Numéro 12 - Décembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2018

TESTAMENT

1re Civ., 5 décembre 2018, n° 17-17.493, (P)

Rejet

Interprétation – Volonté du testateur – Existence de testaments-partages – Cas – Testaments successifs compatibles entre eux assortis de libéralités en faveur de certains héritiers établis par des époux

Les juges du fond interprètent souverainement la volonté du testateur. Ils peuvent déduire de l'appréciation globale de testaments successifs compatibles entre eux, seraient-ils assortis de libéralités en faveur de certains de leurs héritiers, établis par chacun des époux, l'existence de testaments-partages.

Toutefois, si les ascendants peuvent partager, par anticipation, leur succession, cette faculté est limitée aux biens dont chacun d'eux a la propriété et la libre disposition. Elle ne peut être étendue aux biens communs ni aux biens propres de leur conjoint. Et les dispositions de l'article 1423 du code civil ne peuvent s'appliquer qu'aux légataires et non aux héritiers, dont les parts doivent être déterminées au moment du décès de leur ascendant et ne sauraient être subordonnées au résultat futur et incertain du partage ultérieur de la communauté.

Après avoir retenu que des testaments-partages établis en termes identiques par des époux portaient sur la totalité des biens dépendant de la communauté et, s'agissant de ceux de l'époux, sur des biens immobiliers appartenant en propre à son épouse, une cour d'appel en a exactement déduit que ces actes étaient nuls dans leur totalité.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 2 mars 2017), que Christian X... et Annette F..., mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, sont décédés respectivement le [...] et le [...], laissant pour leur succéder leurs quatre enfants, B..., A..., Y... et L... ; qu'Annette F... a rédigé quatre testaments datés des 12 novembre 1992, 27 février 1996, 3 février 1999 et 30 septembre 2003 et Christian X... trois testaments portant les mêmes dates que les trois derniers de son épouse et comportant un contenu identique ; que ces différents testaments contiennent un partage des biens propres et communs des testateurs ainsi que des legs au bénéfice de Sébastien X..., fils de B..., et de Y... et L... ; que ces deux derniers ont assigné leurs co-héritiers en délivrance des legs contenus dans les derniers testaments de leurs parents ; que MM. A..., B... et Sébastien X... ont invoqué la nullité de tous les testaments en ce que, notamment, ils incluaient des biens communs et, pour ceux de Christian X..., des biens propres de son épouse ;

Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi principal, pris en leurs premières branches, et les premier et deuxième moyens du pourvoi incident, pris en leurs premières branches, rédigés en termes identiques, réunis :

Attendu que M. L... X... et Mme Y... X... font grief à l'arrêt d'annuler les testaments olographes de Christian X... des 27 février 1996, 3 février 1999 et 30 septembre 2003 et les testaments olographes d'Annette F... des 12 novembre 1992, 27 février 1996, 3 février 1999 et 30 septembre 2003 et, en conséquence, de rejeter leurs demandes d'octroi de la moitié de la quotité disponible de la succession de chacun de leurs parents, alors, selon le moyen :

1°/ que le testament-partage est une libéralité qui opère distribution et partage des biens et droits d'une personne entre ses héritiers présomptifs ; que la volonté manifeste d'avantager un ou plusieurs héritiers présomptifs exclut la qualification de testament-partage ; qu'en qualifiant le testament du 30 septembre 2003, par lequel Christian X... léguait à Y... et L... « la quotité disponible en toute propriété de tous les biens meubles ou immeubles », sans rechercher si l'absence de legs d'une fraction de quotité disponible à MM. B... et A... X... ne manifestait pas une volonté claire d'avantager Mme Y... et M. L... X..., et donc de leur consentir un legs préciputaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1075 et 1423 du code civil ;

2°/ que le testament-partage est une libéralité qui opère distribution et partage des biens et droits d'une personne entre ses héritiers présomptifs ; que la volonté manifeste d'avantager un ou plusieurs héritiers présomptifs exclut la qualification de testament-partage ; qu'en qualifiant le testament du 30 septembre 2003 par lequel Annette F... léguait à Y... et L... « la quotité disponible en toute propriété de tous les biens meubles ou immeubles » sans rechercher si l'absence de legs d'une fraction de quotité disponible à MM. B... et A... X... ne manifestait pas une volonté claire d'avantager Mme Y... et M. L... X... et donc de leur consentir un legs préciputaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1075 et 1423 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé qu'aux termes des articles 1035 et 1036 du code civil, les testaments ne peuvent être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur et que les testaments postérieurs qui ne révoquent pas d'une manière expresse les précédents, n'annulent dans ceux-ci que celles des dispositions qui se trouvent incompatibles avec les nouvelles ou qui sont contraires, et constaté qu'Annette F... et Christian X... avaient rédigé chacun trois testaments portant les mêmes dates au contenu strictement identique, l'arrêt relève que par les testaments du 27 février 1996, ils ont voulu opérer un partage entre leurs quatre enfants, qui, d'une part, portait sur l'ensemble de leurs biens meubles et immeubles, d'autre part, revêtait un caractère d'autorité spécialement manifesté, dans le dessein d'imposer le partage, par la suppression de la disposition « Tout cela, sauf accord entre vous » qui figurait dans le premier testament d'Annette F... du 12 novembre 1992, que le caractère révocatoire des deux testaments du 3 février 1999 est clairement limité à l'un des biens immobiliers de [...], qu'enfin, les deux testaments du 30 septembre 2003, qui ne comportent aucune mention révocatoire expresse, ne portent que sur le legs de la quotité disponible à L... et Y..., sans remettre en cause les allotissements entre les quatre héritiers ni la répartition des biens et droits précédemment effectués et confirment au contraire les attributions immobilières précédentes à ces deux enfants ; que, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation de la volonté des testateurs telle qu'elle ressortait de l'appréciation globale des actes de disposition non incompatibles entre eux, au moins pour partie, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu en déduire que le partage d'ascendants opéré par les défunts sur la totalité de leurs patrimoines propre et commun, fût-il en dernier lieu assorti de libéralités en faveur de deux de leurs enfants, résultait de testaments-partages ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxièmes branches des premier et deuxième moyens du pourvoi principal et du pourvoi incident, cinquièmes branches des premier et deuxième moyens du pourvoi principal et sixièmes branches des premier et deuxième moyens du pourvoi incident, sixièmes branches des premier et deuxième moyens du pourvoi principal et septièmes branches des premier et deuxième moyens du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, septième branche du deuxième moyen du pourvoi principal, huitième et neuvième branches du deuxième moyen du pourvoi incident, réunis :

Attendu que M. L... X... et Mme Y... X... font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que le disposant peut inclure dans un testament-partage des biens dépendant de la communauté tant que celle-ci n'est pas dissoute ; qu'à supposer que le testament du 30 septembre 2003 puisse être qualifié de testament-partage, les dispositions de l'article 1423 n'étaient pas inapplicables du seul fait que le testament-partage bénéficiait à des héritiers présomptifs ; qu'en jugeant nul le testament du 30 septembre 2003 par lequel M. Christian X... léguait à Y... et L... « la quotité disponible en toute propriété de tous les biens meubles ou immeubles » qui composent sa succession, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1423 du code civil ;

2°/ que le disposant peut inclure dans un testament-partage des biens dépendant de la communauté tant que celle-ci n'est pas dissoute ; qu'à supposer que le testament du 30 septembre 2003 puisse être qualifié de testament-partage, les dispositions de l'article 1423 n'étaient pas inapplicables du seul fait que le testament-partage bénéficiait à des héritiers présomptifs ; qu'en jugeant nul le testament du 30 septembre 2003 par lequel Annette F... léguait à Y... et L... « la quotité disponible en toute propriété de tous les biens meubles ou immeubles » qui composent sa succession, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1423 du code civil ;

3°/ que le legs d'un bien commun ne porte pas sur la chose d'autrui ; qu'en jugeant, dans ces circonstances, que « la faculté accordée par l'article 1075 du code civil aux ascendants de faire, par anticipation, le partage de leur succession, est limitée aux biens dont chacun a la propriété et la libre disposition, sans pouvoir être étendu aux biens communs » et qu'en conséquence, « les testaments-partages sus analysés, rédigés les mêmes jours en termes identiques par chacun des testateurs mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, ne pouvaient donc porter, comme c'est précisément le cas en l'espèce, sur la totalité des biens dépendant de leur communauté », la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 1075 et 1021 du code civil ;

4°/ qu'un bien dépendant de la communauté peut être légué en vertu de deux testaments distincts rédigés par chacun des époux en des termes identiques et qui désignent comme attributaire une même personne ; qu'en jugeant, dans ces circonstances, que « la faculté accordée par l'article 1075 du code civil aux ascendants de faire, par anticipation, le partage de leur succession, est limitée aux biens dont chacun a la propriété et la libre disposition, sans pouvoir être étendu aux biens communs » et qu'en conséquence, « les testaments-partages sus analysés, rédigés les mêmes jours en termes identiques par chacun des testateurs mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, ne pouvaient donc porter, comme c'est précisément le cas en l'espèce, sur la totalité des biens dépendant de leur communauté », la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 1075 et 1021 du code civil ;

5°/ qu'un époux commun en biens peut léguer seul un bien qui lui est propre ; qu'en prononçant la nullité des testaments sans préciser quelle cause de nullité pouvait affecter la stipulation par laquelle Annette F... avait légué à M. L... X... la maison dite « [...] » et sise [...], qui lui appartenait en propre, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1075 et 1021 du code civil ;

6°/ qu'à la supposer acquise, la nullité du legs de la chose d'autrui n'emporte pas nullité du testament qui le contient, dont les autres stipulations restent efficaces ; qu'en jugeant, par motifs adoptés, que « la nullité des testaments entraîne nécessairement la nullité de tous les legs particuliers qui y figuraient », quand il n'était pas contesté que le legs de l'appartement des Sables d'Or consenti à Mme Y... X... par sa mère portait sur un bien qui appartenait en propre à cette dernière, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1021 du code civil ;

7°/ qu'un époux commun en biens peut léguer seul un bien qui lui est propre ; qu'en prononçant la nullité des testaments sans préciser quelle cause de nullité pouvait affecter la stipulation par laquelle Annette F... avait légué à Mme Y... X... l'appartement des « Sables d'Or » sis [...], qui lui appartenait en propre, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1075 et 1021 du code civil ;

Mais attendu, d'abord, que si les ascendants peuvent partager, par anticipation, leur succession, cette faculté est limitée aux biens dont chacun d'eux a la propriété et la libre disposition et ne peut être étendue aux biens communs ni aux biens propres de leur époux ; qu'ensuite, les dispositions de l'article 1423 du code civil ne peuvent s'appliquer qu'aux légataires et non aux héritiers, dont les parts doivent être déterminées au moment même du décès de l'ascendant et ne sauraient être subordonnées au résultat futur et incertain du partage ultérieur de la communauté ;

Et attendu qu'après avoir retenu que les actes litigieux s'analysaient en des testaments-partages et constaté que ceux-ci portaient sur la totalité des biens dépendant de la communauté, outre, s'agissant des testaments de Christian X..., sur des biens immobiliers appartenant en propre à son épouse, la cour d'appel en a exactement déduit que ces actes étaient entachés de nullité en leur totalité ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur les troisième, quatrième et septième branches du premier moyen, troisième et quatrième branches du deuxième moyen, troisième et cinquième moyens du pourvoi principal, et les troisième, quatrième, cinquième, huitième branches du premier moyen, troisième, quatrième, cinquième branches du deuxième moyen et le troisième moyen du pourvoi incident, ci-après annexés :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu que, le deuxième moyen étant rejeté, le quatrième moyen, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est devenu sans objet ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Reygner - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles 1035, 1036, 1075 et 1423 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur les biens pouvant faire l'objet d'un testament-partage, à rapprocher : 1re Civ., 16 mai 2000, pourvoi n° 97-20.839, Bull. 2000, I, n° 149 (cassation) ; 1re Civ., 9 décembre 2009, pourvoi n° 08-18.677, Bull. 2009, I, n° 248 (1) (cassation partielle), et l'arrêt cité. Sur la non-applicabilité de l'article 1423 du code civil aux héritiers, à rapprocher : 1re Civ., 6 mars 2001, pourvoi n° 99-11.308, Bull. 2001, I, n° 53 (rejet), et l'arrêt cité.

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