Numéro 12 - Décembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2018

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE

3e Civ., 6 décembre 2018, n° 17-24.312, (P)

Cassation partielle

Indemnité – Appel – Mémoire – Dépôt et notification – Délai de deux mois – Mémoire complémentaire postérieure à ce délai – Eléments complémentaires faisant suite au dépôt d'un rapport d'expertise judiciaire – Recevabilité – Condition

Un mémoire récapitulatif comportant des éléments complémentaires faisant suite au dépôt d'un rapport d'expertise judiciaire et répliquant au mémoire adverse, une cour d'appel, tenant compte de l'évolution du litige, n'a pas à rechercher si ce mémoire récapitulatif a été déposé après l'expiration du délai prévu à l'article R. 13-49 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Indemnité – Préjudice – Préjudice direct – Exclusion – Cas – Préjudice résultant de l'implantation de l'ouvrage public – Dépréciation du surplus

Viole les dispositions de l'article L. 13-13, devenu L. 321-1, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique une cour d'appel qui alloue une indemnité pour dépréciation du surplus en réparation d'un préjudice qui résulte de l'implantation de l'ouvrage public et n'est pas la conséquence directe de l'emprise.

Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 12 novembre 2009 et 29 juin 2017), que la Régie autonome des transports parisiens (la RATP) a poursuivi l'expropriation d'une partie du tréfonds d'une parcelle ayant appartenu à Claude X... et Marianne Y... ; qu'après expertise, la cour d'appel a fixé l'indemnité de dépossession et l'indemnité de remploi revenant à MM. Philippe, Xavier et Hugo Y..., Mme Anaïs Y... et Mmes Françoise et Christine X... (les consorts X... et Y...), venant aux droits de Claude X... et Marianne Y..., décédés en cours d'instance, et a sursis à statuer sur le montant de l'indemnité pour dépréciation du surplus ;

Sur le pourvoi principal, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2009 :

Vu l'article 978, alinéa 1, du code de procédure civile ;

Attendu que la déclaration de pourvoi formée le 29 août 2017 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2009 par la cour d'appel de Paris n'a pas été suivie du dépôt au secrétariat-greffe de la Cour de cassation, dans le délai prévu par le texte susvisé, d'un mémoire contenant l'énoncé des moyens invoqués à l'encontre de la décision attaquée ; qu'il s'ensuit que la déchéance du pourvoi est encourue ;

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi principal :

Attendu que la RATP fait grief à l'arrêt du 29 juin 2017 de statuer au visa des mémoires complémentaires des appelants, alors, selon le moyen, qu'est irrecevable le mémoire complémentaire déposé postérieurement à l'expiration du délai réglementaire, qui comporte des demandes ou pièces nouvelles, qu'en ne recherchant pas, fût-ce d'office, si les mémoires complémentaires des consorts X... Y... des 16 février et 26 avril 2017 comportaient des demandes et pièces nouvelles, de sorte qu'ils devaient être écartés comme irrecevables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article R. 13-49 du code de l'expropriation ;

Mais attendu que, ses constatations faisant ressortir que les mémoires récapitulatifs déposés par les expropriés les 16 février et 26 avril 2017 comportaient des éléments complémentaires faisant suite au dépôt du rapport d'expertise et en réplique au mémoire de la RATP, la cour d'appel, qui a tenu compte de l'évolution du litige et qui n'avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal :

Attendu que la RATP fait grief à l'arrêt du 29 juin 2017 de fixer comme il le fait l'indemnité de dépossession et l'indemnité de remploi, alors, selon le moyen, que les indemnités allouées par le juge de l'expropriation couvrent l'intégralité du préjudice qui résulte directement de l'expropriation ; que les dommages qui résultent de la construction d'un ouvrage public sur un bien exproprié ne résultant pas directement de l'expropriation, ils ne peuvent être réparés par le juge de l'expropriation et doivent l'être par le seul juge administratif ; qu'en retenant comme pertinente une méthode d'évaluation qui faisait dépendre le montant de l'indemnité d'expropriation du tréfonds de l'implantation future d'un ouvrage public, la cour d'appel a violé l'article L. 13-13 devenu L. 321-1 du code de l'expropriation ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui ne s'est pas référée à la présence de l'ouvrage public, mais aux caractéristiques et à la situation du terrain, à la qualité du sol et à la profondeur de la nappe d'eau souterraine, a souverainement choisi la méthode d'évaluation du tréfonds lui paraissant la mieux appropriée au bien en cause ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches, le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexés :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le quatrième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article L. 13-13, devenu L. 321-1, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Attendu que les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ;

Attendu que, pour dire que l'indemnité pour dépréciation du surplus du terrain est égale au surcoût imposé par la présence du tunnel à la construction d'un immeuble de deux niveaux de sous-sols et surseoir à statuer sur la fixation de cette indemnité jusqu'à la réalisation du projet de construction des consorts X... et Y..., l'arrêt du 29 juin 2017 retient que la présence du tunnel de la RATP impose des travaux supplémentaires pour une telle construction et se réfère à l'augmentation du coût de la construction due à la réalisation de fondations spéciales devant s'ancrer de part et d'autre du tunnel à un niveau inférieur à celui-ci et à la réalisation de dispositifs qui devront être mis en place pour neutraliser les vibrations consécutives au passage des trains ;

Qu'en statuant ainsi, en indemnisant un préjudice qui résulte de l'implantation de l'ouvrage public et n'est pas la conséquence directe de l'emprise pour laquelle l'expropriation a été ordonnée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi incident :

CONSTATE la déchéance du pourvoi principal dirigé contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2009 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'indemnité pour dépréciation du surplus du terrain est égale au surcoût imposé par la présence du tunnel à la construction d'un immeuble de deux niveaux de sous-sols, et sursoit à statuer sur la demande d'indemnisation de la dépréciation du surplus jusqu'à la réalisation du projet de construction des consorts X... et Y... qui aura été préalablement soumis à la RATP, l'arrêt rendu le 29 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; Me Le Prado -

Textes visés :

Article R. 13-49 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; article L. 13-13, devenu L. 321-1, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Rapprochement(s) :

Sur le préjudice résultant de l'implantation de l'ouvrage public ne résultant pas directement de l'emprise et ne donnant pas lieu à indemnisation fixée par le juge de l'expropriation, à rapprocher : 3e Civ., 23 avril 1992, pourvoi n° 90-70.121, Bull. 1992, III, n° 139 (cassation partielle).

3e Civ., 20 décembre 2018, n° 17-18.194, (P)

Rejet

Indemnité – Préjudice – Réparation – Cas – Titulaire d'une autorisation temporaire d'occupation en vigueur

Le titulaire d'une autorisation temporaire d'occupation, en vigueur au moment de la procédure d'expropriation, est en droit d'obtenir l'indemnisation de son préjudice résultant de l'expropriation.

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que l'arrêt attaqué (Versailles, 13 décembre 2016) fixe les indemnités revenant à la société Nour, depuis en liquidation judiciaire, à la suite de l'expropriation d'une parcelle sur laquelle était située une véranda qu'elle avait l'autorisation d'occuper temporairement pour l'exploitation de son fonds de commerce ;

Attendu que la société Val de Seine aménagement fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait les indemnités dues à la société Nour, alors, selon le moyen :

1°/ que les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation ; que l'exproprié, qui ne détient aucun droit juridiquement protégé, ne peut prétendre à aucune indemnisation ; que tel est le cas du locataire qui ne bénéficie que d'une autorisation accordée à titre précaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que la société Nour ne bénéficiait que d'une autorisation précaire d'exploiter son fonds sur la terrasse, objet de l'expropriation ; qu'en décidant néanmoins de lui accorder une indemnisation, et cela à hauteur de 104 900,60 euros, la cour d'appel a violé l'article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

2°/ qu'en énonçant que cette autorisation était toujours en vigueur au moment de la procédure d'expropriation et que la société Nour devait continuer à bénéficier de cet usage, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a ainsi, en toute hypothèse, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la société Nour était titulaire d'une autorisation temporaire de créer une terrasse fermée au droit de son établissement, accordée à titre gratuit et précaire, le 18 mars 1981, par l'association syndicale libre de la zone d'aménagement concertée de la Tête du Pont de Sèvres et, le 26 mai 1981, par le syndicat des copropriétaires Aquitaine et relevé que cette autorisation était toujours en vigueur au moment de la procédure d'expropriation, la cour d'appel en a exactement déduit que, le préjudice de cette société étant en lien avec l'expropriation, celle-ci avait droit à une indemnisation ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi incident qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Kapella - Avocat(s) : SCP Gadiou et Chevallier ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

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