Numéro 12 - Décembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2018

AVOCAT

1re Civ., 12 décembre 2018, n° 17-25.813, (P)

Rejet

Exercice de la profession – Différend entre avocats – Arbitrage du bâtonnier – Décision – Appel – Réception par le directeur des services de greffe judiciaires – Condition

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 1er septembre 2017), que, le 6 juillet 2016, Mme X..., avocate au barreau de Saint-Denis de La Réunion, a saisi le bâtonnier du différend l'opposant à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée d'avocats Codet-Chopin (la société), inscrite au même barreau ; que, le 31 octobre 2016, cette dernière a déposé une plainte contre Mme X... pour escroquerie, abus de biens sociaux et abus de confiance, suivie d'une enquête ordonnée par le ministère public ; que, par ordonnance du 3 mars 2017, le bâtonnier a sursis à statuer sur la demande d'arbitrage de Mme X... et dit que la procédure pourrait être reprise à l'initiative de la partie la plus diligente sur justification du sort réservé à la plainte pénale ; qu'autorisée, par ordonnance du premier président de la cour d'appel, à former un recours contre cette décision, Mme X... a interjeté appel de l'ordonnance du bâtonnier, par déclaration enregistrée au greffe le 12 mai 2017, puis par lettre remise au directeur des services de greffe judiciaires le 15 mai 2017 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de constater l'irrégularité de la saisine de la cour d'appel par déclaration transmise au greffe le 12 mai 2017 et de déclarer recevable l'appel formé par remise du recours le 15 mai 2017 à la directrice des services de greffe judiciaires, et d'annuler l'ordonnance du bâtonnier du 3 mars 2017, alors, selon le moyen :

1°/ que le recours contre la décision du bâtonnier devant la cour d'appel est formé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef sous peine d'irrecevabilité ; qu'en jugeant « irrégulière » la déclaration d'appel du 12 mai 2017, après avoir constaté qu'elle a été transmise au secrétariat-greffe de la cour par RPVA, la cour d'appel a violé l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

2°/ que le recours contre la décision du bâtonnier devant la cour d'appel est formé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef sous peine d'irrecevabilité ; que le greffier en chef s'entend du directeur de greffe de la juridiction depuis le décret du 13 octobre 2015 ; qu'en considérant recevable l'appel diligenté le 15 mai 2017 par Mme X... motifs pris que « tout directeur des services judiciaires exerçant au sein de la cour d'appel est donc habilité à recevoir l'appel d'un avocat contre les décisions de son bâtonnier et à lui en remettre récépissé », la cour d'appel a violé l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

3°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en jugeant recevable l'appel formé par Mme X... le 15 mai 2017, motif pris qu'il a été remis « à Mme A... qui, en sa qualité de directrice des services de greffe judiciaires, en a délivré récépissé à Me Pierre B..., conseil de Me X... », la déclaration d'appel du 15 mai 2017 précisant pourtant qu'elle a été remise au « secrétariat greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion », la cour d'appel a dénaturé la déclaration d'appel du 15 mai 2017, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en matière de contentieux lié à l'exercice de la profession d'avocat, est irrecevable l'appel formé par déclaration remise contre récépissé au secrétariat-greffe ; que, dans ses dernières conclusions d'appel, la société Codet-Chopin faisait valoir qu'« en l'espèce, l'appel a été expressément adressé au « secrétariat greffe de la cour d'appel de Saint-Denis », le cachet vise le greffe de la cour et porte la signature de Mme A..., DSGJ ; ce qui démontre que l'appelant n'avait aucunement l'intention de s'adresser au directeur de greffe de la juridiction » ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris « que la SELARL Codet-Chopin ne saurait remettre en cause la validité du recours remis à Mme A..., en rajoutant au texte et en prétendant que le recours devant la cour d'appel contre les décisions du bâtonnier ne peut être remis qu'à un directeur des services de greffe judiciaire possédant en plus la qualité de directeur du greffe de la juridiction », sans répondre aux conclusions circonstanciées de la société Codet-Chopin qui soutenait que l'appel formé par Mme X... était irrecevable pour avoir été formé par remise contre récépissé au secrétariat greffe de la cour d'appel, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, que tant que le délai de recours n'est pas expiré, l'appelant peut régulariser un acte d'appel ; que la cour d'appel a retenu que Mme X... avait formé un second acte d'appel le 15 mai 2017, avant l'expiration du délai d'appel ;

Attendu, ensuite, que l'arrêt énonce qu'en application de l'article 4 du décret n° 2015-1273 du 13 octobre 2015, les directeurs des services de greffe judiciaires exercent les missions dévolues dans l'ordre judiciaire aux greffiers en chef par les dispositions législatives et réglementaires ; que la cour d'appel en a exactement déduit que, sauf à ajouter une condition à ce texte en exigeant que le directeur des services de greffe judiciaires possède, en sus, la qualité de directeur de greffe de la juridiction, tout directeur des services de greffe judiciaires exerçant au sein de la cour d'appel est habilité à recevoir l'appel d'un avocat contre les décisions du bâtonnier et à lui en remettre récépissé ;

Et attendu, enfin, que c'est par une appréciation souveraine de l'acte de recours du 15 mai 2017, exclusive de dénaturation, que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à un moyen que ses constatations et énonciations rendaient inopérant, a relevé que le second recours avait été remis le 15 mai 2017 à Mme A... qui, en sa qualité de directrice des services de greffe judiciaires, en avait délivré récépissé au conseil de Mme X... ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à surseoir à statuer, alors, selon le moyen, que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que, dans ses dernières conclusions d'appel, la société Codet-Chopin faisait valoir que « même si les conditions du sursis obligatoire ne sont pas réunies, le juge reste libre d'ordonner un sursis [facultatif] dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, comme il en a toujours la faculté » ; qu'en disant qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer, motifs pris « que non seulement l'action publique n'a pas encore été mise en mouvement puisqu'en l'état, la plainte de la société Codet-Chopin n'a donné lieu qu'à une enquête qui est toujours en cours, mais de plus, elle n'est pas de nature à influer sur la demande de paiement du prix de cession des parts sociales proprement dite », sans répondre aux conclusions circonstanciées de la société Codet-Chopin, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que le moyen qui, sous le couvert d'un grief non fondé de défaut de réponse à conclusions, ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, le pouvoir discrétionnaire des juges du fond d'ordonner un sursis à statuer dans un cas où cette mesure n'est pas imposée par la loi, ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article 4 du décret n° 2015-1273 du 13 octobre 2015 ; article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

1re Civ., 12 décembre 2018, n° 17-12.467, (P)

Cassation partielle

Exercice de la profession – Société d'exercice libéral – Avocat associé – Retrait – Cas – Retrait unilatéral ou autorisé par décision de justice – Possibilité (non)

A défaut de dispositions spéciales de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales l'autorisant, un associé d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée d'avocats ne peut se retirer unilatéralement de la société, ni obtenir qu'une décision de justice autorise son retrait, peu important le contenu des statuts.

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales et l'article 1134, alinéa 1er et 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu qu'à défaut de dispositions spéciales de la loi l'autorisant, un associé d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée d'avocats ne peut se retirer unilatéralement de la société, ni obtenir qu'une décision de justice autorise son retrait, peu important le contenu des statuts ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par requête du 1er août 2013, Mme Y..., avocate associée de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Cabinet X... E... et associés (la société Cabinet X...) et de la société holding Financière X... et Co, société de participations financières de professions libérales (la société Financière X...), constituée sous la forme d'une société à responsabilité limitée, a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Rouen d'une demande de règlement d'un différend l'opposant à la société Cabinet X... et portant sur les conditions dans lesquelles elle entendait se retirer des sociétés Cabinet X... et Financière X... ;

Attendu que, pour autoriser le retrait de Mme Y..., l'arrêt retient qu'il est justifié par la nécessité de permettre à celle-ci, d'une part, de ne plus exercer dans les deux structures, dont elle était associée aux seules fins d'exercer son activité libérale d'avocat, peu important que le capital de la société Financière X... ne soit pas nécessairement détenu par des avocats, d'autre part, de pouvoir assurer cette activité libérale dans le cadre d'une autre structure, en vertu de la liberté d'établissement ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il autorise, en tant que de besoin, le retrait de Mme Y..., l'arrêt rendu le 7 décembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Truchot - Avocat général : M. Ingall-Montagnier (premier avocat général) et M. Chaumont - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ; article 1134, alinéas 1 et 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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