Numéro 12 - Décembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2020

ARBITRAGE

1re Civ., 2 décembre 2020, n° 19-15.396, (P)

Cassation

Sentence – Recours en annulation – Cas – Compétence du tribunal arbitral – Moyens invoqués par les parties – Moyens tirés d'éléments de preuve nouveaux – Portée

Il résulte des articles 1520, 1°, et 1466 du code de procédure civile, que lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d'invoquer sur cette question, devant le juge de l'annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 avril 2019), M. T... S..., de nationalité américaine, et les sociétés Schooner Capital LLC et Atlantic Investment Partners LLC, enregistrées dans l'Etat du Delaware (Etats-Unis) (les investisseurs) ont, par l'intermédiaire de la société américaine White Eagle Industries (WEI), constituée à cet effet, pris des participations dans trois sociétés polonaises, Nadodrzanskie Zaklady Przemyslu Thuszczowego w Brzegu S.A. (Kama), entreprise étatique de production et transformation de graisse végétale, Bolmar S.A., intervenant dans le même secteur, et Wielkopolskie Fabrykii Mebli S.A. (WFM), fabricant de meubles.

Les investisseurs ont constitué une société polonaise White Eagle Industries Poland (WEIP), à l'effet de percevoir pour le compte de WEI, les commissions versées par les trois sociétés polonaises pour des services de gestion. Kama, WFM et Bolmar ont déclaré ces commissions comme des charges déductibles au titre de l'impôt sur les sociétés et au titre de la taxe sur la valeur ajoutée pour les exercices fiscaux 1994 à 1997. Contestant la réalité des services de gestion, les services fiscaux polonais ont, à la suite de différents contrôles, notifié un redressement à la société Kama laquelle devait être ultérieurement déclarée en faillite.

2. Soutenant que la République de Pologne les avait illégalement expropriés de leur investissement dans Kama, les investisseurs ont, le 31 mars 2011, introduit une requête d'arbitrage auprès du secrétariat du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) en application du règlement du CIRDI (Mécanisme supplémentaire) sur le fondement du Traité relatif aux relations commerciales et économiques entre les Etats-Unis et la Pologne (le Traité bilatéral d'investissement ou TBI).

3. Par une sentence rendue à Paris le 17 novembre 2015, le tribunal arbitral, considérant que le litige concernait des questions de fiscalité au sens de l'article VI (2) du TBI et non une obligation relative au respect et à l'exécution d'un contrat d'investissement au sens de l'article VI (2), c), n'a retenu sa compétence que sur les seules demandes fondées sur l'expropriation (article VII) et sur les transferts de fonds (article V) en vertu des exceptions prévues par le a) et le b) de l'article VI (2).

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Les investisseurs font grief à l'arrêt de rejeter leur recours en annulation de la sentence, alors « que la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ; que le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage ; qu'ainsi, lorsqu'une partie s'est prévalue devant les arbitres de la compétence du tribunal arbitral sur le fondement de dispositions d'un traité bilatéral de protection des investissements comprenant la convention d'arbitrage, celle-ci est recevable à invoquer d'autres dispositions de ce traité et d'autres éléments de fait devant le juge de l'annulation pour solliciter l'annulation de la sentence arbitrale au motif que les arbitres se sont, à tort, déclarés incompétents ; qu'en déclarant irrecevables les moyens d'annulation de la sentence, tirés de que c'est à tort que le tribunal arbitral s'était déclaré incompétent dès lors, d'une part, qu'il ne pouvait appliquer une clause d'exclusion de la fiscalité dans l'hypothèse où les actions de l'Etat n'étaient pas menées de bonne foi et, d'autre part, qu'il aurait dû se déclarer compétent sur le fondement de la clause de la nation la plus favorisée, motifs pris que si les investisseurs avaient soutenu que le tribunal arbitral était compétent, ils n'avaient « plaidé dans l'instance arbitrale ni l'usage abusif de cette exclusion, ni le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée », et que « la renonciation présumée par l'article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens », la cour d'appel a violé les articles 1466 et 1520, 1°, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1520, 1°, et 1466 du code de procédure civile :

5. Selon le premier de ces textes, le recours en annulation est ouvert si le tribunal s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.

Aux termes du second, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.

6. Il en résulte que lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d'invoquer sur cette question, devant le juge de l'annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve.

7. Pour déclarer irrecevables les moyens fondant la compétence du tribunal arbitral tirés, d'une part, de l'usage abusif par la République de Pologne de l'exclusion des questions fiscales par l'article VI du Traité, d'autre part, du bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée stipulée à l'article I du Traité, l'arrêt retient que, ceux-ci n'ayant pas été plaidés devant le tribunal arbitral, les investisseurs ne sont pas recevables à développer devant le juge de l'annulation un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu'ils avaient soumis aux arbitres, auquel ils sont présumés avoir renoncé.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 1520, 1°, et 1466 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 6 octobre 2010, pourvoi n° 08-20.563, Bull. 2010, I, n° 185 (rejet).

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