Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

PRET

1re Civ., 9 novembre 2022, n° 21-16.846, (B), FS

Cassation partielle

Prêt d'argent – Emprunteur – Emprunteur non averti – Capacités financières et risque d'endettement – Appréciation – Eléments pris en considération

Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que, pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, doivent être pris en considération ses biens et revenus, incluant la valeur du bien immobilier financé par l'emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 14 février 2020), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère (la banque) a consenti à Mme [N] (l'emprunteur) un prêt destiné à l'acquisition d'un bien immobilier constituant sa résidence principale.

2. Des échéances étant demeurées impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt, puis a assigné l'emprunteur en paiement. A titre reconventionnel, celui-ci a demandé la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts en soutenant qu'elle avait manqué à son obligation de mise en garde.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'emprunteur une indemnité égale au montant de ce qu'elle demeure lui devoir en exécution du prêt qu'elle lui a consenti et d'ordonner la compensation entre leurs obligations respectives, alors « que l'établissement de crédit prêteur de deniers n'est pas débiteur d'une obligation de mise en garde envers l'emprunteur, lorsque celui-ci, à la date où il s'est engagé, disposait de capacités financières lui permettant de faire face à son engagement, et ne se trouvait pas, par conséquent, exposé à un risque d'endettement ; que quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ; qu'en énonçant, pour retenir que la banque était débitrice d'une obligation de mise en garde envers l'emprunteur d'une part, que « la circonstance que l'opération ait été financée en partie grâce à un apport personnel est sans incidence sur les capacités de remboursement de l'emprunteur », et, d'autre part, qu'« il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l'objet du prêt, dès lors que le financement accordé par la banque était précisément destiné à permettre à l'emprunteur d'accéder à la propriété de façon pérenne, et non d'investir avec le projet de revendre l'immeuble et de rembourser le prêt par anticipation », la cour d'appel, qui dispense objectivement l'emprunteur de remplir son engagement, sur son bien immobilier, a violé les articles 1147 ancien, 2284 et 2285 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

4. Il résulte de ce texte que, pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, doivent être pris en considération ses biens et revenus.

5. Pour condamner la banque à payer des dommages-intérêts à l'emprunteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde, l'arrêt retient que la circonstance que l'opération ait été financée en partie grâce à un apport personnel est sans incidence sur les capacités de remboursement de l'emprunteur et qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l'objet du prêt, dès lors que le financement accordé était destiné à lui permettre d'accéder à la propriété de façon pérenne, et non d'investir avec le projet de revendre l'immeuble et de rembourser le prêt par anticipation.

6. En statuant ainsi, sans prendre en compte la valeur du bien immobilier financé par l'emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère à payer à Mme [N] la même somme à laquelle elle est condamnée au profit de la banque, avec compensation, l'arrêt rendu le 14 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) et Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Capron ; Me Balat -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

1re Civ., 23 novembre 2022, n° 21-15.435, (B), FS

Rejet

Prêt d'argent – Prêteur – Etablissement de crédit – Obligations – Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers – Consultation – Conditions – Détermination – Portée

En application de l'article 978 du code de procédure civile, est irrecevable le moyen qui articule contre deux chefs distincts de l'arrêt des griefs tendant à des fins différentes.

Une cour d'appel, qui retient qu'un contrat a pour objet de regrouper des prêts antérieurs en réduisant le montant total de la mensualité sans coût supplémentaire, en déduit exactement qu'un tel crédit de restructuration ne crée pas de risque d'endettement nouveau, de sorte que la banque n'est pas tenue d'un devoir de mise en garde.

Il résulte des articles L. 311-9 et L. 311-13 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et de l'article 2 de l'arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP), dans sa rédaction applicable au litige, qu'avant de conclure un contrat de crédit, le prêteur consulte le FICP. Cette consultation peut avoir lieu avant la mise à disposition des fonds par laquelle le prêteur agrée la personne de l'emprunteur.

Prêt d'argent – Prêteur – Etablissement de crédit – Obligations – Obligation de mise en garde – Domaine d'application – Exclusion – Crédit de restructuration

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 25 février 2021), suivant acte sous seing privé du 20 octobre 2015, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme [P] (les emprunteurs) un prêt ayant pour objet un regroupement de crédits.

2. Après avoir prononcé la déchéance du terme en raison d'échéances impayées, la banque a obtenu une ordonnance d'injonction de payer à laquelle les emprunteurs ont formé opposition.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la banque une certaine somme et de rejeter leurs demandes en paiement de dommages-intérêts et compensation, alors « que l'établissement de crédit doit se renseigner pour alerter l'emprunteur au regard de ses capacités financières et du risque d'endettement né de l'octroi des prêts et doit même attirer l'attention de l'emprunteur non professionnel sur les conséquences que les crédits accordés peuvent avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement, quand bien même il n'existerait ni risque d'endettement excessif ni surendettement ; qu'à défaut d'avoir recherché, comme elle y était invitée, si le couple n'avait pas deux enfants à charge et à défaut de s'être prononcée, comme elle y était aussi invitée, sur les incidents de paiement déjà survenus à l'occasion d'un crédit souscrit le 24 janvier 2015 auprès de la société Carrefour banque d'un montant de 16 356,25 euros, remboursable en soixante mensualités, à un taux de 8,83 %, afin de regrouper certains crédits antérieurement contractés par les exposants et sur les incidents de paiement afférents à un crédit conclu en juin 2015 auprès de la société Casino pour plus de 13 000 euros, ayant aussi fait l'objet d'une procédure devant le tribunal d'instance, au cours de laquelle les parties avaient convenu d'un remboursement échelonné de 280 euros par mois, crédits dont l'inadaptation à la situation de M. et Mme [P] les avait mis dans l'impossibilité de pouvoir régler les mensualités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1231-1 du code civil, L. 311-9 et L. 312-14 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

4. En application de l'article 978 du code de procédure civile, le moyen, qui articule contre deux chefs distincts de l'arrêt des griefs tendant à des fins différentes, est irrecevable.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. Les emprunteurs font le même grief à l'arrêt, alors « que la cour d'appel, qui ne s'est pas davantage interrogée sur le fichage dont a fait l'objet Mme [P] en mai 2015 pour incident de paiement d'un crédit, ce qui démontrait que la société BNP Paribas Personal Finance aurait dû être parfaitement informée des difficultés des emprunteurs, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel, qui a retenu que le contrat litigieux avait pour objet de regrouper trois prêts antérieurs en réduisant le montant total de la mensualité sans coût supplémentaire, en a exactement déduit que ce crédit de restructuration ne créait pas de risque d'endettement nouveau, de sorte que la banque n'était pas tenue d'une obligation de mise en garde.

7. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

8. La banque fait grief à l'arrêt de prononcer la déchéance du droit aux intérêts contractuels et de limiter à une certaine somme, assortie des intérêts au taux légal, la condamnation solidaire des emprunteurs, alors « que la consultation du fichier national des incidents de paiement par l'organisme prêteur doit être effectuée avant la conclusion effective du crédit, laquelle n'intervient, pour les crédits assortis d'une clause d'agrément, que lors de la délivrance de l'agrément par l'établissement de crédit ; qu'en considérant que la consultation par la BNP Paribas Personal Finance était tardive dès lors qu'elle n'a pas été accomplie avant la conclusion du contrat de crédit dans le délai maximal de sept jours suivant l'acceptation de l'offre de prêt par l'emprunteur prévu à l'article L. 311-13 du code de la consommation, cependant que la conclusion du contrat de crédit n'est intervenue que plus tard, lors de l'octroi par la BNP Paris Personal Finance d'un agrément aux époux [P], matérialisé par la mise à disposition des fonds, la cour d'appel a violé l'article L. 311-13 du code de la consommation dans sa version applicable à l'espèce, désormais repris à l'article L. 312-24 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 311-9, L. 311-13 et L. 311-48, alinéa 2, du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 2 de l'arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, dans sa rédaction applicable au litige :

9. Il résulte du premier de ces textes qu'avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur consulte le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) dans les conditions prévues par l'arrêté relatif à ce fichier.

10. Le deuxième dispose :

« Le contrat accepté par l'emprunteur ne devient parfait qu'à la double condition que ledit emprunteur n'ait pas usé de sa faculté de rétractation et que le prêteur ait fait connaître à l'emprunteur sa décision d'accorder le crédit, dans un délai de sept jours.

L'agrément de la personne de l'emprunteur est réputé refusé si, à l'expiration de ce délai, la décision d'accorder le crédit n'a pas été portée à la connaissance de l'intéressé.

L'agrément de la personne de l'emprunteur parvenu à sa connaissance après l'expiration de ce délai reste néanmoins valable si celui-ci entend toujours bénéficier du crédit.

La mise à disposition des fonds au-delà du délai de sept jours mentionné à l'article L. 311-14 vaut agrément de l'emprunteur par le prêteur. »

11. Il résulte du quatrième que les établissements et organismes assujettis à l'obligation de consultation du FICP doivent consulter ce fichier avant toute décision effective d'octroyer un crédit, tel que mentionné à l'article L. 311-2 du code de la consommation, à l'exception des opérations mentionnées à l'article L. 311-3 du même code et avant tout octroi d'une autorisation de découvert remboursable dans un délai supérieur à un mois. Sans préjudice de consultations antérieures dans le cadre de la procédure d'octroi de crédit, cette consultation obligatoire, qui a pour objet d'éclairer la décision finale du prêteur avec les données les plus à jour, doit être réalisée lorsque le prêteur décide d'agréer la personne de l'emprunteur en application de l'article L. 311-13 du code de la consommation pour les crédits mentionnés à l'article L. 311-2 du même code.

12. Selon le troisième, lorsque le prêteur n'a pas respecté les obligations fixées à l'article L. 311-9, il est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.

13. Pour prononcer la déchéance du droit aux intérêts, l'arrêt retient que la banque n'a pas consulté le FICP dans le délai maximal de sept jours imparti par l'article L. 311-13 du code de la consommation.

14. En statuant ainsi, après avoir relevé que cette consultation avait eu lieu avant la mise à disposition des fonds, par laquelle le prêteur avait agréé la personne des emprunteurs, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la déchéance du droit aux intérêts contractuels et limite la condamnation solidaire des emprunteurs à la somme de 12 835,29 euros, assortie des intérêts au taux légal, l'arrêt rendu le 25 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 311-9, L. 311-13 et L. 311-48, alinéa 2, du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; article 2 de l'arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.

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