Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

SOCIETE (règles générales)

Com., 9 novembre 2022, n° 20-20.830, (B), FRH

Rejet

Associé – Retrait – Effets – Remboursement des droits sociaux – Valeur – Fixation – Fixation par expert – Contestation par l'une des parties – Erreur grossière – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 2020) et les productions, M. [Y] est devenu associé de la Société civile des Mousquetaires (la SCM) en 1996, en acquérant vingt-sept parts au prix unitaire de 10 740 francs (1 637,30 euros).

Le 7 décembre 1997, il a notifié son retrait de la SCM.

Par assemblée générale du 16 juin 1998, la SCM a fixé la valeur de la part à 14 990 francs (2 285 euros) et ratifié la démission de M. [Y]. Une somme représentative de la valeur totale de ses parts ainsi calculée lui a été versée en quatre échéances, la dernière intervenant le 28 janvier 2002.

2. M. [Y] a contesté la valorisation de ses parts.

En dernier lieu, par une ordonnance du 17 mars 2009, le président d'un tribunal de grande instance, saisi en application de l'article 1843-4 du code civil, a désigné M. [N], lequel a déposé son rapport le 20 février 2012, fixant la valeur unitaire de la part à 48 546 euros, en se fondant notamment sur les derniers résultats comptables obtenus en 2009 et 2010.

3. Sur le fondement de ce rapport, M. [Y] a, le 20 mars 2012, assigné la SCM devant le tribunal de grande instance en paiement du complément de la somme lui restant due sur ses parts, telles qu'évaluées par l'expert.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. M. [Y] reproche à l'arrêt d'annuler le rapport d'expertise déposé par M. [N] le 20 février 2012, de le débouter de l'intégralité de ses demandes et de dire que les frais de l'expertise seront supportés par moitié par chacune des parties, alors :

« 1°/ que l'article 17-7 des statuts de la SCM prévoyait que « la société étant une société à capital variable, chaque associé dispose également de la possibilité de « démissionner », c'est-à-dire que souhaitant se retirer, il peut demander à la société de lui acheter ses parts. Dans ce cas, il doit adresser une lettre recommandée avec demande d'avis de réception à la gérance, qui dispose d'un délai de deux mois pour lui répondre.

La gérance peut accepter elle-même la décision mais sous réserve de ratification par la plus proche réunion des associés statuant dans les conditions de quorum et de majorité requises pour les décisions ordinaires, laquelle fixe également les conditions et les délais du paiement de la valeur des parts, à moins que ces modalités aient été fixées par le Règlement Intérieur.

En cas de démission, les parts sont achetées par la société par diminution du capital effectif et des réserves.

La valeur retenue est celle déterminée par le Règlement Intérieur. A défaut, elle est fixée par l'assemblée des associés qui statue sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance.

En cas de contestation, la valeur est déterminée à dire d'Expert, comme indiqué ci-dessus en matière de cession » ; qu'il résulte uniquement de cette clause que l'assemblée générale saisie pour ratifier la décision qui peut être prise par la gérance d'accepter la « démission » d'un associé, fixe les conditions et délais du paiement de la valeur des parts, et que la valeur des parts de l'associé désirant se retirer de la SCM est celle déterminée par le règlement intérieur, ou à défaut celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance, sans que ne soit déterminée la date devant être prise en considération pour évaluer les parts de l'associé retrayant ; qu'en jugeant que, « en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations », de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la société SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, la cour d'appel a dénaturé l'article 17-7 des statuts de la SCM, en violation de l'article 1134, devenu 1192, du code civil, ensemble le principe selon lequel les juges du fond ne doivent pas dénaturer les documents qui sont soumis à leur examen ;

2°/ qu'en toute hypothèse, en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en jugeant qu'en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations, de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, quand cette clause se bornait à prévoir que la valeur des parts de l'associé retrayant était celle fixée par le règlement intérieur ou à défaut, celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou l'acceptation de celle-ci par la gérance, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une clause statutaire qui dérogerait au principe selon lequel la valeur des droits de l'associé retrayant doit être fixée à la date la plus proche possible du remboursement, a méconnu les articles 1134, devenu 1103, et 1843-4 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 ;

4°/ qu'en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que la valeur des parts de M. [Y] devait être déterminée à la date à laquelle la démission de M. [Y] avait été acceptée par l'assemblée générale de la SCM, soit le 16 juin 1998, date à laquelle cette assemblée générale avait également fixé la valeur des parts sociales de M. [Y], la cour d'appel a violé l'article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles 1843-4 et 1869 du code civil qu'en l'absence de dispositions contraires des statuts, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, auquel il est procédé selon les modalités prévues, le cas échéant, par les statuts, sans préjudice du droit pour l'associé qui conteste cette valeur, de la faire déterminer, à la date du remboursement ainsi effectué, par un expert désigné dans les conditions prévues par le premier de ces textes.

7. Si c'est à tort que la cour d'appel a retenu que la date à laquelle est statutairement fixée l'évaluation des parts est nécessairement celle, s'imposant à l'expert, du jour où est officiellement acté le retrait de l'associé, soit en l'espèce en 1998, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure dès lors qu'en se plaçant à la date d'établissement de son rapport, en 2012, et non à la date à laquelle la SCM a, le 28 janvier 2002, remboursé ses parts sociales à M. [Y] à la valeur fixée par l'assemblée des associés, l'expert a commis une erreur grossière.

8. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1, du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

9. Le moyen ne peut donc être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Ponsot - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles 1843-4 et 1869 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la date d'évaluation des droits sociaux de l'associé en cas de retrait, à rapprocher : Com., 4 mai 2010, pourvoi n° 08-20.693, Bull. 2010, IV, n° 85 (cassation partielle).

Com., 9 novembre 2022, n° 20-22.063, (B), FRH

Cassation partielle

Groupe de sociétés – Filiales – Contrats avec des tiers – Responsabilité de la société mère – Conditions – Immixtion dans les relations contractuelles – Apparence trompeuse – Paiement partiel d'une dette de la filiale

Il résulte de l'application combinée de l'article 1842 du code civil et de l'article 1165 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'une société n'est tenue de répondre de la dette d'une filiale que si son immixtion dans les relations contractuelles de cette filiale a été de nature à créer, pour le cocontractant de celle-ci, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement qu'il était aussi le cocontractant de la société mère.

Ne suffit pas, à lui seul, à caractériser une immixion de nature à créer une telle apparence trompeuse le paiement partiel, par une société, d'une dette que sa filiale avait été mise en demeure de payer.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 2020), la société Santé restauration services a, le 10 octobre 2000, conclu un contrat avec la société Clinique chirurgicale obstétricale [3] et [4] (la société Clinique [3]), détenue à 99 % par la société Santé actions, portant sur un service de prestations alimentaires.

2. La société Santé restauration services a, par lettres recommandées des 18, 24 et 30 décembre 2013, mis en demeure la société Clinique [3] de payer plusieurs factures.

La société Santé actions a, le 24 décembre 2013, payé à la société Santé restauration services la somme de 30 000 euros au titre de l'une de ces factures.

3. N'ayant pu obtenir le règlement complet des factures, la société Santé restauration services a déclaré sa créance au passif de la société Clinique [3], mise en liquidation judiciaire.

Le liquidateur judiciaire a, le 26 février 2015, émis un certificat d'irrécouvrabilité de cette créance.

4. Après avoir, le 27 avril 2016, mis en demeure la société Santé actions de lui payer une somme au titre des factures impayées par la société Clinique [3], la société Santé restauration services l'a assignée en paiement.

Examen du moyen

Sur le moyen

Enoncé du moyen

5. La société Santé actions fait grief à l'arrêt de la condamner, en qualité de société mère, à régler à la société Santé restauration services une somme de 125 681,83 euros au titre de factures impayées par sa filiale, seule engagée à l'égard de la société créancière dans le cadre d'un contrat de restauration du 10 octobre 2000, outre les intérêts à compter de chaque échéance contractuelle au taux de refinancement de la BCE majoré de 10 points, et la capitalisation des intérêts, ainsi qu'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ qu'en vertu de l'effet relatif des contrats et de l'autonomie juridique des sociétés membres d'un groupe, une société mère ne peut être tenue des engagements souscrits par sa filiale, sauf en cas d'immixtion dans la gestion de la filiale et à la condition que cette immixtion ait été de nature à créer une apparence trompeuse, propre à faire croire à un créancier de la filiale que la société mère était devenue son partenaire contractuel ; que ces conditions sont cumulatives ; qu'en considérant en l'espèce que la société mère était obligée à la totalité de la dette de sa filiale envers un créancier à raison seulement d'un paiement partiel (virement de 30 000 euros émis en décembre 2013) destiné à couvrir dans l'urgence sa filiale d'un impayé objet d'une mise en demeure, la cour n'a pas cherché à caractériser l'existence d'une immixtion active de la société mère dans la gestion de sa filiale, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 1165, devenu 1199, et 1842 du code civil ;

2°/ en se bornant à retenir que la société mère avait couvert le 24 décembre 2013 une dette de sa filiale à l'égard du créancier prestataire de service de cette dernière, la cour n'a pas recherché si et en quoi ce versement, dans les circonstances de la cause telles que rappelées par la société requérante (caractère exclusif et autonome de la relation de sa filiale avec la société Santé restauration ; absence de réclamation à l'endroit de la société mère avant la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité de la créance du fournisseur), permettait néanmoins au créancier de nourrir la croyance que la société mère s'était engagée pour l'ensemble des dettes antérieures et postérieures de sa filiale ; qu'en se déterminant par voie d'affirmation sans autrement caractériser la croyance légitime du créancier, la cour a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1165, devenu 1199, et 1842 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1842 du code civil et l'article 1165 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

6. Il résulte de l'application combinée de ces textes qu'une société n'est tenue de répondre de la dette d'une filiale que si son immixtion dans les relations contractuelles de cette filiale a été de nature à créer, pour le cocontractant de celle-ci, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement qu'il était aussi le cocontractant de la société mère.

7. Pour condamner la société Santé actions à payer à la société Santé restauration services une somme au titre de factures non réglées par la société Clinique [3], sa filiale, l'arrêt, après avoir relevé que la société Santé restauration services avait, les 18, 24 et 30 décembre 2013, mis en demeure la société Clinique [3] de payer ces factures, qu'elle avait déclaré sa créance, d'un montant de 125 691,83 euros, au passif de la société Clinique [3], mise en liquidation judiciaire, que le liquidateur judiciaire avait, le 26 février 2015, émis un certificat d'irrécouvrabilité et que ce n'est qu'au mois d'avril 2016 qu'elle avait mis en demeure la société mère Santé actions de payer les sommes qui lui étaient dues par sa filiale, retient que le fait que la société Santé actions ait délivré un ordre de virement de 30 000 euros pour couvrir une dette de la société Clinique [3] à l'égard de la société Santé restauration services, à un moment où cette dernière venait de mettre en demeure sa cocontractante de lui régler une somme de 52 014,59 euros au titre de factures impayées à peine de résiliation de plein droit du contrat les liant, a légitimement pu fonder la croyance de la société Santé restauration services dans l'engagement de la société mère aux côtés de sa filiale pour régler les dettes issues de ce contrat.

8. En se déterminant ainsi, alors que le paiement partiel, par la société Santé actions, d'une dette que sa filiale avait été mise en demeure de payer, ne saurait, à lui seul, caractériser une immixtion de cette société de nature à créer, pour la société Santé restauration services, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement que la société Santé actions s'était substituée à sa filiale dans l'exécution du contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en que, confirmant le jugement, il déboute la société Santé restauration services de sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ducloz - Avocat(s) : Me Bouthors ; SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles 1842 et 1165, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité d'une immixtion de la société mère afin d'obliger celle-ci à répondre de la dette de sa filiale, rapprocher : Com., 3 février 2015, pourvoi n° 13-24.895, Bull. 2015, IV, n° 14 (rejet).

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