil :

4. Selon le premier de ces textes, en matière civile, sociale ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire du Sénégal, sont reconnues de plein droit et ont l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat, sous réserve que la décision ne contienne rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée.

5. Aux termes du deuxième, s'il existe entre les père et mère de l'enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 du code civil pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l'égard de l'un, il est interdit d'établir la filiation à l'égard de l'autre par quelque moyen que ce soit.

6. Aux termes du troisième, en ligne collatérale, le mariage est prohibé entre le frère et la soeur, entre frères et entre soeurs.

7. Ces textes interdisent l'établissement, par l'adoption, du double lien de filiation de l'enfant né d'un inceste absolu lorsque l'empêchement à mariage a pour cause la parenté. Ils n'ont pas pour effet d'interdire l'adoption des neveux et nièces par leur tante ou leur oncle, dès lors que les adoptés ne sont pas nés d'un inceste.

8. Il se déduit, en effet, de l'article 348-5 du code civil que l'adoption intra-familiale est possible en droit français.

9. Il en résulte que l'adoption des neveux et nièces par leur tante n'est pas, en elle-même, contraire à l'ordre public international.

10. Pour rejeter la demande d'exequatur, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que l'adoption plénière par Mme P... des enfants de son frère, qui conduirait à l'établissement d'un acte de naissance d'enfants nés d'une relation incestueuse, comme nés de l'union d'un frère et d'une soeur, est contraire aux articles 162 et 310-2 du code civil et méconnaît par conséquent la conception française de l'ordre public international.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 310-2 du code civil.

1re Civ., 16 décembre 2020, n° 19-20.948, (P)

Rejet

Statut personnel – Filiation naturelle – Etablissement – Loi applicable – Loi étrangère prohibant l'établissement de la filiation naturelle – Loi privant un enfant français ou résidant habituellement en France du droit d'établir sa filiation – Disposition contraire à la conception française de l'ordre public international

Il résulte des articles 3 et 311-14 du code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2018), l'enfant P... N... est née le [...] 2014 à Paris de Mme N..., de nationalité marocaine, sans filiation paternelle établie.

Le 28 avril 2015, celle-ci, agissant en qualité de représentante légale de sa fille, a assigné M. X... devant le tribunal de grande instance de Meaux en recherche de paternité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. X... fait grief à l'arrêt d'écarter la loi marocaine pour contrariété à l'ordre public international et, faisant application de la loi française, de déclarer recevable l'action en recherche de paternité exercée par Mme N... au nom de sa fille P... et d'ordonner une expertise biologique, alors :

« 1° / que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, la cour a admis qu'il y avait lieu, en principe, de faire application de la loi marocaine, en l'occurrence le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, la mère de l'enfant étant marocaine ; que, pour juger que cette loi était contraire à l'ordre public international français, la cour, par motifs adoptés, a retenu, au regard des textes qu'elle a visés, que « le droit marocain ne reconnaît la filiation que dans le cadre du mariage, sauf aveu du père et rapports sexuels « par erreur » (relation illégitime entre la femme et l'homme lorsque celui-ci croit à la légitimité de la relation suite à une erreur en ce qui concerne le fait, la personne ou la règle du chraâ comme dans le mariage vicié) ; qu'il n'admet pas ainsi librement le concubinage et la filiation qui pourrait en découler » ; que, cependant, la cour a ainsi elle-même constaté que, par les exceptions citées, la loi marocaine rendait possible la reconnaissance de la filiation paternelle pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 3 et 311-14 du code civil ;

2°/ que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, pour juger qu'il en était ainsi de la loi marocaine, qui prévoit pourtant différentes hypothèses dans lesquelles la filiation paternelle d'un enfant né hors mariage peut être établie (aveu du père, rapports sexuels par erreur, mariage vicié, reconnaissance de paternité), la cour a retenu que cette loi n'admet pas « librement » (?) le concubinage et la filiation qui peut en découler ; que, cependant, le concubinage n'est pas la seule situation où un enfant peut naître hors mariage, et son absence de reconnaissance par la loi marocaine n'a aucune incidence sur la réalité des droits qu'elle prévoit pour établir la « filiation paternelle », dans les cas qu'elle énumère, d'un enfant né hors mariage ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier sa décision, la cour a violé les articles 3 et 311-14 du code civil ;

3°/ que le juge, appelé à déterminer le contenu de la loi étrangère par application de la règle de conflit, ne doit pas la dénaturer ; qu'en l'espèce, le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, loi marocaine ici applicable, dispose que la filiation paternelle est présumée découler, non seulement des « rapports conjugaux », mais aussi « de l'aveu du père » et des « rapports sexuels par erreur », hypothèses se rapportant toutes deux à la conception d'enfants nés hors mariage (art. 152, 156, 158) ; qu'elle peut être établie par « l'aveu du père, le témoignage de deux adoul, la preuve déduite du ouï-dire, et par tout moyen légalement prévu, y compris l'expertise judiciaire » (art. 158) ; que l'article 157 ajoute que « lorsque la filiation paternelle est établie même à la suite d'un mariage vicié, de rapports sexuels par erreur ou d'une reconnaissance de paternité, elle produit tous ses effets » ; qu'ainsi, selon ces dispositions claires et dénuées d'ambiguïté, la loi marocaine admet avec certitude la reconnaissance de paternité pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, pour retenir que ces dispositions ne permettraient pas l'établissement de la paternité de l'enfant P... « à l'égard d'un homme non marié à sa mère » et que, partant, elles seraient contraires à l'ordre public international français, la cour a dénaturé cette loi étrangère, en violation de l'article 3 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Il résulte des articles 3 et 311-14 du code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation.

4. Ayant relevé, par une appréciation souveraine de la loi étrangère exempte de dénaturation, que la loi marocaine, loi nationale de la mère, ne reconnaissait, s'agissant de la filiation paternelle, que la filiation légitime, ce qui rendait l'action de Mme N... en recherche de paternité hors mariage irrecevable, la cour d'appel en a exactement déduit que cette loi devait être écartée comme contraire à la conception française de l'ordre public international et qu'il convenait d'appliquer la loi française.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat(s) : SCP Le Griel ; Me Carbonnier -

Textes visés :

Articles 3 et 311-14 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 février 1993, pourvoi n° 89-21.997, Bull. 1993, I, n° 64 (rejet) ; 1re Civ., 10 mai 2006, pourvoi n° 05-10.299, Bull. 2006, I, n° 226 (cassation).

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