Numéro 12 - Décembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2018

Partie III - Décisions du Tribunal des conflits

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 10 décembre 2018, n° 18-04.143, (P)

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Litige relatif à un contrat administratif – Clause attributive de compétence à la juridiction judiciaire – Absence d'influence

Le juge administratif est seul compétent pour connaître d'un litige né de la résiliation d'un contrat administratif, alors même que les parties ont entendu convenir d'une attribution de compétence au profit du juge judiciaire.

Vu l'expédition de l'arrêt du 5 juillet 2018 par lequel la cour d'appel d'Aix-en-Provence, saisie de demandes du syndicat mixte pour l'aménagement et l’exploitation de la station d'Isola 2000 et de la société d’aménagement d’Isola 2000 (SAI) tendant à l'annulation du jugement du 22 juin 2017 par lequel le juge de l'expropriation des Alpes-Maritimes, saisi par la SAI, s’est déclaré incompétent pour procéder à l'évaluation de la plus-value apportée à des terrains que la SAI devait restituer à la commune d'Isola en application de l'article 20 de la convention du 2 juillet 1992 par laquelle le syndicat mixte lui a confié l'aménagement et l'exploitation de la station d'Isola 2000, a renvoyé au Tribunal, par application de l’article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l'arrêt du 7 juillet 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a jugé qu’il appartenait à la partie la plus diligente de saisir le juge de l’expropriation afin qu’il fixe le montant de la plus-value en litige ;

Vu le mémoire présenté pour le syndicat mixte pour l'aménagement et l’exploitation de la station d’Isola 2000, tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente et à ce qu’une somme de 3000 euros soit mise à la charge de la SAI 2000 sur le fondement des dispositions de l’article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, par le motif que le litige porte sur un transfert de propriété privée ;

Vu le mémoire présenté par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel pour la société d'aménagement d'Isola 2000 (SAI), tendant à ce que le juge de l’expropriation soit déclaré compétent par le motif que cette compétence trouve son origine dans les dispositions de l’article L. 300-5 du code de l'urbanisme ;

Vu le mémoire présenté pour la commune d'Isola, tendant à ce que le juge de l'expropriation soit déclaré compétent par le motif que le litige porte sur un transfert de propriété privée et que la compétence du juge judiciaire trouve son origine dans les dispositions du code de l'urbanisme et dans les stipulations de l'article 20 de la convention du 2 juillet 1992 ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée au ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l’économie, qui n'ont pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de l'expropriation pour cause d’utilité publique ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Considérant que, le 2 juillet 1992, une convention d'aménagement a été conclue pour l’aménagement de la station d’Isola 2000 entre le syndicat mixte pour l'aménagement et l’exploitation de la station d’Isola 2000 et la société anonyme pour l’aménagement de la station Isola 2000 (SAPSI), à laquelle a succédé la société d'aménagement d'Isola 2000 (SAI) ; que cette convention comportait un article 20 qui prévoyait qu’en cas de résiliation à la demande du syndicat mixte, le syndicat pourrait demander à son cocontractant de restituer les terrains que la commune d'Isola avait cédés à la SAPSI quand elle avait conclu avec elle une première convention d'aménagement et dont la SAI serait encore propriétaire, en contrepartie d'une indemnité qui, pour les terrains sur lesquels des travaux auraient été réalisés, prendrait en compte une plus-value dont le montant serait estimé par le service des domaines et, « à défaut d’accord amiable sur cette base », serait fixé « comme en matière d'expropriation, la juridiction compétente étant saisie par la partie la plus diligente » ;

Considérant que la convention d'aménagement a été résiliée par le syndicat mixte le 6 mars 2001 ; qu’un litige étant né entre le syndicat mixte et la SAI à la suite de cette résiliation et le tribunal administratif de Nice ayant, par un jugement du 9 mars 2012, enjoint à la société de restituer les terrains que réclamait le syndicat mixte, la cour administrative d’appel de Marseille, saisie d’un appel contre ce jugement, a notamment enjoint au syndicat mixte, par un arrêt du 7 juillet 2014 devenu définitif sur ce point, de saisir le service des domaines pour l’évaluation de la plus-value à prendre en compte pour calculer l'indemnisation due à la société au titre de terrains sur lesquels des travaux avaient été réalisés ; qu’elle a en outre précisé que, à défaut d’accord sur l'évaluation proposée par le service des domaines, « la partie la plus diligente doit saisir le juge de l'expropriation » ; que le service des domaines, saisi par le syndicat mixte, n'ayant pas répondu, la SAI a demandé au juge de l'expropriation des Alpes-Maritimes de fixer la plus-value litigieuse ; que, par un jugement du 22 juin 2017, ce juge s'est déclaré incompétent ; que, par un arrêt du 5 juillet 2018, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, estimant à son tour que le juge de l'expropriation était incompétent, a renvoyé au Tribunal le soin de décider sur la question de compétence ;

Considérant que la convention qui liait la SAI et le syndicat mixte et qui a été résiliée par ce dernier était un contrat administratif ; que le litige porte sur les conditions dans lesquelles la SAI doit, en application de l’article 20 du contrat, être indemnisée ; qu’alors même que les parties auraient entendu, par les stipulations mentionnées ci-dessus, convenir d'une attribution de compétence au profit du juge judiciaire et dès lors, par ailleurs, que, contrairement à ce que soutiennent les parties, il ne résulte d’aucune disposition législative que la compétence devrait être attribuée à la juridiction judiciaire, le juge administratif est seul compétent pour connaître d'un tel litige, y compris pour fixer le montant de la plus value à prendre en compte au titre des terrains restitués sur lesquels des travaux ont été réalisés ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu’il appartient à la juridiction administrative de connaître du litige ;

Considérant qu'il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAI la somme que demande le syndicat mixte au titre des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant le syndicat mixte pour l'aménagement et l’exploitation de la station d'Isola 2000 à la société d'aménagement d’Isola 2000.

Article 2 :

L'arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 7 juillet 2014 est déclaré nul et non avenu en tant qu’il juge que, en cas de désaccord sur l’évaluation de la plus-value à prendre en compte au titre des terrains restitués par la SAI sur lesquels des travaux ont été réalisés pour le calcul de l’indemnisation de la société, la partie la plus diligente doit saisir le juge de l’expropriation.

La cause et les parties sont renvoyées devant cette cour.

Article 3 :

La procédure suivie devant la cour d'appel d’Aix-en-Provence est déclarée nulle et non avenue, à l'exception de l'arrêt rendu le 5 juillet 2018.

Article 4 :

Les conclusions présentées par le syndicat mixte pour l'aménagement et l'exploitation de la station d'Isola 2000 au titre des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10juillet 1991 sont rejetées.

- Président : M. Maunand - Rapporteur : M. Ménéménis - Avocat général : M. Liffran (Rapporteur public) - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; loi du 24 mai 1872 ; décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ; code de l'urbanisme ; code de l'expropriation ; loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité de déroger, via une clause attributive de compétence, aux règles d'ordre public de répartition de compétence entre les deux ordres de juridiction, à rapprocher : Tribunal des conflits, 2 mars 2009, n° 3656, Bull. 2009, T. conflits, n° 2, et l'arrêt cité. Sur l'impossibilité de déroger, via une clause attributive de compétence, aux règles d'ordre public de répartition de compétence entre les deux ordres de juridiction, cf. : 1re Civ., 22 janvier 1991, pourvoi n° 89-14.757, Bull. 1991, I, n° 32 (rejet) ; CE, 18 mars 2005, n° 265143, mentionné aux tables du Recueil Lebon.

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