Numéro 12 - Décembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2019

SEPARATION DES POUVOIRS

1re Civ., 11 décembre 2019, n° 18-25.441, (P)

Cassation partielle

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à un contrat de droit privé – Cas – Action directe de la victime contre l'assureur du responsable – Distinction avec l'action en responsabilité – Portée

Viole la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 124-3 du code des assurances, une cour d'appel qui, pour condamner les assureurs de constructeurs à payer à une commune diverses provisions, retient qu'ils sont tenus d'indemniser cette dernière des conséquences des désordres résultant de l'exécution défectueuse d'un marché public, alors qu'à défaut de reconnaissance, par les assureurs, de la responsabilité de leurs assurés, il lui incombait de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur cette responsabilité.

Sur le moyen unique du pourvoi principal et sur le moyen unique du pourvoi incident, réunis :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 124-3 du code des assurances ;

Attendu qu'il résulte du dernier de ces textes qu'un assureur de responsabilité ne peut être tenu d'indemniser le préjudice causé à un tiers par la faute de son assuré que dans la mesure où ce tiers peut se prévaloir, contre l'assuré, d'une créance née de la responsabilité de celui-ci ; qu'en application des deux premiers, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire, saisi de l'action directe de la victime contre l'assureur de l'auteur du dommage, de se prononcer sur la responsabilité de l'assuré lorsque celle-ci relève de la compétence de la juridiction administrative (1re Civ., 3 novembre 2004, pourvoi n° 03-11.210, Bull., 2004, I, n° 250 ; 1re Civ., 23 juin 2010, pourvoi n° 09-14.592, Bull. 2010, I, n° 149) ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en référé, que, suivant marché public du 19 décembre 2012, la commune de Tuchan (la commune) a confié à M. F..., assuré auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre des travaux de réhabilitation d'un foyer communal ; que le lot démolition - gros oeuvre - étanchéité a été confié à la société Midi travaux, assurée auprès de la société MMA IARD assurances mutuelles (la société MMA) ; que les travaux ont été réceptionnés le 19 novembre 2013 ; qu'à la suite de l'apparition de désordres et après le dépôt du rapport de l'expert judiciairement désigné, la commune a assigné la société Midi travaux, M. F... et leurs assureurs, sur le fondement de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, aux fins d'obtenir le paiement de provisions ;

Attendu que, pour condamner la MAF et la société MMA au paiement de diverses sommes à titre provisionnel, après avoir, d'une part, écarté la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de l'action engagée par la commune à l'encontre de M. F... et de la société Midi travaux, en raison du caractère administratif des marchés les liant à la commune, d'autre part, retenu sa compétence pour se prononcer sur l'action directe exercée contre leurs assureurs, auxquels ils sont liés par un contrat de droit privé, l'arrêt retient que les dommages invoqués par la commune, apparus après réception et qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination, sont de nature décennale, de sorte que les assureurs des constructeurs sur lesquels pèse une présomption de responsabilité sont tenus d'indemniser la victime des conséquences des désordres résultant de l'exécution défectueuse du marché public ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'à défaut de reconnaissance, par les assureurs, de la responsabilité de leurs assurés, il lui incombait de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur cette responsabilité, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la responsabilité de M. F... et de la société Midi travaux et en ce qu'il déclare la juridiction judiciaire compétente pour connaître de l'action directe de la commune à l'encontre de la société Mutuelle des architectes français et de la société MMA IARD assurances mutuelles, l'arrêt rendu le 6 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Boulloche ; Me Le Prado ; SCP Richard -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article L. 124-3 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 16 décembre 2010, pourvoi n° 09-71.797, Bull. 2010, II, n° 218 (rejet), et l'arrêt cité.

1re Civ., 18 décembre 2019, n° 18-26.232, (P)

Rejet

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Contentieux des étrangers – Demande d'asile formulée en cours de rétention administrative – Maintien en rétention – Contestation portant sur l'existence, la date ou le contenu de l'arrêté de maintien en rétention

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Contentieux des étrangers – Appréciation de la légalité de la mesure d'éloignement

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Nécessité d'apprécier la légalité, la régularité ou la validité d'un acte administratif – Domaine d'application – Appréciation de la légalité de la mesure d'éloignement prise à l'encontre d'un ressortissant étranger

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Toulouse, 19 octobre 2018), et les pièces de la procédure, le 5 octobre 2018, le préfet a notifié à M. T... B..., de nationalité gambienne, en situation irrégulière en France, deux arrêtés portant respectivement obligation de quitter le territoire et placement en rétention.

Par décision du 7 octobre 2018, confirmée en appel, le juge des libertés et de la détention a prolongé cette mesure.

Le 10 octobre, M. B... a présenté une demande d'asile.

2. En considération de cette circonstance nouvelle, M. B... a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande de mainlevée de la mesure de rétention.

Examen du moyen

Sur le moyen unique

Enoncé du moyen

3. M. B... fait grief à l'ordonnance de rejeter sa demande de mise en liberté, alors que « à défaut de notification d'une décision de maintien en rétention à l'étranger ayant formé une demande d'asile en rétention, prise sur la base d'une évaluation individuelle permettant d'établir notamment son état de vulnérabilité et le caractère non négligeable de son risque de fuite, il doit immédiatement être mis fin à la rétention ; qu'en jugeant à l'inverse, que la préfecture n'avait pas à notifier un nouvel arrêté de maintien en rétention à M. B..., pour rejeter sa demande de mise en liberté, quand elle relevait que celui-ci avait formé une demande d'asile pendant sa rétention, la cour d'appel a méconnu l'article 28, § 2, du Règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013, et les articles L. 556-1, L. 551-1 II et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que toute contestation portant sur l'existence, la date ou le contenu de l'arrêté de maintien en rétention faisant suite à une demande d'asile échappe au contrôle du juge judiciaire pour relever de la compétence du juge administratif. Toutefois, ces dispositions ne privent pas le juge judiciaire de la faculté d'interrompre à tout moment la rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient et pour tout autre motif que celui tiré de l'illégalité des décisions relatives au séjour et à l'éloignement de l'étranger.

5. L'ordonnance constate que M. B... a présenté une demande d'asile en cours de rétention, à la suite de laquelle le préfet a, le 11 octobre 2018, adressé aux autorités italiennes une requête aux fins de prise en charge, en application du Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, puis relève que l'intéressé a sollicité sa mise en liberté en raison de l'absence d'arrêté de maintien en rétention.

6. Il s'en déduit, en l'absence d'invocation de tout autre motif lui permettant d'interrompre la prolongation du maintien en rétention, que la demande de mainlevée ne pouvait qu'être rejetée.

7. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'ordonnance se trouve légalement justifiée.

8. Par voie de conséquence, l'interprétation de l'article 28 du Règlement du 26 juin 2013 précité ne commandant pas la solution du litige, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Article L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence du juge administratif en cas de contestation de l'arrêté de maintien en rétention faisant suite à une demande d'asile formulée au cours de la rétention, à rapprocher : 1re Civ., 6 mars 2019, pourvoi n° 18-13.908, Bull. 2019, (rejet). Cf. : Cons. const., 4 octobre 2019, décision n° 2019-807 QPC. Sur l'étendue de la compétence du juge judiciaire pour interrompre la rétention d'un étranger, à rapprocher : 1re Civ., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-27.357, Bull. 2016, I, n° 215 (cassation sans renvoi), et l'arrêt cité. Sur l'exclusion de la compétence du juge judiciaire pour se prononcer sur la légalité des décisions relatives au séjour et à l'éloignement de l'étranger, à rapprocher : 1re Civ., 27 septembre 2017, pourvois n° 17-10.206 et 16-50.062, Bull. 2017, I, n° 200 (cassation partielle sans renvoi) ; 1re Civ., 27 septembre 2017, pourvoi n° 17-10.207, Bull. 2017, I, n° 201 (cassation partielle sans renvoi).

1re Civ., 11 décembre 2019, n° 18-21.513, (P)

Cassation sans renvoi

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Contentieux des mesures de police administrative – Mesure de police – Décision de refus d'autorisation d'exhumation d'un corps prise par un maire

Si la juridiction judiciaire a compétence pour se prononcer sur la qualité de plus proche parent de celui qui sollicite l'exhumation du corps d'une personne défunte, la décision de refus d'autoriser cette exhumation, prise par le maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police des funérailles et des lieux de sépulture, ne peut être contestée que devant la juridiction administrative.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Exhumation d'un corps – Détermination du plus proche parent du défunt

Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile :

Vu l'article 76, alinéa 2, du code de procédure civile, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles L. 2213-10 et R. 2213-40 du code général des collectivités territoriales, applicables en Polynésie française ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que le moyen pris de l'incompétence du juge judiciaire peut être relevé d'office par la Cour de cassation ;

Qu'aux termes du dernier, toute demande d'exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte ; que celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande ; que l'autorisation d'exhumer un corps est délivrée par le maire de la commune où doit avoir lieu l'exhumation ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en référé, qu'à la suite d'une procédure de partage judiciaire, Mmes E... B..., Z... B..., Z... L..., C... B..., W... D..., Y... G..., C... G..., RH... G..., VE... G..., XY... G..., JX... A..., QJ... G..., CL... G..., EQ... J..., ET... Q..., YO... Q..., MM. V... B..., JW... G..., RV... G..., OB... G..., CV... J..., IV... S... et OD... S..., et Joël B..., depuis décédé et aux droits duquel vient Mme H... B..., (les consorts B...) sont devenus propriétaires d'une parcelle située sur le territoire de la commune de Faa'a (la commune) et sur laquelle se trouvent plusieurs sépultures ; que, par ordonnance du 18 avril 2016, le juge des référés du tribunal civil de première instance de Papeete les a autorisés, « sous réserve et en accord » avec le maire de la commune, à faire procéder à l'exhumation des corps en vue de leur inhumation au cimetière municipal ; que, suivant acte authentique du 12 juillet 2016, les consorts B... ont vendu la parcelle en cause à la société Puna Ora ; que celle-ci a saisi la juridiction judiciaire afin qu'il soit fait injonction au maire de la commune de convenir avec elle des modalités de l'exhumation, à laquelle il s'était opposé ; que les consorts B... sont intervenus volontairement à l'instance ;

Attendu que l'arrêt enjoint au maire de la commune d'avoir à convenir avec les consorts B... des modalités de l'exhumation prononcée par ordonnance de référé du 18 avril 2016 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, si la juridiction judiciaire avait compétence pour se prononcer sur la qualité de plus proche parent revendiquée par les consorts B... à l'appui de leur demande d'exhumation, la décision de refus d'autoriser cette exhumation, prise par le maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police des funérailles et des lieux de sépulture, ne pouvait être contestée que devant la juridiction administrative, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les quatre derniers textes susvisés ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Leduc et Vigand -

Textes visés :

Article 76, alinéa 2, du code de procédure civile ; loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; articles L. 2213-10 et R. 2213-40 du code général des collectivités territoriales.

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