Numéro 12 - Décembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2019

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 12 décembre 2019, n° 18-23.784, (P)

Cassation

Domaine d'application – Convention d'occupation précaire – Eléments constitutifs – Cause objective de précarité faisant obstacle à la conclusion ou à l'exécution d'un bail commercial

Seule une cause objective de précarité, faisant obstacle à la conclusion ou à l'exécution d'un bail commercial, justifie le recours à une convention d'occupation précaire.

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :

Vu l' article L. 145-5 du code de commerce, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 14 juin 2018), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 7 juillet 2015, pourvoi n° 14-11.644), que M. L..., aux droits duquel se trouve la société Le Criquet, a consenti à la société Les Arcades le renouvellement d'un bail commercial à effet du 1er janvier 2005 ; qu'un accord du 29 juin 2007 a prévu la rupture anticipée du bail à effet du 31 décembre 2007 et autorisé la société Les Arcades à se maintenir dans les lieux à compter du 1er janvier 2008 pour une durée de vingt-trois mois afin de favoriser la cession, par le preneur, de son fonds de commerce ou de son droit au bail ; que, le 18 octobre 2010, la société Le Criquet a assigné en expulsion la société Les Arcades, qui, demeurée dans les lieux, a sollicité que le bénéfice d'un bail commercial lui soit reconnu ;

Attendu que, pour accueillir les demandes de la société Le Criquet, l'arrêt retient que l'accord exclut explicitement les dispositions des articles L. 145 et suivants du code de commerce et que les parties ont entendu limiter à vingt-trois mois l'occupation des locaux par la locataire dans l'attente de la cession de son fonds de commerce ou de son droit au bail, événement incertain et extérieur à la volonté des parties puisqu'impliquant l'intervention d'un tiers se portant acquéreur du fonds et qui en constituait le terme dans la limite maximale fixée et le motif légitime de précarité ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté, d'une part, que le projet de cession portait sur le fonds de commerce de la locataire ou son droit au bail, ce qui excluait l'existence d'une cause objective de précarité de l'occupation des lieux faisant obstacle à la conclusion ou à l'exécution d'un bail commercial et justifiant le recours à une convention d‘occupation précaire et, d'autre part, qu'au-delà du terme prévu à la convention qui dérogeait aux dispositions statutaires, la locataire était restée dans les lieux sans que le bailleur n'eût manifesté son opposition, ce dont il résultait qu'il s'était opéré un nouveau bail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les première et quatrième branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Lévis -

Textes visés :

Article L. 145-5 du code de commerce, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de caractériser l'existence de circonstances particulières dans le domaine des baux commerciaux, à rapprocher : 3e Civ., 29 avril 2009, pourvoi n° 08-13.308, Bull. 2009, III, n° 89 (rejet), et l'arrêt cité.

3e Civ., 19 décembre 2019, n° 18-26.162, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Indemnité d'éviction – Paiement – Charge – Bailleur usufruitier – Démembrement de propriété du bien loué – Cas

En cas de démembrement de la propriété, l'indemnité d'éviction n'est due que par l'usufruitier qui a, seul, la qualité de bailleur.

Sur le premier moyen :

Vu l'article 595, alinéa 4, du code civil, ensemble l'article L. 145-14 du code du commerce ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 octobre 2018), que, le 5 mars 2004, Mme X... veuve V..., usufruitière, et Mme D..., nue-propriétaire, d'un immeuble à usage commercial, ont délivré à M. et Mme T..., preneurs, un refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction, lequel, par arrêt du 20 février 2008, a été déclaré sans motif grave et légitime ;

Attendu que, pour condamner in solidum Mmes X... veuve V... et D... à payer l'indemnité d'éviction due aux preneurs, l'arrêt retient que Mme V... et Mme D..., laquelle a la qualité de bailleur, ayant, ensemble, fait délivrer un refus de renouvellement, sont toutes les deux redevables de l'indemnité d'éviction dès lors que l'acte de refus de renouvellement excède les pouvoirs du seul usufruitier ;

Attendu qu'en cas de démembrement de propriété, l'usufruitier, qui a la jouissance du bien, ne peut, en application de l'article 595, dernier alinéa, du code civil, consentir un bail commercial ou le renouveler sans le concours du nu-propriétaire (3e Civ., 24 mars 1999, pourvoi n° 97-16.856, Bull. 1999, III, n° 78) ou, à défaut d'accord de ce dernier, qu'avec une autorisation judiciaire, en raison du droit au renouvellement du bail dont bénéficie le preneur même après l'extinction de l'usufruit ;

Qu'en revanche, l'usufruitier a le pouvoir de mettre fin au bail commercial et, par suite, de notifier au preneur, sans le concours du nu-propriétaire, un congé avec refus de renouvellement (3e Civ., 29 janvier 1974, pourvoi n° 72-13.968, Bull. 1974, III, n° 48) ;

Qu'ayant, seul, la qualité de bailleur dont il assume toutes les obligations à l'égard du preneur, l'indemnité d'éviction due en application de l'article L. 145-14 du code de commerce, qui a pour objet de compenser le préjudice causé au preneur par le défaut de renouvellement du bail, est à sa charge ;

Qu'en condamnant la nue-propriétaire, in solidum avec l'usufruitière, alors que l'indemnité d'éviction n'était due que par celle-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen qui est subsidiaire :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum Mmes X... veuve V... et D... à payer à M. et Mme T... la somme de 134 250 euros à titre d'indemnité principale d'éviction, condamne Mme D... aux dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire ainsi qu'à payer à M. et Mme T... la somme de 3 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel, l'arrêt rendu le 3 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi de ces chefs.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Corbel - Avocat général : Mme Valdès-Boulouque (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Richard -

Textes visés :

Article 595, alinéa 4, du code civil ; article L. 145-14 du code de commerce.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.