Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

TRANSPORTS AERIENS

1re Civ., 9 novembre 2022, n° 21-11.304, (B), FS

Cassation

Transport de personnes – Responsabilité des transporteurs de personnes – Obligations – Indemnisation et assistance des passagers prévues par le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 – Compétence territoriale – Règles applicables – Détermination – Portée

Le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91 du Conseil du 4 février 1991 instaure un régime de réparation standardisée et immédiate des préjudices que constituent les désagréments dus aux retards, lequel s'inscrit en amont de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 et, partant, est autonome par rapport au régime issu de celle-ci.

Aux termes de l'article 6, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis), si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre.

Dès lors, il incombe à la juridiction saisie d'une demande d'indemnisation pour retard important d'un vol Tunis Air au départ de la France et à destination de Tunis de faire application des dispositions de l'article 46 du code de procédure civile.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2020), M. [H] et Mme [E], agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur, ont saisi d'une demande d'indemnisation pour retard important le tribunal d'instance du lieu de départ en France de leur vol Tunis Air à destination de [Localité 5].

2. La société Tunis Air a soulevé l'incompétence des juridictions françaises.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. [H] et Mme [E] font grief à l'arrêt de déclarer le juge français incompétent, alors « qu'aux fins de l'application du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004, le transporteur aérien qui dispose dans un État membre de l'Union européenne d'une succursale pouvant être qualifiée de centre d'opérations qui se manifeste d'une façon durable vers l'extérieur doit être considéré comme domicilié dans un État membre au sens des articles 4 et 63 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis) ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que « l'article 63 évoque l'existence d'un principal établissement et non de l'un des principaux établissements de la personne morale », que « les pièces produites ne permettent pas d'établir que l'établissement domicilié dans le 8e arrondissement de Paris puisse être défini comme le principal établissement de la compagnie Tunis Air parmi tous ses établissements implantés dans le monde ni que l'administration centrale de la société est située à Paris alors que son siège social statutaire est situé à Tunis-Carthage » et que « l'existence d'un établissement inscrit au registre du commerce et des sociétés avec une autonomie de gestion et un organe de direction ne suffit pas à établir la compétence territoriale alléguée » (arrêt, p. 6, §§ 2 à 4), quand la seule existence en France d'une succursale de la société Tunis Air permettait de considérer qu'elle y était domiciliée au sens des articles 4 et 63 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis), la cour d'appel a violé ces textes. »

Réponse de la Cour

4. Le moyen, qui invoque la notion de succursale, étrangère à l'application de l'article 63, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis), est inopérant.

Mais sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

5. M. [H] et Mme [E] font le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêts du 9 juill. 2009, Rehder, C-204/08, du 19 nov. 2009, Sturgeon, C-402/07 et C-432/07, et du 23 oct. 2012, Nelson, C-581/10 et C-629/10) que le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 instaure un régime de réparation standardisée et immédiate des préjudices que constituent les désagréments dus aux retards, lequel s'inscrit en amont de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international et, partant, est autonome par rapport au régime issu de celle-ci ; qu'il s'en déduit que les dispositions du code des transports et du code de l'aviation civile, qui renvoient à la Convention de Montréal, n'ont pas vocation à s'appliquer à une demande fondée sur ce règlement ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que « les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages et intérêts intentée à l'encontre de la société Tunis Air », quand les dispositions des articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile, qui reprennent celles de l'article 33 de la Convention de Montréal, étaient inapplicables à la demande formée par les époux [H] à l'encontre de la société Tunis Air sur le fondement du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004, la cour d'appel a violé les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile par fausse application, ensemble l'article 7 du règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 ;

3°/ qu'en toute hypothèse, l'extension à l'ordre international des règles de compétence territoriale internes figurant à l'article 46 du code de procédure civile permet au demandeur de saisir, à son choix, outre la juridiction du domicile du défendeur, celle du lieu de l'exécution de la prestation de service, lequel s'entend, pour un transport aérien de passagers, soit du lieu de départ, soit du lieu d'arrivée de l'avion ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que si « l'article 46 donne au demandeur la possibilité de saisir à son choix, outre le lieu du domicile du défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service », « néanmoins, il convient de rappeler que les règles spéciales dérogent aux règles générales » et que « les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages-intérêts intentée à l'encontre de la société Tunis Air » (arrêt, p. 6, §§ 9 à 11), quand l'inapplicabilité des articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile permettait aux époux [H] de saisir valablement le tribunal d'Ivry-sur-Seine, lieu de départ de l'avion, la cour d'appel a violé l'article 46 du code de procédure civile par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 7 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91 du Conseil du 4 février 1991, l'article 6, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 (dit Bruxelles I bis), les articles L. 321-3 et L. 322-3 du code de l'aviation civile, repris aux articles L. 6422-2 et L. 6421-3 du code des transports, les articles R. 321-1 et R. 322-2 du code de l'aviation civile et l'article 46 du code de procédure civile :

6. Le premier de ces textes fixe le montant des indemnités forfaitaires dues par le transporteur aérien en cas de refus d'embarquement, de retard important ou d'annulation de vol.

7. Aux termes du deuxième, si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre.

8. Il résulte du troisième, rendu applicable par le quatrième au transport de personnes, que la responsabilité du transporteur aérien est régie par la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Montréal le 28 mai 1999.

9. Selon le sixième, auquel renvoie le cinquième en matière de transport aérien de personnes, l'action en responsabilité contre le transporteur aérien de marchandises prévue à l'article L. 321-5 doit être portée, au choix du demandeur, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination.

10. Aux termes du septième, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.

11. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêts du 9 juillet 2009, C-204/08, du 19 novembre 2009, C-402/07 et C-432/07 et du 23 octobre 2012, C-581/10 et C-629/10) que le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 instaure un régime de réparation standardisée et immédiate des préjudices que constituent les désagréments dus aux retards, lequel s'inscrit en amont de la Convention de Montréal et, partant, est autonome par rapport au régime issu de celle-ci.

12. Pour juger que la juridiction du lieu d'embarquement n'est pas compétente, l'arrêt retient que les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile, qui dérogent à la disposition générale de l'article 46 du code de procédure civile, sont applicables à l'action en dommages-intérêts engagée contre la société Tunis Air et qu'ils ne prévoient pas ce chef de compétence.

13. En statuant ainsi, alors que les dispositions du code des transports et du code de l'aviation civile, qui renvoient à la Convention de Montréal, n'avaient pas vocation à s'appliquer à la demande de M. [H] et Mme [E] fondée sur le règlement (CE) n° 261/2004 précité, la cour d'appel, à laquelle il incombait de faire application des dispositions de l'article 46 du code de procédure civile, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) et Mme Marilly - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 7 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91 du Conseil du 4 février 1991 ; article 6, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (Bruxelles I bis) ; articles L. 321-3, L. 322-3, repris aux articles L. 6422-2 et L. 6421-3 du code des transports, R. 321-1 et R. 322-2 du code de l'aviation civile ; article 46 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 22 février 2017, pourvoi n° 15-27.809, Bull. 2017, I, n° 46 (cassation).

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