Numéro 11 - Novembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 11 - Novembre 2022

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 23 novembre 2022, n° 21-13.613, (B), FRH

Cassation

Organes – Liquidateur – Responsabilité – Faute personnelle du liquidateur – Omission de demander le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Opérations postérieures au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire – Condition

Aux termes de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Selon l'article 271 du code général des impôts, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération, et la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat.

La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit (CJCE, arrêt du 3 mars 2005, Fini H, C-32/03), d'une part, que selon les termes de l'article 4, § 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil du 10 avril 1995, la notion d'assujetti est définie en relation avec celle d'activité économique et que c'est l'existence d'une telle activité qui justifie la qualification d'assujetti qui se voit reconnaître, par la sixième directive, le droit à déduction. Elle a dit pour droit, d'autre part, que les coûts des opérations réalisées par une société assujettie pendant la période de liquidation de son activité doivent être considérés comme inhérents à l'activité économique, de sorte que le droit à déduction doit lui être reconnu si ces opérations présentent un lien direct et immédiat avec l'activité, pour autant que sa mise en oeuvre ne donne pas lieu à des situations frauduleuses ou abusives.

Viole, en conséquence, les textes susvisés, la cour d'appel qui retient que le liquidateur d'une société mise en liquidation judiciaire n'a pas commis de faute engageant sa responsabilité personnelle en omettant de demander le remboursement d'un crédit de TVA afférent à des opérations postérieures au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, aux motifs que la société avait perdu sa qualité d'assujettie au jour de ce jugement, alors que cette société n'avait pas perdu cette qualité du seul fait de sa cessation d'activité et qu'elle pouvait déduire la TVA grevant les dépenses engagées pour mettre fin à son exploitation après ce jugement, en obtenant, à la demande de son liquidateur, le remboursement du crédit de TVA ainsi généré, pour autant qu'il existait un lien direct et immédiat entre les paiements effectués et l'activité commerciale ou qu'ils aient été exposés pour mettre fin à l'exploitation et dès lors que l'absence d'intention frauduleuse ou abusive était établie.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 décembre 2020), la société Nevile Foster Delaunay Belleville (la société NFDB), exerçant l'activité de marchande de biens immobiliers, a été mise en redressement judiciaire le 4 mai 2004, puis en liquidation judiciaire le 10 mai 2005.

La procédure a été étendue à sa filiale la SCI Laugier Saint-Germain (la société Laugier).

La société [V] Yang-Ting, en la personne de Mme [V], a été successivement désignée mandataire judiciaire puis liquidateur.

2. La clôture de la liquidation judiciaire pour extinction du passif a été prononcée le 21 janvier 2015.

Le compte rendu de fin de mission du liquidateur a été déposé et notifié aux sociétés NFDB et Laugier le 3 mars 2015.

3. Le 6 octobre 2015, les sociétés NFDB et Laugier ont désigné M. [K], en qualité de liquidateur amiable, lequel a demandé à l'administration fiscale, le 26 janvier 2016, un remboursement de crédit de TVA pour le compte de la société NFDB afférent aux dépenses engagées après le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire pendant la période 2006-2012.

La demande a été déclarée irrecevable par l'administration fiscale pour cause de prescription le 8 juillet suivant.

4. Considérant que le liquidateur judiciaire avait commis une faute engageant sa responsabilité personnelle en omettant d'entreprendre les formalités permettant d'obtenir le remboursement du crédit de TVA, les sociétés NFDB et Laugier l'ont assigné en paiement de dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Laugier et la société NFDB font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes, alors : « que la Cour de justice de l'Union Européenne a dit pour droit (CJCE, arrêt du 3 mars 2005, Fini H, C-32/03) que les opérations réalisées par une société pendant la période de liquidation de son activité doivent être considérées comme faisant partie de l'activité économique, dès lors qu'existe un lien entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, le système commun de TVA garantissant la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités ; qu'il s'ensuit qu'afin de respecter le principe de neutralité du système de taxe sur la valeur ajoutée, les dispositions de l'article 271 du code général des impôts doivent être interprétées de manière à ce qu'il ne soit pas procédé, pour l'exercice du droit à déduction, à une distinction arbitraire entre les dépenses effectuées par une entreprise avant l'exploitation effective de celle-ci, celles exposées au cours de cette exploitation et celles engagées pour mettre fin à cette exploitation ou à sa liquidation, de sorte que les dépenses relevant de la troisième catégorie, dès lors qu'elles sont en lien direct avec une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, peuvent être regardées comme faisant partie des frais généraux de l'entreprise et permettent l'exercice du droit à déduction ; que, pour écarter la faute du liquidateur judiciaire, la cour d'appel a énoncé que le jugement ouvrant une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société NFDB prévoyait l'arrêt immédiat de son activité et qu'ainsi elle ne pouvait plus se livrer à des opérations de sous-location d'entrepôts, ce qui constituait son activité antérieure, que Mme [V] établissait, par la production de sa reddition des comptes de la liquidation et qu'elle n'avait, au cours de la période de liquidation, cédé aucun bien, stock ou élément d'actif immobilisé dont la cession est soumise à la TVA, pour en déduire que, ne remplissant aucune des deux conditions alternatives posées par le Conseil d'Etat, la société NFDB avait perdu sa qualité « d'assujettie » au jour du jugement prononçant sa liquidation judiciaire et que, dès lors, la TVA relative aux factures acquittées au cours de la période de liquidation ne pouvait plus être récupérée ; qu'en statuant ainsi, par des motifs d'où il ne résulte pas que les dépenses en amont de la société NFDB soumises à TVA pendant les opérations de liquidation étaient sans lien avec une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction, la cour d'appel a violé l'article 271 du code général des impôts, ensemble le principe de neutralité du système de TVA consacré par la Cour de justice de l'Union Européenne et l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La société [V] Yang-Ting et Mme [V] contestent la recevabilité du moyen en soutenant que celui-ci, qui part du postulat qu'il aurait existé un lien direct et immédiat entre les paiements litigieux et l'activité antérieure de la société NFDB, introduit devant la Cour de cassation une discussion purement factuelle qui aurait dû être étayée en cause d'appel, et est nouveau et mélangé de fait et de droit.

7. Cependant la cour d'appel ayant déjà été saisie du moyen dont la recevabilité est contestée, celui-ci n'est pas nouveau.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article 271 du code général des impôts :

9. Aux termes du premier texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Selon le second, la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération, et la taxe sur la valeur ajoutée déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat.

10. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit (CJCE, arrêt du 3 mars 2005, Fini H, C-32/03), d'une part, que selon les termes de l'article 4, § 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil du 10 avril 1995, la notion d'assujetti est définie en relation avec celle d'activité économique et que c'est l'existence d'une telle activité qui justifie la qualification d'assujetti qui se voit reconnaître, par la sixième directive, le droit à déduction. Elle a dit pour droit, d'autre part, que les coûts des opérations réalisées par une société assujettie pendant la période de liquidation de son activité doivent être considérés comme inhérents à l'activité économique, de sorte que le droit à déduction doit lui être reconnu si ces opérations présentent un lien direct et immédiat avec l'activité, pour autant que sa mise en oeuvre ne donne pas lieu à des situations frauduleuses ou abusives, et que toute autre interprétation reviendrait à procéder à une distinction arbitraire entre, d'un côté, les dépenses effectuées pour les besoins d'une entreprise avant l'exploitation effective de celle-ci et celles réalisées au cours de ladite exploitation, et, de l'autre, les dépenses effectuées pour mettre fin à cette exploitation.

11. L'administration fiscale considère ainsi qu'une entreprise qui a cessé son activité commerciale mais qui continue de supporter des dépenses afférentes à cette activité est considérée comme un assujetti et peut déduire la TVA sur les montants acquittés, pour autant qu'il existe un lien direct et immédiat entre les paiements effectués et l'activité commerciale et dès lors que l'absence d'intention frauduleuse ou abusive est établie et qu'il en est ainsi notamment de la TVA ayant grevé les honoraires des mandataires liquidateurs (BOI-TVA-DED-50-20-20).

12. Pour retenir que le liquidateur n'avait commis aucune faute, l'arrêt retient que la perte de la qualité de redevable ouvrant droit au remboursement d'un crédit de TVA résulte de l'impossibilité pour l'assujetti de récupérer, par voie d'imputation sur les taxes dont il est redevable, le crédit dont il disposait, qu'un assujetti, quelle que soit l'activité qu'il a exercée, doit être regardé comme ayant perdu la qualité de redevable lorsqu'il n'est plus en mesure de réaliser aucune opération donnant lieu à collecte de TVA, et que tel est le cas lorsque non seulement l'assujetti ne peut plus effectuer aucune des opérations qui constituaient son activité normale, soit qu'il ait cédé l'ensemble des marchandises qu'il avait pour objet de vendre, soit qu'il ait cessé totalement d'effectuer les prestations de services qu'il avait pour objet de rendre, mais également ne dispose plus de biens, stocks ou éléments d'actif immobilisé, dont la cession est soumise à la perception de TVA. Ayant relevé qu'en l'espèce, il était constant et non contesté que le jugement ouvrant la liquidation judiciaire de la société NFDB prévoyait l'arrêt immédiat de son activité, l'arrêt retient ensuite que cette société, représentée par Mme [V], ne pouvait plus se livrer à des opérations de sous-location d'entrepôts au sein du port de [Localité 3], ce qui constituait son activité antérieure, étant observé que le bail qui la liait au Port Autonome de [Localité 4] avait été résilié le 30 août 2000, et que le liquidateur établit, par la production de sa reddition des comptes de la liquidation, que la société NFDB n'a, au cours de la période de liquidation, cédé aucun bien, stock ou élément d'actif immobilisé dont la cession était soumise à la TVA. Il en déduit que la société NFDB a perdu sa qualité d'assujettie au jour du jugement prononçant sa liquidation judiciaire et que la TVA relative aux factures acquittées au cours de la période de liquidation ne pouvant plus être récupérée par la société NFDB, le liquidateur n'avait commis aucune faute en ne demandant pas le remboursement d'un crédit de TVA afférent aux opérations postérieures au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire.

13. En statuant ainsi, alors que la société NFDB n'avait pas perdu sa qualité d'assujettie du seul fait de sa cessation d'activité, et qu'elle pouvait déduire la TVA grevant les dépenses engagées pour mettre fin à son exploitation après le jugement d'ouverture de sa liquidation judiciaire, en obtenant, à la demande de son liquidateur, le remboursement du crédit de TVA ainsi généré, pour autant qu'il existait un lien direct et immédiat entre les paiements effectués et l'activité commerciale ou qu'ils aient été exposés pour mettre fin à l'exploitation et dès lors que l'absence d'intention frauduleuse ou abusive était établie, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Vaissette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil ; article 271 du code général des impôts.

Rapprochement(s) :

Sur la qualification d'assujetti, cf : CJCE, arrêt du 3 mars 2005, Fini H, C-32/03.

Com., 23 novembre 2022, n° 21-13.386, (B), FRH

Cassation

Redressement judiciaire – Période d'observation – Créanciers – Déclaration des créances – Prescription – Interruption – Effets – Effets à l'égard de la caution – Détermination

Il résulte des articles 2241 et 2246 du code civil que la déclaration de créance au passif du débiteur principal en procédure collective interrompt la prescription à l'égard de la caution et que cet effet se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective. Si, en vertu de l'article L. 631-20 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, la caution ne peut se prévaloir des dispositions du plan de redressement dont bénéficie, le cas échéant, le débiteur principal, cette disposition ne fait pas échec à l'interruption de la prescription à son égard jusqu'au constat de l'achèvement du plan, ou, en cas de résolution de celui-ci et d'ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur principal, jusqu'à la clôture de cette procédure.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 26 novembre 2020), la société [K] et Moutte (la société) a souscrit un contrat d'ouverture de crédit en compte courant auprès de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Alpes-Provence (la banque).

Le 2 mai 2007, M. [K] s'est rendu caution de la société en faveur de la banque.

2. Par un jugement du 13 mars 2009, la société a été mise en redressement judiciaire.

La banque a déclaré sa créance le 6 avril 2009, laquelle a été admise par une ordonnance du 5 février 2010. Un plan de redressement a été arrêté par le tribunal le 12 mars 2010.

Le plan a été résolu et la société a été mise en liquidation judiciaire le 11 octobre 2013.

3. Le 23 décembre 2016, la banque a assigné M. [K] en exécution de son engagement de caution.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite et donc irrecevable sa demande, alors « que la déclaration de créance interrompt la prescription à l'égard de la caution jusqu'à la clôture de la procédure ; qu'ayant relevé que la créance déclarée le 6 avril 2009 a été admise le 5 février 2010, qu'un plan de redressement a été homologué le 12 mars 2010, lequel a été résolu le 11 octobre 2013, la débitrice principale ayant fait l'objet d'une mesure de liquidation judiciaire, la cour d'appel qui pour considérer que c'est à juste titre que le tribunal a retenu qu'aux termes de l'article L. 630-21 (lire 631-20) du code de commerce, l'action de la banque était à nouveau possible envers la caution personne physique faisant courir un nouveau délai de cinq ans pour agir énonce que les co-obligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan et que les délais de paiement accordés au débiteur principal lui sont en effet strictement personnels et la caution solidaire ne peut en bénéficier, n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses propres constatations dont il ressortait que la procédure collective était toujours en cours en l'absence de clôture et partant a violé les articles L. 631-20 du code de commerce par fausse application, ensemble les articles L. 622-28 et suivants dudit code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241 et 2246 du code civil et l'article L. 631-20 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 :

5. Il résulte des deux premiers textes que la déclaration de créance au passif du débiteur principal en procédure collective interrompt la prescription à l'égard de la caution et que cet effet se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective. Si, en vertu du troisième, la caution ne peut se prévaloir des dispositions du plan de redressement dont bénéficie, le cas échéant, le débiteur principal, cette disposition ne fait pas échec à l'interruption de la prescription à son égard jusqu'au constat de l'achèvement du plan, ou en cas de résolution de celui-ci et d'ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur principal, jusqu'à la clôture de cette procédure.

6. Pour déclarer prescrite l'action de la banque à l'égard de M. [K], l'arrêt retient qu'après l'arrêté du plan de redressement, aux termes de l'article L. 631-20 du code de commerce, l'action de la banque était à nouveau possible envers la caution personne physique, ce qui lui ouvrait un délai de cinq ans pour agir et que, la banque n'ayant poursuivi la caution qu'à compter de fin 2016, quand le plan de redressement était antérieur de plus de cinq ans, la demande était prescrite.

7. En statuant ainsi, alors qu'ayant retenu, sans être critiquée, que la prescription applicable en l'espèce était la prescription quinquennale prévue par l'article L. 110-4 du code de commerce, et constaté que la banque avait déclaré sa créance le 6 avril 2009, que le plan de redressement de la société, arrêté le 12 mars 2010, avait été résolu et que la société avait été mise en liquidation judiciaire le 11 octobre 2013, elle ne pouvait déclarer prescrite l'action introduite par la banque le 23 décembre 2016, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés, le troisième par fausse application.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Vaissette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna -

Textes visés :

Articles 2241 et 2246 du code civil ; article L. 631-20 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021.

Rapprochement(s) :

Sur l'effet interruptif de prescription à l'égard de la caution, à rapprocher : Com., 10 février 2015, pourvoi n° 13-21.953, Bull. 2015, IV, n° 25 (rejet).

Com., 23 novembre 2022, n° 21-19.431, (B), FRH

Rejet

Responsabilités et sanctions – Faillite et interdictions – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination

L'annulation d'un jugement qui prononce une liquidation judiciaire après résolution d'un plan entraînant l'anéantissement rétroactif de cette décision, le délai de prescription triennal des actions en faillite personnelle ou interdiction de gérer de l'article L. 653-1, II, du code de commerce, court à compter de la nouvelle décision d'ouverture de la procédure.

Responsabilités et sanctions – Faillite et interdictions – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Applications diverses – Annulation d'un jugement prononçant une liquidation judiciaire – Jugement d'ouverture de la nouvelle procédure

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 25 mai 2021), M. [F] a été mis en redressement judiciaire le 5 juillet 2012, la procédure étant étendue aux SCI Impériale Fininvest, Impériale Patriminvest et Impériale Techinvest, trois sociétés dont il était le gérant.

Le plan de redressement arrêté n'ayant pas été respecté, sa résolution a été prononcée par un jugement du 7 avril 2016, et qui a ouvert la liquidation judiciaire de M. [F] et des trois sociétés. Ce jugement a été annulé par un arrêt du 7 novembre 2016 qui a prononcé la résolution du plan de redressement et ouvert la liquidation judiciaire de M. [F] et des trois sociétés.

2. Le 19 septembre 2019, la société Amauger-[K], désignée liquidateur, a assigné M. [F] pour voir prononcer son interdiction de gérer.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [F] fait grief à l'arrêt de déclarer l'action du liquidateur recevable comme non prescrite et de prononcer son interdiction de gérer pour une durée de 10 ans, alors « que les actions engagées aux fins de voir prononcer la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer se prescrivent par trois ans à compter du jugement qui prononce l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ; que l'annulation par la cour d'appel du jugement qui prononce la liquidation judiciaire - pour une irrégularité de procédure n'affectant pas l'acte introductif d'instance - ne reporte pas le point de départ de cette prescription à la date de l'arrêt, qui statuant en vertu de l'effet dévolutif, prononce à nouveau une liquidation judiciaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L 653-1, II, du code de commerce et 542, 561 et 562 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. L'annulation d'un jugement qui prononce une liquidation judiciaire après résolution d'un plan entraîne l'anéantissement rétroactif de cette décision.

Selon l'article L. 653-1, II, du code de commerce, les actions en faillite personnelle ou interdiction de gérer se prescrivent par trois ans à compter du jugement qui ouvre la procédure de redressement ou liquidation judiciaire.

6. Après avoir énoncé, conformément aux dispositions de l'article L. 626-27 du code de commerce, que l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire après la résolution d'un plan de redressement, constitue une nouvelle procédure, l'arrêt en déduit exactement que le délai de prescription de trois ans de l'article L. 653-1, II, du même code commence à courir à compter de la décision d'ouverture de la nouvelle procédure. Il retient ensuite que l'annulation du jugement du 7 avril 2016 ayant privé rétroactivement ce dernier de tout effet, le point de départ du délai de prescription de trois ans ne peut être la date du jugement annulé, mais doit être fixé au 7 novembre 2016, date de l'arrêt ayant annulé le jugement et ouvert la liquidation judiciaire. Relevant que l'action du liquidateur a été introduite par une assignation du 19 septembre 2019, il retient à bon droit que l'action n'est pas prescrite.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Vaissette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Brahic-Lambrey - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article L. 653-1, II, du code de commerce.

Com., 23 novembre 2022, n° 21-10.614, (B), FS

Rejet

Sauvegarde – Poursuite de l'activité – Continuation des contrats en cours – Contrat en cours – Exclusion – Clause compromissoire

Il résulte de l'article 1447 du code de procédure civile que la convention d'arbitrage, qui est indépendante du contrat auquel elle se rapporte, a pour objet le droit d'action attaché aux obligations découlant du contrat et non la création, la modification, la transmission ou l'extinction de ces obligations. Il se déduit de cet objet qu'elle n'est pas un contrat en cours, au sens de l'article L. 622-13 du code de commerce, dont l'exécution pourrait être ou non exigée par l'administrateur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 27 octobre 2020), le 6 juillet 2012, la société Vacama, exploitant un restaurant, a conclu un contrat de franchise avec la société de droit espagnol Pastificio Service SL, contenant une clause compromissoire.

La société Pastificio Service SL a cédé le contrat de franchise à la société La Tagliatella, en demeurant néanmoins le fournisseur exclusif de toutes les denrées alimentaires utilisées par les restaurants du réseau.

2. Estimant avoir été abusée du fait d'un concept déficitaire en France comme en Allemagne, la société Vacama a engagé une procédure d'arbitrage en saisissant, en 2016, la Chambre de commerce internationale (la CCI), désignée par les parties dans le contrat de franchise pour régler leurs différends, aux fins d'annulation de ce contrat.

Le 22 mars 2018, la CCI s'est dessaisie, faute d'avoir reçu des parties l'intégralité de la provision à valoir sur les frais d'arbitrage.

3. Un jugement du 9 avril 2018 a mis la société Vacama en procédure de sauvegarde, M. [L] étant désigné administrateur et la société Etude Balincourt étant désignée mandataire judiciaire.

4. Le 5 juin 2018, M. [L], ès qualités, a été mis en demeure par la société La Tagliatella de prendre parti sur la continuation du contrat de franchise.

Le 26 juin suivant, estimant que le contrat comprenait deux conventions autonomes, le contrat de franchise stricto sensu et la clause compromissoire, l'administrateur a répondu qu'il résiliait avec effet immédiat la clause compromissoire, ce qui avait pour conséquence, selon lui, de permettre la saisine du tribunal de commerce du litige initié devant le tribunal arbitral, et qu'il demandait au juge-commissaire une prolongation du délai de réponse pour le contrat de franchise stricto sensu, laquelle a été accordée, pour une durée de deux mois, par une ordonnance du 6 juillet 2018. Aucune réponse n'a été apportée par l'administrateur dans le délai ainsi prorogé.

5. La société La Tagliatella a formé un recours contre l'ordonnance.

Par un jugement du 19 octobre 2018, le tribunal, retenant que le débat sur la dissociation ou non du contrat de franchise et de la clause compromissoire relevait du juge du fond, s'est déclaré incompétent au titre de la demande de clause compromissoire, a invité les parties à saisir la juridiction compétente, a rejeté toutes les demandes de la société La Tagliatella, confirmé l'ordonnance du juge-commissaire et constaté la résiliation du contrat de franchise.

6. Le 18 septembre 2018, la société Vacama et son mandataire judiciaire ont assigné les sociétés La Tagliatella et Pastificio Service SL devant le tribunal aux fins d'annulation du contrat de franchise, pour dol et pour absence de transmission par le franchiseur d'un savoir-faire économiquement exploitable, et d'indemnisation du préjudice subi.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. La société Vacama fait grief à l'arrêt de dire le tribunal incompétent pour connaître du litige en vertu de la clause compromissoire attachée au contrat de franchise du 6 juillet 2012 et de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que le contrat en cours est résilié de plein droit après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l'administrateur et restée plus d'un mois sans réponse, ou lorsque l'administrateur répond à la mise en demeure, dans le délai d'un mois, en décidant expressément de résilier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'administrateur avait été mis en demeure par la société La Tagliatella de se prononcer sur la poursuite du contrat de franchise, sur le fondement de l'article L. 622-13 du code de commerce, ledit contrat comportant une clause compromissoire ; qu'elle a également constaté que l'administrateur avait répondu au franchiseur dans le délai d'un mois, en opérant à juste titre une distinction entre le contrat de franchise stricto sensu et la convention d'arbitrage autonome stipulée dans le même instrumentum, la cour d'appel constatant enfin la décision expresse de l'administrateur consistant à résilier la clause compromissoire avec effet immédiat ; qu'en refusant néanmoins de constater la résiliation de la convention d'arbitrage, et dire la juridiction étatique incompétente au profit de la juridiction arbitrale, à défaut de mise en demeure adressée par la société La Tagliatella à M. [L] lui demandant de prendre parti sur la continuation de la convention d'arbitrage, et faute de saisine par l'administrateur du juge-commissaire pour ordonner une telle résiliation sur le fondement de l'article L. 622-13, IV, du code de commerce, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé, par refus d'application, l'article L. 622-13, III, du code de commerce et, par fausse application, l'article L. 622-13, IV, du même code ;

2°/ que dans ses conclusions d'appel, la société Vacama faisait valoir que la décision de l'administrateur concernant la résiliation de la convention d'arbitrage était devenue définitive, faute de recours formé par le franchiseur contre cette décision devant le juge-commissaire sur le fondement de l'article R. 621-21 du code de commerce ; qu'en omettant de répondre à ce moyen déterminant de nature à établir le caractère définitif de la résiliation décidée par l'administrateur, pour se borner à énoncer, de manière générale, abstraite et inopérante, qu'en présence d'une clause d'arbitrage le juge-commissaire doit se déclarer incompétent au profit de l'arbitre en vertu du principe dit de « compétence-compétence », à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement inapplicable ou nulle, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article 1447 du code de procédure civile que la convention d'arbitrage, qui est indépendante du contrat auquel elle se rapporte, a pour objet le droit d'action attaché aux obligations découlant du contrat et non la création, la modification, la transmission ou l'extinction de ces obligations. Il se déduit de cet objet qu'elle n'est pas un contrat en cours, au sens de l'article L. 622-13 du code de commerce, dont l'exécution pourrait être ou non exigée par l'administrateur.

9. La réponse de l'administrateur de la société Vacama à la mise en demeure délivrée, le 5 juin 2018, par la société La Tagliatella, selon laquelle il résiliait avec effet immédiat la seule clause compromissoire, ne pouvait donc produire aucun effet.

10. L'arrêt constate qu'il n'est pas allégué en l'espèce que la clause compromissoire était manifestement nulle et retient, sans être critiqué, qu'elle n'était pas manifestement inapplicable.

11. Il en résulte que le litige, qui opposait la société Vacama aux franchiseurs, relevait de la convention d'arbitrage et que les juridictions étatiques étaient incompétentes pour en connaître.

12. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 1447 du code de procédure civile ; article L. 622-13 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la portée d'une clause compromissoire en présence d'une procédure collective, à rapprocher : 1re Civ., 1er avril 2015, pourvoi n° 14-14.552, Bull. 2015, I, n° 76 (rejet).

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