Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

SEPARATION DES POUVOIRS

3e Civ., 30 novembre 2022, n° 21-16.404, (B), FS

Rejet

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Cas – Protection de la nature et de l'environnement – Protection de la faune et de la flore – Préservation et surveillance du patrimoine biologique – Destruction d'animaux non domestiques d'espèces protégées – Dispositions d'interdiction – Violation – Action en responsabilité civile

Les arrêtés préfectoraux qui autorisent l'exploitation d'un parc éolien intervenant en application de la police spéciale autonome régissant le fonctionnement des installations classées pour la protection de l'environnement, ne constitue pas une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs entre autorité administrative et autorité judiciaire le fait pour le juge judiciaire, saisi d'une action en responsabilité civile, de constater la violation, par les exploitants de ce parc, des dispositions de l'article L.411-2, 1°, du code de l'environnement interdisant la destruction d'espèces sauvages protégées sans être titulaires de la dérogation prévue par la loi.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 mars 2021), les sociétés Parc éolien [Localité 4], Plein vent [Localité 2], Parc éolien [Localité 6], Parc éolien [Localité 9], Parc éolien [Localité 5], Parc éolien [Localité 8] et Parc éolien [Localité 7] (les propriétaires exploitants) détiennent chacune un parc éolien construit et mis en service entre 2006 et 2013, pour un total de trente et une éoliennes réparties sur plusieurs communes du département de l'Hérault.

2. La supervision de l'exploitation et la gestion de ces parcs ont été confiées à la société EDF renouvelables France (EDF) selon un contrat de gestion d'actifs.

3. Les sites du Causse d'[Localité 2], de la plaine de [Localité 13]-[Localité 11] et de la plaine de [Localité 10]-[Localité 12], sur lesquels sont implantées les éoliennes, sont classés en zone de protection spéciale en application de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 sur la protection des oiseaux sauvages (directive « oiseaux »), dont relève le faucon crécerellette (falco naumanni).

4. La Ligue pour la protection des oiseaux, chargée de la mise en oeuvre du plan national d'action en faveur du faucon crécerellette et du suivi de l'impact de ces parcs éoliens sur cet oiseau, a signalé, en 2011 et 2012, la découverte de plusieurs cadavres au pied des installations.

5. En juillet 2014, des arrêtés préfectoraux ont prescrit la pose, sur toutes les éoliennes, d'un système de détection et d'effarouchement des oiseaux, dit « DT-Bird », testé depuis 2013 sur deux appareils.

6. De nouveaux cadavres de faucons crécerellettes ayant été découverts malgré ce dispositif, l'association France nature environnement (l'association) a assigné les propriétaires exploitants et EDF en indemnisation du préjudice moral causé par la destruction de spécimens d'une espèce protégée.

7. Les défendeurs ont soulevé l'irrecevabilité à agir de l'association.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Les propriétaires exploitants et EDF font grief à l'arrêt de déclarer l'association recevable en ses demandes, alors « que la commission d'une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement constitue une condition de recevabilité de l'action d'une association agréée de protection de l'environnement exercée sur le fondement de l'article L. 142-2 du code de l'environnement ; qu'au cas présent, pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés exposantes, la cour d'appel a énoncé que la recevabilité de l'action de l'association France Nature Environnement en raison d'une infraction seulement « alléguée » aux dispositions de l'article L. 415-3 du code de l'environnement n'était pas conditionnée par « la constitution préalable de l'infraction » ; qu'en statuant de la sorte, quand l'habilitation législative spéciale dont bénéficient les associations agréées mentionnées à l'article L. 141-2 du code de l'environnement subordonne expressément la recevabilité de leur action à la commission de faits « constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement », ce qui exclut, par hypothèse, que leur action puisse être déclarée recevable lorsque l'infraction pénale liée à l'environnement en cause n'est qu' « alléguée » et qu'un doute existe sur le point de savoir si elle a été commise, la cour d'appel a violé l'article L. 142-2 du code de l'environnement, ensemble l'article 1240 du code civil et les articles 122 et 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. L'article L. 142-2 du code de l'environnement permet aux associations de protection de l'environnement agréées au titre de l'article L. 141-1 du même code d'agir en réparation tant devant le juge pénal que le juge civil, en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement ainsi qu'aux textes pris pour leur application.

10. La recevabilité de l'action est subordonnée à l'existence de faits susceptibles de revêtir une qualification pénale entrant dans le champ des dispositions susmentionnées.

11. La cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que l'action de l'association de protection de l'environnement agréée avait pour objet la réparation de son préjudice moral résultant de la destruction alléguée, entre 2012 et 2016, de nombreux spécimens de faucons crécerellettes, espèce protégée, en violation des interdictions prévues par les dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement et par les règlements pris en application de l'article L. 411-2, constitutive du délit prévu et réprimé par l'article L. 415-3 du même code.

12. Elle en a déduit, à bon droit, que la recevabilité de l'action en responsabilité civile de droit commun exercée par l'association en raison du délit environnemental invoqué n'était pas conditionnée par la constatation ou la constitution préalable de l'infraction, la recevabilité d'une action ne pouvant être subordonnée à la démonstration préalable de son bien-fondé.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

14. Les propriétaires exploitants et EDF font grief à l'arrêt de les déclarer responsables du préjudice moral de l'association et de les condamner à lui verser une certaine somme, alors :

« 1°/ que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée, dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale, sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter des installations classées pour la protection de l'environnement pour l'un des intérêts visés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, notamment au regard du risque de destructions accidentelles d'individus d'une espèce protégée susceptible de résulter de leur fonctionnement ; qu'en jugeant, au cas d'espèce, que le seul fait pour le juge judiciaire, saisi sur le fondement de l'article 1240 du code civil, de constater l'existence d'une violation de l'article L. 411-1,1°, du code de l'environnement, sans justification par les contrevenants d'une dérogation accordée par l'autorité administrative, ne constituait pas une atteinte au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ni une immixtion du juge judiciaire dans l'exercice des pouvoirs reconnus à l'autorité administrative, cependant qu'elle avait par ailleurs constaté que, par arrêtés du 9 juillet 2014, le préfet de l'Hérault, spécialement informé des collisions survenues entre les éoliennes et des individus de l'espèce protégée faucon crécerellette, avait autorisé la poursuite de l'exploitation des parcs éoliens concernés sans la conditionner à l'octroi préalable d'une dérogation, sous réserve de la mise en oeuvre de prescriptions spéciales auxquelles les sociétés exploitantes s'étaient strictement conformées, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives s'oppose à ce que le juge judiciaire puisse substituer sa propre appréciation à celle que l'administration a porté, dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale, sur le caractère approprié et suffisant de mesures de réduction destinées à réduire la probabilité de réalisation d'un risque de destructions accidentelles d'individus d'une espèce protégée à raison du fonctionnement d'installations classées pour la protection de l'environnement ; qu'au cas présent, les prescriptions spéciales prises par le préfet de l'Hérault à l'occasion des arrêtés du 9 juillet 2014 avaient pour objet de « réduire l'impact sur la biodiversité présenté par les installations », c'est-à-dire à dire de minimiser le risque de mortalité par collisions avec les éoliennes des individus de l'espèce faucon crécerellette ; que pour faire droit à l'action de l'association France Nature Environnement, la cour d'appel a estimé que les collisions accidentelles survenues entre les éoliennes et les individus de l'espèce faucon crécerellette avaient perduré malgré la mise en place du système « DT-BIRD », de sorte qu'en l'absence de toute dérogation sollicitée et obtenue par les sociétés exploitantes, tant l'élément matériel que l'élément moral du délit prévu par l'article L. 415-3 apparaissaient constitués ; que ce faisant, la cour a, implicitement mais nécessairement, porté une appréciation sur l'opportunité et l'efficacité des prescriptions spéciales qui avaient été adoptées par le préfet de l'Hérault à l'occasion des arrêtés du 9 juillet 2014, lesquelles tendaient à la généralisation de l'installation du dispositif « DT-BIRD » sur toutes les éoliennes des parcs concernés, selon un calendrier déterminé en fonction de son efficacité constatée ; qu'en substituant ainsi sa propre appréciation à celle que l'administration avait porté sur l'opportunité et l'efficacité des mesures de réduction qu'il convenait d'adopter pour réduire la probabilité de réalisation du risque de collisions accidentelles entre des éoliennes et des individus de l'espèce faucon crécerellette dûment identifié, la cour d'appel a encore violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an II ;

3°/ qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, sous réserve des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique ; que de même, le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer, le cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles décisions, soulevée à l'occasion d'un litige relevant à titre principal de l'autorité judiciaire ; qu'il ressort enfin de l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile, que lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente et sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ; qu'au cas présent, pour apprécier le bien-fondé de l'action indemnitaire de l'association France Nature Environnement, la cour d'appel a constaté que 26 spécimens de faucon crécerellette ont été tués entre 2011 et 2016 à la suite d'une collision avec des éoliennes des Parcs [Localité 2] et que les sociétés exploitantes ne justifiaient d'aucune dérogation à cet effet, ce dont elle a déduit qu'une violation de l'article L. 411-1 du code de l'environnement était caractérisée ; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'il résultait des arrêtés du 9 juillet 2014 ayant expressément autorisé la poursuite de l'exploitation des installations sans la subordonner à l'octroi préalable d'une dérogation ni à l'absence de réalisation du risque de collisions accidentelles dûment identifié, que l'autorité administrative compétente avait admis la légalité au regard de l'article L. 411-1 du code de l'environnement des destructions accidentelles susceptibles de se produire à l'occasion du fonctionnement des installations selon les modalités qu'elle avait elle-même définies en vue, précisément, de palier au risque qu'elles se réalisent, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire que la résolution du litige était subordonnée à la question, préalable et qu'il lui appartenait de soumettre au juge administratif par une question préjudicielle, de la légalité desdits arrêtés laquelle présentait une difficulté sérieuse, a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III et l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

15. D'une part, les éoliennes sont soumises à la législation spéciale applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement figurant aux articles L. 514-44 et suivants du code de l'environnement, selon laquelle les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent doivent être exploitées dans le respect des prescriptions édictées par l'autorisation administrative d'exploitation.

16. D'autre part, la législation spéciale, autonome, relative à la protection du patrimoine naturel interdit, par les dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, la destruction d'animaux d'espèces non domestiques protégées, l'article L. 411-2, 4°, réservant toutefois la possibilité de délivrance, par l'autorité administrative compétente, de dérogations à cette interdiction.

17. La cour d'appel a exactement retenu que les arrêtés du 9 juillet 2014 pris par le préfet, dont les propriétaires exploitants prétendaient avoir strictement respecté les mesures spécifiques imposées pour la protection des faucons crécerellettes, n'avaient pas été pris en application des dispositions de l'article L. 411-2 relatif aux espèces protégées.

18. Elle a également constaté qu'il n'était pas justifié d'une demande de dérogation ni d'une décision de l'administration autorisant la destruction de ces spécimens protégés.

19. La cour d'appel, qui n'a pas substitué son appréciation à celle de l'administration quant aux prescriptions assortissant les autorisations de poursuite d'exploitation délivrées en 2014 au titre de la police spéciale des installations classées applicable aux éoliennes, a retenu à bon droit que ne constituait pas une atteinte au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ni une immixtion du juge judiciaire dans l'exercice des pouvoirs reconnus à l'autorité administrative le fait, pour le juge judiciaire, saisi, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, d'une action en responsabilité fondée sur la destruction d'une espèce sauvage protégée, de constater la violation des dispositions de l'article L. 411-2, 1°, du code de l'environnement sans justification, par les contrevenants, d'une dérogation accordée par l'autorité administrative.

20. Le moyen, inopérant en sa troisième branche dès lors que la légalité des arrêtés préfectoraux de juillet 2014 est sans incidence sur la solution du présent litige, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

21. Les propriétaires exploitants font grief à l'arrêt de les déclarer responsables du préjudice subi par l'association et de les condamner à lui payer des sommes en réparation de son préjudice moral, alors :

« 1°/ que le délit prévu et réprimé par l'article L. 415-3 du code de l'environnement suppose la réunion d'un élément matériel et d'un élément moral constitué par une faute d'imprudence ; que pour caractériser une telle faute, le juge doit rechercher si une imprudence ou une négligence a été commise par l'intéressé en se référant au comportement d'un individu normalement prudent et diligent ; qu'au cas présent, pour faire droit à l'action indemnitaire de l'association France Nature Environnement, la cour d'appel a estimé, d'une part, qu'il n'était pas contesté que 28 spécimens de faucons crécerellettes, espèce animale non domestique protégée au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, avaient péri à la suite d'une collision avec les éoliennes des parcs concernés alors que les dispositions du code de l'environnement l'interdisent, et, d'autre part, que les sociétés exploitantes ne justifiaient « ni d'une autorisation administrative à cette destruction de spécimens protégés, ni d'une dérogation administrative au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement », de sorte que la preuve tant de l'élément matériel que de l'élément moral, de la faute d'imprudence du délit d'atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques protégées, prévu par l'article L. 415-3 du code de l'environnement, était rapportée ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme cela lui était pourtant expressément demandé par les sociétés demanderesses si les sociétés exploitantes n'avaient pas adopté un comportement prudent et accompli les diligences normales qui leur incombaient compte tenu de leur mission, de leurs compétences, de leurs pouvoirs et des moyens dont elles disposaient, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 415-3 du code de l'environnement ;

2°/ que si l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement prohibe toute destruction d'individus d'espèces animales non domestiques, la sanction pénale attachée à la violation de cette interdiction, instituée par l'article L. 415-3 du même code, ne trouve, elle, à s'appliquer que pour autant qu'une atteinte ait été portée à la conservation de l'espèce concernée ; qu'ainsi, les conditions de l'interdiction administrative prévue par le premier de ces textes, à laquelle seule une dérogation octroyée en application de l'article L. 411-2, 4°, du code de l'environnement permet de déroger, ne se confondent pas avec celles auxquelles le législateur a entendu subordonner l'application de la sanction pénale attachée à la violation de l'interdiction administrative précitée, laquelle implique, non seulement que l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement ait été violé, mais également qu'une atteinte ait été portée à la « conservation » de l'espèce ; qu'au cas présent, pour juger que l'élément matériel du délit prévu et réprimé par l'article L. 415-3 du code de l'environnement était constitué, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que « 28 faucons crécerellettes, espèce animale non domestique protégée au titre de l'article L. 411-2,1°, du code de l'environnement, ont été tués entre 2011 et 2016 à la suite d'une collision avec des éoliennes des Parcs [Localité 2] alors que les dispositions du code de l'environnement l'interdisent » et que « les intimés ne justifient ni d'une autorisation administrative à cette destruction de spécimens protégés, ni d'une dérogation administrative au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement » ; qu'en statuant de la sorte, quand il lui appartenait également de caractériser l'atteinte qui avait été portée à « la conservation » de l'espèce protégée concernée par l'effet desdites destructions, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 415-3 du code de l'environnement. »

Réponse de la Cour

22. D'une part, il résulte des articles L. 411-1 et L. 415-3 du code de l'environnement que constitue le délit d'atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques la violation des interdictions prévues par les dispositions de l'article L. 411-1 et par les règlements pris en application de l'article L. 411-2 du même code (Crim., 5 avril 2011, pourvoi n° 10-86.248).

23. La cour d'appel n'était donc pas tenue de caractériser l'atteinte portée à la conservation de l'espèce protégée en cause, dès lors que celle-ci résultait de la constatation de la destruction d'un spécimen appartenant à l'espèce faucon crécerellette, en violation de l'interdiction édictée par l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement.

24. D'autre part, il est jugé qu'une faute d'imprudence suffit à caractériser l'élément moral du délit d'atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques protégées, prévu par l'article L. 415-3 du code de l'environnement (Crim, 1er juin 2010, pourvoi n° 09-87.159, Bull. crim. 2010, n° 96).

25. La cour d'appel a constaté que vingt-huit faucons crécerellettes, espèce animale non domestique protégée au titre de l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement, avaient été tués entre 2011 et 2016 par collision avec les éoliennes des parcs [Localité 2], que cette destruction perdurait malgré la mise en place du système DT- BIRD, et que les propriétaires exploitants n'avaient pas sollicité la dérogation aux interdictions édictées par cet article, constitutive d'un fait justificatif exonératoire de responsabilité.

26. Elle en a exactement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation sur le comportement des propriétaires exploitants, que le délit d'atteinte à la conservation d'espèce animale non domestique protégée, prévu par l'article L. 415-3 du code de l'environnement, était caractérisé tant dans son élément matériel que son élément moral.

27. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

28. Les propriétaires exploitants font le même grief à l'arrêt, alors « qu'à supposer même que les conditions de l'interdiction administrative posée par l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement se confondent avec celles qui déterminent l'application de la sanction pénale prévue par l'article L. 415-3 du même code, de sorte qu'une atteinte à la conservation de l'espèce ne serait pas requise pour permettre la qualification du délit prévu et réprimé par le second de ces textes, un doute existe sur l'interprétation à conférer à la portée de l'interdiction posée par le législateur aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, lorsque la destruction d'un ou plusieurs spécimens d'une espèce protégée d'oiseau a été causée par une activité humaine licite dont l'objet est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d'espèces animales ; qu'il appartient, en conséquence, à la Cour de cassation pour lever ce doute, conformément à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : « L'article 5, §§ a) à d), de la directive « oiseaux » doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une pratique nationale selon laquelle, lorsque l'objet d'une activité humaine licite, telle qu'une activité d'exploitation forestière ou d'occupation des sols, comme celle relative à l'exploitation d'un parc éolien, est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d'espèces animales, les interdictions prévues à cette disposition ne s'appliquent qu'en cas de risque d'incidence négative sur l'état de conservation des espèces concernées et, d'autre part, la protection offerte par ladite disposition cesse de s'appliquer aux espèces ayant atteint un état de conservation favorable ? ».»

Réponse de la Cour

29. A l'instar de ce que prévoit l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvages (directive « habitats »), l'article 5 de directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 (directive « oiseaux ») exige que les Etats membres adoptent un cadre législatif complet et efficace par la mise en oeuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection de toutes les espèces d'oiseaux sauvages qui doivent permettre d'assurer le respect effectif des interdictions mentionnées à cet article, notamment l'interdiction de les tuer intentionnellement, l'article 14 autorisant les Etats membres à prendre des mesures plus strictes que celles prévues par cette directive.

30. Les articles L. 411-1 et L. 411-2, 4°, du code de l'environnement interdisent, pour toutes les espèces animales non domestiques protégées, y compris les oiseaux, leur destruction et appliquent les conditions et les motifs de dérogation à ces interdictions posés par l'article 16 de la directive « habitats ».

31. L'arrêté du 29 octobre 2009 qui, en application de cette législation, fixe la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection y inclut, dans son article 3, le faucon crécerellette, dont la destruction intentionnelle est interdite.

32. La législation nationale a ainsi étendu aux oiseaux sauvages protégés les mesures nécessaires à un système de protection stricte édictées par l'article 12, § 1, sous a), de la directive « habitats ».

33. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article précité doit être interprété en ce sens que, d'une part, il s'oppose à une pratique nationale selon laquelle, lorsque l'objet d'une activité humaine, telle qu'une activité d'exploitation forestière ou d'occupation des sols, est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d'espèces animales, les interdictions prévues à cette disposition ne s'appliquent qu'en cas de risque d'incidence négative sur l'état de conservation des espèces concernées, et, d'autre part, la protection offerte par ladite disposition ne cesse pas de s'appliquer aux espèces ayant atteint un état de conservation favorable (CJUE, arrêt du 4 mars 2021, Föreningen Skydda Skogen, C-473/19 et C-474/19).

34. Il s'ensuit qu'en l'absence d'un doute raisonnable sur l'interprétation à donner à la portée de l'interdiction posée par le législateur aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement en cas de destruction de spécimens d'une espèce protégée d'oiseau causée par des éoliennes, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle soulevée par le moyen.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT n'y avoir lieu à question préjudicielle ;

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Farrenq-Nési - Avocat général : Mme Vassallo - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 142-2 du code de l'environnement ; article 1240 du code civil ; articles 31 et 122 du code de procédure civile ; loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article L. 411-2, 1°, du code de l'environnement ; articles L. 411-1, L. 411-2 et L. 415-3 du code de l'environnement ; article L. 411-1 du code de l'environnement ; article 5, §§ a) à d), de la Directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 1er juillet 2009, pourvoi n° 07-21.954, Bull. 2009, III, n° 166 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Crim., 1er juin 2010, pourvoi n° 09-87.159, Bull. crim. 2010, n° 96 (3) (rejet) ; 3e Civ., 8 juin 2011, pourvoi n° 10-15.500, Bull. 2011, III, n° 101 (rejet), et l'arrêt cité. Tribunal des conflits, 13 octobre 2014, n° 3 964, Bull. 2014, T. conflits, n° 13 ; 1re Civ., 14 février 2018, pourvoi n° 17-14.703, Bull. 2018, I, n° 32 (cassation). Crim., 18 octobre 2022, pourvoi n° 21-86.965, Bull. crim., (2) (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 23 novembre 2022, n° 21-11.776, n° 21-11.777, n° 21-11.781, (B), FS

Rejet

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Licenciement économique – Plan de sauvegarde de l'emploi – Transfert du contrat de travail en fraude des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail – Action ultérieure en contestation du transfert – Action exercée par les salariés licenciés – Office du juge judiciaire – Détermination – Portée

En vertu des articles L. 2414-1 et L. 2421-9 du code du travail, lorsqu'un salarié investi d'un mandat représentatif du personnel est compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article L. 1224-1 du code du travail, le transfert de ce salarié ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail qui s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire.

L'inspecteur du travail, qui contrôle la matérialité du transfert partiel, l'applicabilité des dispositions légales ou conventionnelles invoquées dans la demande d'autorisation de transfert et si le salarié concerné exécute effectivement son contrat de travail dans l'entité transférée, ainsi que l'absence de lien avec le mandat ou l'appartenance syndicale, ne porte pas d'appréciation sur l'origine de l'opération de transfert.

Il en résulte que le salarié protégé, dont le transfert du contrat de travail au profit du cessionnaire a été autorisé par l'inspecteur du travail et qui, à la suite de ce transfert, a été licencié après autorisation de l'autorité administrative, peut invoquer devant le juge judiciaire, eu égard aux circonstances dans lesquelles est intervenu le transfert, l'existence d'une fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail et solliciter sur ce fondement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative qui a autorisé le transfert, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-11.776, 21-11.777 et 21-11.781 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 9 décembre 2020), M. [L], Mme [H] et M. [G] ont été employés par la société de droit étranger Associated Press Limited (la société AP), au sein de son service français, en qualité respectivement de chef du service politique du service français, chef de service sténo rédacteur et journaliste.

Les salariés étaient investis d'un mandat représentatif du personnel.

3. Le 12 juillet 2012, un accord de cession de fonds de commerce a été signé entre la société AP et la société de droit étranger French Language Service Limited (la société FLS).

4. Le 11 juillet 2012, la société AP avait sollicité l'autorisation de procéder au transfert des contrats de travail des salariés, lequel a été autorisé par l'inspecteur du travail le 12 septembre 2012.

5. La société FLS a déposé une déclaration de cessation des paiements le 22 novembre 2012 aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 6 décembre 2012, la liquidation judiciaire de la société FLS a été prononcée, la société BTSG, prise en la personne de M. [S], étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

6. Le 25 janvier 2013, le liquidateur judiciaire a procédé au licenciement pour motif économique des salariés, après autorisation de l'inspecteur du travail.

7. Le 19 septembre 2013, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à dire que le transfert de leur contrat de travail a été frauduleusement mis en oeuvre, dire les licenciements sans cause réelle et sérieuse et condamner la société AP au paiement de dommages-intérêts à ce titre.

La société AP a soulevé une exception d'incompétence de la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. La société AP fait grief aux arrêts de déclarer la cour d'appel incompétente sur l'existence d'une unité économique autonome tout en retenant l'existence d'une fraude à l'article L. 1224-1 du code du travail en l'absence de transfert de cette unité, alors :

« 1°/ que le juge judiciaire ne peut, sous le prétexte que serait invoquée devant lui la règle suivant laquelle la fraude corrompt tout, violer le principe constitutionnel de la séparation des ordres administratif et judiciaire, et remettre ainsi en cause l'appréciation définitivement portée par l'autorité administrative des conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ; qu'en affirmant qu'en présence d'une suspicion de fraude, le juge judiciaire retrouverait sa compétence pour statuer sur la question de l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail quand l'autorité administrative, qui avait donné son autorisation au licenciement du salarié par une décision définitive du 12 septembre 2012, avait à cette occasion déjà constaté que les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail étaient réunies, la cour d'appel a violé le principe de la séparation des ordres administratif et judiciaire ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que l'autorisation de transfert d'un salarié protégé lie le juge judiciaire, non seulement sur la question de l'existence d'une unité économique autonome mais également sur celle de la réunion des conditions d'application de l'article L.1224-1 du code du travail ; qu'en se déclarant incompétente sur l'existence d'une unité économique autonome mais compétente pour apprécier la réalité d'un transfert des moyens propres à l'entité transférée, la cour d'appel a violé de plus fort le principe à valeur constitutionnelle de la séparation des ordres administratif et judiciaire ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

10. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

11. En vertu des articles L. 2414-1 et L. 2421-9 du même code, lorsqu'un salarié investi d'un mandat représentatif du personnel est compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article L. 1224-1, le transfert de ce salarié ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail qui s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire.

12. L'inspecteur du travail, qui contrôle la matérialité du transfert partiel, l'applicabilité des dispositions légales ou conventionnelles invoquées dans la demande d'autorisation de transfert et si le salarié concerné exécute effectivement son contrat de travail dans l'entité transférée, ainsi que l'absence de lien avec le mandat ou l'appartenance syndicale, ne porte pas d'appréciation sur l'origine de l'opération de transfert.

13. Il en résulte que le salarié protégé, dont le transfert du contrat de travail au profit du cessionnaire a été autorisé par l'inspecteur du travail et qui, à la suite de ce transfert, a été licencié après autorisation de l'autorité administrative, peut invoquer devant le juge judiciaire, eu égard aux circonstances dans lesquelles est intervenu le transfert, l'existence d'une fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail et solliciter sur ce fondement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative qui a autorisé le transfert, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

14. La cour d'appel, qui a constaté qu'elle était saisie de demandes des salariés tendant à la condamnation de la société cédante au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison d'une fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, en a exactement déduit que le juge judiciaire était compétent.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

16. La société AP fait grief aux arrêts de retenir l'existence d'une fraude à l'article L. 1224-1 du code du travail en l'absence de transfert d'une unité économique autonome et de la condamner en conséquence à payer à chacun des salariés une certaine somme à titre de licenciement abusif et à rembourser à l'AGS CGEA IDFO certaines sommes, alors :

« 2°/ qu'en retenant, pour conclure à l'existence d'une fraude dont se serait rendue coupable la société Associated Press, qu'elle ne produisait pas d'éléments relatifs à la société French Language Services portant sur son capital, ses fonds propres ou l'activité qu'elle entendait développer, quand ces informations incombaient au cessionnaire ou à son mandataire liquidateur partie à l'instance, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

3°/ qu'en tenant la société Associated Press pour seule responsable de la mise en liquidation judiciaire de la société cessionnaire French Language Services, quand elle avait elle-même constaté que cette liquidation résultait de l'absence d'aide de son actionnaire principal, le groupe DAPD qui l'avait créée dans le seul but de la cession mais ne lui avait fourni aucun soutien financier lui permettant de développer sa clientèle et d'assurer sa viabilité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a de plus fort violé l'article L. 1224-1 du code du travail ;

4°/ que la société Associated Press avait rappelé dans ses conclusions que la clientèle propre au service français était constituée en majorité des journaux et publications parisiennes et d'autres régions, ainsi que des institutions gouvernementales ; qu'il résultait par ailleurs de l'accord de cession que si les clientèles suisse, belge, luxembourgeoise et marocaine n'étaient pas, dans un premier temps, directement transférées, seuls les revenus liés à ces contrats commerciaux étant visés par le transfert, ils pouvaient l'être à terme à la date de leur renouvellement ; qu'en se fondant sur l'absence de transfert direct de la clientèle suisse, belge, marocaine et luxembourgeoise pour conclure à l'existence d'une fraude imputable à la société Associated Press résultant de l'absence de transfert des éléments incorporels générant des profits, sans s'expliquer ni sur le fait que le transfert de cette clientèle était simplement différé dans le temps, ni sur la réalité du transfert de la clientèle française, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

17. La cour d'appel, après avoir relevé que les clients basés en Suisse, Belgique, Luxembourg et Maroc étaient exclus de la cession et que les clauses du contrat de cession mentionnaient que les contrats conclus avec les clients basés en Suisse devaient être transférés dans le cadre d'un contrat distinct, a constaté qu'il n'était pas établi que ce contrat avait été effectivement signé, que les pièces produites par la société AP ne permettaient pas de démontrer que la clientèle française avait été transférée, que le prix d'acquisition fixé à 10 euros, dont un euro pour les actifs immatériels, confirmait l'absence de transfert effectif de toute la clientèle et qu'ainsi le transfert s'était fait sans la reprise des éléments incorporels nécessaires à l'exploitation de la nouvelle entité. Elle a également estimé que la cession n'offrait pas de perspectives réalistes faute, d'une part, de la transmission de tous les éléments incorporels nécessaires à la poursuite de son activité, d'autre part, de soutien du groupe allemand DAPD, ce qui était à l'origine de la mise en liquidation de la société FLS prononcée deux mois après l'immatriculation de celle-ci. Elle en a déduit, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que pour la société AP, dont le souhait était de se séparer du service français depuis 2007, le seul but de cette cession sans avenir était d'éluder les règles relatives au licenciement économique, en sorte que la cession et les transferts des contrats de travail avaient été effectués en fraude aux droits des salariés, lesquels étaient dès lors bien fondés en leur demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formée à l'encontre de la société cédante.

18. Il s'ensuit que le moyen, inopérant en sa deuxième branche en ce qu'elle critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 1224-1, L. 2414-1 et L. 2421-9 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence d'atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, en cas de violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail antérieurement au plan de sauvegarde de l'emploi, à rapprocher : Soc., 10 juin 2020, pourvoi n° 18-26.229, Bull., (rejet).

Soc., 23 novembre 2022, n° 20-19.961, n° 21-10.543, (B), FS

Cassation partielle

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Licenciement – Rétractation par l'employeur – Validité – Appréciation – Etendue – Cas – Salarié protégé – Portée

Le licenciement ne peut être rétracté par l'employeur qu'avec l'accord du salarié, peu important que la rétractation ait été faite à la demande de l'inspecteur du travail d'annuler la procédure de licenciement engagée et de respecter le statut protecteur.

Il en résulte que le juge judiciaire, quand bien même le licenciement ultérieur du salarié a fait l'objet d'une autorisation administrative, demeure compétent, sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, pour apprécier la validité de la rétractation de la mesure de licenciement notifiée antérieurement.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-19.961 et n° 21-10.543 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 7 juillet 2020), M. [S] a été engagé en qualité d'employé commercial par la société Karist le 8 octobre 2001.

Le 10 mai 2007, il a été élu délégué du personnel et membre titulaire du comité d'entreprise.

3. Le 8 février 2010, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour motif personnel.

Par lettre du 22 février suivant, il a annulé cette mesure et informé le salarié de sa réintégration au terme de son arrêt maladie, le 9 mars 2010. Cet arrêt maladie a été prolongé jusqu'au 9 juillet 2010.

4. Le 2 avril 2010, l'employeur a sollicité de l'inspecteur du travail une autorisation de licenciement qui lui a été accordée le 21 mai suivant.

Le 4 juin 2010, il a notifié au salarié une nouvelle mesure de licenciement.

5. Le 16 janvier 2012, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral et exécution fautive du contrat de travail. Après retrait de l'affaire du rôle le 16 juin 2014, le salarié en a sollicité la réinscription par conclusions du 17 juin 2014, dans lesquelles il a sollicité l'annulation du licenciement intervenu le 8 février 2010 sans autorisation préalable de l'inspecteur du travail et sans accord formel sur la rétractation notifiée postérieurement par l'employeur.

6. La société Karist a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de Nîmes en date du 18 octobre 2017.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi de la société

Enoncé du moyen

7. La société fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du 8 février 2010 est nul et de fixer au passif de la société certaines sommes à titre d'indemnité en réparation intégrale du préjudice résultant du licenciement nul et pour violation du statut de salarié protégé, alors :

« 1°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société Karist soulignait que par courrier du 11 février 2010, l'inspectrice du travail lui avait fait injonction d'annuler le licenciement prononcé sans autorisation et que la même inspectrice du travail lui avait ensuite, en toute connaissance de cause, délivré le 21 mai 2010 une autorisation de licencier M. [S], considérant donc que l'annulation de la première procédure de licenciement était régulière et que M. [S] faisait toujours partie de l'effectif de l'entreprise, de sorte que la société Karist n'avait fait que se conformer aux injonctions et autorisations de l'inspection du travail ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que si une mesure de licenciement ne peut être valablement rétractée par l'employeur qu'avec l'accord du salarié, la preuve d'un tel accord peut être rapportée par tous moyens ; qu'en l'espèce, en reprochant, par motifs adoptés, à la société Karist de ne pas produire aux débats de courrier, document ou un témoignage démontrant que M. [S] avait accepté la rétractation de son licenciement notifié le 8 février 2010, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de la liberté de la preuve ;

3°/ que l'acceptation non équivoque par le salarié de la rétractation de son licenciement est établie lorsqu'il a continué à envoyer à son employeur des prolongations d'arrêts de travail postérieurement à ce licenciement et à l'expiration du préavis né du premier licenciement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que par courrier du 22 février 2010, la société Karist avait informé le salarié qu'elle se rétractait de sa mesure de licenciement prononcée le 8 février 2010 et qu'elle le réintégrait au sein de l'entreprise ; qu'il était constant que le salarié, qui n'avait jamais refusé cette rétractation, avait continué, au-delà du 8 février 2010 et y compris après l'expiration du préavis né du premier licenciement, à adresser ses arrêts maladie à la société Karist, comportement impliquant nécessairement un accord exprès et non équivoque à la rétractation du licenciement ; qu'en concluant néanmoins à l'absence d'accord exprès, clair et non équivoque du salarié à la rétractation de son licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

8. Le licenciement ne peut être rétracté par l'employeur qu'avec l'accord du salarié, peu important que la rétractation ait été faite à la demande de l'inspecteur du travail d'annuler la procédure de licenciement engagée et de respecter le statut protecteur. Il en résulte que le juge judiciaire, quand bien même le licenciement ultérieur du salarié a fait l'objet d'une autorisation administrative, demeure compétent, sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, pour apprécier la validité de la rétractation de la mesure de licenciement notifiée antérieurement.

9. Ayant estimé, au terme de son interprétation souveraine de la volonté des parties, que la preuve de l'accord clair et non équivoque du salarié n'était pas rapportée par l'employeur, la cour d'appel, sans être tenue de répondre au moyen inopérant invoqué par la première branche, a légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi de l'AGS

Enoncé du moyen

10. L'AGS et l'Unedic - CGEA de [Localité 8] font grief à l'arrêt de déclarer opposable à l'AGS CGEA de [Localité 8] sa décision ayant fixé au passif de la société certaines sommes à titre d'indemnité en réparation intégrale du préjudice résultant du licenciement nul, et à titre d'indemnité pour violation du statut de salarié protégé, alors « que l'AGS avait à titre principal réclamé sa mise hors de cause, en faisant valoir qu'elle ne garantissait pas les créances du salarié dont l'employeur fait l'objet d'une simple procédure de sauvegarde ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

12. En réponse aux conclusions de l'AGS qui sollicitait sa mise hors de cause en faisant valoir qu'elle ne garantissait pas les créances du salarié dont l'employeur fait l'objet d'une simple procédure de sauvegarde, l'arrêt se borne à lui déclarer le jugement opposable.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare « le jugement » opposable à l'AGS CGEA de [Localité 8], l'arrêt rendu le 07 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Piwnica et Molinié ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Rapprochement(s) :

Sur le principe que le licenciement ne peut être rétracté par l'employeur qu'avec l'accord du salarié, à rapprocher : Soc., 12 juin 1985, pourvoi n° 83-42.755, Bull. 1985, V, n° 333 (rejet) ; Soc., 17 janvier 1990, pourvoi n° 87-40.666, Bull. 1990, V, n° 14 (rejet) ; Soc., 11 décembre 1991, pourvoi n° 90-42.270, Bull. 1991, V, n° 573 (cassation partielle) ; Soc., 12 mai 1998, pourvoi n° 95-44.353, Bull. 1998, V, n° 244 (cassation partielle).

Soc., 9 novembre 2022, n° 21-19.598, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Litige relatif à un acte réglementaire – Acte réglementaire relatif à l'organisation d'un service public – Demande de retrait et d'inopposabilité aux salariés – Applications diverses – Note de service du directeur d'un établissement public industriel et commercial (EPIC) – Note relative à l'exercice du droit de grève – Portée

En application de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, il n'appartient qu'à la juridiction de l'ordre administratif de se prononcer sur une demande de retrait et de déclaration d'inopposabilité à l'ensemble des salariés concernés d'un établissement public industriel et commercial d'une note de service du directeur général relative à l'exercice du droit de grève d'une partie du personnel durant les périodes d'astreinte, laquelle constitue un acte réglementaire relatif à l'organisation du service public.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 21 mai 2021) et les productions, la régie Tisseo (la régie) est un établissement public à caractère industriel et commercial chargé de l'exploitation du réseau de transport toulousain, soumis à la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs. Il emploie plus de 2 700 salariés, dont une dizaine au sein du service Automatismes, chargés de la maintenance des lignes du métro automatisé.

2. Un accord de branche relatif au développement du dialogue social, à la prévention des conflits et à la continuité du service public a été signé le 3 décembre 2007 et étendu par arrêté du 9 juin 2008 pour tous les employeurs et salariés compris dans le champ d'application de la convention collective susvisée.

3. Le 8 mars 2016, le directeur général de la régie a, par note de service, indiqué que la participation des personnels d'astreinte du service Automatismes à un mouvement de grève était impossible et que les personnels de ce service d'astreinte devaient donc, en cas de panne ou de dysfonctionnements des automatismes métro, répondre aux appels d'astreinte et se déplacer en cas d'intervention nécessaire, sous peine de sanctions disciplinaires.

4. Par acte d'huissier du 19 mars 2018, le Syndicat national des transports urbain CFDT (le syndicat SNTU-CFDT) a assigné la régie aux fins de voir déclarer la note de service inopposable aux salariés, obliger à son retrait sous astreinte et d'obtenir paiement de dommages-intérêts pour entrave et atteinte à l'intérêt collectif de la profession.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

6. Il n'appartient qu'à la juridiction de l'ordre administratif de se prononcer sur une demande de retrait et de déclaration d'inopposabilité à l'ensemble des salariés concernés d'un établissement public industriel et commercial d'une note de service du directeur général relative à l'exercice du droit de grève d'une partie du personnel durant les périodes d'astreinte, laquelle constitue un acte réglementaire relatif à l'organisation du service public.

7. L'arrêt retient que, si la note de service prise le 8 mars 2016 par la régie, organisme privé chargé d'une mission de service public, constitue par nature un acte administratif dont la légalité relève de l'appréciation du juge administratif, la violation alléguée de l'accord de branche du 3 décembre 2007 par cette note de service relève de la compétence du juge judiciaire.

8. En statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés du fondement juridique de la demande, alors que l'objet de la demande du syndicat tendait à voir ordonner le retrait ou l'inopposabilité aux salariés concernés de la note de service du 8 mars 2016 qui vise à l'organisation de la mission de service public de la régie, de sorte que cette demande relève de la compétence de la juridiction administrative, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes du Syndicat national des transports urbains visant à dire inopposable aux salariés du service Automatismes la note interne du 8 mars 2016 et à ordonner à la régie Tisseo de retirer sa note interne du 8 mars 2016 sous astreinte, l'arrêt rendu le 21 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi de ces chefs ;

DÉCLARE la juridiction judiciaire incompétente pour dire inopposable aux salariés du service Automatismes la note interne du 8 mars 2016 et ordonner à la régie Tisseo de retirer sa note interne du 8 mars 2016 sous astreinte ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

Rapprochement(s) :

Sur l'incompétence du juge judiciaire concernant les litiges portant sur une demande de retrait d'une disposition de nature réglementaire, à rapprocher : Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 20-21.758, Bull., (rejet).

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