Numéro 12 - Décembre 2018

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2018

Partie I - Arrêts des chambres et ordonnances du Premier Président

ACTION EN JUSTICE

1re Civ., 12 décembre 2018, n° 17-27.415, (P)

Rejet

Intérêt – Caractérisation – Cas – Publication par une société d'offres d'achat relatives à des prestations médicales – Conseil national de l'ordre des médecins – Action en concurrence déloyale

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 juin 2017), que la société Groupon France, spécialisée dans la promotion sur internet d'événements et d'offres de prestations de services à des tarifs promotionnels, a développé un concept de vente de bons à faire valoir pour des prestations fournies par ses différents partenaires, pouvant être commandées par les internautes sur son site internet www.groupon.fr au moyen d'achats groupés, à un tarif préférentiel et pendant un temps limité ; que les sociétés Cosfi et Lazeo et M. X..., médecin, ont eu recours à ses services pour mettre en ligne plusieurs offres de prestations esthétiques à prix réduit ; que le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) a assigné les trois sociétés et M. X... aux fins d'obtenir le paiement de 1 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par ces actes de publicité constitutifs de concurrence déloyale, la cessation sous astreinte de ces publications et la publication de la décision à intervenir ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Groupon France fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action du CNOM en concurrence déloyale, alors, selon le moyen, que celui-ci ne peut exercer que les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession de médecin ; que l'action en concurrence déloyale ne constitue pas une action répressive visant à défendre l'intérêt collectif des médecins, mais une action civile visant à défendre les intérêts particuliers des praticiens éventuellement affectés ; que, dès lors, en déclarant recevable l'action du CNOM à l'encontre de la société Groupon France pour concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article L. 4122-1 du code de la santé publique ;

Mais attendu que se fondant sur les missions confiées au CNOM par les dispositions des articles L. 4121-2 et L. 4122-1 du code de la santé publique, l'arrêt énonce justement que l'action en concurrence déloyale intentée à l'encontre de la société Groupon France, au titre de la publication d'offres d'achat relatives à des prestations médicales, avait pour objet de défendre l'intérêt collectif de la profession médicale, faisant ainsi ressortir que le CNOM justifiait, conformément à l'article 31 du code de procédure civile, d'un intérêt légitime au succès de ses prétentions ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens réunis :

Attendu que la société Groupon France fait grief à l'arrêt de constater qu'elle a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la profession médicale en publiant des offres d'achat relatives à des prestations médicales, de la condamner in solidum avec la société Lazeo et M. X... à verser au CNOM la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts et de lui ordonner de cesser sous astreinte de diffuser toute offre de prestations incluant l'exécution d'actes médicaux ainsi que de publier le dispositif du jugement, à ses frais exclusifs, sur son site et dans certains journaux, alors, selon le moyen :

1°/ que l'atteinte à la concurrence suppose que l'activité de celui qui se prétend victime puisse être affectée par les agissements de l'auteur de l'activité incriminée ; que, dès lors, en se fondant sur le procès-verbal de constat, en date du 14 novembre 2011, portant notamment sur des publications diffusées pour le compte de l'établissement Total Beauty Clinic situé en Belgique, pour retenir une atteinte à la concurrence de nature à nuire aux médecins français, sans rechercher, comme cela lui était demandé si la localisation de la société Total Beauty Clinic en dehors du territoire français permettait réellement d'affecter l'activité des médecins français et partant autorisait les juges à se fonder sur l'ensemble des éléments du procès-verbal de constat du 14 novembre 2011 pour apprécier le caractère prétendument déloyal de la concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que, dès lors, en se fondant sur le procès-verbal de constat, en date du 14 novembre 2011, portant notamment sur des publications diffusées pour le compte de l'établissement New Vision, pour retenir une atteinte à la concurrence, sans répondre au moyen péremptoire de la société Groupon qui faisait valoir qu'il ne pouvait être retenu de concurrence déloyale dans le cadre de la publication de la société New Vision, puisque, comme l'avait estimé le tribunal de commerce de Nice dans un jugement du 14 septembre 2012, la nature commerciale de la société lui permettait de faire valablement de la publicité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que les publications qui ne contiennent pas d'éléments d'identification des médecins ne peuvent constituer des publicités illicites au sens de la déontologie médicale et partant des actes de concurrence déloyale ; que, dès lors, en retenant des actes de concurrence déloyale en ce que les coordonnées des praticiens figurent dans les publications en fin d'annonce, soit par la présentation d'un lien destiné à amener l'internaute vers son site officiel, soit par un lien hypertexte faisant apparaître les coordonnées de l'annonceur répertoriées dans un annuaire, sans rechercher, comme cela lui était demandé, si le fait que ces liens ne soient pas accessibles au grand public, mais seulement aux membres ayant adhéré aux conditions de la société Groupon, n'était pas de nature à exclure toute publicité illicite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable antérieurement à l'ordonnance du 10 février 2016 et des articles R. 4127-13, R. 4127-19 et R. 4127-20 du code de la santé publique ;

4°/ qu'il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ; que, dès lors en interdisant de manière générale toute publication incluant la réalisation d'actes médicaux, sans se limiter aux seules publications versées à la procédure, la cour d'appel, qui a procédé par voie de disposition générale, a violé l'article 5 du code civil ;

5°/ que la réparation d'un préjudice devant se faire en intégralité, sans perte ni profit, les juges qui ordonnent, à la demande de la victime, la publication de la décision de condamnation sont tenus d'en préciser le coût maximum ; qu'en l'espèce, en ordonnant à la société Groupon France de procéder à la publication de la décision sur son site et dans diverses revues, sans en préciser le coût maximum, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de réparation intégrale du préjudice et de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu, d'abord, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il ressort du procès-verbal de constat du 14 novembre 2011 que la société Groupon France a effectué des publications relatives à des actes esthétiques dont le caractère médical n'est pas contesté, en vue d'achats groupés en ligne de ces prestations, que ces publications sont accompagnées de commentaires particulièrement attractifs destinés à valoriser la prestation, que le procédé utilisé vise incontestablement à attirer le consommateur et à l'inciter à contracter dans les meilleurs délais, et que, visant à promouvoir les produits et prestations offerts à la vente, lesdites publications bénéficient directement aux professionnels annonceurs dont les coordonnées figurent en fin d'annonce, soit par la présentation d'un lien destiné à amener l'internaute vers leur site officiel, soit par un lien hypertexte faisant apparaître les coordonnées de l'annonceur répertoriées dans un annuaire, et sont constitutives de publicité au bénéfice des médecins et établissements souscripteurs ; qu'il ajoute que, par son activité, cette société viole sciemment et directement les usages de la profession médicale et commet une faute de nature civile à l'égard de la collectivité des médecins ; qu'il souligne encore, qu'effectuées au profit de certains membres, les publications litigieuses ne respectent pas les règles de fonctionnement de la profession, engendrent une rupture d'égalité dans les conditions d'exercice des médecins et occasionnent un préjudice moral à l'ensemble de leur profession ; que, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, d'une part, sur la localisation de l'un des annonceurs ou sur les conditions d'inscription des internautes sur le site de la société Groupon France, sans incidence sur la solution du litige, d'autre part, sur la nature commerciale de la société Lazeo, dès lors que les publications portaient sur des prestations médicales, la cour d'appel a pu en déduire que les publications relatives aux offres de prestations incluant l'exécution d'actes médicaux étaient constitutives d'une concurrence déloyale à l'égard de la collectivité des médecins et portaient atteinte à l'image de la profession en assimilant l'activité médicale à une activité commerciale ;

Attendu, ensuite, qu'ayant limité les effets de l'injonction prononcée aux seules offres de prestations diffusées par la société Groupon France incluant l'exécution d'actes médicaux, la cour d'appel ne s'est pas prononcée par voie de disposition générale ;

Attendu, enfin, qu'à la suite de la mesure de publication ordonnée par les premiers juges, la société Groupon France s'est bornée à demander l'infirmation du jugement, au motif de l'absence d'actes de concurrence déloyale ; qu'elle n'est pas recevable à présenter, devant la Cour de cassation, un moyen contraire à ses propres écritures, tiré de ce que la décision devait fixer le coût maximum de la publication ordonnée ;

D'où il suit que le moyen est mal fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles L. 4121-2 et L. 4122-1 du code de la santé publique ; article 31 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 26 avril 2017, pourvois n° 16-14.036 et 16-15.278, Bull. 2017, I, n° 93 (2) (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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