Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-12.873, (B), FS

Cassation partielle

Conventions collectives – Dispositions générales – Contenu – Conditions d'emploi et garanties sociales – Licenciement – Indemnité conventionnelle de licenciement – Attribution – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 5 janvier 2021), M. [P] a été engagé, le 6 mars 2006, par l'agence régionale de développement de Franche-Comté en qualité de chargé de mission puis, par avenant du 26 juin 2009, nommé en qualité de directeur général.

2. En février 2017, la fusion des deux agences régionales de développement de Bourgogne et de Franche-Comté a conduit à la création de l'agence économique régionale de Bourgogne-Franche-Comté.

3. Le 16 octobre 2017, dans le cadre de cette réorganisation, l'employeur a proposé au salarié de devenir directeur du service à l'appui des territoires.

4. Le salarié, ayant refusé cette modification de son contrat de travail, a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour motif économique au cours duquel un contrat de sécurisation professionnelle lui a été proposé.

Le 5 décembre 2017, le salarié a accepté cette proposition et son contrat de travail s'est trouvé rompu le 20 décembre 2017.

5. Contestant le motif économique de son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

7. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner en conséquence à lui payer diverses sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'aux termes de la délégation de pouvoirs et de responsabilités au directeur général du 23 août 2017, « Mme A. (directrice générale) est directement responsable du recrutement du personnel de la SPL ARD FC, dénommée AER BFC au 28/09/2017. Elle assurera le suivi de la gestion du personnel, tant sur le plan administratif que disciplinaire.

Les licenciements qui pourraient intervenir seront de sa compétence et elle en assurera l'entière responsabilité. Toutefois le conseil d'administration se réserve les pouvoirs suivants : nommer et révoquer les directeurs de la société, fixer leurs traitements, salaires et gratifications : la direction générale adressera à un comité de recrutement composé de membres du conseil d'administration le dossier des candidat(e)s.

Le conseil d'administration décidera du et/ou de la candidat(e) retenu(e) et de sa rémunération » ; que la cour d'appel a déduit de ces dispositions que faute de limiter le pouvoir de licencier le pouvoir du conseil d'administration de nommer et de révoquer les « directeurs » aux seuls directeurs ayant le statut de mandataires sociaux, tout en renvoyant aux notions de « traitements » et de « salaires », cette délégation devait s'analyser comme englobant tout à la fois, dans le terme les « directeurs », aussi bien ceux exerçant ces fonctions en qualité de mandataires sociaux que ceux les assumant en qualité de salariés tel que l'intéressé ; qu'en statut ainsi, cependant qu'il résultait des termes clairs et précis de la délégation litigieuse que tous les « licenciements » relevaient de la compétence de la directrice générale, la cour d'appel a dénaturé celle-ci et violé, ce faisant, les articles 1103, 1104 et 1193 du code civil, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe susvisé ».

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

8. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à payer au salarié diverses sommes à ce titre, l'arrêt retient que le conseil d'administration, aux termes d'une délégation de pouvoir consentie à la directrice générale le 23 août 2017, s'était réservé le pouvoir de licencier les directeurs de la société.

9. En statuant ainsi, alors que l'acte litigieux indiquait que les licenciements étaient de la compétence de la directrice générale et que le conseil d'administration se réservait le pouvoir de révoquer les directeurs de la société, ce dont il résultait que cette réserve était limitée, conformément aux dispositions de l'article L. 225-55 du code de commerce, aux seuls directeurs ayant le statut de mandataires sociaux, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 45 982 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés afférents, soit la somme de 4 598,20 euros, alors « que le salarié ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis que sous déduction des sommes qu'il a déjà perçue à ce titre ; qu'en l'espèce, la société faisait valoir et offrait de prouver que si, du fait de l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur avait versé à Pôle emploi une somme représentant l'indemnité compensatrice de préavis équivalente à trois mois de salaire, le surplus de cette indemnité, soit trois mois, avait été effectivement payé au salarié à hauteur d'une somme de 22 991 euros bruts ; qu'en allouant au salarié une somme de 45 982 euros correspondant à l'intégralité de l'indemnité conventionnelle de préavis, sans déduire de celle-ci les sommes déjà versées à ce titre au salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1233-67 et L. 1233-69, dans leur version modifiée par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, du code du travail et l'article L. 1234-9, dans sa version modifiée par l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, dudit code, ensemble l'article 9 du statut des personnels des organismes de développement économique. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1233-67 et L. 1233-69 du code du travail, dans leur version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, l'article L. 1234-9 du même code, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et l'article 9 du statut des personnels des organismes de développement économique :

11. Il résulte de ces textes qu'en l'absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n'a pas de cause et l'employeur est alors tenu à l'obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées.

12. Pour condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 45 982 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, l'arrêt retient qu'en application de la convention collective relative au statut des personnels des organismes de développement économique du 9 mars 1999, l'intéressé bénéficie d'une indemnité compensatrice de six mois en sa qualité de directeur.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions de l'employeur, si celui-ci n'avait pas déjà versé au salarié, dans le cadre de l'exécution du contrat de sécurisation professionnelle, une somme équivalente à trois mois de salaire à titre d'indemnité compensatrice de préavis, correspondant à la fraction excédant le montant de la contribution due à Pôle emploi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le moyen relevé d'office

14. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 1234-9 du code du travail, 12 du statut des personnels des organismes de développement économique et L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

15. Il résulte des deux premiers textes que l'indemnité de licenciement, dont les modalités de calcul sont forfaitaires, est la contrepartie du droit de l'employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail.

16. Il résulte du dernier de ces textes que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi.

17. Pour condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 122 618,56 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'en application de l'article 12 du statut des personnels des organismes de développement économique du 9 mars 1999, révisé le 12 décembre 2007, l'intéressé bénéfice d'une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse doublée, étant ajouté qu'il avait, lors de la rupture de son contrat de travail, une ancienneté de 11 ans 9 mois et 14 jours pour avoir été embauché à compter du 6 mars 2006.

18. En statuant ainsi, alors que l'article 12 des statuts n'est pas relatif aux dommages-intérêts dus en cas de licenciement injustifié mais prévoit, en ce cas, le doublement de l'indemnité forfaitaire de licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

19. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage, alors « qu'en l'absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail ; qu'en l'espèce, il était constant que la rupture du contrat de travail du salarié était intervenue par suite de son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle en date du 5 décembre 2017 ; qu'en ordonnant néanmoins à l'agence économique régionale de Bourgogne-Franche-Comté de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à l'intéressé dans la limite de trois mois d'indemnités, sans tenir compte de la contribution équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis versée au titre de la participation de l'employeur au financement du contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-69 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur version antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-69 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et l'article L. 1235-4 du même code, dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

20. En l'absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail.

21. Après avoir jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a ordonné le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de trois mois.

22. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute l'agence économique régionale de Bourgogne-Franche-Comté de sa demande formée au titre de la violation du secret des correspondances et M. [P] de sa prétention émise au titre d'un préjudice moral, l'arrêt rendu le 5 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1234-9 et L.1235-3, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, du code du travail ; article 12 du statut des personnels des organismes de développement économique du 9 mars 1999, révisé le 12 décembre 2007.

Rapprochement(s) :

Sur la distinction d'objet entre l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité de licenciement conventionnelle, à rapprocher : Soc., 5 juin 1986, pourvoi n° 84-40.951, Bull. 1986, V, n° 288 (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 3 juillet 2008, pourvoi n° 06-45.756, (cassation partielle) ; Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 18-23.535, Bull., (rejet).

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