Numéro 12 - Décembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2018

PRESSE

1re Civ., 12 décembre 2018, n° 17-31.758, (P)

Cassation

Liberté d'expression – Dénigrement – Défaut de vérification des faits portés par l'éditeur à la connaissance du public – Diffusion d'une information inexacte et dénigrante sur un produit – Responsabilité de l'éditeur

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la publication, par l'une, de propos de nature à jeter le discrédit sur un produit fabriqué ou commercialisé par l'autre, peut constituer un acte de dénigrement, sans que la caractérisation d'une telle faute exige la constatation d'un élément intentionnel ; que, cependant, lorsque les appréciations portées sur un produit concernent un sujet d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, leur divulgation relève du droit à la liberté d'expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu'elles soient exprimées avec une certaine mesure ; qu'en revanche, l'éditeur de presse, tenu de fournir des informations fiables et précises, doit procéder à la vérification des faits qu'il porte lui-même à la connaissance du public ; qu'à défaut, la diffusion d'une information inexacte et dénigrante sur un produit est de nature à engager sa responsabilité ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Editions périodiques du Midi, aux droits de laquelle vient la société Terre de vins, a publié, dans le numéro de novembre/décembre 2012 de la revue « Terre de vins », un article intitulé « [...] épinglé », rédigé en ces termes :

« B... A..., dégustateur spécialisé dans les grands crus bordelais, a sorti l'artillerie lourde à l'issue de la dégustation qui a eu lieu, en public et à l'aveugle, le 3 septembre dernier, en Suisse, et au cours de laquelle, sur 12 millésimes, [...] ([...]) l'a emporté sept fois et a conquis le public. (Les vins achetés en primeurs provenaient de la même cave.) « Une fois encore, le millésime 2000 a montré sa faiblesse et un écart de qualité entre bouteilles, analyse B... A... dans sa lettre ([...]).

Les performances très décevantes des [...] (Saint-Julien) 2009, 2008, 2005, interrogent et inquiètent.

Le nouveau style se cherche et manque de définition. Ces variations donnent une impression de cafouillage choquant dans une aussi belle marque.

L'héritage est-il trop lourd à porter ? [...] Pour l'instant je ne vois aucun intérêt pour les amateurs à posséder ce vin dans sa cave. » C'est dit ! Pour les non initiés, [...] appartient à François-Xavier X..., qui n'est autre que le frère du propriétaire de [...]... Bruno X... (en photo). Si d'aucuns confondaient les deux frères, les lecteurs de B... A... savent désormais à quoi s'en tenir... » ;

Attendu que, soutenant qu'en sa première phrase, cet article affirmait faussement que, lors d'une dégustation, [...] l'aurait emporté sept fois sur [...], et reprochant à la société éditrice de ne pas avoir procédé à la vérification de cette information, la société X..., propriétaire du Château [...], l'a assignée en dénigrement pour obtenir l'indemnisation de son préjudice, ainsi que la publication de la décision à intervenir ; que la société Terre de vins a appelé en garantie la société B... A... ;

Attendu que, pour rejeter les demandes de la société Jean Eugène X..., après avoir relevé que les propos contenus dans l'article litigieux étaient de nature à porter atteinte à la réputation du vin Château [...], l'arrêt retient que la société Terre de vins n'avait aucun devoir de vérification de la qualité ni même de l'exactitude de la chronique dont M. A... est l'auteur, dès lors qu'il est admis que celui-ci est un critique en oenologie reconnu dans le milieu averti des lecteurs de cette revue spécialisée et que l'éditeur n'avait pas connaissance de l'erreur matérielle résultant de l'inversion de notes attribuées aux bouteilles de la dégustation ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, si les appréciations portées par M. A..., au demeurant non incriminées, ne faisaient qu'exprimer son opinion et relevaient, par suite, du droit de libre critique, il incombait à la société Terre de vins, en sa qualité d'éditeur de presse, de procéder à la vérification des éléments factuels qu'elle portait elle-même à la connaissance du public et qui avaient un caractère dénigrant, la cour d'appel a violé le premier des textes susvisés ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société B... A..., dont la présence est nécessaire devant la juridiction de renvoi ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société B... A....

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer ; SCP Bénabent ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1382, devenu 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 8 avril 2004, pourvoi n° 02-17.588, Bull. 2004, II, n° 182 (rejet) ; 1re Civ., 5 juillet 2006, pourvoi n° 05-16.614, Bull. 2006, I, n° 356 (rejet).

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