Numéro 12 - Décembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2019

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 9 décembre 2019, n° 19-04.169, (P)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Action en contrefaçon des droits de propriété intellectuelle

Lorsqu'elle est saisie par un tiers au contrat de conclusions contestant la validité d'un marché public, la juridiction administrative n'a pas compétence pour se prononcer sur le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire du marché, en tant qu'elle porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle de ce tiers, et il lui incombe de ne statuer qu'après la décision du tribunal de grande instance compétent, saisi à titre préjudiciel, sur l'existence de la contrefaçon.

Elle a, en revanche, seule compétence pour se prononcer, ensuite, sur les autres moyens d'annulation et, si elle constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, pour en apprécier l'importance et les conséquences.

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Litige portant sur la validité d'un marché public

Vu l'expédition du jugement du 27 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon, saisi d’une demande de la société Biomediqa tendant à l’annulation du marché public conclu par le groupement de coopération sanitaire Uniha avec la société TC Médical et à l’indemnisation de son préjudice, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à la société Biomediqa, au groupement de coopération sanitaire Uniha et au ministre de l’action et des comptes publics, qui n’ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que le groupement de coopération sanitaire Uniha a engagé une procédure de passation d'un marché à bons de commande portant sur la fourniture, la livraison et l'installation de dispositifs de report de signalisation d'émission de rayons X pour arceaux mobiles de radioscopie ; que, le 13 janvier 2017, la société Biomediqa a été informée du rejet de son offre ; que, par ordonnance du 17 février 2017, le juge du référé précontractuel a rejeté sa demande tendant à l’annulation partielle de la procédure d’attribution ; que le marché a été conclu le 25 avril 2017 avec la société TC Médical ; que, le 29 juin 2017, la société Biomediqa a saisi la juridiction administrative d’une requête aux fins d’annulation de ce contrat, invoquant divers manquements commis par le pouvoir adjudicateur à l'occasion de sa passation et soutenant que l’offre retenue était irrégulière, le produit proposé par la société attributaire contrefaisant le brevet dont elle est titulaire ; qu’estimant que le litige présentait à juger des questions de compétence soulevant une difficulté sérieuse, le tribunal administratif de Lyon a, par jugement du 27 juin 2019, renvoyé au Tribunal le soin de décider sur ces questions, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015 ;

Considérant que l’article L. 615-17, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle dispose que : « Les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris dans les cas prévus à l'article L. 611-7 ou lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire, à l'exception des recours formés contre les actes administratifs du ministre chargé de la propriété industrielle qui relèvent de la juridiction administrative » ; que ces dispositions, qui réservent aux tribunaux de grande instance spécialement désignés la connaissance des litiges qu’elles mentionnent, dérogent aux principes gouvernant la responsabilité des personnes publiques, ainsi qu’à la règle de compétence énoncée par l’article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 ;

Considérant, dès lors, que, lorsqu’elle est saisie par un tiers au contrat de conclusions contestant la validité d’un marché public, la juridiction administrative n’a pas compétence pour se prononcer sur le moyen tiré de l’irrégularité de l’offre de la société attributaire du marché, en tant qu'elle porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle de ce tiers, et il lui incombe de ne statuer qu’après la décision du tribunal de grande instance compétent, saisi à titre préjudiciel, sur l’existence de la contrefaçon ; qu’elle a, en revanche, seule compétence pour se prononcer, ensuite, sur les autres moyens d’annulation et, si elle constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, pour en apprécier l’importance et les conséquences ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, s'agissant d'un litige qui tend à l'annulation d'un contrat administratif et à l'indemnisation du préjudice résultant de sa passation, la juridiction administrative a seule compétence pour en connaître ; que, toutefois, en cas de contestation sérieuse et sous réserve que cette appréciation soit nécessaire à la solution du litige, il lui appartient de saisir, à titre préjudiciel, le tribunal de grande instance compétent afin qu'il soit statué sur l’existence de la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle invoqués par la société Biomediqa ;

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige, sauf à surseoir à statuer dans l’attente de la décision du tribunal de grande instance compétent, saisi à titre préjudiciel, sur l’existence de la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle invoqués par la société Biomediqa.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Polge (Rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; code de la propriété intellectuelle.

Rapprochement(s) :

Tribunal des conflits, 2 mai 2011, n° 3770, Bull. 2011, T. conflits, n° 9 ; Tribunal des conflits, 5 septembre 2016, n° 4069, Bull. 2016, T. conflits, n° 20.

Tribunal des conflits, 9 décembre 2019, n° 19-04.174, (P)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à la protection de la liberté individuelle – Applications diverses – Prononcé de l'annulation d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement

Depuis l'entrée en vigueur des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique, issus de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, la juridiction judiciaire est seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter.

Dès lors, toute action relative à une telle mesure doit être portée devant cette juridiction à laquelle il appartient, le cas échéant, d'en prononcer l'annulation.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à la protection de la liberté individuelle – Applications diverses – Appréciation du bien-fondé, de la régularité et des conséquences d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement – Portée

Vu l'expédition de l’arrêt du 24 juillet 2019 par lequel le Conseil d’Etat, saisi du pourvoi de M. H.-D. tendant à l’annulation de l’ordonnance rendue le 31 décembre 2018 par le président de la 2ème chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, sa demande de retrait de la décision du 28 juillet 2012 l’admettant en soins psychiatriques sans consentement, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de la compétence ;

Vu le mémoire présenté pour M. H.-D. tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente par le motif qu’un droit d’accès au juge doit être garanti, qu’il appartient à cette juridiction de connaître des recours tendant à l’annulation d’une décision par laquelle une personne publique refuse de procéder au retrait d’une décision individuelle, que dès lors que l’article L. 3216-1 du code de la santé publique n’a pas prévu que les décisions d’admission ou de maintien puissent être annulées par le juge judiciaire et que leur anéantissement rétroactif puisse être obtenu, le régime de compétence judiciaire ne saurait, faute de dispositions expresses, être étendu aux décisions par lesquelles l’administration refuse de procéder à leur retrait, qui doivent être distinguées des décisions d’admission ou de maintien en soins psychiatriques ne pouvant être discutées que devant le juge judiciaire et qu’en conséquence seule la juridiction administrative doit être reconnue compétente pour connaître d’une action tendant à l’anéantissement rétroactif d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement ;

Vu les pièces dont il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été communiquée au centre hospitalier universitaire de Toulouse et au ministre des solidarités et de la santé qui n’ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de la santé publique ;

Considérant que M. H.-D. a été admis en soins psychiatriques sans consentement le 28 juillet 2012 au centre hospitalier universitaire de Toulouse et transféré deux jours plus tard à la clinique de Beaupuy ; que la mesure ayant été levée le 8 août 2012 à la demande du père de l’intéressé, le juge des libertés et de la détention a, par une ordonnance du même jour, constaté la levée de soins ; qu’en février 2018, M. H.-D. a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler pour excès de pouvoir la décision d’admission prise par le directeur du centre hospitalier universitaire ; que, par une ordonnance du 12 avril 2018, confirmée en appel le 22 mai 2018, le président de la deuxième chambre du tribunal administratif a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que l’intéressé a alors demandé au centre hospitalier universitaire de Toulouse de retirer la décision d’admission en soins psychiatriques sans consentement ; que, par une ordonnance du 25 octobre 2018, le président de la deuxième chambre du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa requête tendant à l’annulation de la décision de rejet de sa demande de retrait ; que M. H.-D. s’est pourvu en cassation contre l’ordonnance du 31 décembre 2018 par laquelle le président de la 2e chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté son appel contre cette ordonnance pour incompétence de la juridiction administrative ; que le Conseil d’Etat a sursis à statuer et, par application de l’article 35 du décret du 27 février 2015, renvoyé au Tribunal le soin de décider sur la question de compétence ;

Considérant que les articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique, issus de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, donnent compétence au juge des libertés et de la détention pour contrôler de manière régulière et systématique ainsi que de manière facultative, à la demande notamment des personnes et de leur entourage, la poursuite des mesures de soins sans consentement et en ordonner leur mainlevée ; qu’aux termes de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique : « La régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire. Le juge des libertés et de la détention connaît des contestations mentionnées au premier alinéa du présent article dans le cadre des instances introduites en application des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1. Dans ce cas, l'irrégularité affectant une décision administrative mentionnée au premier alinéa du présent article n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet. Lorsque le tribunal de grande instance statue sur les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant pour l'intéressé des décisions administratives mentionnées au premier alinéa, il peut, à cette fin, connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées » ;

Considérant que, depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions, la juridiction judiciaire est ainsi seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d'une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter ; que, dès lors, toute action relative à une telle mesure doit être portée devant cette juridiction à laquelle il appartient, le cas échéant, d’en prononcer l’annulation ; qu’il s’ensuit que le juge judiciaire est compétent pour connaître de l’action intentée par M. H.-D. ;

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant M. H.-D. au centre hospitalier universitaire de Toulouse.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Polge (Rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique, issus de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence du juge judiciaire pour prononcer l'annulation d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement, Cf. : 1re Civ., 11 mai 2016, pourvoi n° 15-16.233, Bull. 2016, I, n° 102 (cassation).

Tribunal des conflits, 9 décembre 2019, n° 19-04.164, (P)

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à un contrat de droit privé – Contrat de droit privé – Caractérisation – Cas – Contrat de transport conclu entre personnes privées – Transport de marchandises à destination d'une personne publique dans le cadre d'une opération de travaux publics dont elle est maître d'ouvrage – Absence d'influence

En application de l'article L. 132-8 du code de commerce, le transporteur dispose d'une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre du destinataire du transport.

Le contrat de transport de marchandises, conclu entre un expéditeur et un transporteur, personnes morales de droit privé, destinées à une personne morale de droit public dans le cadre de l'exécution d'une opération de travaux publics dont elle est maître d'ouvrage, est un contrat de droit privé dès lors qu'il n'a pas pour objet l'exécution d'un service public, qu'il ne comporte aucune clause qui impliquerait, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs et que le transporteur ne participe pas à une opération de travaux publics. Le fait que la marchandise acheminée soit destinée à l'exécution de tels travaux n'ayant pas en elle-même d'incidence sur la nature du contrat de transport.

Il en résulte que la demande en paiement direct formée par le transporteur à l'égard d'une personne publique recherchée comme destinataire du transport à l'occasion de l'exécution d'une opération de travaux publics dont elle est maître d'ouvrage relève de la compétence du juge judiciaire.

Vu l'expédition du jugement du 4 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la société Ducournau Transports d'un litige l'opposant au centre hospitalier de Gonesse, tendant à la réparation du préjudice résultant du non-paiement de factures de transport, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l'ordonnance du 22 septembre 2015 par laquelle le juge de la mise en état a dit le tribunal de grande instance de Pontoise incompétent pour connaître de ce litige ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à la société Ducournau Transports, au centre hospitalier de Gonesse et à la ministre des solidarités et de la santé, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de commerce ;

Considérant que le centre hospitalier de Gonesse a, dans le cadre de la construction d'un nouvel hôpital, confié à la société Enviai SPA le lot « menuiseries extérieures et bardage de revêtement » ; que la société Enviai SPA a chargé la société Ducournau Transports de livrer des matériaux sur le chantier ; que le transporteur n'ayant pas été payé de ses factures, pour un montant total de 15950 euros, a intenté à l'encontre du centre hospitalier de Gonesse, qu'il considère comme destinataire de ses prestations, une action directe en paiement, sur le fondement de l'article L. 132-8 du code de commerce, devant le tribunal de grande instance de Pontoise ; que, par ordonnance du 22 septembre 2015, le juge de la mise en état a dit le tribunal de grande instance incompétent au motif que les livraisons concernaient l'exécution d'un marché public ; que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, considérant que le litige ne ressortissait pas à la compétence de la juridiction administrative, le contrat de transport ayant été conclu entre des sociétés de droit privé et ne faisant pas participer le transporteur à l'exécution d'un travail public, a saisi le Tribunal sur le fondement de l'article 32 du décret du 27 février 2015 ;

Considérant que la société Ducournau Transports fonde son action sur l'article L. 132-8 du code de commerce, qui dispose que : « La lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier.

Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite » ; qu'elle invoque ainsi l'existence d'un contrat auquel serait partie le centre hospitalier, personne publique, en qualité de destinataire ;

Considérant que ce contrat n'a pas pour objet l'exécution d'un service public ; qu'il ne comporte aucune clause, qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquerait, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; que le transporteur ne participe pas à une opération de travaux publics, et que le fait que la marchandise acheminée soit destinée à l'exécution de tels travaux n'a pas en elle-même d'incidence sur la nature du contrat de transport ;

Considérant que le contrat invoqué est un contrat de droit privé ; que l'action formée par la société Ducournau Transports à l'égard du centre hospitalier ressortit à la compétence de la juridiction judiciaire ;

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant la société Ducournau Transports au centre hospitalier de Gonesse.

Article 2 :

L'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Pontoise du 22 septembre 2015 est déclarée nulle et non avenue.

La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

Article 3 :

La procédure suivie devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est déclarée nulle et non avenue, à l'exception du jugement rendu par ce tribunal le 4 juin 2019.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : Mme Farthouat-Danon - Avocat général : M. Pellissier (Rapporteur public) -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; article L. 132-8 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur l'action directe du transporteur contre une personne publique maître d'ouvrage d'une opération de travaux publics, cf. : 1re Civ., 31 janvier 2018, pourvoi n° 16-21.771, Bull. 2018, I, n° 17 (cassation), et l'arrêt cité.

Tribunal des conflits, 9 décembre 2019, n° 19-04.160, (P)

Etat – Responsabilité – Durée excessive de la procédure – Durée résultant d'instances introduites devant les deux ordres de juridiction – Action en réparation – Compétence – Tribunal des conflits

En vertu de l'article 16 de la loi du 24 mai 1872, le Tribunal des conflits est seul compétent pour connaître des actions engagées aux fins de réparation des préjudices résultant d'une durée excessive des procédures juridictionnelles non seulement lorsque les parties ont saisi successivement les deux ordres de juridiction, du fait d'une difficulté pour identifier l'ordre de juridiction compétent, le cas échéant tranchée par le Tribunal, mais aussi lorsque le litige a dû être porté devant des juridictions des deux ordres en raison des règles qui gouvernent la répartition des compétences entre eux.

Etat – Responsabilité – Durée excessive de la procédure – Durée résultant d'instances introduites devant les deux ordres de juridiction – Eléments pris en considération – Détermination

Le caractère excessif du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier en tenant compte des spécificités de chaque affaire et en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement des procédures et le comportement des parties tout au long de celles-ci, ainsi que l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre partie au litige, à ce que celui-ci soit tranché rapidement.

Vu l'ordonnance du 15 janvier 2019 par laquelle le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Marseille, après s’être déclaré incompétent pour en connaître, a transmis au Tribunal la requête de M. G... tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation du préjudice qu’il estime avoir subi en raison de la durée excessive des procédures suivies devant le tribunal administratif de Marseille, la cour administrative d’appel de Marseille et le Conseil d'Etat, d’une part, le conseil de prud’hommes de Marseille, les cours d’appel d’Aix-en-Provence, de Montpellier et de Nîmes et la Cour de cassation, d’autre part ;

Vu le mémoire présenté pour l'Etat, tendant, à titre principal, au rejet de la requête au motif que la saisine du Tribunal est irrégulière, à titre subsidiaire, au rejet de la requête au motif que la durée totale des procédures en cause n’a pas été excessive, à titre très subsidiaire, à ce que l'Etat ne soit pas condamné à verser une somme supérieure à 1500 euros ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 juillet 2019, présenté pour M. G..., tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation du préjudice analysé ci-dessus et à ce que la somme de 3500 euros soit mise à sa charge au titre de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits : « Le Tribunal des conflits est seul compétent pour connaître d’une action en indemnisation du préjudice découlant d’une durée totale excessive des procédures afférentes à un même litige et conduites entre les mêmes parties devant les juridictions des deux ordres en raison des règles de compétence applicables et, le cas échéant, devant lui » ; qu’aux termes de l’article 5 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : « Les parties sont représentées par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation » ; qu'aux termes de l’article 43 du même décret : « (...) la partie qui entend obtenir réparation doit préalablement saisir le garde des sceaux, ministre de la justice, d’une réclamation » ;

Considérant qu’il résulte de l'instruction que M. G... était titulaire d’un mandat de représentation du personnel au sein de la société ICI Paints Deco France (ICI PDF) ; que l’inspecteur du travail et le ministre du travail ont refusé d’autoriser son licenciement pour motif économique par des décisions des 13 février et 27 mars 2007 ; que la demande de l’employeur tendant à l’annulation de ces décisions a été rejetée par un jugement du tribunal administratif de Marseille du 29 octobre 2007 et par un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 24 janvier 2012 ; que, M. G... ayant parallèlement demandé au conseil de prud’hommes de Marseille, le 30 octobre 2007, de prononcer la résiliation de son contrat de travail aux torts de l’employeur et de condamner celui-ci à lui verser diverses indemnités et ayant été licencié pour faute lourde le 1er septembre 2008, le conseil de prud’hommes s’est prononcé par un jugement du 1er décembre 2009 ; que, saisie tant par le salarié que par l’employeur, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, après avoir décidé de surseoir à statuer dans l’attente de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille mentionné ci-dessus, a, par un arrêt du 26 juillet 2012, ordonné la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. G... et fait droit à une partie de ses demandes indemnitaires ; qu’après que la cour de cassation eut partiellement cassé cet arrêt par une décision du 27 novembre 2013, la cour d’appel de Montpellier a statué sur renvoi par un arrêt du 12 novembre 2014 ; que ce dernier arrêt a fait l’objet d’une cassation partielle par une décision de la Cour de cassation du 22 juin 2016 ; qu’alors que l’affaire était pendante devant la cour d'appel de Nîmes, à laquelle elle avait été renvoyée, une transaction est intervenue entre M. G... et son employeur le 14 avril 2017 ;

Sur la compétence du Tribunal et la régularité de sa saisine :

Considérant que M. G... recherche la responsabilité de l’Etat à raison de la durée, selon lui excessive, des procédures juridictionnelles mentionnées ci-dessus ;

Considérant que les dispositions précitées de l’article 16 de la loi du 24 mai 1872 donnent compétence au seul Tribunal des conflits pour connaître des actions engagées aux fins de réparation des préjudices résultant d’une durée excessive des procédures juridictionnelles non seulement lorsque les parties ont saisi successivement les deux ordres de juridiction, du fait d’une difficulté pour identifier l’ordre de juridiction compétent, le cas échéant tranchée par le Tribunal, mais aussi lorsque le litige a dû être porté devant des juridictions des deux ordres en raison des règles qui gouvernent la répartition des compétences entre eux ;

Considérant que si M. G... a saisi le tribunal de grande instance de Marseille, c’est à bon droit que le juge de la mise en état de ce tribunal s’est déclaré incompétent par une ordonnance du 15 janvier 2019 ; qu’en effet, les procédures mentionnées ci-dessus concernent un même litige entre l’employeur et son salarié, relatif à la rupture du contrat de travail de ce dernier, ayant donné lieu à des instances devant les deux ordres de juridiction, la juridiction administrative étant seule compétente pour connaître de la contestation relative à l’autorisation administrative de licenciement et la juridiction judiciaire seule compétente pour connaître des demandes de résiliation du contrat de travail et d’indemnisation de M. G... ;

Considérant que si le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Marseille a, par son ordonnance du 15 janvier 2019, transmis au Tribunal la demande de M. G..., il n’appartenait cependant qu’à celui-ci, conformément aux dispositions précitées de l’article 43 du décret du 27 février 2015, de saisir le garde des sceaux, ministre de la justice, d’une demande préalable et de saisir ensuite, le cas échéant, le Tribunal de sa demande, par un mémoire qui, en vertu de l’article 5 du même décret, devait être présenté par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ; qu’invité par le Tribunal à régulariser la procédure, M. G... a saisi le ministre de la justice le 19 juillet 2019 d’une demande tendant à ce qu’une indemnité de 50 000 euros lui soit versée ; que le ministre n’a pas répondu à cette demande ; que le Tribunal est dès lors régulièrement saisi par le mémoire présenté pour M. G... le 25 juillet 2019 ;

Sur la demande de M. G... :

Considérant que le caractère excessif du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier en tenant compte des spécificités de chaque affaire et en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement des procédures et le comportement des parties tout au long de celles-ci, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir, pour l’une ou l’autre partie au litige, à ce que celui-ci soit tranché rapidement ;

Considérant que la durée totale des procédures mentionnées ci-dessus depuis la saisine par M. G... du conseil de prud’hommes de Marseille le 30 octobre 2007 jusqu’au 14 avril 2017, qui est de près de neuf ans et demi, doit être regardée, en l’espèce, comme excessive ; que, par suite, la responsabilité de l’Etat est engagée ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que la durée excessive des procédures contentieuses a occasionné pour M. G... un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès ; que, dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l’Etat à verser à M. G... une indemnité de 4000 euros ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3500 euros à verser à M. G... au titre de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;

D E C I D E :

Article 1er :

L'Etat est condamné à verser à M. G... une indemnité de 4000 euros.

Article 2 :

L'Etat versera à M. G... la somme de 3500 euros au titre de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : M. Ménéménis - Avocat général : M. Liffran (Rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; Me Occhipinti -

Textes visés :

Article 16 de la loi du 24 mai 1872 ; loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015.

Rapprochement(s) :

En sens contraire : Tribunal des conflits, 8 juillet 2013, n° 3904, Bull. 2013, T. conflits, n° 15.

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